La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 24 mars 2016 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancienne collègue Jacqueline Alduy, qui fut sénateur des Pyrénées-Orientales de 1982 à 1983.
Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article L. 2102-9 du code des transports, M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente sur le projet de nomination de M. Jean-Pierre Farandou aux fonctions de président délégué du directoire de la SNCF.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Acte est donné de cette communication.
En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 24 mars 2016.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour l’économie bleue.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
J’informe le Sénat que la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (n° 446, 2015-2016), dont la commission de la culture, de l’éducation et de la communication est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (projet n° 445, texte de la commission n° 492 rectifié, rapport n° 491, tomes I et II, avis n° 476 et 474).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, si l’on en croit la légende, lorsqu’un événement survenait ou lorsqu’une nouvelle lui parvenait, Alexandre le Grand avait l’habitude de réciter l’alphabet en entier avant de prendre une décision. Aller d’alpha à oméga était pour lui un moyen de calmer ses émotions et de préparer une décision raisonnée.
Au-delà de l’anecdote, cette légende nous rappelle combien il est nécessaire d’inscrire nos réflexions et nos décisions dans la raison plutôt que de les marier à l’émotion. La raison des citoyens, c’est ce que l’historien d’Oxford Sudhir Hazareesingh appelle « la raison publique ». Elle doit être notre meilleure arme et notre bouclier le plus protecteur. C’est en tout cas dans cette perspective que j’ai l’honneur de vous présenter le projet de loi visant, notamment, à améliorer la procédure pénale et la lutte contre le terrorisme.
Chacun en conviendra, cette discussion intervient dans un contexte particulier.
Si les attentats de Bruxelles ont connu une résonance particulière dans notre pays, c’est d’abord parce qu’ils nous ont rappelé des images qui venaient à peine de s’estomper. C’est aussi sans doute parce qu’ils ont été commis par une même nébuleuse belgo-française. Ils démontrent peut-être également un mode opératoire dont beaucoup craignaient l’existence, celui qui avait été observé en 2008 à Bombay : la capacité de coordonner des attaques. Et ils se sont produits après d’autres actes barbares commis, notamment, en Afrique, où des citoyens français furent aussi tués !
Personne ne doute donc plus de cette dramatique réalité : le terrorisme est notre horizon quotidien, au point qu’il n’est sans doute pas excessif d’estimer que c'est désormais l’une des principales sources de menaces pour la sécurité nationale. Voilà pourquoi il faut continuer à affiner et à maintenir performant notre dispositif de lutte antiterroriste.
Je souhaite commencer mon intervention sur le présent projet de loi en revenant plus complètement sur une interrogation qui me semble légitime et à laquelle je ne suis pas certain d’avoir répondu de manière exhaustive. M. le sénateur Pierre-Yves Collombat m’a demandé en commission si une telle accumulation de lois ne mettait pas le modèle français de lutte contre le terrorisme en péril. Il me semble donc utile de replacer ce texte dans la cohérence des dispositifs adoptés au cours des différentes législatures depuis une vingtaine, voire une trentaine d’années. En effet, notre pays a longtemps fait figure de précurseur dans la structuration d’un dispositif antiterroriste.
Sans remonter trop loin, c’est à partir de 1981, avec le renforcement de la menace, que le droit entreprend de s’adapter aux nécessités de la lutte contre le terrorisme. C’était l’objet de la loi du 21 juillet 1982, qui a créé les assises spéciales, à la suite de menaces sur les jurés lancées par les complices du terroriste Carlos. Toutefois, la création de cette juridiction particulière ne s’est pas accompagnée de la création d’une incrimination terroriste propre. Sans doute des espoirs de pouvoir réduire le problème par d’autres moyens existaient-ils à l’époque.
La deuxième étape, c'est-à-dire la création d’une incrimination terroriste, a pris cinq ans de maturation. C’est avec les deux lois de septembre 1986, largement inspirées par les juges Boulouque et Marsaud, qu’un pas décisif a été franchi. Je le rappelle, ces textes ont été adoptés à la suite, déjà, d’une série d’attentats, en l’occurrence l’attentat de la galerie des Champs-Élysées et celui de la rue de Rennes, où il y avait eu sept morts. Ces textes, notamment celui du 9 septembre 1986, sont devenus la clé de voûte de notre doctrine, qui est fondée sur les principes suivants : définition de l’acte de terrorisme ; traitement judiciaire des activités terroristes ; centralisation parisienne des poursuites, des enquêtes et des jugements ; spécialisation des policiers et des magistrats, qu’ils appartiennent au parquet ou à l’instruction.
Dix ans plus tard, le 22 juillet 1996, ce sera la création de l’infraction, dont chacun loue aujourd'hui la pertinence, d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Tous ces textes s’organisent autour d’une unique volonté propre à notre État de droit : prévenir l’action en organisant la répression. Il me semble que plus personne ne remet aujourd’hui en cause cette logique.
C’est cette même logique que l’on retrouve dans les textes les plus récents. Je pense à la loi du 21 décembre 2012, qui a introduit la compétence universelle en matière de lutte contre le terrorisme, ou à la loi du 13 novembre 2014, qui a renforcé de très nombreuses dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, eu égard aux polices judiciaire et administrative.
Le présent projet de loi s’inscrit dans la même veine. Il constitue une réponse supplémentaire, une réponse complémentaire. À l’origine, c’est l’œuvre de trois ministères avançant d’un même mouvement : l’intérieur – je vous prie d’ailleurs d’excuser l’absence momentanée de Bernard Cazeneuve, retenu à l’Assemblée nationale pour les questions d’actualité au Gouvernement –, les finances, avec mon collègue Michel Sapin, et la justice.
Il y a une volonté commune autour de trois ambitions : renforcer les moyens des magistrats dans la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ; renforcer les garanties au cours de la procédure pénale, particulièrement durant l’enquête et l’instruction, pour rendre notre procédure totalement conforme aux exigences constitutionnelles et européennes ; procéder à des simplifications à tous les stades de la procédure pour faciliter le travail des enquêteurs et des magistrats.
En matière de lutte contre le terrorisme, ce projet de loi nous permet de poursuivre l’échange entamé le 2 février dernier dans cet hémicycle, lors de l’examen de la proposition de loi dont Philippe Bas était le premier signataire et Michel Mercier le rapporteur, échange que nous avons continué en commission la semaine dernière. Nos discussions ont, me semble-t-il, déjà bien balisé notre progression. Je crois que nous sommes déjà d’accord sur de nombreux points, comme les perquisitions de nuit, le suivi socio-judiciaire en cas de condamnation pour terrorisme ou la captation de données informatiques.
Le texte n’a fait que croître et embellir au fur et à mesure des discussions parlementaires : la version initiale du Gouvernement comptait 34 articles, contre 102 actuellement. Et, sur ces 102 articles, il n’y en a plus que six – je parle sous le contrôle de M. le rapporteur – sur lesquels nous avons à ce stade des divergences que je qualifierais de divergences de principe, en plus de quelques désaccords sur les modalités ici ou là ! Permettez-moi de considérer que c’est tout à fait satisfaisant. On évoque souvent le verre à moitié vide ou à moitié plein. En l’occurrence, il est plein aux trois quarts !
Grâce aux approches positives de la commission, dont je salue le président, Philippe Bas, et aux ouvertures dont le Gouvernement a fait preuve, nous pourrons, je n’en doute pas, continuer à construire cette convergence. À cette fin, le Gouvernement se gardera d’écouter deux voix qui sont, à mes yeux, autant de mauvaises conseillères : l’émotion et l’instrumentalisation. L’une comme l’autre nous font tomber d’un côté ou de l’autre, alors que tout doit être une question d’équilibre. Ce n’est pas un hasard si le symbole de la justice est une balance.
Cet équilibre, ce n’est pas seulement l’objectif, c’est aussi le moyen ; c’est même une méthode. Jacqueline de Romilly expliquait que, dans la Grèce antique, à Athènes, la démocratie était avant tout un ton, une méthode, une attitude, une manière d’être.
De surcroît, je suis convaincu que vous partagez les deux directions qui résument l’action du ministère de la justice dans ce texte. Je serai donc bref, car j’ai déjà eu l’occasion de développer largement ces points devant votre commission des lois.
L’action du ministère de la justice s’inscrit dans deux directions.
D’une part, nous voulons renforcer les garanties durant la procédure pénale, en assurant notamment la place du contradictoire. Le contradictoire, c’est justement ce qui a permis d’inventer l’équilibre, la justice. C’est ce qui nous a permis de dépasser la violence et de prendre le temps ! Dans ce cadre, nous avons souhaité renforcer le contradictoire et la présence de l’avocat dans la procédure et créer des mesures renforçant la possibilité d’exercer des recours.
D’autre part, nous visons à simplifier les procédures. Parce que les problèmes se complexifient, il faut simplifier les tâches !
Les enquêteurs et les magistrats, notamment ceux du parquet et de l’instruction, sont accaparés par trop de contraintes procédurales. Or la plupart d’entre elles ne constituent aucunement une garantie pour les citoyens, une protection pour les libertés. Le Gouvernement vous propose donc de les alléger. Nous avons déjà beaucoup progressé à cet égard. Nous pouvons encore, je n’en doute pas, faire des pas décisifs.
Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est de grande ampleur. Il avance sur bien des fronts et il s’inscrit dans une vision globale du sujet. C’est d’ailleurs pourquoi deux commissions du Sénat se sont saisies pour avis : la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la responsabilité de Philippe Paul, que je salue avec une affection particulière eu égard au département dont il est élu, et la commission des finances, dont Albéric de Montgolfier est le rapporteur pour avis. Je veux saluer la qualité de leur contribution, tout comme celle, encore plus importante, mais tout aussi passionnante, du rapporteur, Michel Mercier.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’insiste sur la disponibilité du Gouvernement pour continuer, dans une recherche permanente de dialogue avec le Sénat, à progresser ensemble, au nom des valeurs qui réunissent la communauté nationale et qui font battre le cœur de notre État de droit.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément à l’article 44, alinéa 6, du règlement, le Gouvernement, en accord avec la commission des lois, demande l’examen par priorité dès après la discussion générale de l’amendement n° 188 rectifié portant article additionnel avant l’article 7, des articles 7 et 9, des articles 17 à 21, des amendements portant articles additionnels avant l’article 17, après l’article 17 et après l’article 19, des amendements n° 63 rectifié bis et 69 rectifié tendant à insérer un article additionnel après l’article 32 AB, ainsi que des articles 32 à 32 ter, afin de permettre la présence de M. le ministre de l’intérieur et de garantir la cohérence de nos travaux.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le terrorisme, ce sont des actes qui tuent, qui blessent et qui détruisent. Or le terrorisme commence par la préparation, le financement de ces agissements criminels.
La loi pénale dispose depuis 2001 que le fait de financer en toute connaissance de cause une entreprise terroriste est un acte de terrorisme, indépendamment de la survenance éventuelle d’un tel acte. Les faits nous l’ont cruellement rappelé, encore très récemment : un acte de terrorisme, c’est un acte qui a été préparé, organisé et financé. La responsabilité du Gouvernement, avec l’aide et, je le pense, le soutien du Parlement, est donc de prendre les mesures adéquates pour assécher le financement des activités des terroristes qui cherchent à déstabiliser nos pays et, en France, à fracturer notre pacte républicain.
