Intervention de Philippe Marini

Réunion du 6 mai 2010 à 21h30
Loi de finances rectificative pour 2010 — Adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général de la commission des finances :

Madame le ministre de l’économie, monsieur le ministre du budget, mes chers collègues, le Sénat est saisi du deuxième projet de loi de finances rectificative de l’année 2010. Le dispositif en ayant été décrit très précisément par les ministres qui m’ont précédé à cette tribune, je n’y reviendrai pas dans le détail.

Je soulignerai, comme ils l’ont fait, que, si le solde dit maastrichtien n’est pas affecté par l’aide à la Grèce, car il s’agit d’opérations financières, le déficit budgétaire est, lui, aggravé de 3 milliards d’euros, ce qui, cependant, ne nécessite pas d’accroître notre programme d’emprunt.

Relevons à ce stade que les recettes de trésorerie qui ont pu être mobilisées, de même que la réévaluation du produit de la TVA sont, en revanche, des données budgétaires qui, si elles n’étaient pas consacrées à cette opération, auraient été de nature à améliorer le solde de notre fin d’exercice, donc de réduire le programme d’endettement.

Je suis heureux que le Gouvernement ait incorporé dans le présent projet de loi de finances rectificative les dispositions du décret d’avance et qu’il en ait écarté une, que nous avions critiquée, qui portait sur 600 000 euros. Cela montre que le Gouvernement a écouté l’avis de la commission des finances et qu’il en a tenu compte.

Sur le fond, chacun sait que la situation très critique de la Grèce provient de l’incertitude des chiffres de ses comptes publics et qu’à trois reprises – en 2004, en 2008 et en 2009 – il a été nécessaire de corriger ces derniers pour les rendre conformes à la réalité.

Il est bon de rappeler aussi que nos amis grecs ont bénéficié d’une belle période de croissance, financée notamment par les fonds structurels européens. Je crois que, parmi les questions posées, il y aura celle d’une évaluation de l’efficacité des politiques structurelles ainsi conduites.

Il est bien compréhensible que les milieux financiers aient pris peur à propos de l’emballement des finances publiques grecques. En effet, dès lors que le taux de croissance de ce pays baissait, la soutenabilité de sa dette publique diminuait et la Grèce ne cessait de s’écarter de ce que nous appelons le solde stabilisant, qui permet d’éviter l’accroissement déraisonnable de la dette publique.

On ne saurait donc être surpris des jugements portés par les analystes, en particulier par les agences de notation, sur la situation de la Grèce et sur la soutenabilité à moyen et à long terme de ses finances publiques.

Ce qui, à l’inverse, a surpris beaucoup d’entre nous, c’est la communication de ces mêmes agences. C’est l’un des aspects de l’enchaînement de la crise sur lesquels il nous faudra revenir, au titre de la régulation, aux niveaux international et national.

Il est clair que nous avons l’impérieux devoir de sortir de l’impasse une union monétaire qui n’avait prévu aucun mécanisme de résolution des crises, de traitement des chocs asymétriques, une union monétaire dans laquelle il faut parfois plusieurs mois pour prendre les décisions qu’imposent des situations d’urgence.

Tout cela, bien entendu, nous conduit à formuler quelques réflexions.

J’ai la conviction que la situation dramatique de la Grèce, si nous savons en tirer toutes les conséquences, peut tout à fait être un facteur de progrès pour l’Union européenne, plus particulièrement pour la zone euro. Nous pouvons souhaiter que l’événement tragique que vit la population grecque, qui va devoir se soumettre à des mesures sévères, soit le point de départ d’une nouvelle gouvernance de la zone euro.

Nous avons en outre constaté, et c’est une bonne chose, madame le ministre, que l’intervention du Fonds monétaire international n’était plus un tabou.

L’Europe, en particulier les pays de la zone euro, figurant parmi les premiers contributeurs du FMI, il serait paradoxal que l’Union se prive du financement indispensable que peut lui apporter le Fonds, qui a toute la technicité et tout le professionnalisme nécessaires pour accompagner la restructuration financière d’un pays.

