Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 mars 2016 à 17h55
Renforcer la lutte contre le crime organisé le terrorisme et leur financement et améliorer l'efficacité et les garanties de la procédure pénale — Audition de M. Jean-Jacques Urvoas garde des sceaux ministre de la justice

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice :

Lorsque nous avons prévu cette audition, nous ne pensions pas que l'actualité nous rappellerait avec une telle intensité la nécessité de répondre au défi du terrorisme. Celui-ci est devenu notre horizon quotidien et la principale menace sur la sécurité mondiale.

Depuis toujours, nous avons une coopération d'une très grande fluidité avec le parquet fédéral belge. Le 1er février, lors de mon premier déplacement comme garde des sceaux, je me suis rendu à Bruxelles avec le Premier ministre et le ministre de l'intérieur pour y rencontrer nos homologues et les directeurs des services, ainsi que le procureur général Van Leeuw.

Plusieurs outils sont exploités entre nos deux pays : treize mesures d'entraide judiciaire internationale en matière pénale sont en cours actuellement entre la France et la Belgique ; j'ai annoncé la nomination d'un 18ème magistrat de liaison ; quatre équipes communes d'enquête franco-belges travaillent ensemble : une sur les attentats dans le Thalys, une sur la cellule terroriste de Verviers, une sur l'attentat de Mehdi Nemmouche au musée juif de Bruxelles, une sur les attentats parisiens du 13 novembre. Les documents ont été renforcés le 27 novembre pour couvrir la totalité des cadres devant être mobilisés. La coopération est donc très large.

Je n'ai pas d'informations particulières sur Salah Abdeslam. Un mandat d'arrêt européen a été notifié aux autorités belges samedi après-midi, réactualisant le précédent pour y intégrer les informations de la matinée et garantir l'exhaustivité de l'enquête. M. Abdeslam ne veut pas être poursuivi en France et a 90 jours pour user de toutes les voies de recours, mais au-delà, la justice belge n'aura a priori aucune réticence à nous le transférer. J'ai garanti aux victimes qu'il serait incarcéré à Fleury-Mérogis avec toutes les précautions nécessaires : Yassin Salhi, connu pour ses actes atroces en Isère, s'est suicidé en prison alors qu'il n'avait pas été diagnostiqué en proie à ces tendances. Nous ne voulons pas de chaise vide au procès et le prisonnier sera donc très surveillé.

C'est au procureur général de Paris que revient d'abord la communication sur les attentats de Bruxelles. Des Français ont été blessés, certains peut-être tués, une enquête pourrait donc être centralisée au parquet de Paris, selon les articles 706-16 et 706-22 du code de procédure pénale.

Le texte présenté s'inscrit dans une très ancienne tradition. Notre système restructuré de lutte antiterroriste est souvent présenté comme avant-gardiste, voire un modèle à suivre. Veillons à ce que les adaptations respectent scrupuleusement l'encadrement démocratique, sans atteindre à l'État de droit par des politiques par trop dérogatoires. En matière de terrorisme, cet encadrement est incarné par le juge.

Ce projet de loi poursuit le dialogue que nous avions entamé le 2 février dernier dans l'hémicycle lors de l'examen de la proposition de loi de MM. Bas et Mercier. Nous avançons sur le même chemin, poursuivons le même but et travaillons sur des solutions comparables, comme les perquisitions de nuit, le suivi socio-judiciaire en cas de condamnation pour terrorisme ou la captation de données informatiques. Pourquoi n'aboutirions-nous pas à un accord ?

Ce projet de loi a trois ambitions : renforcer les moyens des magistrats dans la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ; renforcer les garanties au cours de la procédure pénale, notamment au cours de l'enquête et de l'instruction, pour rendre notre procédure totalement conforme aux exigences constitutionnelles et européennes ; procéder à des simplifications, à tous les stades de la procédure, qui faciliteront le travail des enquêteurs et des magistrats.

Ces objectifs sont le fruit d'une volonté polyphonique, avec un choeur de trois ministères faisant écho aux trois commissions du Sénat, puisque la commission des affaires étrangère et de la défense et la commission des finances sont saisies pour avis. J'ai lu les propos des rapporteurs pour avis, qui me semblent de bon augure.

Le ministre de l'intérieur présente des mesures pour lutter contre le terrorisme, dont la plupart proviennent des observations liées à l'application de l'état d'urgence. Je dissipe une critique : aucune mesure en vigueur dans l'état d'urgence ne sera transposée dans le droit commun par ce projet. Celui-ci comble des manques : création d'une retenue administrative de quatre heures pour des personnes contrôlées qui seraient liées à des activités terroristes, contrôle administratif des personnes de retour d'un théâtre d'opérations terroristes, un nouveau fait justificatif de l'usage des armes par les forces de l'ordre.

