Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'information de l'administration par l'autorité judiciaire et à la protection des mineurs s'est réunie à l'Assemblée nationale le mardi 22 mars 2016.
Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. Dominique Raimbourg, député, président, et M. Philippe Bas, sénateur, vice-président, M. Erwann Binet, député, étant désigné rapporteur pour l'Assemblée nationale et M. François Zocchetto, sénateur, rapporteur pour le Sénat.
La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.
Je crois pouvoir dire d'emblée que, grâce aux contacts fructueux pris avec le rapporteur de l'Assemblée nationale, il nous est possible de faire parvenir cette commission mixte paritaire à un accord. La commission des Lois du Sénat a sensiblement fait évoluer la position qui était la sienne, l'été dernier, en acceptant le principe d'une communication à l'administration sur une procédure judiciaire en cours. Je souligne que cette évolution n'allait pas de soi et qu'elle a été fortement discutée en commission, au-delà des approches partisanes.
Il apparaît qu'un compromis est possible si le Sénat renonce aux dispositions introduites à l'article 1er A visant à rendre systématique, faute de décision contraire spécialement motivée, la peine complémentaire d'interdiction de travail au contact des mineurs à la suite d'une condamnation pour agression sexuelle et, selon le même raisonnement, l'interdiction d'exercer une activité au contact des mineurs en cas de placement sous contrôle judiciaire pour des faits soumis à l'obligation de communication prévue à l'article 1er.
Cela réclame un effort particulier de notre part compte tenu de la position constamment exprimée par le Sénat sur le caractère systématique de certaines peines, notamment le dispositif des peines planchers, jugé conforme à la Constitution. Je salue la démarche de ma collègue Catherine Troendlé qui, bien avant ce projet de loi, avait pris l'initiative de déposer une proposition de loi sur le sujet, que le Sénat avait unanimement voté.
Mais nous sommes prêts à y renoncer et j'ai cru comprendre que l'Assemblée nationale, en retour, pouvait admettre que la transmission d'informations dès la garde à vue ou l'audition libre de la personne était excessive. De notre point de vue, elle contrevient gravement à la présomption d'innocence et présente un risque d'inconstitutionnalité. Du reste, j'observe que, si à l'issue de l'audition libre, le parquet estime que des mesures particulières de protection doivent être prises, il aura la possibilité de renvoyer la personne devant un tribunal par convocation par procès-verbal et de saisir, dans cette attente, le juge des libertés et de la détention pour un placement sous contrôle judiciaire.
Je n'entrerai pas davantage dans les détails des autres points qui restent en discussion, sur lesquels un accord me paraît également possible.
La commission mixte paritaire est réunie pour élaborer un compromis sur un texte qui, en effet, ne fait pas débat dans ses objectifs. Je n'ai pas besoin de revenir sur les affaires sordides qui ont conduit à la décision de modifier la loi pour permettre une information des administrations en général, et de l'éducation nationale en particulier, sur les antécédents judiciaires de leurs personnels en contact avec les enfants.
Nous connaissons les péripéties qu'a subi le dispositif et la censure prononcée par le Conseil constitutionnel à l'encontre des amendements qui l'avaient inscrit dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne à l'été 2015. Je retiendrai seulement que, comme les juges du Conseil constitutionnel, le Sénat s'était fermement opposé à ces mesures pour des raisons tenant à la procédure parlementaire, mais qu'il n'avait pas préjugé du fond.
Ainsi donc, c'est sur ce court projet de loi que nos assemblées doivent désormais s'accorder. Le Sénat ayant voté conformes trois des cinq articles adoptés par l'Assemblée nationale, et ayant ajouté un article additionnel, c'est sur les articles 1er A, 1er et 3 que M. Zocchetto et moi-même avons échangé au cours des dernières semaines. Je profite de l'occasion pour le remercier de la qualité de nos discussions et pour confirmer son pressentiment d'une issue heureuse.
Parmi les modifications apportées par le Sénat aux dispositions votées par l'Assemblée nationale, certaines ne me semblent pas poser problème. J'approuve sans réserve le renforcement de la surveillance des entourages des assistants maternels par les présidents de conseil départemental, prévu à l'article 3. Je note aussi que le Sénat a réécrit à droit constant l'article 706-47 du code de procédure pénale, qui était devenu difficilement lisible au fil des modifications législatives : c'est une initiative heureuse pour l'intelligibilité de la loi.