Ce financement peut emprunter de nombreuses routes. Un terroriste peut percevoir des fonds issus d’un trafic illicite – d’armes ou de stupéfiants, par exemple – ou d’une organisation terroriste comme Daech. Il peut aussi se procurer lui-même des fonds par des moyens légaux – je pense, par exemple, au crédit à la consommation.
Par ailleurs, l’argent traverse bien évidemment les frontières nationales plus rapidement encore que les hommes. Il nous faut donc agir à l’échelon non seulement national, mais aussi européen et mondial. Tel est le sens de notre action. En cohérence avec cette évidence, le Gouvernement promeut également à l’échelon européen les mesures qu’il vous propose d’adopter.
Depuis plusieurs mois, nous avons renforcé nos moyens consacrés à la lutte contre le financement du terrorisme. Les effectifs de TRACFIN sont passés de 94 agents en 2013 à 118 en 2015, et ils seront de 138 en 2016. Nous avons également travaillé à faciliter la circulation de l’information entre les différents services, qui ont chacun une connaissance fine d’un aspect du financement du terrorisme, qu’ils dépendent de mon ministère ou, par exemple, du ministère de l’intérieur.
Reste que l’augmentation des ressources humaines engagées dans la lutte contre le financement du terrorisme n’est pas suffisante. Elle doit s’accompagner d’une adaptation de notre arsenal juridique. Après les attentats de janvier 2015, nous avons décidé de mettre en œuvre un plan de lutte contre le financement du terrorisme comportant plusieurs mesures destinées à faire reculer les moyens de paiement non traçables. Parmi les plus emblématiques, je veux mentionner l’abaissement de 3 000 euros à 1 000 euros du plafond de paiement en espèces pour les résidents ou le signalement systématique à TRACFIN des dépôts et retraits d’espèces supérieurs à 10 000 euros.
Les articles 12 à 16 quinquies du projet de loi qui vous est présenté s’inscrivent dans le droit fil de ces mesures.
Nous devons pouvoir sanctionner pénalement le trafic de biens culturels provenant de territoires sous l’emprise d’un groupement terroriste. Ainsi que l’actualité immédiate nous le rappelle, le trafic de ces « antiquités de sang » constitue une source de financement de Daech et porte atteinte gravement au patrimoine culturel mondial.
Nous devons avoir la possibilité de plafonner la valeur monétaire pouvant être chargée sur une carte prépayée.
Aujourd’hui, il n’existe pas de montant maximal. Il est donc possible de dissimuler sur un tel support, dans sa poche de veste ou de pantalon, des sommes d’argent très importantes.
Nous devons aussi renforcer le cadre juridique dans lequel se déploie l’action du service TRACFIN. Ce service aura le pouvoir de désigner, pour une durée limitée, aux établissements bancaires les opérations ou les personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement de terrorisme. Ces établissements pourront alors mettre en œuvre les mesures de vigilance adaptées à la situation qui leur a été signalée.
Par ailleurs, le droit de communication du service TRACFIN sera étendu aux entités chargées de gérer les systèmes de cartes de paiement ou de retrait, comme le groupement d’intérêt économique Carte bleue ou les sociétés Visa et Mastercard.
Nous devons en outre faciliter la constatation et la recherche par les agents des douanes des infractions en lien avec le financement du terrorisme et le blanchiment de capitaux. Il est nécessaire d’étendre la compétence de la douane judiciaire aux infractions relatives au financement du terrorisme. Elle pourra ainsi apporter son expertise et son savoir-faire, que tous lui reconnaissent, à la police judiciaire dans le cadre d’unité d’enquête constituée par la justice.
Il faut encore alléger la charge de la preuve de l’origine illicite des fonds en matière de délit douanier de blanchiment, dans le respect des jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce caractère illicite sera présumé lorsque certaines circonstances, notamment de dissimulation, seront réunies ; à l’intéressé de démontrer l’origine licite des fonds.
Par ailleurs, il faut renforcer la législation douanière sur le transfert de fonds transfrontaliers par des personnes physiques.
D’une part, la loi doit prévoir que l’obligation de déclaration d’un transfert de sommes, d’un montant égal ou supérieur à 10 000 euros, de la France vers un État membre de l’Union européenne ou en provenance d’un tel État, est réputée n’être pas satisfaite lorsque les informations communiquées sont incomplètes ou incorrectes. La loi sera ainsi alignée sur le droit européen, qui prévoit la même règle en cas de transfert de sommes d’un État membre de l’Union européenne vers un État tiers ou en provenance d’un tel État.
D’autre part, l’amende pouvant être prononcée en cas de manquement à cette obligation déclarative doit être élevée, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, pour passer de 25 % à 50 % de la somme non déclarée.
Enfin, il vous est demandé d’habiliter le Gouvernement à transposer par ordonnance la quatrième directive « anti-blanchiment et financement du terrorisme » de l’Union européenne du 20 mai 2015 ainsi que de renforcer le dispositif de gel des avoirs des terroristes.
Cette série de mesures sera complétée par un décret en Conseil d’État, actuellement en préparation par mes services. Celui-ci prévoira, entre autres dispositions, une prise d’identité dès le premier euro pour les cartes prépayées anonymes, c’est-à-dire chargeables ou rechargeables en espèces, et permettra au service TRACFIN d’avoir accès directement au fichier des personnes recherchées afin qu’il puisse enrichir davantage ses analyses et orienter mieux encore ses investigations.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs, les sénateurs, les principales dispositions sur lesquelles la France est mobilisée et qui me semblent devoir être adoptées, au niveau national, pour lutter plus efficacement contre le financement du terrorisme. En votant ces dispositions, vous ne mettrez pas seulement notre droit national au niveau de la menace ; vous enverrez également un signal fort à tous nos partenaires européens et internationaux sur la détermination de la France en matière de lutte contre le terrorisme.
La lutte contre le financement du terrorisme ne peut être efficace que dans un cadre européen et international coordonné, car, chacun le sait, les terroristes n’ont pas de frontières et les flux financiers non plus. C’est pour cela que je me suis mobilisé, dès après les attentats de janvier 2015, pour porter les mêmes préoccupations au niveau européen : lutter contre l’anonymat des moyens de paiement, quels qu’ils soient, de la monnaie virtuelle aux cartes prépayées, réduire l’utilisation des espèces lorsque cela n’est pas justifié, renforcer partout les pouvoirs des cellules de renseignement financier afin qu’elles puissent coopérer de manière efficace et, enfin, revoir complètement notre système européen de gel d’avoirs, qui doit fonctionner de manière beaucoup plus rapide et sur tout le territoire de l’Union européenne.
Dès mars 2015, j’ai porté ces demandes avec Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, et nous avons redoublé nos efforts après les attentats de novembre. La Commission européenne a enfin, en février dernier, mis sur la table un plan d’action qui reprend toutes nos demandes. Soyez assurés que je veille personnellement à ce qu’il se traduise très vite par des propositions législatives et que je ferai tout pour que le conseil des ministres et le Parlement européen les adoptent tout aussi rapidement.
Cet effort, nous le menons aussi au niveau international. Là encore, j’ai mobilisé dès janvier 2015 les forums internationaux compétents. Je peux vous dire que, si, en février 2015, à Istanbul, beaucoup de mes collègues ministres des finances du G20 semblaient découvrir qu’ils avaient une responsabilité et des pouvoirs pour lutter contre le terrorisme, c’est désormais une préoccupation largement partagée par tous, au premier chef par la présidence chinoise. J’en veux pour preuve la résolution adoptée le 17 décembre dernier par le Conseil de sécurité des Nations unies sur la lutte contre le financement d’Al-Qaïda et de Daech : pour la première fois, ce sont les ministres des finances qui étaient réunis pour adopter cette résolution.
Cette coordination étroite entre tous les ministres, toutes les forces publiques et privées qui peuvent faire quelque chose pour lutter contre le terrorisme, c’est le fil rouge de notre action, à l’ONU comme en France.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence dans notre tribune officielle de M. Abdessamad Kayouh, nouveau président du groupe d’amitié Maroc-France de la Chambre des Conseillers du Royaume du Maroc, qui est au Sénat à l’invitation du groupe d’amitié France-Maroc.
Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent.
Il est accompagné par notre collègue Christian Cambon, président de notre groupe d’amitié.
Au nom du Sénat de la République, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue, et je forme des vœux pour que son séjour en France contribue à renforcer les liens d’amitié entre nos deux pays.
Applaudissements.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici réunis pour débattre d’un projet de loi visant à renforcer la justice et les administrations de l’État et à simplifier la procédure pénale afin de mieux lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée.
Comme vous, monsieur le garde des sceaux, je suis prêt à trouver des réponses chez Mme de Romilly. Lorsqu’on lui demandait quelle était la meilleure définition de la démocratie, elle répondait que c’était la plus ancienne, celle donnée par Platon, selon laquelle la démocratie est le régime de la loi écrite. Tout est dit ! Quand on veut combattre les ennemis de la démocratie – le terrorisme, la criminalité organisée –, notre arme, c’est la loi !
Les événements qui ont eu lieu – je veux moi aussi rendre hommage aux forces de l’ordre et aux magistrats qui travaillent pour éradiquer le terrorisme – ont révélé les déficiences de la loi. Nous devons donc faire en sorte, sans céder à l’émotion, que notre arme, la loi, soit la mieux adaptée possible pour combattre des menaces qui évoluent sans cesse. Si nous ne modifions pas la loi, alors même que les menaces changent de nature, nous ne ferons pas véritablement notre travail. C’est précisément en vue de mieux armer la démocratie que Philippe Bas, Bruno Retailleau, François Zocchetto et moi-même avions présenté au Sénat voilà quelques semaines une proposition de loi.
Le texte qui nous est présenté, qui a été considérablement enrichi – disons les choses comme cela –, puisqu’il compte une centaine d’articles, contre une trentaine au départ, montre que les problèmes que nous avons à traiter sont lourds et nombreux. Il s’agit à la fois de rendre plus efficaces les investigations judiciaires et de lutter contre le terrorisme dans sa globalité.
L’acte de terrorisme est souvent l’aboutissement d’un long processus : la constitution de réseaux, l’achat d’armes et, donc, leur financement. Nous devons apporter une réponse globale à ce phénomène qui est lui-même global. C’est l’un des objectifs du texte qui nous est soumis.
Pour ce qui concerne l’efficacité des investigations judiciaires, des mesures nouvelles et importantes sont issues de quelques idées relativement simples : l’enquête préliminaire, par exemple, doit avoir un rôle essentiel. On voit donc apparaître un couple nouveau, composé du procureur de la République et du juge des libertés et de la détention. Ce dispositif est une condition de l’efficacité de l’action de la justice, ce qui nous obligera, dans les mois qui viennent, à traiter du statut du juge des libertés et de la détention, qui est aujourd’hui quelque peu « suspendu » et n’existe pas vraiment sur le plan judiciaire.
L’ensemble des technologies spécifiques réservées à l’instruction seront désormais accessibles durant l’enquête préliminaire. C’est une bonne chose et, sur ce point, il n’y a pas de véritable différence de vision entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat. Je signale à cet égard que de nombreuses dispositions contenues dans la proposition de loi votée par le Sénat en février ont été reprises dans le texte qui nous arrive de l’Assemblée nationale.
S’agissant de la lutte contre le blanchiment, c’est M. le rapporteur pour avis de la commission des finances qui traitera au fond de cette question. La commission des lois a accepté de nombreux amendements qu’il nous a soumis et qui visent notamment à renforcer le rôle de TRACFIN.