Le ministre de l'économie défend des dispositions sur le financement du terrorisme et le blanchiment, comme la répression du trafic de biens culturels provenant de zones contrôlées par des terroristes, le renforcement des pouvoirs de la cellule Tracfin, ou encore la réglementation des cartes prépayées.

Quant à moi, je souhaite renforcer la protection de nos concitoyens dans le cadre intangible de l'État de droit, avec un regard particulier de l'autorité judiciaire, qui tient une place à la fois symbolique et opérationnelle.

D'aucuns dénoncent un énième texte de lutte antiterroriste, un fourre-tout, avec désormais 90 articles. À l'origine, il y en avait 34, 60 après le passage devant la commission des lois de l'Assemblée et 90 après la séance publique - sans aucun amendement du Gouvernement. Pourquoi ? Les députés ont voulu limiter, avec l'accord du Gouvernement, les habilitations à légiférer par ordonnance. Il en reste une seule, pour transposer une directive européenne qui ne pose pas de difficulté. L'Assemblée a aussi réintroduit une partie des dispositions qu'elle avait déjà adoptées dans le texte portant diverses dispositions d'adaptation du droit pénal au droit de l'Union européenne... et que les sénateurs avaient découvertes avec réticence en commission mixte paritaire. La censure du Conseil constitutionnel nous conduit à recommencer l'exercice.

J'ai ajouté des mesures de simplification, puisque je dispose des diagnostics posés par trois magistrats, missionnés par Mme Taubira : le procureur général près la Cour de cassation, Jean-Louis Nadal, a remis à l'automne 2013 un rapport sur le ministère public, régulièrement objet d'injustes critiques de la Cour européenne des droits de l'homme ; le procureur général Jacques Beaume a remis un rapport sur l'enquête pénale en juillet 2014 ; et le procureur général Marc Robert a formulé des préconisations sur la cybercriminalité en septembre 2015.

J'ai déposé 19 amendements devant votre commission. Neuf portent sur des mesures de simplification - sur l'instruction, la gestion des scellés, les procédures... Quatre concernent l'encadrement de fichiers - Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes (FIJAIT), Traitement d'antécédents judiciaires (TAJ), Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) - notamment sur l'effacement. Deux portent sur l'administration pénitentiaire et les conditions de détention. Sont aussi prévus le recours à la force publique pour faire comparaître une personne mise en cause, et des peines complémentaires en matière d'association de malfaiteurs ou de financement du terrorisme.

Nous avons donc trois orientations : modernisation de la procédure pénale, simplification, accroissement des garanties du justiciable. Nous souhaitons renforcer la place du contradictoire. Depuis vingt ans, les enquêtes dirigées par le procureur de la République sont de plus en plus nombreuses, comparativement à celles dirigées par le juge d'instruction. Or, l'avocat est moins présent au cours de la procédure et il n'y a pas de contradictoire - accès au dossier, faculté de produire des observations... Si cette situation ne pose pas de difficulté dans les affaires les plus simples où les faits sont reconnus, elle est moins satisfaisante dans le cas d'une enquête approfondie. Renforçons donc le contradictoire, la présence de l'avocat dans la procédure, les possibilités de recours. Le justiciable ou l'avocat pourront avoir accès au dossier avant l'engagement des poursuites ; la présence de l'avocat sera garantie lors des reconstitutions et des séances d'identification des suspects ; les personnes en garde à vue auront un droit de communication avec les tiers sauf incompatibilité avec l'enquête ; il sera possible d'exercer un recours en l'absence de réponse à une demande dans un délai de deux mois. Cela confortera l'équilibre entre police administrative et police judiciaire, entre les magistrats du parquet et ceux du siège, et entre le parquet et la police judiciaire.

Enquêteurs et magistrats sont accaparés par trop de contraintes procédurales. D'après tous les rapports, elles n'apportent rien au justiciable ni à la sauvegarde des libertés. Nous allégeons le texte en donnant au délégué du procureur la possibilité de convoquer en justice, afin que les magistrats et les enquêteurs se concentrent sur leur travail d'enquête. Nous étendons la possibilité de recourir à la visioconférence pour limiter le transfèrement des détenus, soit un gain de temps et d'argent. Nous simplifions la possibilité de prononcer des travaux d'intérêt général, même en l'absence du détenu à l'audience, lorsqu'il a donné son accord et qu'il est représenté par son avocat. Toutes ces mesures consolideront les outils dont chacun reconnaît la pertinence.

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