Nos divergences principales se limitent à deux dispositions.
D'une part, à l'article 1er A, le Sénat a souhaité que la peine complémentaire d'interdiction de travail au contact des mineurs assortisse systématiquement les condamnations prononcées pour agression sexuelle, sauf décision contraire de la juridiction. C'est un point auquel l'Assemblée nationale est hostile. Nous considérons que les peines complémentaires doivent pouvoir être décidées par le juge, mais que cette décision ne doit appartenir qu'à lui et ne doit pas être préemptée par le législateur. Notre ligne de conduite est que les tribunaux prononcent les peines ; la rédaction du Sénat prévoit que les tribunaux prononcent l'absence de peine. C'est une question de principe : nous ne voulons pas de celui-ci.
D'autre part, à l'article 1er, l'Assemblée nationale a prévu une information de l'administration en cas de condamnation d'un agent, en cas de poursuite ou de mise en examen, et, dans les situations les plus évidentes, dès le stade de la garde à vue ou de l'audition libre. Si le Sénat a approuvé les deux premières hypothèses, il a estimé que la dernière portait une atteinte excessive à la présomption d'innocence. J'ai beaucoup réfléchi sur cette question et, après mûre réflexion et nombre d'échanges, je me suis laissé convaincre par les arguments sénatoriaux.
Juridiquement, une garde à vue et une audition libre se situent très en amont dans la procédure. Du reste, comme l'avait exigé le Conseil d'État dans son avis, la transmission d'informations telle que nous l'avions conçue n'était possible que s'il existait des indices graves ou concordants de l'existence d'une infraction. Il est vrai qu'on ne voit pas pourquoi les magistrats tarderaient à engager des poursuites ou à décider une mise en examen si de tels indices existaient. Autre difficulté juridique qui m'a convaincue, la décision de communication du procureur de la République à l'origine de sanctions administratives aurait pu être indirectement contestée devant le tribunal administratif, ce qui aurait soulevé un problème considérable en termes de compétence contentieuse. Mais surtout, gardons la réalité à l'esprit : si une suspension conservatoire ne fait pas grief en droit, dans la réalité, une personne écartée de ses fonctions pour suspicion de pédophilie voit sa carrière, sa famille, sa vie, brisées. Les appels à la prudence sont légitimes, notamment ceux lancés par le Gouvernement lors des discussions à l'Assemblée nationale et au Sénat, mais cette prudence doit aller dans les deux sens : on sait combien de dénonciations malveillantes ou fantaisistes les autorités peuvent recevoir.
Nous vous proposons donc un échange de bons procédés : si le Sénat renonce à l'article 1er A sur les peines complémentaires systématiques, l'Assemblée nationale se range à la position des sénateurs en matière de présomption d'innocence au stade de la garde à vue et de l'audition libre.
Pour mémoire, je tiens à mentionner rapidement les autres points en débat. Nous ne pensons pas utile que la personne qui fait l'objet d'une communication du procureur de la République puisse formuler des observations, dès lors que ceci est possible dans la procédure administrative subséquente.
Par ailleurs, le Sénat avait prévu un appel devant le juge du siège si le parquet n'informait pas l'administration de l'issue des procédures ayant donné lieu à communication. Comme il s'agit d'une obligation faite par la loi au procureur de la République, et non d'une décision souveraine de sa part, une voie de recours ne semble pas opportune.
Enfin, en ce qui concerne la liste des infractions donnant lieu à communication automatique, nous vous proposons de retenir tous les cas de harcèlement sexuel et non les seules infractions commises sur mineur de quinze ans. À l'inverse, nous vous proposons de retirer de l'énumération le délit d'exhibitionnisme, puni d'un an d'emprisonnement seulement, et dont la répression peut frapper des adeptes du nudisme qui ne semblent pas, par nature, menacer la sécurité des enfants.
Telles sont les bases du compromis auquel nous sommes parvenus et que, en tant que rapporteur de l'Assemblée nationale, je crois acceptable par l'ensemble des députés.
