Intervention de Nicole Duranton

Réunion du 23 mars 2016 à 14h30
Moyens consacrés au renseignement intérieur — Débat sur les conclusions d'un rapport d'information de la commission des finances

Photo de Nicole DurantonNicole Duranton :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée émue pour nos amis belges et les victimes des attentats commis en France en 2015.

En frappant Bruxelles hier, les terroristes ont élargi un plan d’attaque inauguré en France en 2015. Daech s’est attaquée à la capitale de l’Union européenne et au symbole de ses institutions. L’Europe explose, le monde explose. Les démocraties sont en guerre.

Je félicite mon collègue Philippe Dominati de son excellent rapport sur les moyens consacrés au renseignement intérieur. La France a-t-elle un problème avec ses services de renseignement intérieur ?

Le renseignement n’est pas une science exacte. Pour autant, il faut bien que nous comprenions pourquoi l’année 2015 a été frappée en plein cœur par le terrorisme. Pourquoi une conspiration d’une telle ampleur n’a-t-elle pas été déjouée par les services de renseignement français ?

Passé le temps des hommages, les langues se sont déliées. Il existe un véritable dysfonctionnement entre les services. Tous les services de renseignement, qu’ils enquêtent à l’extérieur, pour ce qui concerne la DGSE, ou à l’intérieur, s’agissant de la DGSI, se sont plaints de ne pas disposer de personnels et de moyens financiers suffisants pour conduire leurs missions.

Pourtant, les réformes de 2008 et de 2013 ont permis, dans une certaine mesure, de rationaliser et d’adapter l’architecture du renseignement intérieur à l’évolution de la menace.

Des moyens humains et financiers supplémentaires ont été accordés après les attentats de janvier dernier.

La France était l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un cadre cohérent et complet pour les activités de ses services de renseignement. Le retard est rattrapé. La loi du 13 novembre 2014 renforce les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement accroît, quant à elle, considérablement les moyens d’écoute et d’interception des communications accordées aux services. Pourtant, les services de renseignement considéreront toujours que les moyens ne seront jamais suffisants.

Les conclusions de la mission de contrôle de mon collègue Philippe Dominati sur les moyens consacrés au renseignement intérieur confirment un dysfonctionnement des services. Ces services sont dimensionnés, mais ils ne sont pas efficaces. Les causes peuvent se trouver dans l’empilement des services ainsi que dans le déséquilibre entre la croissance des dépenses de personnels et l’évolution des dépenses de fonctionnement et d’investissement, ce qui ne permet pas de garantir une capacité opérationnelle des services.

Ce rapport d’information préconise de donner la priorité au renforcement des effectifs du renseignement territorial, qui reste le « parent pauvre » du renseignement intérieur.

Ce point me permet d’aborder le sujet du rôle des techniques et des technologies dans les renseignements intérieurs.

Le numérique, internet, les téléphones, les réseaux sociaux, tout cela n’existait pas ou presque pas dans les années quatre-vingt-dix. Pourtant, dans nos textes et nos discours, nous parlons encore d’« écoutes », comme si rien n’avait changé, alors que les nouvelles technologies permettent, à l’évidence, de mettre en place des dispositifs intrusifs. À l’opposé, les criminels et les terroristes disposent de moyens de communication, de technologies, finalement d’un mode de travail sans commune mesure avec ce que prévoit la législation pour les contrecarrer.

Mais attention à ne pas tomber dans le piège du « tout technologique » ! Attention à ne pas développer le renseignement technique aux dépens du renseignement humain : tout voir ou tout entendre pour tout savoir, mais tout n’est pas visible, ni audible par les nouvelles technologies. La technique, qui doit être la meilleure possible, doit, selon moi, venir en appui du renseignement humain. Dois-je rappeler que l’ancien cerveau d’Al-Qaïda déjouait parfaitement les surveillances technologiques ?

Développer les moyens technologiques est essentiel, mais renforçons les moyens humains : il faut donner aux fonctionnaires les moyens d’aller sur le terrain et de recruter des professionnels capables d’infiltrer les milieux pour avoir du renseignement humain. Il ne faut en aucun cas baisser la garde sur le renseignement de proximité : il est essentiel.

L’autre point soulevé par le rapport d’information est le nombre trop important de services de renseignements intérieurs : la Direction générale de la sécurité intérieure, le Service central du renseignement territorial, la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, chargée de la capitale et de la petite couronne, et la sous-direction de l’anticipation opérationnelle.

En Europe, la France est le pays qui possède une des architectures les plus complexes en matière de renseignement intérieur, avec un empilement des services qui provoque naturellement des doublons, des ratés, des déperditions.

Enfin, le dernier point que je souhaite aborder est le manque d’analyse.

Là encore, de nombreux experts ont imputé une bonne partie du « raté » sur les frères Kouachi à une véritable faille analytique. La DGSE compte dans ses rangs 23 % de contractuels, des professeurs, des linguistes, des économistes, des théologiens, alors que la DGSI n’en compte que 15 %.

Le renseignement est un acte de souveraineté par excellence. Je souhaite que cet excellent rapport d’information pousse le Gouvernement à agir et à ne pas se contenter d’être dans la posture pour rendre – enfin ! – efficace un service qui est d’ores et déjà doté de tous les moyens nécessaires pour faire face aux menaces.

Nous devons prendre de véritables mesures pour renforcer l’efficacité du renseignement intérieur et pour combattre l’islam politique qui ne respecte pas nos valeurs et nos principes.

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