Le renforcement des contrôles administratifs constitue un chapitre important sur lequel nous aurons à revenir au cours de nos débats, qu’il s’agisse de la fouille des bagages lors des contrôles d’identité, de la retenue pour examen d’une situation administrative problématique, de la définition du cadre légal de l’usage des armes à feu ou du contrôle administratif des retours sur le territoire national après le séjour sur un théâtre d’opérations terroristes.
Sur ces quatre points très importants, la commission des lois fera des propositions, dont certaines seront un peu différentes de celles souhaitées par le Gouvernement et l’Assemblée nationale, mais qui iront dans le sens du renforcement potentiel du rôle de l’administration et de l’encadrement de celui-ci par les règles de droit, qu’elles soient constitutionnelles ou conventionnelles. Nous avons en effet veillé à ce que le texte, s’il renforce le rôle et les prérogatives des magistrats, des policiers et de l’administration, reste dans les limites constitutionnelles et conventionnelles. Il ne s’agit pas de sortir de l’État de droit, mais de combattre le terrorisme en allant le plus loin possible dans les limites permises par l’État de droit.
Nous aborderons aussi la question du renforcement des garanties en matière de procédure pénale. Le débat qui portera sur le principe du contradictoire sera, je crois, nécessaire, car, s’il faut que la procédure soit contradictoire, l’enquête doit aussi pouvoir se dérouler normalement.
Nous débattrons également d’un certain nombre de questions fortes. Ainsi se pose depuis quelques jours, avec encore davantage d’acuité qu’auparavant, celle de la perpétuité réelle. Je rappelle que nous avons adopté cette mesure à l’occasion du vote de la proposition de loi Bas. Nous ne nous contredirons pas sur ce point et nous irons jusqu’au bout, en nous conformant aux conditions posées par le Conseil constitutionnel en 1994. Nous veillerons également à respecter les dispositions conventionnelles. Nous ferons donc en sorte que le tribunal de l’application des peines mette en œuvre une procédure particulière visant à ce que la situation du terroriste condamné à la perpétuité soit réévaluée après un délai de trente ans.
Mes chers collègues, face à ces questions lourdes et graves qui vont nous occuper dans les jours qui viennent, nous devons faire en sorte que la démocratie ne soit pas désarmée et que les magistrats puissent jouer pleinement leur rôle, notamment en leur permettant d’avoir accès aux mêmes technologies que les terroristes. On ne peut pas combattre les terroristes avec du papier et des bouts de chandelle ! Nous avons en face de nous des ingénieurs, des personnes super-équipées qui savent parfaitement utiliser les nouvelles technologies. Nous devons disposer des mêmes armes, mais, en plus, pour trouver notre force, nous devons respecter le droit. C’est ce que vous propose la commission des lois.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, messieursles ministres, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’est saisie pour avis des articles 19 et 32 du projet de loi.
Le premier objectif qui nous a guidés pour l’examen de ce texte était de nous assurer qu’il n’y ait pas, pour une même mission, de « décrochage » entre les soldats engagés sur notre territoire et les forces de sécurité intérieure. En effet, ce texte intervient dans un contexte caractérisé par un continuum plus fort que jamais entre menace extérieure et menace intérieure et par une participation légitime des soldats à la protection des citoyens contre cette dernière, dès lors que les terroristes sont eux-mêmes de plus en plus militarisés.
La traduction concrète de ce nouveau contexte est l’opération Sentinelle, qui a conduit au déploiement d’environ 10 000 hommes sur le territoire national. Ce déploiement, exceptionnel par son ampleur et par sa durée, pose un certain nombre de questions, que nous avons notamment pu aborder lors du débat en séance publique du 15 mars dernier sur le rapport remis par le Gouvernement à ce sujet. Notre commission avait également pu approfondir cette problématique lors de son déplacement au Fort de Vincennes, le 27 janvier 2016, auprès des soldats de l’opération Sentinelle.
Se pose ainsi, d’abord, la question de la doctrine d’emploi des militaires sur le territoire national. L’armée est pleinement légitime dans ce rôle. Toutefois, il existe toujours un risque que les compétences et qualités spécifiques des militaires soient insuffisamment exploitées et que ceux-ci soient considérés comme des supplétifs destinés à soulager les forces de sécurité intérieure. En outre, l’effort demandé à nos soldats, qui exercent parfois leur mission dans des conditions difficiles au cœur de nos villes, reste très important.
Par ailleurs, plusieurs événements graves ont montré la forte exposition des militaires sur notre territoire. Ainsi, le 1er janvier dernier, quatre soldats ont été attaqués devant la mosquée de Valence par un homme qui a essayé de les renverser avec son véhicule. Les militaires ont tiré et blessé l’agresseur ; un tiers, atteint par une balle perdue, a porté plainte contre les soldats.
Ces événements, et d’autres de moindre gravité mais quotidiens, ont conduit les militaires à s’interroger, d’une part, sur le cadre juridique dans lequel ils s’inscrivent lorsqu’ils sont amenés à faire usage de la force et, d’autre part, sur la protection dont ils bénéficient eux-mêmes lorsqu’ils sont victimes d’agressions.
Enfin, comme pour les policiers et les gendarmes, des interrogations subsistent quant à la situation des terroristes en fuite après avoir commis un attentat. Les textes en vigueur relatifs à la légitime défense ou à l’état de nécessité ne garantissent pas que leur neutralisation ne sera pas sanctionnée par le juge judiciaire.
Il serait sans doute juridiquement périlleux et quelque peu disproportionné de conférer à nos soldats les mêmes prérogatives lorsqu’ils agissent dans le cadre de Sentinelle et lorsqu’ils sont en OPEX. Toutefois, ces interrogations appelaient au minimum un ajustement du cadre réglementaire qu’ils doivent respecter sur notre territoire. C’est un tel ajustement que prévoit l’article 19 du projet de loi, qui s’applique aussi bien aux militaires des forces armées qu’aux fonctionnaires de police et aux militaires de la gendarmerie, ce dont notre commission se félicite. Nous estimons en effet que ce texte peut conforter le passage d’une vision statique de la protection à un mode opératoire en mouvement, avec une combinaison du feu et du renseignement militaire dans le cadre d’une traque antiterroriste. Il améliore également l’emploi de la palette capacitaire des armées en ouvrant l’usage des armes longues, qui étaient inutiles dans le cadre de la stricte légitime défense ; enfin, il rapproche les modes opératoires hors et au sein du territoire national, avec la notion d’identification d’un ennemi et de prise d’ascendant sur lui.
Les modifications opérées par la commission des lois pour simplifier le texte tout en assurant sa compatibilité avec le triptyque « actualité de la menace, proportionnalité de la réaction, absolue nécessité de la réaction », dégagé par la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme, en rendent sans doute l’application plus aisée, en préservant également l’avancée que constituait l’article initial. En revanche, il faut souligner que les interrogations légitimes des militaires sont loin d’être toutes résolues par ces dispositions. Il conviendra notamment de s’assurer que la récente amélioration de leur protection juridique lors de l’enquête judiciaire est bien effective.
Le second article examiné par notre commission, l’article 32, tend à instaurer un régime juridique pour les caméras mobiles des policiers et des gendarmes. Expérimentées avec succès dans les zones de sécurité prioritaire depuis 2013, ces caméras permettent effectivement d’abaisser les tensions dans les situations difficiles. Le texte adopté par des députés était toutefois juridiquement fragilisé par un amendement prévoyant que les personnes faisant l’objet de l’intervention pouvaient elles-mêmes demander le déclenchement de l’enregistrement. La commission des lois a ainsi adopté un amendement de notre commission remédiant à cette difficulté.
Je souligne que la commission des lois a également adopté un second amendement de notre commission permettant aux gendarmes de mieux employer les élèves stagiaires en fin de formation au sein de leurs unités, en leur conférant la qualité d’agents de police judiciaire, ou APJ, alors qu’ils ne sont actuellement qu’agents de la force publique.
Au total, le projet de loi constitue une étape supplémentaire dans l’amélioration des instruments dont disposent les forces de sécurité intérieure et les forces armées pour lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme. Nous devrons cependant continuer à travailler pour que la situation spécifique des soldats engagés sur le territoire national soit prise en compte de la manière la plus efficace et la plus pertinente possible.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Jeanny Lorgeoux applaudit également.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité se saisir pour avis du présent projet de loi pour ses aspects concernant la lutte contre le financement du crime organisé et du terrorisme, car elle est convaincue qu’il faut moderniser nos outils de contrôle pour parvenir à démanteler des organisations et circuits financiers en perpétuelle évolution.
Le ministère des finances dispose déjà de services qui œuvrent dans cet objectif, qu’il s’agisse des douanes ou de la cellule de renseignement financier TRACFIN, à laquelle la présidente de la commission des finances et moi-même avons récemment rendu visite, sur votre invitation, monsieur le ministre des finances. Toutefois, l’évolution des risques et les enseignements tirés des vagues d’attentats commis en France et en Europe rendent nécessaires de nouvelles dispositions législatives.
Ce projet de loi répond à cette attente, même si je tiens à souligner que l’enjeu est international et, surtout, européen. À ce titre, notre pays devra œuvrer pour que la Commission européenne, qui s’y est engagée, prenne effectivement des initiatives pour renforcer l’harmonisation des mesures de lutte contre le financement du terrorisme et pour que les États membres s’y emploient également. Beaucoup reste à faire dans ce domaine.
Je ne reviendrai pas sur le détail des dispositions du chapitre IV du projet de loi, qui ont reçu dans leur ensemble l’approbation de la commission des finances. Je me félicite que la commission des lois ait bien voulu reprendre dans son texte nos amendements concernant le plafonnement des capacités de rechargement et de retrait des cartes prépayées, l’attribution du statut de prestataire de services de paiement aux plateformes de monnaie virtuelle, l’accès direct de TRACFIN au fichier de traitement d’antécédents judiciaires, ou TAJ. De même, la commission des lois a également repris nos amendements concernant les modalités de présentation des justificatifs de la provenance des sommes transférées en liquide.
Cependant, quelques-uns de nos amendements n’ont pas été retenus, alors que la commission des finances continue de penser qu’ils sont utiles. Il s’agit notamment, à l’article 14, de la possibilité pour TRACFIN d’interdire aux banques de clôturer des comptes signalés. En effet, si la loi est votée, TRACFIN pourra désormais signaler aux établissements de crédit des situations individuelles présentant des risques élevés, notamment les individus qui font l’objet d’une fiche « S », ce qui est un renversement de la procédure actuelle. Selon nous, ces signalements pourraient conduire les établissements financiers à fermer les comptes concernés, ce qui irait à l’encontre des objectifs. Il faut donc trouver une solution, et nous vous en proposons une. Il y en a peut-être d’autres, nous en débattrons plus tard.
La commission a également adopté une nouvelle rédaction de l’article 16 ter pour mieux encadrer le régime dit des « cyberdouaniers », en limitant son champ d’application aux seuls délits douaniers, en imposant une habilitation des agents et en informant le procureur de la République, qui pourra s’y opposer. La commission des lois souhaite supprimer ces dispositions ; nous les trouvons pourtant utiles, compte tenu des faiblesses du régime juridique actuel et du développement de la fraude organisée via le commerce électronique, sujet auquel la commission des finances est particulièrement sensible, comme le souligne le groupe de travail de notre commission dans son rapport sur le recouvrement de l’impôt à l’heure de l’économie numérique.
Pour conclure, j’indique que votre commission des finances a donné un avis favorable à l’adoption des articles 12 à 16 quinquies du projet de loi ainsi qu’au I de l’article 33, sous réserve des amendements qu’elle souhaite voir adoptés.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la Ve République a inventé en matière législative, d’abord, le mouvement perpétuel et, ensuite, son accélération sans limite : de fait, la sortie de route du bolide législatif est inéluctable.
Nous délibérons sous les statues de Colbert et de Portalis. Eux qui ont donné à la France ordonnances et codes qui ont fait l’admiration de tant de nations ne peuvent heureusement pas voir ce que l’on ne peut que nommer une décadence du droit.
Sous le précédent quinquennat, nous nous insurgions contre les lois pénales médiatiques réactives à l’actualité. Je viens de relire avec gourmandise les échanges de 2011 entre le garde des sceaux, Michel Mercier, et notre excellent collègue Alain Anziani sur la garde à vue et le projet d’audition libre. Suivre la voie de l’exécutif est souvent un chemin douloureux, mais certains propos tenus à cette époque par notre collègue ont toujours la même pertinence : « Aujourd’hui, on accumule les lois pénales, plusieurs chaque année, et à la fin, c’est un véritable désordre, une sorte de maquis : il n’y a plus de hiérarchie entre la gravité des infractions et la gravité des peines. »
Mes chers collègues, ce maquis devient encore chaque jour plus épais, plus impénétrable ; en cela, il n’y eut point d’alternance.
En trois ans, nous en sommes à la troisième loi sur le terrorisme – j’ai d’ailleurs eu l’honneur d’être le rapporteur de la première. Faut-il aussi rappeler que le texte sur la justice du XXIe siècle est encore en discussion, que la loi Macron a aussi entraîné d’importantes modifications dans le domaine juridique et judiciaire, que quantité d’autres textes ont impacté notre droit pénal et vont continuer de le faire ?
Comment ose-t-on encore nous parler de simplification dans cet empilement désordonné sans aucune cohérence globale ? Pour couronner le tout, l’exécutif nous assène une énième procédure accélérée dans des conditions contraires à un travail parlementaire digne de ce nom.
Que les attentats et l’évolution des méthodes des terroristes justifient de nouvelles dispositions pour faciliter le travail des services de renseignement et de sécurité, nous l’acceptons et le souhaitons ; que l’on crée une nouvelle incrimination relative à des djihadistes de retour, nous le comprenons ; mais l’architecture du texte du Gouvernement était préparée bien avant les attentats du 13 novembre, et le projet de loi qui nous est soumis, aggravé par la frénésie législative des députés, est devenu un salmigondis mêlant crime organisé, terrorisme, organisation de la procédure pénale, et j’en passe… Trois ministres se succéderont d’ailleurs au banc pour défendre ce texte !
Cela va-t-il remettre notre justice sur les rails ? La réponse est non !
De quels maux souffre-t-elle ? D’abord, d’une insuffisance chronique et de plus en plus critique de moyens humains et matériels, même si je reconnais les efforts faits par ce gouvernement en la matière. Ensuite, et cela découle en partie de la précédente observation, d’une incapacité à faire exécuter les peines prononcées. À quoi sert-il de prononcer des sanctions souvent lourdes lorsqu’on est incapable de les faire exécuter rapidement ou exécuter tout simplement ?
À quoi sert-il d’inventer de nouvelles incriminations, d’aggraver le quantum des sanctions lorsque, de manière schizophrène, on s’évertue à trouver des palliatifs pour permettre aux juges d’application des peines de ne pas incarcérer les condamnés ou de les faire sortir plus vite ? À quoi sert-il de prononcer des peines d’emprisonnement quand nos maisons d’arrêt et nos centrales sont pleines ?
Notre système pénal est à bout de souffle. Il faut que l’exécutif et le Parlement prennent le temps de la réflexion et de la concertation pour le refonder, le moderniser, dans le respect de l’équilibre entre sécurité et liberté.
Le texte qui nous est soumis comporte des articles utiles auxquels nous souscrivons, mais pose un certain nombre de problèmes de fond. Bien sûr, dans le contexte des attentats, tout ce qui est censé améliorer la sécurité, tout ce qui a pour but de faire obstacle au terrorisme et d’en châtier les auteurs, est vécu et revendiqué par l’opinion comme prioritaire, exclusif, essentiel. Nous n’avons jamais eu de goût pour un angélisme à la mode dans certains quotidiens parisiens. Pour nous, pas de faiblesse avec ceux qui assassinent des innocents et avec leurs complices !
Mes chers collègues, il est aussi du devoir et de la tradition du Sénat de veiller à ce que la rigueur nécessaire et l’utilisation des moyens restreignant les libertés ne soient dirigées que contre les terroristes, leurs complices et ne deviennent pas un processus opératoire banal. De ce point de vue, ce projet de loi est susceptible d’entraîner des dérives. Lorsque le Sénat s’éloigne de sa mission de garant des libertés, il n’est plus lui-même.
L’article 18 relatif à la retenue de quatre heures est l’illustration du risque potentiel de dérives : à l’imprécision des mots « raisons sérieuses de penser » s’ajoute le caractère surréaliste d’une « retenue sans audition ». Et que dire de l’incohérence d’une mesure de police administrative sous le contrôle du parquet judiciaire ! Est-ce cela, la simplification ?
En réalité, la lutte contre le terrorisme cache des évolutions de fond de notre procédure pénale. Notre rapporteur Michel Mercier a déclaré que 98 % des dossiers relèveraient de l’action du couple procureur-juge des libertés et de la détention. Le but est-il la dévitalisation et la disparition des juges d’instruction, mots chers à M. Vallini, qui a commencé à les illustrer dans l’affaire d’Outreau avec une réforme à échec retentissant ?
Quant à l’introduction d’un contradictoire partiel avec le parquet au cours de l’enquête, c’est un non-sens : le procureur est une partie poursuivante, non un magistrat impartial. Et que dire de l’officialisation, à l’article 6, de la délation applicable à tout délit relevant de trois ans de prison !
Ce qui caractérise ce texte, c’est l’absence de définitions et le flou de nombreux termes au mépris des garanties requises pour le justiciable, sans respect suffisant du contradictoire ; c’est aussi un glissement de la procédure pénale vers le parquet et une marginalisation du juge du fond au profit de procureurs nommés par l’exécutif.
L’audition, le 15 mars, du premier président de la Cour de cassation est révélatrice du risque que fait encourir ce projet de loi : le remplacement du juge d’instruction par le couple procureur-juge des libertés et de la détention pour décider de nombreuses mesures intrusives « ne peut présenter un niveau de garanties équivalent ».
Sans préjuger de notre vote final, qui découlera de l’examen en séance publique, notre devoir est d’être fidèles à nos principes, quels que soient les clameurs de l’opinion publique et le poids des administrations ministérielles.
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est dans un contexte particulièrement dramatique que nous sommes de nouveau appelés à débattre d’une loi visant à nous prémunir du terrorisme, après l’attentat qui a frappé nos voisins belges et alors qu’un nouveau projet d’attentat a été déjoué sur notre territoire, à Argenteuil, il y a quelques jours.
Comme vous, nous vivons depuis les attentats de janvier et de novembre 2015 avec une forme de peur et d’angoisse, en ayant à l’esprit ce monstre barbare qu’est le terrorisme avec les ravages qu’il engendre.
Comme vous, nous entendons et nous comprenons la peur de nos concitoyens.
Face à cette situation, n’est-ce pas aux politiques et dirigeants que nous sommes de garder leur sang-froid, d’essayer, dans le trouble des émotions et sur fond de massacre, de trouver un chemin plus lumineux et apaisant ? Ce chemin, nous en sommes convaincus, c’est celui de notre État de droit, de notre République.
Des solutions efficaces doivent être mises en œuvre pour enrayer cette barbarie, mais les véritables solutions, comme les moyens donnés à nos forces de l’ordre, nos services de renseignement et notre justice, et comme notre action politique extérieure, sont noyées sous les lois d’émotion que vous proposez. En témoigne largement le projet de loi de révision constitutionnelle que nous avons récemment examiné. Symbolique, démagogique, inefficace, dangereuse : voilà les qualificatifs que cette loi nous inspire !
Vous nous proposez désormais de faire migrer des mesures de l’état d’urgence vers notre droit commun : « renforcer » la lutte contre le crime organisé et le terrorisme et « améliorer » l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, comment a priori ne pas adhérer à une telle promesse ?
Dans un livre intitulé L’exercice de la peur et sous-titré Usages politiques d’une émotion, l’historien Patrick Boucheron et le politologue Robin Corey nous apportent un éclairage sur la situation : partant de la mise en place de la politique américaine antiterroriste après les attentats du 11 septembre, ils font l’analyse que, même en supposant que chaque citoyen fasse l’expérience de la peur, elle ne saurait expliquer les politiques adoptées.
Initialement centré, il y a un peu plus d’un an, sur des mesures d’allégement de la procédure pénale, ce texte a pris une dimension très sécuritaire qui l’a fait doubler de volume après les attentats du 13 novembre 2015, l’exécutif y ayant vu le véhicule législatif idéal pour porter la doctrine de lutte antiterroriste prônée alors par le Président de la République.
Sur la forme, nous déplorons que la procédure accélérée ait été engagée sur un texte aussi important. Il s’agit du quatrième texte visant à alourdir l’arsenal antiterroriste depuis 2012 et son examen sera effectué en urgence, alors même que les précédents textes relatifs à la lutte contre le terrorisme n’ont fait l’objet d’aucune évaluation sérieuse. La procédure est d’autant plus viciée qu’elle s’inscrit dans l’enchevêtrement de trois autres textes, de réforme constitutionnelle, de prorogation de l’état d’urgence et de modification de ce régime.
Ce qui devait constituer le cœur du projet de loi se retrouve relégué dans son titre II, qui contient quelques mesures plutôt positives et favorables, comme l’instauration du débat contradictoire dans les enquêtes préliminaires durant plus d’un an, bien que cela reste limité selon l’avis de plusieurs syndicats de justice. Les mesures financières vont dans le bon sens, notamment celles sur le blanchiment – nous y reviendrons.
Pour le reste, nous assistons à un florilège de mesures sécuritaires et attentatoires aux libertés publiques. Ainsi, toute personne rendue suspecte d’acte terroriste par son comportement pourra être retenue jusqu’à quatre heures suivant son contrôle d’identité ; les parquets seront en droit d’ordonner des perquisitions de nuit, prérogative réservée jusqu’à présent aux juges ; les procureurs et les juges d’instruction seront autorisés à user de nouvelles méthodes de surveillance jusqu’alors réservées aux services de renseignement ; l’administration pénitentiaire sera habilitée à procéder à des écoutes ; les contrôles administratifs seront renforcés pour les retours de « théâtre d’opérations de groupements terroristes » – on pense à la Syrie et à l’Irak, mais la liste n’est pas exhaustive et peut ainsi s’étendre à d’autres « théâtres ».
Au-delà du caractère fortement attentatoire aux droits et libertés publiques, ce qui nous inquiète dans ces mesures, c’est d’abord le glissement dans notre droit pénal de la caractérisation des infractions : des « débuts d’actes » on passe à des « intentions de faire », des preuves nécessaires on passe à la suspicion suffisante.
Par ailleurs, on crée des délits partout où il y a du vide, notamment pour résoudre des problèmes de fonctionnement.
La réforme du code de procédure pénale n’a de sens que si l’institution judiciaire est matériellement en mesure de mettre en œuvre les dispositions votées. Or les moyens qui lui sont octroyés, même si leur réduction drastique a cessé, sont encore dérisoires au regard des enjeux.
Au-delà de l’importance du juge judiciaire, qui se trouve écarté par les prérogatives croissantes du parquet, ce qui est en jeu c’est l’équilibre même du procès. La présence de l’ensemble des professionnels de la justice – juges, procureurs, officiers de police judiciaire, avocats… – permet un équilibre, même s’il est très fragile au pénal, plus qu’au civil.
Le juge judiciaire, aux côtés des autres professionnels, est certes garant des libertés publiques, mais aussi et surtout d’un procès équitable.
La présente réforme pénale illustre les choix politiques de ces quinze dernières années : des événements de nature exceptionnelle sont utilisés pour justifier la construction d’un droit d’exception qui, on peut le craindre, finira comme toujours par s’appliquer à la délinquance ordinaire au lieu de produire l’effet recherché sur les infractions visées à l’origine.
Mieux comprendre pour mieux combattre, telle est l’unique voie à emprunter en ces temps troubles. Les discours martiaux ne conduiront qu’à l’alimentation d’une haine infondée ; on voit d’ailleurs déjà poindre dans notre République le débat sur la perpétuité totale, réelle. Parallèlement au renforcement des effectifs de nos forces de l’ordre et de nos services de renseignement, des projets de paix doivent être plus que jamais envisagés et nos valeurs républicaines – liberté, égalité, fraternité – doivent être renforcées. Ainsi, j’entendais ce midi le bourgmestre de Bruxelles rappeler que la mixité est le terreau de la cohésion sociale, du vivre ensemble et, donc, de la sécurité collective.
Nous savons que ce texte n’améliorera nullement les libertés individuelles et collectives, pourtant inhérentes au sentiment de sécurité de chacune et de chacun. Nous tenterons donc de démontrer, lors de l’examen des amendements, que d’autres choix politiques sont possibles. Toutefois, sachant le sort qui sera réservé à nos amendements, nous voterons certainement, vous l’aurez compris, contre ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa et M. Jacques Mézard applaudissent également.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, non, ce n’est pas un texte de trop ! Non, ce n’est pas un texte inutile ! Il tient compte des demandes des professionnels – policiers, magistrats, militaires –, qu’il ne suffit pas de remercier : il faut les écouter quand ils expriment leurs besoins en nouveaux moyens.
Le Sénat suivra, nous en sommes convaincus, la voie tracée très largement par l’Assemblée nationale pour lever un certain nombre de verrous procéduraux posant des difficultés aux enquêteurs. Certes, il n’est pas facile d’accepter la possibilité de perquisitions de nuit, mais, si elles sont nécessaires, il faut les autoriser. Quand l’obtention de témoignages se heurte aux risques pris par les témoins, il faut également trouver les moyens de protéger ces derniers, ce qui figure dans le texte.
En outre, il convient de tenir compte des évolutions technologiques et de ne pas priver les enquêteurs des moyens nouveaux, comme les IMSI-catchers, figurant déjà dans la loi relative au renseignement, ou les caméras mobiles. Il faut également lutter contre la cybercriminalité et contre le financement du terrorisme et du crime organisé. Enfin, nous devons déterminer – ce débat n’est pas simple – comment traiter le retour en France des personnes revenant de théâtres d’opérations terroristes.
Nous devons faire tout cela sans renier les valeurs de la démocratie, sans méconnaître ces lois fondamentales que sont la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la Convention européenne des droits de l’homme.
Nous attendons beaucoup de l’Europe ; nous devons donc aussi respecter les valeurs que nous avons en partage. Dans nos débats, nous ne devrons jamais oublier l’article 3 de cette convention, qui exclut les « peines ou traitements inhumains », son article 5, traitant du « droit à la liberté et à la sûreté », son article 8, garantissant le « droit au respect de la vie privée » et son article 6, assurant le « droit à un procès équitable ». C’est d’ailleurs au nom de cet article 6 qu’est incluse dans ce texte, plus général que le seul contenu de son intitulé, une réforme de la procédure pénale – incomplète, sans doute –, fondée sur les rapports des commissions présidées respectivement par le procureur général Nadal et par le procureur général Beaume, visant à renforcer le rôle de l’enquête préliminaire.
À cet égard, précisons que 98 % des affaires jugées font l’objet d’une enquête préliminaire et d’un renvoi direct devant un tribunal correctionnel ; la saisine du juge d’instruction reste donc exceptionnelle. En outre, il ne faut pas penser que le contradictoire est mieux assuré dans le cadre d’une commission rogatoire ordonnée par un juge d’instruction que dans un débat avec un procureur de la République. Cela n’est pas dans notre culture, mais nous devons avancer dans cette direction.
Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, un juge nouveau, le juge des libertés et de la détention, est en train de trouver sa place ; nous avons déjà eu un débat à son sujet lors de l’examen du texte sur la justice du XXIe siècle. Mettre en œuvre ces échanges contradictoires avant le renvoi devant une juridiction est aussi une façon de garantir la qualité des débats à l’audience.
Cela dit, nous devons aussi être conscients des moyens de la justice et rester pragmatiques. Dans le texte de l’Assemblée nationale, certaines dispositions sont sans doute aujourd’hui impossibles compte tenu de ses moyens. Nous partageons donc l’avis de la commission des lois à ce sujet : on ne peut continuer de demander davantage à la justice sans lui donner les moyens nécessaires. Tel est le débat que nous devrons avoir lors de l’examen des textes financiers en fin d’année. Monsieur le garde des sceaux, je sais que vous nous avez donné rendez-vous pour cela, et je profite de la présence du ministre des finances pour le lui faire savoir. Votre présence l’un à côté de l’autre aujourd’hui nous permet de grandes espérances.
Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.
Il nous faudra également aborder la question de la sanction, puisque certains amendements vont en ce sens, et le faire sans tabou ni démagogie. Personne ne fera accroire que la réponse aux attentats dont nous sommes victimes et à ceux dont nous pourrions encore l’être sera la peur de sanctions extrêmement lourdes, s’agissant de terroristes prêts à perdre leur vie. Là ne se trouve pas la solution !
Acceptons aussi de respecter l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et les règles imposées par le Conseil constitutionnel.
Je souhaite que nous puissions avoir, mes chers collègues, des débats constructifs, tels ceux que nous avons eus en commission des lois, notamment lors des auditions. Il me semble utile de montrer que le Parlement est capable d’unité sur de tels sujets. Cela a eu lieu à l’Assemblée nationale ; il ne peut en aller autrement au Sénat, avec le devoir particulier qui nous incombe de faire respecter les valeurs de la démocratie. Soyons donc déterminés et pragmatiques ; ayons les débats nécessaires pour parvenir à une loi équilibrée et répondant aux enjeux de notre temps.
Enfin, pour répondre à certains esprits chagrins, si le Parlement est amené à légiférer de manière de plus en plus rapide, c’est parce que nous sommes dans un monde qui bouge bien plus vite que du temps de Colbert et de Portalis
Mme Éliane Assassi s’esclaffe.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yves Détraigne applaudit également.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le contexte dans lequel nous débattons du présent projet de loi est particulier : il y a une semaine, Bruxelles et tout le peuple belge étaient à leur tour la cible de terribles attaques revendiquées par Daech. J’exprime une fois de plus ici ma solidarité avec toutes les victimes, non seulement celles de Belgique, mais aussi celles d’Istanbul, de Lahore et de Bagdad. La gravité est la même, quelle que soit la distance.
Ce texte a été élaboré dans la précipitation, dans des conditions, hélas ! similaires à celles qui prévalaient le lendemain des attentats du 13 novembre dernier. Nous sommes dans l’exacte prolongation de la frénésie législative, qui touche tant l’exécutif que l’opposition et qui démontre d’abord notre faiblesse et notre difficulté à faire face, qu’exploitent d’ailleurs les criminels que nous combattons.
Pendant des années, la gauche s’est élevée contre un mécanisme qu’elle résumait par la formule : « Un fait divers, une loi ! » Aujourd’hui, notre exécutif a bel et bien mis le doigt dans ce terrible processus. On finira par conduire le pays vers un État de surveillance, puisque la sécurité est en train de se transformer en premier des droits au mépris de tous les autres, à travers un empilement de lois liberticides et, de surcroît, inopérantes.
On en vient ainsi à confondre le droit à la sûreté, inscrit dans la Déclaration de 1789, avec la sécurité à tout prix. Nos concitoyens ont besoin de cette sûreté, qui fait le lien entre sécurité et liberté, mais non de cette sécurité que vous tentez de nous imposer et qui tend à nous faire basculer dans un État de contrôle. Or notre État de droit n’est pas impuissant, il est seulement déboussolé par la complexité du phénomène terroriste, par la nouveauté de ses manifestations, par les failles de nos services de renseignement ou encore par le manque de coopération internationale.
Comme l’écrit Mireille-Delmas Marty, « la paix ne se gagnera pas en engageant le monde dans une surenchère répressive sans fin, mais en soumettant les pratiques de surveillance à un contrôle impartial et indépendant ». Seule la réaffirmation constante des principes de l’État de droit et de la démocratie peut constituer une réponse forte à des terroristes tentant de les mettre à bas.
Nous avons adopté trente lois antiterroristes entre 1999 et 2016. Ont-elles empêché le terrorisme d’opérer avec tant de facilité ? N’est-il pas temps de remettre la réflexion au centre ? Le présent texte est, à tous égards, emblématique, et il sera examiné en procédure accélérée. Or un projet de loi aussi dense et hybride, porteur de mesures conduisant à introduire dans le droit commun plus d’exceptions et de modifications majeures de notre procédure pénale, ne méritait-il pas que le législateur travaille dans de bonnes conditions plutôt que dans la précipitation ?
Je précise toutefois que les parties relatives à la protection des témoins et que les mesures financières sont plutôt positives.
Une fois encore, on nous demande de faire du replâtrage au lieu de conduire une réflexion d’ensemble sur l’architecture de la procédure pénale et de la sûreté intérieure. Au mieux, ce replâtrage rassure des politiciens en quête de gratification immédiate… Comme si une loi de plus, vite gravée dans le marbre, suffisait à témoigner de l’effort fait pour protéger la Nation ! N’oubliez pas, chers collègues, cette étonnante référence à la protection de la Nation dans l’intitulé du projet de loi constitutionnelle qui nous a été soumis récemment.
Comme le souligne la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, dans ses observations : « Une réforme de grande ampleur devrait se nourrir des apports de la recherche en sciences sociales. […] Connaître les causes est la première condition de la protection contre la menace. » Nous en sommes loin… Ces textes qui nous arrivent en flux continu ne sont que pansements posés sur des plaies vives, qui n’en resserrent pas moins à chaque fois l’étau sur nos libertés.
Souvenons-nous des mots de Jens Stoltenberg, premier ministre norvégien, à la suite de l’attentat d’Oslo et du massacre d’Utoya : « Nous ne devons pas renoncer à nos valeurs. Nous devons montrer que notre société ouverte peut faire face à cette épreuve. Que la meilleure réponse à la violence est encore plus de démocratie. Encore plus d’humanité. » Ce projet de loi est aux antipodes d’une telle attitude et répond à la terreur par une diminution des libertés individuelles et de la protection des droits fondamentaux ; aussi, le groupe écologiste s’y opposera.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la guerre que Daech mène contre nous est une guerre à nulle autre égale ; d’abord, parce qu’elle est asymétrique – d’autant plus, et à proportion, que Daech connaît des revers territoriaux – et, ensuite, parce que, tout simplement, elle nous a surpris. Elle nous a en effet pris de court, elle nous a saisis, nous, Occidentaux, Européens, Français. Jusqu’alors, nous croyions à cette chimère qu’est la fin de l’histoire – en tout cas certains d’entre nous y croyaient –, nous pensions que la démocratie universelle et le marché global allaient imposer sur toute la surface de la planète des valeurs que nous partageons, qui nous sont chères et que nous pensons naturelles ; mais voilà que le tragique s’est invité à la fête et que, comme le dit très bien Alain Finkielkraut, les attentats ont fermé la parenthèse de cette post-histoire ; la fête est donc finie.
Nous traversions aussi un moment particulier souvent en décalage avec la réalité ; il faut bien admettre que le réel dépasse l’entendement quand on est confronté à une violence aussi monstrueuse – ainsi, ceux qui se sont fait exploser à Lahore se sont approchés des balançoires pour faire le plus possible de toutes jeunes victimes. Cette violence monstrueuse fait d’ailleurs écho à une phrase, que vous connaissez sans doute : qu’objecter à celui qui veut gagner son paradis en voulant m’égorger ? Cette phrase n’a pas été prononcée par un contemporain, elle a été écrite par Voltaire en 1763, dans son Traité sur la tolérance.
Mes chers collègues, il est clair qu’on ne peut lutter contre cette violence, contre cette barbarie, uniquement en allumant des bougies ou avec des minutes de silence, même si ces gestes sont bien sûr nécessaires, voire indispensables. Il est également clair que nous devons quitter cette posture de l’angélisme compassionnel qui, trop souvent, a été la marque de fabrique de nos démocraties. Il faut faire la guerre, la faire vraiment, sans renoncer évidemment à aucune de nos valeurs, mais la faire sans répit, sans haine et sans hésitation.
La révision de la Constitution n’est sans doute pas ce que nous demandent nos compatriotes ; elle ne permettra pas de protéger mieux, demain, les Français contre cette barbarie. Sans doute conviendra-t-il de prolonger l’état d’urgence, mais, reconnaissons-le là encore, sortir de cet état impose de prendre des mesures à la hauteur de la menace à laquelle nous sommes confrontés. Nous devons donc renforcer notre arsenal juridique – nous sommes d’accord, monsieur le garde des sceaux –, et ce texte répond, bien que partiellement, à un certain nombre de ces préoccupations.
Je salue ici le président de la commission des lois et le rapporteur pour l’énorme travail réalisé par notre commission sur ce texte. En effet, si l’on peut affirmer que ce texte répond, même partiellement, à nos préoccupations, c’est parce qu’il intègre, notamment depuis son passage à l’Assemblée nationale, de nombreuses dispositions que nous avions nous-mêmes portées et adoptées lors de l’examen de la proposition de loi de Michel Mercier et Philippe Bas.
Ainsi, ce texte augmente les moyens d’investigation ; je pense notamment aux perquisitions de nuit, à l’adaptation de notre droit au nouvel environnement numérique – accès aux messageries, traitement des données, utilisation des nouvelles technologies, dont les IMSI-catchers. Bref, ce qui a été donné à nos services de renseignement doit aussi être mis à la disposition de la justice pour en assurer une plus grande efficacité.
Je pense également au renforcement des peines pour les actes terroristes et au suivi socio-judiciaire. À ce sujet, je veux dire un mot de la peine incompressible de perpétuité. Le Sénat l’a adoptée sur la proposition de Michel Mercier, et l’Assemblée nationale l’a reprise par voie d’amendement. Je pense que l’on peut aller plus loin, grâce aux propositions de la commission des lois et à certains amendements, notamment ceux de notre collègue Roger Karoutchi, qui nous permettront d’indiquer aux Français que nous ne voulons pas qu’un terroriste puisse bénéficier de la moindre clémence. La perpétuité, dès lors qu’il s’agit d’actes terroristes, doit être une perpétuité effective.
On pourrait longuement discuter non seulement des décisions du Conseil constitutionnel, bien sûr, mais aussi et surtout des différentes jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, celle de 2008 comme celle de 2014. Il faut cependant absolument que nous votions, parce que c’est juste, les mesures concrètes que les Français attendent de nous pour protéger notre société.
Lorsque je disais que le présent projet de loi ne répondait que partiellement aux préoccupations relatives à un « réarmement » juridique et même judiciaire, je pensais à plusieurs dispositions, notamment à toutes celles qui permettent de ne pas réduire les peines. Le Gouvernement serait donc bien inspiré de soutenir les amendements qui lui seront présentés pour éviter toute mesure de clémence et d’aménagement de peine.
Dès lors qu’il s’agit de terroristes, on ne peut pas, y compris avec la contrainte pénale, les faire bénéficier de ces régimes. Les Français, encore une fois, ne le comprendraient pas.
Il y a aussi une lacune s’agissant de délits dont nous avions proposé la création dans notre proposition de loi. Je pense notamment au délit de fréquentation des zones de terrorisme à l’étranger, qui doit absolument être institué dans notre droit, ainsi qu’au délit de consultation habituelle de sites djihadistes, sites qui doivent par ailleurs pouvoir être bloqués. Évidemment, le délit de consultation ne concernerait pas les chercheurs ou les journalistes.
Je souligne par ailleurs un oubli, monsieur le garde des sceaux. Il est désormais avéré qu’il y a un lien entre la délinquance et le terrorisme, et il y a un lien entre le manque de places dans nos prisons et la radicalisation. Michel Mercier avait ébauché avant la fin de son « mandat », si j’ose dire, un programme de construction de prisons. Au regard de l’état de nos prisons, notamment de leur surpopulation, c’est une exigence fondamentale, à laquelle il faudra, même s’il n’a pas été possible de le faire dans ce texte, que vous puissiez répondre.
Comme à l’accoutumée, mes chers collègues, le Sénat fera son travail, pour améliorer la loi bien sûr, mais aussi avec pour seule obsession, pour seul objectif de veiller à la protection et la sécurité des Français. Messieurs les ministres, vous pouvez compter sur la majorité sénatoriale pour vous appuyer dans chacune de vos missions dès lors que vous visez ce même objectif.
Mais il nous faut aussi répondre aux défis formidables qui nous sont lancés par les terroristes. Moussab al-Souri, dit « le Syrien », qui a, si j’ose dire, « rénové » voilà une dizaine d’années la doctrine terroriste, parlait de l’Europe comme du ventre mou de l’Occident. Eh bien, il nous montre en même temps une sorte de chemin de combat : ne rien céder sur nos valeurs, rétablir l’autorité de l’État partout et en tout lieu, rappeler systématiquement, encore et toujours, les exigences de la laïcité et, aussi, refuser tout compromis avec le communautarisme ! Nous devons réinventer cette fierté d’être français et redessiner les contours d’une nouvelle amitié civique.
Ce sont des défis qu’il nous faut relever avec intelligence, mais aussi avec courage et détermination. Messieurs les ministres, vous trouverez la majorité sénatoriale à vos côtés dès lors que vous prendrez les moyens de relever ces défis.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est dans une atmosphère pesante que nous abordons l’examen de ce texte. Chaque semaine, chaque jour s’accompagne d’une longue liste de victimes, à Paris, à Bruxelles, à Lahore et ailleurs : des enfants, des hommes et des femmes dont nous avons le sentiment douloureux de ne pas avoir pu assurer la protection.
Pesanteur aussi, parce que la succession de textes qui traitent de la lutte contre le terrorisme peut donner l’impression que nous n’y arrivons pas, que nous sommes sur la défensive. Bien sûr, il faut s’adapter aux nouvelles technologies quand on a la charge de l’enquête et que l’on doit réprimer, mais, la pesanteur, on la ressent aussi dans le resserrement du champ des libertés et, peut-être, dans la dénaturation progressive des principes auxquels nous sommes si attachés.
Mais je crois qu’il ne faut pas s’arrêter à cela, car, si nous sommes ici, c’est pour agir. Sinon, il ne faut pas être là ! Agir nécessite de tenir compte d’un monde qui évolue. Agir nécessite aussi de mettre notre procédure pénale en conformité avec les exigences progressivement dégagées par les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme ainsi qu’avec les directives communautaires.
Je voudrais dire à ceux qui pensent que nous allons légiférer sous le coup de l’émotion que ce n’est pas le cas : le texte que nous abordons est dans la droite ligne de celui qui était issu du grand travail mené par Philippe Bas et Michel Mercier pour rédiger leur proposition de loi et que nous avons voté voilà déjà quelques mois.
Nous ne sommes pas dans l’émotion : un réel travail a été fait.
Nous devons aussi tirer les conséquences d’une justice engorgée, et je salue les mesures de simplification qui sont contenues dans le texte que nous allons aborder tout à l’heure.
Enfin, il faut bien évidemment donner aux enquêteurs et aux magistrats de nouveaux moyens d’investigation et de poursuite. Ce qui était valable précédemment ne l’est plus forcément aujourd'hui.
Certains diront que le projet de loi a été alourdi ; d’autres, qu’il a été enrichi. Je préfère cette seconde approche, notamment pour tout ce qui concerne les mesures de prévention en matière de contrôle administratif et de lutte contre le financement du terrorisme.
Vous l’aurez compris, nous ne contestons pas la nécessité de telles réformes, car nous sommes aussi conscients du fait que nous ne pourrons pas rester éternellement sous le régime de l’état d’urgence. Bien sûr, on peut déplorer que certaines dispositions de ce régime puissent être, au moins dans leur esprit, retrouvées dans le texte qui sera, je l’espère, voté. Mais il faut accompagner la nécessaire sortie de l’état d’urgence, et je crois sincèrement que ce texte, qui, je le répète, vient dans la ligne de celui que nous avions déjà étudié, nous permettra de sortir de cette situation exceptionnelle.
Le Gouvernement n’a pas souhaité se saisir, comme il aurait pu le faire, du texte déjà adopté par le Sénat. Dont acte ! Cela n’empêchera pas notre assemblée d’apporter sa contribution, tant à travers les travaux de la commission des lois qu’au travers de nos débats.
Je précise que nous sommes favorables à un certain nombre de mesures telles que les perquisitions de nuit, les dispositions relatives à la fouille des bagages ou encore la procédure de retenue en cas de suspicions sérieuses. Quant aux mesures relatives au financement du terrorisme, elles sont primordiales. L’une des clés de la prévention et de la répression du terrorisme est le contrôle et l’entrave des moyens financiers dont disposent les organisations pour attirer et maintenir en leur sein des combattants et organiser leurs actions criminelles. Nous approuvons à ce titre les mesures qui concernent les compétences de TRACFIN ou celles qui visent à lutter contre le trafic d’armes. Je sais bien que ces dispositions peuvent paraître technocratiques et un peu éloignées des grandes valeurs que nous défendons, mais elles sont nécessaires. Il faut entrer dans le détail, car nous sommes en matière de procédure pénale et de procédure douanière.
La commission des lois a réalisé depuis plusieurs semaines un important travail. Son texte complète le projet de loi en intégrant plusieurs des dispositions qui figuraient dans la proposition de loi de Philippe Bas et Michel Mercier. Je vois en particulier un apport considérable dans le fait que soit prévue une circonstance aggravante permettant de criminaliser certains délits d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et de faciliter la saisie des correspondances stockées, et j’espère que le Sénat retiendra ces dispositions.
Il en va de même pour le placement en retenue administrative, une mesure qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais je pense que le travail de Michel Mercier a permis d’assortir le dispositif de plusieurs garanties et que nous arrivons à un équilibre judicieux.
Les dispositions relatives à l’usage des armes par les forces de l’ordre, que l’article 19 prévoit de réformer, peuvent paraître secondaires. Elles sont au contraire importantes, et je salue la rédaction adoptée par notre commission.
Enfin, nous avons renforcé une mesure indispensable à mes yeux : le contrôle administratif des personnes de retour de théâtres d’opérations terroristes. La commission a allongé, à juste titre, la durée de l’assignation à résidence pour la porter de un à deux mois.
S’agissant du renforcement du caractère contradictoire des enquêtes, je dirai simplement que nous revenons d’assez loin, car les débats tels qu’ils s’étaient engagés à l’Assemblée nationale ne nous permettaient pas d’être très optimistes à ce sujet. Le texte initialement voté par les députés en commission était en effet, selon les termes mêmes du Gouvernement, « totalement inapplicable et sur le fond profondément injustifié ». Nous proposons un texte réaliste qui doit permettre l’ouverture d’une « fenêtre » de contradictoire pour les enquêtes préliminaires les plus longues sans remettre en cause leur efficacité.
La critique souvent justifiée, et peut-être l’est-elle aussi en l’espèce, sur le fait que le Gouvernement ait engagé la procédure accélérée a été avancée. Moi aussi, je regrette le recours à cette procédure, sauf que nous travaillons tout de même depuis un moment sur le sujet ! J’ai donc la faiblesse de penser que nous avons à peu près cerné les problèmes. En revanche, messieurs les ministres, je m’inquiète davantage de la capacité du Gouvernement à présenter des amendements en cours d’examen du texte. C’est toujours un indice inquiétant, et j’espère que vous nous rassurerez…
Quoi qu’il en soit, l’important travail fait par Michel Mercier et Philippe Bas ainsi que par tous ceux qui les ont accompagnés dans leurs travaux me rassure. C'est la raison pour laquelle, avec mon groupe, je voterai en faveur du projet de loi.
Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, à la demande de la commission des lois, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze.
La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Philippe Bas.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je veux tout d'abord exprimer à mon tour, au nom de l’ensemble des membres de la commission des lois, notre indignation et notre effroi après les crimes ignobles qui ont été commis la semaine dernière à Bruxelles.
Je tiens aussi à rendre hommage au travail accompli par les forces de sécurité et par le ministère public au cours de ces derniers mois, particulièrement de ces dernières semaines et de ces derniers jours.
Par ailleurs, je veux souligner que, dans la lutte contre le terrorisme, il faut naturellement être particulièrement attentif à réduire les foyers de tensions au Proche-Orient. À cet égard, le recul des combattants de Daech en Syrie est assurément une bonne nouvelle, même si beaucoup de chemin reste à parcourir pour éradiquer ce mouvement terroriste.
Je veux également souligner l’importance du texte dont nous délibérons.
Mardi dernier, nous avons adopté le projet de loi de révision de la Constitution, dont l’importance politique et symbolique est certaine, mais dont chacun s’accorde à reconnaître qu’il n’augmente pas les capacités d’action de l’État dans la lutte contre le terrorisme.
En revanche, le texte de la proposition de loi que j’ai eu l’honneur de présenter avec Michel Mercier, Bruno Retailleau et François Zocchetto, comme celui du présent projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, apporte des moyens nouveaux de lutte contre le terrorisme.
Pourquoi intervenir de nouveau par la loi, alors que plusieurs textes ont d'ores et déjà été adoptés par le Parlement sur ces sujets au cours des dernières années ? Pour une raison très simple.
Ce n’est pas à cause de l’émotion qui s’est emparée du pays, sans nous épargner, à la suite des attentats particulièrement meurtriers qui ont frappé la France depuis le mois de janvier 2015 et qui frappent aujourd'hui la Belgique. Rien ne serait pire que de répandre l’illusion que de nouvelles dispositions législatives sont la clé de la solution au problème du terrorisme. Nous ne souhaitons pas adopter des lois de circonstance.
Or le projet de loi qui nous est soumis n’est précisément pas un texte de circonstance. Il s'agit de s’adapter à des formes d’action du terrorisme qui ne cessent d’évoluer et qui ont recours à des technologies qui, elles aussi, ne cessent de se moderniser.
Il s'agit aussi de répondre à des lacunes de notre droit qui ont été parfaitement identifiées par les services de police et de gendarmerie, ainsi que par les juges de la section antiterroriste du parquet à l’occasion du combat contre les manifestations les plus récentes du terrorisme.
Enfin, il est de notre devoir à tous de nous assurer, par la loi, qu’aucun terroriste condamné ne puisse être un jour en situation de récidiver.
Mes chers collègues, tels sont les motifs pour lesquels Michel Mercier, entre autres, et moi-même avions présenté la proposition de loi que je viens d’évoquer et que vous avez adoptée à une très large majorité le 2 février dernier.
Cette proposition de loi a été en très grande partie reprise dans son texte par le Gouvernement, qui y a ajouté des dispositions relatives aux pouvoirs des forces de sécurité, quand notre texte portait exclusivement sur les pouvoirs du parquet.
En votant la loi relative au renseignement, nous avons renforcé les pouvoirs dont la police dispose pour prévenir des attentats. Nous devons désormais donner les mêmes moyens au parquet, pour la mise en œuvre des enquêtes visant à rechercher les auteurs des attentats.
Faciliter les enquêtes des procureurs, tel est, de fait, le premier objet du projet de loi.
Celui-ci autorise des perquisitions de nuit et le recours à des techniques de renseignement, comme les IMSI-catchers – la captation à distance de contenus informatiques. Il rend aussi possible la création de nouvelles incriminations, permettant d’élargir les différentes motivations des enquêteurs pour renvoyer devant un tribunal les auteurs de crimes et délits en lien avec le terrorisme – en commission, nous avons adopté des dispositions en ce sens et émis un avis favorable sur des amendements ayant le même objet.
Il s'agit, ainsi, d’assurer la continuité de l’enquête. Il faut faire en sorte que le procureur saisi au titre de la flagrance ait les moyens de poursuivre son enquête suffisamment longtemps sans devoir s’en dessaisir trop vite auprès d’un juge d’instruction, la reprise du dossier du parquet entraînant une discontinuité susceptible d’être préjudiciable à l’enquête.
Il s'agit, enfin, d’accroître les peines infligées aux terroristes et de rendre plus sévères les conditions d’application de celles-ci. C'est la raison pour laquelle nous avons prévu, dans le texte de la commission des lois, la criminalisation du délit d’association de malfaiteurs en vue de commettre un attentat. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons écarté tout aménagement de peine en faveur d’un terroriste : celui-ci ne pourra bénéficier ni de permissions de sortie ni de mesures de semi-liberté, de placement sous surveillance électronique ou de placement extérieur. Ainsi, les conditions d’exécution des peines seront rendues beaucoup plus sévères qu’actuellement pour les terroristes.
Nous avons décidé d’allonger la période de sûreté – ce point a donné lieu à de nombreux débats dans les jours qui ont précédé l’examen du texte. À l’heure actuelle de vingt-deux ans, la période de sûreté serait portée à trente ans pour les terroristes. Autrement dit, aucune demande de réduction de peine effectuée par un condamné à perpétuité avant trente ans de réclusion ne pourrait être examinée.
Cependant, nous avons souhaité aller au-delà de ce que nous avons nous-mêmes adopté le 2 février dernier et de ce que l’Assemblée nationale a voté. Pour être certains de l’efficacité du dispositif, nous proposons de rendre la procédure encore plus restrictive, en imposant, d’une part, que les parties civiles soient consultées et, d’autre part, que cinq magistrats de la Cour de cassation donnent leur agrément à la décision du tribunal d’application des peines. Ainsi, nous sommes convaincus qu’aucun terroriste dangereux ne pourra jamais être libéré.
Pourrions-nous aller plus loin ? Nous ne le pensons pas. Le mieux est l’ennemi du bien ! Soyons certains que des mesures portant la période de sûreté à quarante ou cinquante ans seraient écartées par le Conseil constitutionnel. Dès lors, en voulant trop bien faire, nous nous retrouverions à la case départ, ce qui rendrait notre travail inutile, alors qu’il est tellement important d’apporter à nos concitoyens la garantie que les criminels terroristes ne sortiront pas de prison.
Je dois dire aussi que nous avons envisagé l’application de la rétention de sûreté à d’autres délinquants ou criminels condamnés pour des faits en lien avec le terrorisme à des peines inférieures à la perpétuité qui, de ce fait, sortiront forcément un jour de prison : de la même façon qu’elle été introduite pour les criminels sexuels, la rétention de sûreté pourrait être appliquée aux délinquants et criminels condamnés pour terrorisme.
Enfin, ce texte vise, sur l’initiative de M. le ministre de l’intérieur, à accroître les pouvoirs de la police dans deux cas essentiels : celui du retour d’un individu de lieux proches des centres d’entraînement des terroristes – l’intéressé pourrait alors être assigné à résidence le temps nécessaire à la réunion d’un certain nombre d’éléments prouvant son implication – et à l’occasion de contrôles d’identité – une rétention de quatre heures serait alors possible. En tout état de cause, c’est ce qu’a souhaité la commission des lois.
Ainsi, ce texte me semble comporter des éléments très pragmatiques et très concrets, qui permettent de répondre à l’attente des policiers, des gendarmes et des juges, pour plus d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen du présent projet de loi doit se placer sous le signe de la permanence, et non de l’événementiel, parce que nous savons – j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle – que l’offensive contre la société démocratique européenne qui est engagée depuis maintenant bien des années est durable. Cette offensive aura d’autres manifestations, nous connaîtrons sous peu d’autres périls, parce que la source d’impulsion du mouvement meurtrier qui nous frappe par ses actions terroristes est toujours là. Nous l’identifions aujourd'hui comme l’État islamique, mais nous savons aussi, ne serait-ce que par ce qui se passe, par exemple, en Afrique de l’Ouest ou dans la péninsule arabique, que cette source peut connaître des démultiplications.
Même si l’État islamique se trouve pour le moment affaibli militairement, nous savons bien que cela ne ralentira pas – en tout cas, pas à court terme – sa capacité d’organiser de nouvelles actions meurtrières.
Le projet de loi que nous examinons cet après-midi vise à renforcer la lutte à la fois contre le terrorisme et contre la grande criminalité.
De fait, il y a de sérieuses raisons de rapprocher ces deux phénomènes, qui, l’un comme l’autre, exploitent différents trafics, notamment le trafic des armes et des stupéfiants, recourent au blanchiment…
En outre, nous voyons bien, à mesure que les enquêtes sur les actes de terrorisme déjà perpétrés se déploient, qu’un très grand nombre des auteurs de tels actes et de leurs complices étaient déjà engagés dans le milieu de la criminalité – souvent, dans une criminalité d’« habitude ».
Le projet de loi comporte une série de mesures relatives à l’action de la justice ; de nombreux orateurs les ont déjà évoquées.
