Intervention de Michel Sapin

Réunion du 29 mars 2016 à 14h30
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme — Discussion générale

Michel Sapin, ministre :

Aujourd’hui, il n’existe pas de montant maximal. Il est donc possible de dissimuler sur un tel support, dans sa poche de veste ou de pantalon, des sommes d’argent très importantes.

Nous devons aussi renforcer le cadre juridique dans lequel se déploie l’action du service TRACFIN. Ce service aura le pouvoir de désigner, pour une durée limitée, aux établissements bancaires les opérations ou les personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement de terrorisme. Ces établissements pourront alors mettre en œuvre les mesures de vigilance adaptées à la situation qui leur a été signalée.

Par ailleurs, le droit de communication du service TRACFIN sera étendu aux entités chargées de gérer les systèmes de cartes de paiement ou de retrait, comme le groupement d’intérêt économique Carte bleue ou les sociétés Visa et Mastercard.

Nous devons en outre faciliter la constatation et la recherche par les agents des douanes des infractions en lien avec le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux. Il est nécessaire d’étendre la compétence de la douane judiciaire aux infractions relatives au financement du terrorisme. Elle pourra ainsi apporter son expertise et son savoir-faire, que tous lui reconnaissent, à la police judiciaire dans le cadre d’unité d’enquête constituée par la justice.

Il faut encore alléger la charge de la preuve de l’origine illicite des fonds en matière de délit douanier de blanchiment, dans le respect des jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce caractère illicite sera présumé lorsque certaines circonstances, notamment de dissimulation, seront réunies ; à l’intéressé de démontrer l’origine licite des fonds.

Par ailleurs, il faut renforcer la législation douanière sur le transfert de fonds transfrontaliers par des personnes physiques.

D’une part, la loi doit prévoir que l’obligation de déclaration d’un transfert de sommes, d’un montant égal ou supérieur à 10 000 euros, de la France vers un État membre de l’Union européenne ou en provenance d’un tel État, est réputée n’être pas satisfaite lorsque les informations communiquées sont incomplètes ou incorrectes. La loi sera ainsi alignée sur le droit européen, qui prévoit la même règle en cas de transfert de sommes d’un État membre de l’Union européenne vers un État tiers ou en provenance d’un tel État.

D’autre part, l’amende pouvant être prononcée en cas de manquement à cette obligation déclarative doit être élevée, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, pour passer de 25 % à 50 % de la somme non déclarée.

Enfin, il vous est demandé d’habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance la quatrième directive « anti-blanchiment et financement du terrorisme » de l’Union européenne du 20 mai 2015 ainsi que de renforcer le dispositif de gel des avoirs des terroristes.

Cette série de mesures sera complétée par un décret en Conseil d’État, actuellement en préparation par mes services. Celui-ci prévoira, entre autres dispositions, une prise d’identité dès le premier euro pour les cartes prépayées anonymes, c’est-à-dire chargeables ou rechargeables en espèces, et permettra au service TRACFIN d’avoir accès directement au fichier des personnes recherchées afin qu’il puisse enrichir davantage ses analyses et orienter mieux encore ses investigations.

Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs, les sénateurs, les principales dispositions sur lesquelles la France est mobilisée et qui me semblent devoir être adoptées, au niveau national, pour lutter plus efficacement contre le financement du terrorisme. En votant ces dispositions, vous ne mettrez pas seulement notre droit national au niveau de la menace ; vous enverrez également un signal fort à tous nos partenaires européens et internationaux sur la détermination de la France en matière de lutte contre le terrorisme.

La lutte contre le financement du terrorisme ne peut être efficace que dans un cadre européen et international coordonné, car, chacun le sait, les terroristes n’ont pas de frontières et les flux financiers non plus. C’est pour cela que je me suis mobilisé, dès après les attentats de janvier 2015, pour porter les mêmes préoccupations au niveau européen : lutter contre l’anonymat des moyens de paiement, quels qu’ils soient, de la monnaie virtuelle aux cartes prépayées, réduire l’utilisation des espèces lorsque cela n’est pas justifié, renforcer partout les pouvoirs des cellules de renseignement financier afin qu’elles puissent coopérer de manière efficace et, enfin, revoir complètement notre système européen de gel d’avoirs, qui doit fonctionner de manière beaucoup plus rapide et sur tout le territoire de l’Union européenne.

Dès mars 2015, j’ai porté ces demandes avec Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, et nous avons redoublé nos efforts après les attentats de novembre. La Commission européenne a enfin, en février dernier, mis sur la table un plan d’action qui reprend toutes nos demandes. Soyez assurés que je veille personnellement à ce qu’il se traduise très vite par des propositions législatives et que je ferai tout pour que le conseil des ministres et le Parlement européen les adoptent tout aussi rapidement.

Cet effort, nous le menons aussi au niveau international. Là encore, j’ai mobilisé dès janvier 2015 les forums internationaux compétents. Je peux vous dire que, si, en février 2015, à Istanbul, beaucoup de mes collègues ministres des finances du G20 semblaient découvrir qu’ils avaient une responsabilité et des pouvoirs pour lutter contre le terrorisme, c’est désormais une préoccupation largement partagée par tous, au premier chef par la présidence chinoise. J’en veux pour preuve la résolution adoptée le 17 décembre dernier par le Conseil de sécurité des Nations unies sur la lutte contre le financement d’Al-Qaïda et de Daech : pour la première fois, ce sont les ministres des finances qui étaient réunis pour adopter cette résolution.

Cette coordination étroite entre tous les ministres, toutes les forces publiques et privées qui peuvent faire quelque chose pour lutter contre le terrorisme, c’est le fil rouge de notre action, à l’ONU comme en France.

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