Intervention de Erwann Binet

Commission mixte paritaire — Réunion du 22 mars 2016 à 12h30
Commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'information de l'administration par l'autorité judiciaire et à la protection des mineurs

Erwann Binet, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale :

La commission mixte paritaire est réunie pour élaborer un compromis sur un texte qui, en effet, ne fait pas débat dans ses objectifs. Je n'ai pas besoin de revenir sur les affaires sordides qui ont conduit à la décision de modifier la loi pour permettre une information des administrations en général, et de l'éducation nationale en particulier, sur les antécédents judiciaires de leurs personnels en contact avec les enfants.

Nous connaissons les péripéties qu'a subi le dispositif et la censure prononcée par le Conseil constitutionnel à l'encontre des amendements qui l'avaient inscrit dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne à l'été 2015. Je retiendrai seulement que, comme les juges du Conseil constitutionnel, le Sénat s'était fermement opposé à ces mesures pour des raisons tenant à la procédure parlementaire, mais qu'il n'avait pas préjugé du fond.

Ainsi donc, c'est sur ce court projet de loi que nos assemblées doivent désormais s'accorder. Le Sénat ayant voté conformes trois des cinq articles adoptés par l'Assemblée nationale, et ayant ajouté un article additionnel, c'est sur les articles 1er A, 1er et 3 que M. Zocchetto et moi-même avons échangé au cours des dernières semaines. Je profite de l'occasion pour le remercier de la qualité de nos discussions et pour confirmer son pressentiment d'une issue heureuse.

Parmi les modifications apportées par le Sénat aux dispositions votées par l'Assemblée nationale, certaines ne me semblent pas poser problème. J'approuve sans réserve le renforcement de la surveillance des entourages des assistants maternels par les présidents de conseil départemental, prévu à l'article 3. Je note aussi que le Sénat a réécrit à droit constant l'article 706-47 du code de procédure pénale, qui était devenu difficilement lisible au fil des modifications législatives : c'est une initiative heureuse pour l'intelligibilité de la loi.

Nos divergences principales se limitent à deux dispositions.

D'une part, à l'article 1er A, le Sénat a souhaité que la peine complémentaire d'interdiction de travail au contact des mineurs assortisse systématiquement les condamnations prononcées pour agression sexuelle, sauf décision contraire de la juridiction. C'est un point auquel l'Assemblée nationale est hostile. Nous considérons que les peines complémentaires doivent pouvoir être décidées par le juge, mais que cette décision ne doit appartenir qu'à lui et ne doit pas être préemptée par le législateur. Notre ligne de conduite est que les tribunaux prononcent les peines ; la rédaction du Sénat prévoit que les tribunaux prononcent l'absence de peine. C'est une question de principe : nous ne voulons pas de celui-ci.

D'autre part, à l'article 1er, l'Assemblée nationale a prévu une information de l'administration en cas de condamnation d'un agent, en cas de poursuite ou de mise en examen, et, dans les situations les plus évidentes, dès le stade de la garde à vue ou de l'audition libre. Si le Sénat a approuvé les deux premières hypothèses, il a estimé que la dernière portait une atteinte excessive à la présomption d'innocence. J'ai beaucoup réfléchi sur cette question et, après mûre réflexion et nombre d'échanges, je me suis laissé convaincre par les arguments sénatoriaux.

Juridiquement, une garde à vue et une audition libre se situent très en amont dans la procédure. Du reste, comme l'avait exigé le Conseil d'État dans son avis, la transmission d'informations telle que nous l'avions conçue n'était possible que s'il existait des indices graves ou concordants de l'existence d'une infraction. Il est vrai qu'on ne voit pas pourquoi les magistrats tarderaient à engager des poursuites ou à décider une mise en examen si de tels indices existaient. Autre difficulté juridique qui m'a convaincue, la décision de communication du procureur de la République à l'origine de sanctions administratives aurait pu être indirectement contestée devant le tribunal administratif, ce qui aurait soulevé un problème considérable en termes de compétence contentieuse. Mais surtout, gardons la réalité à l'esprit : si une suspension conservatoire ne fait pas grief en droit, dans la réalité, une personne écartée de ses fonctions pour suspicion de pédophilie voit sa carrière, sa famille, sa vie, brisées. Les appels à la prudence sont légitimes, notamment ceux lancés par le Gouvernement lors des discussions à l'Assemblée nationale et au Sénat, mais cette prudence doit aller dans les deux sens : on sait combien de dénonciations malveillantes ou fantaisistes les autorités peuvent recevoir.

Nous vous proposons donc un échange de bons procédés : si le Sénat renonce à l'article 1er A sur les peines complémentaires systématiques, l'Assemblée nationale se range à la position des sénateurs en matière de présomption d'innocence au stade de la garde à vue et de l'audition libre.

Pour mémoire, je tiens à mentionner rapidement les autres points en débat. Nous ne pensons pas utile que la personne qui fait l'objet d'une communication du procureur de la République puisse formuler des observations, dès lors que ceci est possible dans la procédure administrative subséquente.

Par ailleurs, le Sénat avait prévu un appel devant le juge du siège si le parquet n'informait pas l'administration de l'issue des procédures ayant donné lieu à communication. Comme il s'agit d'une obligation faite par la loi au procureur de la République, et non d'une décision souveraine de sa part, une voie de recours ne semble pas opportune.

Enfin, en ce qui concerne la liste des infractions donnant lieu à communication automatique, nous vous proposons de retenir tous les cas de harcèlement sexuel et non les seules infractions commises sur mineur de quinze ans. À l'inverse, nous vous proposons de retirer de l'énumération le délit d'exhibitionnisme, puni d'un an d'emprisonnement seulement, et dont la répression peut frapper des adeptes du nudisme qui ne semblent pas, par nature, menacer la sécurité des enfants.

Telles sont les bases du compromis auquel nous sommes parvenus et que, en tant que rapporteur de l'Assemblée nationale, je crois acceptable par l'ensemble des députés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion