Intervention de Philippe Dominati

Réunion du 23 mars 2016 à 14h30
Moyens consacrés au renseignement intérieur — Débat sur les conclusions d'un rapport d'information de la commission des finances

Photo de Philippe DominatiPhilippe Dominati, au nom du groupe Les Républicains :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’ouverture de cette séance, nos pensées vont bien évidemment à nos amis belges, aux victimes et aux forces de l’ordre, auxquels nous ne pouvons qu’associer les victimes que nous avons eues à déplorer en 2015 sur le territoire national. Nous pensons aussi aux forces contribuant à la lutte contre le terrorisme, qui sont sous tension depuis quinze mois, placées sous votre autorité, monsieur le ministre.

L’inscription de ce débat à notre ordre du jour, à la demande de mon groupe et du président du Sénat, démontre que la lutte contre le terrorisme est devenue la priorité pour les Français. Cette préoccupation est évidemment partagée par tous les groupes dans cet hémicycle.

La mission d’information m’avait été confiée par la commission des finances dans un contexte particulièrement lourd et pesant : à la suite des attentats de janvier 2015, mes collègues voulaient connaître les moyens dont disposaient nos services de renseignement intérieur et leur efficacité. J’ai essayé de répondre à cette demande durant le premier semestre de l’année dernière, en auditionnant tous les responsables des services de sécurité et un certain nombre de syndicalistes.

Sur le premier point, aucun responsable ne s’est plaint d’un manque de moyens concernant la sécurité intérieure de notre pays.

En effet, la France est l’une des démocraties européennes comptant le plus d’agents affectés à la sécurité intérieure par rapport au nombre d’habitants : avec 6 200 agents, la moyenne est de 9, 1 agents pour 100 000 habitants. Chez nos amis allemands, c'est presque trois fois moins et deux fois moins pour nos amis britanniques.

En revanche, notre renseignement intérieur a la particularité d’être éclaté entre plusieurs services et d’avoir des moyens dispersés. En ce qui concerne l’efficacité, nous avons constaté qu’il y avait des agents de liaison pratiquement à tous les niveaux. On nous a affirmé que le dispositif fonctionnait, mais il y a forcément une déperdition.

Dans le domaine qui nous intéresse, deux réformes majeures sont intervenues : l’une en 2008, l’autre en 2013. Mais, en réalité, on s’aperçoit que l’organisation d’aujourd’hui n’est probablement pas la plus satisfaisante.

Le rapport d’information que j’ai remis en octobre dernier contient dix recommandations.

La première vise à accélérer le mouvement, compte tenu du changement d’échelle de la menace terroriste. Or, monsieur le ministre, ce changement n’est pas vraiment apparu dans le budget tel qu’il avait été adopté par l’Assemblée nationale, puisque la hausse des crédits était initialement, je le rappelle, de 0, 9 %, avant que ne survienne le séisme du 13 novembre.

Vous connaissez tous le malheureux bilan de ces attentats, qui ont porté à près de 150 morts et plus de 350 blessés le nombre des victimes du terrorisme sur le territoire national. S’est ensuivie une réaction de la part du chef de l’État que je qualifierais de « tardive », mais qui correspond à certaines orientations du rapport.

La première réponse apportée au séisme du 13 novembre est un amendement déposé en urgence lors de la discussion budgétaire pour pallier certaines insuffisances, en termes de moyens, de nos services de renseignement : vous avez présenté, monsieur le ministre, un avenant de 340 millions d’euros, qui avait été annoncé par le Président de la République au Congrès, afin de donner de nouveaux moyens pour mettre fin aux défaillances observées ici ou là, notamment dans le renseignement de proximité.

La deuxième réponse a été apportée à l’échelle européenne, avec un conseil des ministres exceptionnel le 20 novembre 2015 et des décisions portant sur l’espace Schengen, le PNR, ou Passenger Name Record, et le trafic d’armes.