J'interviens traditionnellement plutôt sur les questions de lutte contre le terrorisme et les affaires internationales. Mais j'ai beaucoup travaillé sur l'objet de ce texte, allant même jusqu'à demander l'imprescriptibilité des crimes contre les enfants il y a plusieurs législatures. J'avais également déposé, sur ce sujet, une proposition de loi dont les dispositions ont été reprises dans celle de Mme Catherine Troendlé qu'a votée le Sénat. Ma proposition de loi visait à ce que, en cas de condamnation pour crimes pédophiles, le coupable soit immédiatement exfiltré du milieu dans lequel il pourrait continuer à faire des victimes. J'aurais souhaité que l'Assemblée nationale vote cette disposition. Je m'y suis repris plusieurs fois en vain. Je constate avec tristesse que notre rapporteur est toujours hostile à cette peine, pourtant indispensable à la protection des enfants.
En conséquence, je suis contre la suppression de l'article 1er A. Il faut, non seulement que l'information circule entre les administrations, mais aussi que l'interdiction d'exercice professionnel soit automatique : dès lors que quelqu'un est condamné pour ce type d'agressions, il doit cesser d'être un prédateur auprès des enfants. Et cela vaut pour toutes les personnes qui interviennent en milieu scolaire : professeurs, éducateurs, animateurs... C'est encore plus nécessaire avec la multiplication des activités extra-scolaires le mercredi.
Ma dernière remarque porte sur la suppression du délit d'exhibitionnisme de la liste des infractions donnant lieu à communication automatique, qui, telle qu'elle nous est proposée par M. Erwann Binet, me paraît baroque. Je m'étonne qu'une exhibition sexuelle devant des enfants ne soit pas jugée suffisamment grave pour mériter d'être connue de l'administration qui emploie la personne concernée. Une exhibition sexuelle, ce n'est pas une exhibition artistique mais une atteinte extrêmement grave portée à la psychologie d'un enfant. Je ne comprends pas que de tels comportements soient considérés comme acceptables. Notre rôle est de protéger les enfants.
Je demande que toutes les personnes condamnées pour pédophilie soient sorties du système scolaire. Et je vous invite à vous ressaisir sur la question de l'exhibition sexuelle, qui préfigure bien souvent des comportements plus graves.
Je voudrais brièvement revenir sur l'article 3, fort opportunément complété par le Sénat et qui fait consensus. Il s'agit du même sujet que celui évoqué par M. Pierre Lellouche qui avait proposé l'inscription de ces dispositions dans le code pénal. Cette initiative n'avait pas pu aboutir ; je le regrette à mon tour.
Aujourd'hui, l'article 3 inscrit dans le code de l'action sociale et des familles des dispositions votées à plusieurs reprises, dans de multiples supports, que mon collègue Claude de Ganay et moi-même avions soutenues. Je me félicite qu'elles aient été approuvées par le Sénat et je salue l'initiative de nos collègues sénateurs qui ont complété cet article afin de conditionner à un contrôle périodique le renouvellement, automatique et sans limite, de l'agrément pour les assistants familiaux. Cette précision vient en complément du dispositif voté par les députés, tout comme celle relative aux présidents des conseils départementaux.
Malgré la déception exprimée par M. Pierre Lellouche, dont je comprends la position, je pense donc que ce texte va, enfin, permettre d'avancer sur un sujet extrêmement sensible et sur lequel nous avions pris un peu trop de retard.
En ma qualité de députée de la dixième circonscription de l'Isère et de conseillère municipale de Villefontaine où les faits qui ont suscité ce projet de loi se sont produits, je veux saluer la réaction rapide des ministères de l'Éducation nationale et de la Justice et déplorer la censure des dispositions concernées dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, qui a retardé ces initiatives. Neuf mois après l'adoption de ce projet de loi, je souhaite que parvenions aujourd'hui à un consensus, même s'il reste quelques éléments à travailler, car le temps paraît très long aux familles, aux enseignants et aux élus locaux. Ce texte est très attendu.
Je ne suis pas d'accord avec Mme Huillier : les ministères concernés n'ont pas répondu avec la célérité exigée.
M. Lellouche et moi-même avons très rapidement agi en proposant, bien avant l'examen du projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, de réfléchir à un dispositif. À cette fin, j'avais rencontré les représentants de la Chancellerie et proposé un texte pour que le Gouvernement dépose un projet de loi qui soit inscrit à l'ordre du jour d'une semaine gouvernementale. Il a, au contraire, fait le choix de régler cette question par voie d'amendement au projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, alors même que nous l'avions alerté sur sa nature de « cavalier ».
En conséquence, nous avons repris ces dispositions dans une proposition de loi inscrite à l'ordre du jour du Sénat du mois d'octobre 2015. Je voudrais remercier M. François Zocchetto qui a veillé, en sa qualité de rapporteur, à ce que cette proposition de loi soit conforme à la présomption d'innocence et aux principes constitutionnels. Elle a été adoptée par le Sénat à l'unanimité. Elle apportait des réponses à l'ensemble des difficultés, notamment sur la question des assistants maternels. Toutefois, la garde des Sceaux n'a pas souhaité la soutenir au motif qu'elle voulait préalablement la soumettre au Conseil d'État. C'est ce qui l'a conduite, conjointement avec la ministre de l'Éducation nationale, à présenter le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Il nous a fallu l'examiner attentivement, en faisant un travail de fond pour modifier le texte du Gouvernement et y introduire les dispositions de notre proposition de loi.
Je reste aujourd'hui dans le même état d'esprit, tant nous devons aboutir le plus rapidement possible à un texte applicable pour apporter des réponses aux difficultés et aux drames que soulèvent ces comportements. Il est vrai que j'étais très attachée à l'automaticité des peines parce qu'elle me semblait, ainsi que l'a rappelé M. Pierre Lellouche, indispensable à la protection des enfants. Mais je crains que nous perdions un temps précieux si notre commission mixte paritaire n'aboutit pas à un accord, ce qui exigerait une nouvelle lecture dans chaque assemblée, voire une lecture définitive à l'Assemblée nationale. J'accepte donc ce compromis, qui n'est en aucune façon un recul mais le seul moyen de faire aboutir rapidement le texte.
Sans les peines automatiques, nous courrons le risque que d'autres mineurs soient victimes d'attouchements ou d'agressions sexuelles !
Je tiens à saluer la modération dont fait preuve notre collègue Catherine Troendlé pour favoriser un compromis.
S'agissant de la question précise de l'exclusion de l'exhibitionnisme, je vous rappelle qu'il s'agit d'un délit très large, qui ne concerne pas seulement les exhibitions devant des enfants. Cela peut recouvrir des situations très diverses.
Quant aux dispositions introduites dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne, que le Conseil constitutionnel a censurées comme cavaliers législatifs, je veux bien en assumer pleinement la responsabilité. Il fallait agir vite. Depuis cette décision de non-conformité, des progrès importants ont été enregistrés : par exemple avec la mise en place de référents spécialisés au sein de l'Éducation nationale.
Il nous appartient d'aboutir à un texte de loi qui puisse, enfin, entrer en vigueur. Nous écartons le caractère automatique des peines car nous craignons qu'il déresponsabilise les magistrats, voire que cette automaticité s'impose sans que la juridiction y ait pris garde. Je crois, au contraire, qu'il faut que les juges puissent prononcer la sanction en toute connaissance de cause.
Je pense souhaitable que nous parvenions à un accord. Il est particulièrement utile que la justice se voit reconnaître la possibilité d'informer les services de l'Éducation nationale. Mais l'enjeu véritable dépasse le cadre de ce projet de loi : il faut donner aux parquets des moyens humains et financiers à la hauteur des missions qui leur sont confiées. Il faudra nous en souvenir, à l'automne, lorsque nous débattrons du budget et des demandes formulées par le garde des Sceaux.
Article 1er A
Sur la proposition conjointe des rapporteurs, l'article 1er A est supprimé.
Article 1er
En accord avec M. François Zocchetto, nous vous proposons d'adopter un dispositif reprenant les éléments que nous venons d'exposer aux membres de la commission mixte paritaire.
Dans ces conditions, je soumets à la commission mixte paritaire l'article 1er ainsi rédigé.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.
Article 3
L'article 3 est adopté dans la rédaction du Sénat.
La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigé, l'ensemble des dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l'information de l'administration par l'autorité judiciaire et à la protection des mineurs.
En conséquence, la commission mixte paritaire vous demande d'adopter le projet de loi relatif à l'information de l'administration par l'autorité judiciaire et à la protection des mineurs dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.