Intervention de Pierre Charon

Réunion du 23 mars 2016 à 14h30
Moyens consacrés au renseignement intérieur — Débat sur les conclusions d'un rapport d'information de la commission des finances

Photo de Pierre CharonPierre Charon :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, hier encore, l’Europe a été touchée par la barbarie.

En tant que sénateur de Paris et membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je veux dire au peuple belge que les Français sont à ses côtés dans cette épreuve et aux familles des victimes des attentats du 13 novembre, en France, et du 22 mars, en Belgique, que nos pensées les accompagnent face à ces actes criminels.

L’interpellation de Salah Abdeslam à Bruxelles est un premier pas vers la justice. Aussi, le débat de cet après-midi est important.

Je salue mon collègue Philippe Dominati pour son rapport intitulé Les moyens consacrés au renseignement intérieur. L’intérêt du Sénat pour le renseignement n’est pas nouveau. En 1971, René Monory a été le premier à se saisir de ce sujet.

Ce rapport permet de s’interroger sur le fonctionnement des services qui doivent répondre à la multiplication des menaces, dont celle du terrorisme actuel, qui, depuis les années quatre-vingt-dix, n’a plus rien à voir avec le terrorisme d’État.

Revenons tout d’abord sur la nature de la menace. Ses évolutions sont multiples.

Concernant le terrorisme islamiste, les auteurs sont, certes, isolés, mais ils ne sont absolument pas indépendants. La planque de Salah Abdeslam est révélatrice d’un terrorisme individuel puisant ses inspirations et bénéficiant de formations à l’international, trouvant des appuis logistiques locaux et développant des relations structurées avec des mouvances concurrentes depuis la mort de Ben Laden.

L’avènement de l’État islamique en Irak et la guerre en Syrie constituent de puissants accélérateurs d’attractivité pour les jeunes concernés.

En outre, nous devons nous interroger sur l’implantation dans la durée et la concentration d’éléments terroristes à l’échelle d’un quartier, comme celui de Molenbeek. En France ou en Belgique, les terroristes disposent d’aides ponctuelles, mais efficaces, leur garantissant une clandestinité digne d’une grande organisation criminelle, bénéficiant de la solidarité et de l’omerta communautaires.

L’arrestation de vendredi est emblématique de l’étendue des missions des services, de leur complexité et de leur interconnexion. Comme je l’ai dit en commission des affaires étrangères, leur efficacité est intrinsèquement liée à la coopération avec leurs homologues européens.

Mon second point concerne la réforme de 2008, mise en place par le président Sarkozy.

Depuis 1944 et jusqu’en 2013, celle-ci a constitué la seule réforme du renseignement intérieur. Elle a été préservée par l’actuelle majorité. Elle a pris en compte, d’une part, la nature nouvelle du terrorisme, sa radicalité religieuse et sa porosité avec la délinquance et, d’autre part, la situation absurde dans laquelle pouvaient se retrouver nos services. L’objectif était de mettre un terme à une concurrence fonctionnelle et géographique pouvant nuire aux intérêts nationaux.

Alors qu’elle s’occupait de l’antiterrorisme, la Direction de la surveillance du territoire, la DST, souffrait d’un défaut de maillage territorial, et était concurrencée par la Direction centrale des renseignements généraux, la DCRG. Le résultat a été cette cacophonie insupportable.

Le terrorisme moderne ne pouvait plus être traité sous le seul angle du contre-espionnage. Dès lors, la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI, devenue Direction générale de la sécurité intérieure, ou DGSI, a repris la compétence répressive de la DST et l’implantation territoriale des renseignements généraux.

Plus qu’une simple réorganisation des services, cette réforme participe d’une nouvelle méthodologie, distinguant « renseignement intérieur » et « information générale », comme l’a parfaitement expliqué le préfet Bernard Squarcini lors de son audition par la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe.

Cette rationalisation, cette adaptation de l’organisation administrative et la recherche d’une meilleure coordination, amorcées en 2008, ont renforcé l’efficacité des services et amélioré la sécurité des Français.

Si de nouvelles réformes peuvent être envisagées, nos services ont cependant besoin de temps pour absorber les réformes structurelles.

Notre collègue Philippe Dominati propose de renforcer le renseignement territorial, qu’il considère comme un « parent pauvre ». Il faut donner à celui-ci une nouvelle dimension, notamment à la lumière des concentrations géographiques au niveau départemental, des connexions entre la petite délinquance, les trafics, le crime organisé et le terrorisme.

En revanche, comme je l’ai déjà dit, le rôle de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, la DRPP, doit être repensé.

Par ailleurs, il convient de mieux coordonner les moyens consacrés à la surveillance des flux financiers. TRACFIN ne relève pas du renseignement intérieur, mais son rôle est prépondérant dans la lutte contre le terrorisme et dans la défense des intérêts économiques, dont on parle encore trop peu.

L’organisation du crime mondialisé touche tous les secteurs et repose sur une ingénierie financière pensée par des experts en fonds d’investissement. Aussi, les échanges institutionnels entre Bercy et Beauvau doivent être intensifiés.

Lors de l’actualisation de la loi de programmation militaire ou lors du vote des crédits des missions « Sécurités » et « Défense », nous avons souhaité augmenter les moyens humains et matériels. Toutefois, cela exige une véritable stratégie en matière de ressources humaines. La complexité des réseaux nécessite des compétences spécifiques et, face à la judiciarisation du métier – la loi relative au renseignement en est la preuve –, il faut se garder d’embaucher des généralistes ignorant les procédures.

Cependant, ces analyses sont vaines si le volet judiciaire reste défaillant et si nous sommes incapables d’instaurer une véritable chaîne pénale.

Avant de conclure, je veux aborder la coordination entre la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, et la DGSI. Cette coordination existe et elle est fructueuse. Nous l’avons entendu lors de l’audition conjointe de leurs deux directeurs généraux – je souligne le caractère inédit de cette audition –, sur l’initiative de M. Jean-Pierre Raffarin, qui préside notre commission.

Enfin, la priorité reste l’harmonisation au niveau européen : l’action de nos services doit inspirer l’ensemble de nos voisins, la coordination doit être démultipliée, les moyens augmentés et le PNR, le Passager Name Record, enfin adopté. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

La politique de sécurité européenne n’est pas un concept vain ; elle doit devenir une réalité. Et cela passe aussi par la mise en place d’une politique en faveur du renseignement.

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