Monsieur le ministre, vous avez rappelé hier, au cours de la séance de questions d’actualité au Gouvernement – mais vous aurez l’occasion d’y revenir –, le chemin diplomatique laborieux pour mettre en place le PNR et les difficultés auxquelles vous avez été confronté. Je reviens sur ce point, car nous sommes impatients. Cette affaire dure tout de même depuis quelques mois ! Vous aurez, me semble-t-il, toutes les formations politiques à vos côtés pour essayer de faire aboutir le PNR sur le terrain diplomatique.

La deuxième recommandation du rapport est relative à « l’architecture » des services, dont j’ai évoqué l’éclatement. Sur ce point, un arbitrage du Président de la République est intervenu : ce dernier vous a délégué tous les pouvoirs en janvier dernier lors d’une réunion du Conseil national du renseignement pour que vous soyez le coordinateur du renseignement intérieur. Une question fondamentale se pose : l’éclatement des services n’a-t-il pas entraîné ici ou là des difficultés en termes de fonctionnement ou un manque de lisibilité de l’action de nos services ?

Je voudrais également mentionner le rôle nouveau du Parlement dans un domaine qui, il faut bien le reconnaître, ne relevait pas des usages parlementaires. À partir du moment où cela devient la principale préoccupation des Français, le Parlement s’est automatiquement saisi des lois en la matière – plusieurs lois sur le terrorisme ont été examinées et une réforme de la Constitution est même envisagée.

Il faut aussi évoquer le contrôle budgétaire du Parlement.

Sur ce plan, deux recommandations traduisent le malaise que nous avions ressenti face à l’architecture budgétaire. Nous serons, je le pense, plusieurs à aborder cette question.

Pour les services de renseignement extérieur, qui dépendent du ministère de la défense, nous identifions clairement, en tant que parlementaires, le budget nécessaire à cette action, contrairement au renseignement intérieur, dont le budget est disséminé en divers postes, notamment à l’échelle départementale dans les directions départementales de la sécurité publique. Cela pose donc problème en termes de lisibilité budgétaire.

Je le redis, nous avons formulé deux propositions. J’ai d’ailleurs noté que la délégation parlementaire au renseignement, présidée par Jean-Pierre Raffarin, a fait les mêmes observations. Sur ce sujet, il faut reconstruire le dialogue entre le Parlement et l’exécutif.

Quelles seraient aujourd’hui les lignes de force de notre mission, qui n’est pourtant pas si vieille, mais dont il semble déjà nécessaire d’ajuster les conclusions ?

On ne veut pas toucher à l’architecture ; je le comprends, car c’est une position régalienne du Président de la République. Le terme du mandat approchant, il est peut-être difficile d’envisager « à chaud » une nouvelle réforme du renseignement. Toutefois, selon nombre de nos interlocuteurs, il est certain que les deux réformes engagées ne sont pas abouties, et il faudra les peaufiner, la deuxième ayant permis de contrer les effets pervers de la première. Une évolution aura donc probablement lieu, mais il appartiendra au futur exécutif de l’envisager.

J’en viens au constat.

Monsieur le ministre, je suis allé sur le terrain deux fois à un an d’intervalle, en mars 2015 et en mars de cette année, voir l’état de nos forces de sécurité. La mise en place est pour le moins contrastée.

Dans un même département, par rapport à ce que j’avais constaté en mars 2015 – c’était pourtant après la première vague d’attentats –, j’ai trouvé, d’un côté, un préfet très impliqué, qui organise trois réunions hebdomadaires sur le sujet, mais, de l’autre, des services de gendarmerie qui ont certes reçu du matériel – des voitures –, mais dont les effectifs ne seront probablement renforcés qu’à la rentrée de septembre, alors qu’ils étaient déjà attendus l’an dernier. En ce qui concerne la police – je ne parle que de la sécurité publique –, il n’y a pratiquement pas de changement.

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