Le plan de soutien dont nous avons pris connaissance est, du point de vue de la commission des finances, d’une ampleur de nature à éviter la contagion.

Le Gouvernement a très bien fait d’amender le texte à l’Assemblée nationale pour englober la totalité des engagements sur les trois années que couvre ce plan.

Certes, ce dernier est exigeant quant aux contreparties, aux conditionnalités imposées à la Grèce : il ne peut en aller autrement, sauf à encourager l’« aléa moral » et à inciter tous les autres États qui sont confrontés, ce qui est naturel dans cette période de sortie de crise, à une rareté de l’argent public à laisser filer leurs déficits et leur dette.

La question de la gouvernance de la monnaie unique – j’y reviens, car c’est l’essentiel – est enfin « sur la table » !

Il n’est plus possible d’entretenir la fiction, sur laquelle nous avons vécu, qui veut que les vingt-sept membres de l’Union européenne aient vocation à entrer, à court terme, dans la zone euro. C’est là une idée qu’il nous faut éloigner de nos pensées, du moins immédiates.

Surtout, il est indispensable de renforcer l’Eurogroupe, d’en faire un vrai organe institutionnel de l’Union européenne, de manière que la surveillance mutuelle que doivent exercer les États de la zone euro les uns sur les autres s’appuie sur des procédures, sur des méthodes, sur un vrai secrétariat, sur des modes d’intervention adéquats.

Cette gouvernance renforcée est une absolue nécessité.

Il en est une autre, à savoir l’amélioration des moyens de connaissance et d’appréciation des comptes publics.

La commission des finances a proposé la mise en place d’un nouvel organe de l’Union européenne, sous la forme d’une autorité européenne des comptes publics.

Il n’est pas compréhensible que, en 2010, les États ne s’astreignent pas à une méthodologie de leurs comptes qui soit aussi exigeante que celle des grandes entreprises.

Les entreprises ayant recours au marché sont assujetties à des normes comptables internationales. De la même façon, les États de la zone euro, qui ont recours au marché, doivent être dotés de comptes incontestables, établis selon une méthodologie définie collectivement par un organe de l’Union européenne.

Il serait heureux que l’on veuille bien réfléchir à cette évolution indispensable de la construction communautaire qui constituerait un progrès en termes de confiance, puisque ce serait un excellent signal adressé à tous ceux qui nous regardent – aux marchés en particulier – en même temps qu’un gage de la durée de l’euro.

Ces quelques considérations, bien sûr, n’ont de sens que si la zone euro est en mesure de se doter d’une politique économique.

On retrouve là tout le sujet de la gouvernance économique : la question des objectifs à assigner à la Banque centrale européenne, qui devra être posée ; en germe, la question de l’harmonisation fiscale entre les États de la zone euro ; la question de la coordination des politiques budgétaires.

À cet égard, la France, par les positions qu’elle prend, par les attitudes qu’elle adopte, par les politiques qu’elle suit, doit assurément être exemplaire.

Nous ne pouvons concevoir notre pays qu’exemplaire ! Il ne sert à rien d’avoir raison sur les principes si l’on n’est pas convaincant dans les faits. Nos prises de position en faveur, par exemple, d’un Gouvernement économique de la zone euro seraient encore plus fortes si notre politique budgétaire était encore plus vertueuse.

Pour être crédible, je le répète, il faut être exemplaire ! Et l’exemplarité, c’est le chemin vers la convergence, lequel passe par le respect, dans la lettre et dans l’esprit, du programme de stabilité 2010-2013 transmis à la Commission européenne en janvier dernier.

Au demeurant, nous pouvons souhaiter que, dans l’avenir, de tels programmes soient soumis au Parlement et votés par lui, comme cela se pratique déjà dans certains États.

La crise – et c’est l’un de ses mérites – contraint les gouvernements à la cohérence, première étape du chemin vers la convergence.

Il n’est plus concevable d’observer un écart entre le langage interne et le langage externe. Se laisser aller à un tel écart serait un risque que l’on ne peut plus imaginer de prendre. Voilà ce qui est nouveau : le double langage n’est plus possible et, mes chers collègues, réjouissons-nous de ce véritable progrès de la démocratie !

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