Pour ma part, je veux plutôt appeler l’attention du Sénat sur les moyens de prévention qui y sont développés.
Nous devons être conscients – il me semble que tous les membres de cet hémicycle le sont – de la difficulté que pose l’anticipation des préparatifs d’actions terroristes. En effet, il n’existe pas, en la matière, de science exacte ni de mécanisme garanti pour identifier à l’avance les individus effectivement dangereux.
Pour que cette prévention soit efficace, un éventail de mesures est nécessaire. Certaines d’entre elles existent déjà.
L’expérience de l’état d'urgence a montré la différence entre une situation dans laquelle on doit attendre la réalisation des délits et des crimes et la période au cours de laquelle une action préventive est possible.
Sur ce plan, le présent projet de loi contient des outils d’action préventive supplémentaires qu’il faut soutenir et saluer.
Le premier consiste à améliorer l’information rapide sur les individus repérés, mais que l’on situe à la limite d’entreprendre des actions terroristes : c’est la retenue de quatre heures.
Nous disons presque tous dans cette enceinte que cette mesure permet de consulter les fichiers. En réalité, s’il ne s’agissait que d’une consultation, qui est un acte quasi instantané, la durée de quatre heures ne serait pas véritablement justifiée.
Pourquoi ce laps de temps est-il nécessaire ?
D’une part, pour lever les doutes pouvant exister sur l’identité de l’individu contrôlé, car de multiples faits ont démontré, ces derniers mois, la capacité « quasi industrielle » – comme M. le ministre de l’intérieur l’a souvent qualifiée – des mouvements terroristes à fabriquer de faux documents. Au reste, même si l’on parvient à mettre en place une meilleure coopération à l’avenir, les faux documents ne disparaîtront pas du jour au lendemain !
D’autre part, le fichage qui permet d’identifier un individu peut être plus ou moins sérieusement et plus ou moins complètement documenté.
Par ailleurs, s’agissant de mouvements très internationalisés, qui traversent les frontières, les vérifications ont nécessairement un caractère international. Dans le cas du contrôle d’un ressortissant étranger, nos services ont besoin de disposer d’un certain délai pour effectuer les recoupements nécessaires avec les informations relevées à l’encontre de cette personne par les services de renseignement étrangers.
Il s’agit donc bien d’un outil préventif qui permet de fiabiliser les renseignements recueillis sur une personne au prix, il est vrai, d’une sorte de préavis : l’individu placé en retenue de quatre heures aura compris qu’il était identifié comme un complice éventuel d’actions terroristes et se montrera d’autant plus prudent. Mais cela peut aussi s’avérer positif.
Dès que les informations suffisantes seront recueillies, la procédure basculera vers une mise en examen, sur la base de faits vérifiés.
Autre mesure de prévention ou d’anticipation, le repérage des participants aux actions armées menées à l’étranger. On arrive à identifier, parfois plusieurs semaines après leur retour sur le territoire, les personnes ayant choisi d’accompagner les mouvements armés de l’État islamique ou d’autres formations terroristes à l’étranger.
La mesure de contrôle administratif permet, comme on le dit chez les enquêteurs, de « loger » ces personnes en leur imposant une limite géographique, une obligation de pointage et une interdiction de contacts. Cela permet de disposer d’un minimum de temps – le rapporteur et la commission ont retenu une durée de deux mois, alors que l’Assemblée nationale et le Gouvernement proposaient un mois – pour vérifier si la personne est encore dans un circuit de préparation d’actes terroristes, auquel cas elle sera soumise à la justice, ou s’il s’agit d’un individu en phase de reprise avec la société, notamment d’une personne qui reconnaît l’erreur qu’elle a commise en se rendant auprès des militaires terroristes et dont l’aide peut s’avérer utile au repérage d’autres tentatives.
Nous sommes donc à la limite de la procédure judiciaire et de la prévention, puisque cet outil permet soit de poursuivre la personne à l’encontre de laquelle d’autres faits ont été relevés, soit de recueillir de précieuses informations.
D’autres mesures vont également dans le sens de la prévention. Je songe, par exemple, au resserrement du contrôle de la détention d’armes à travers l’interdiction individuelle de détention d’armes décidée par le préfet, à l’autorisation de la technique d’infiltration en matière de trafic d’armes pour la police nationale, la gendarmerie et les douanes et à l’extension du fichage génétique aux trafiquants d’armes de manière, là encore, à repérer les réseaux.
Michel Sapin a évoqué les mesures visant à renforcer l’efficacité de la lutte contre le financement du terrorisme. Il s’agit d’un aspect très important de ce texte.
Je voudrais enfin dire un mot d’un autre dispositif à caractère préventif, bien qu’il se situe déjà dans le cadre de la procédure judiciaire, et dont je ne peux pleinement me satisfaire : il s’agit de la protection des témoins.
Nous voyons bien, à travers les enquêtes, qu’un certain nombre de personnes, appartenant au second cercle des connaissances des auteurs ou des complices d’actions terroristes, auraient pu transmettre des informations. Et si elles n’ont pas témoigné, c’est sans doute, pour beaucoup d’entre elles, par crainte des représailles.
Le code de procédure pénale permet aujourd’hui de protéger partiellement les témoins grâce, par exemple, au huis clos ou au témoignage anonyme. Ces dispositifs permettent de protéger le témoin contre les agresseurs extérieurs au procès qui risqueraient de l’identifier.
En revanche, les personnes poursuivies dans le cadre du procès n’ignorent rien du témoin, ce qui nourrit la crainte de ces membres du second cercle. S’ils témoignent, ils savent que l’auteur de l’acte pourra les identifier.
Le décret d’application de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et qui met en place une protection complète des témoins n’a été pris qu’en 2014 ! Il me semble que nous n’avons, ni les ni les autres, à nous en enorgueillir… Je n’ose demander au Gouvernement combien de personnes bénéficient aujourd’hui de ce dispositif, craignant que les doigts d’une main ne suffisent largement à les dénombrer.
Il me semble que le Gouvernement doit réfléchir à ce sujet en matière d’actes terroristes graves. Aujourd’hui, les témoins ne sont pas assez protégés.
Nous allons avoir un débat approfondi sur ces questions. La preuve en est l’indulgence inhabituelle de M. le président §
Mêmes mouvements.
… indulgence dont je n’abuserai pas.
Ce débat aura de multiples dimensions. Je crois que le Sénat, en tout cas la plupart de ses membres, va le mener dans un esprit de travail, d’écoute des praticiens et de refus des facilités quelque peu médiatiques en jouant son rôle de chambre de réflexion. Nous visons la fermeté, mais une fermeté bien dirigée.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Je remercie les orateurs de la pondération de leurs propos et de l’argumentation qu’ils ont pu défendre.
L’ensemble des intervenants a évoqué l’État de droit. Il s’agit en effet de la mesure de l’ambition du Gouvernement et de la réalité de son action. L’État de droit n’est pas qu’une figure de style : c’est un État qui décide de s’obliger par lui-même ; un État qui se fixe ses propres limites ; un État qui donne la primauté au droit, à la prévisibilité du droit, c’est-à-dire au refus de l’arbitraire.
C'est la raison pour laquelle je ne peux adhérer à toutes les critiques, notamment à celles de Mme Cukierman, relatives au fait que nous construirions un État d’exception. Bien sûr, nous faisons face à une situation exceptionnelle. Toutefois, nous nous inscrivons dans la cohérence du dispositif français de lutte antiterroriste, lequel, de 1982 à la loi de novembre 2014, poursuit exactement les mêmes objectifs.
Il est vrai que certaines des mesures que nous proposons s’inspirent directement de ce que nous avons pu observer dans ces situations exceptionnelles, ce qui nous amène à faire évoluer notre droit. Mais c’est l’inverse que l’on pourrait nous reprocher !
Hier, l’organisation terroriste que nous combattons principalement et les modes opératoires qu’elle a développés n’existaient pas. J’évoquais dans mon propos introductif l’attentat de la rue de Rennes : le mode opératoire des terroristes d’alors n’avait rien à voir avec celui des terroristes d’aujourd’hui. Dès lors, nous devons adapter notre droit.
M. le ministre de l’intérieur le formulerait mieux que moi : aucune mesure applicable dans le cadre de l’état d’urgence n’est transposée en droit commun. Toutes tiennent compte de ce que nous avons pu observer, toutes sont nourries des carences que nous avons pu constater.
Jacques Bigot disait très justement qu’il ne faut pas se contenter de saluer les policiers et les magistrats, que ceux-ci appartiennent au parquet ou au siège, mais qu’il faut aussi entendre leurs appels au législateur et au Gouvernement. Ils nous indiquent ce qui a été mal conçu et qu’il nous faut améliorer, resserrer ou adapter. À nous de les écouter !
Il s’agit d’ailleurs de l’une des raisons de l’épanouissement de ce texte. J’ai entendu les observations de M. Zocchetto sur la capacité du Gouvernement à déposer des amendements tout au long du parcours parlementaire de ce projet de loi, à l’Assemblée nationale et au Sénat.
À l’origine, le texte présenté par le Gouvernement comportait 34 articles. À l’issue des travaux de la commission des lois de l’Assemblée nationale, il en comptait une soixantaine. Les députés, en séance publique, ont porté ce total à quelque 90 articles. À son tour, comme il se doit, la commission des lois du Sénat a examiné ce texte. Elle y a ajouté 21 articles…
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Je n’imagine pas que le Sénat, en séance publique, n’ajoute encore quelques articles supplémentaires…En tout cas, je n’en prendrai pas le pari. S’il s’agit d’un mal, assumons-en collectivement la responsabilité !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.
Le Gouvernement adapte, mais les parlementaires disposent. Je ne vis pas ce fait comme une carence ou une dérive. Là aussi, la progression se fera avec le débat.
Le 2 février dernier, lors de l’examen de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, j’avais dit que, sur bien des aspects, nous avions le même objectif, que nous cheminions sur des voies parallèles et qu’il nous fallait faire en sorte que ces deux voies se rejoignent. C’est aujourd’hui largement le cas : sur les 102 articles de ce projet de loi, je ne distingue – à l’instar de Philippe Bas, qui n’a souligné que deux ou trois points de discorde – que six désaccords de principe qui seront probablement confirmés en séance publique.
Le Sénat et sa majorité ont des convictions, le Gouvernement a les siennes. Il est des aspects sur lesquels nous sommes en désaccord, non pas sur le diagnostic, mais sur la thérapie. Tout cela n’est pas bien grave, dans la mesure où l’objectif est commun et où le verre est aux trois quarts plein.
Oui, de nombreux textes sur ce sujet sont adoptés. Il est probable qu’aucun d’entre nous n’en avait fait un argument de campagne électorale – je pense d’ailleurs que la plupart des parlementaires auraient préféré ne pas avoir à les voter. Mais la réalité est là : nous sommes agressés.
Le Gouvernement a la responsabilité de proposer une riposte à l’Assemblée nationale et au Sénat. Et cela ne s’arrêtera pas. Si, demain, nous repérons de nouvelles failles dans notre dispositif, nous vous proposerons de l’ajuster. Nous ne voudrions pas qu’un jour, on nous reproche l’inverse !
Je souhaiterais enfin rassurer M. Retailleau sur la détermination du Gouvernement en matière d’établissements pénitentiaires. Nous ne disposons pas, aujourd’hui, de places de prison en nombre suffisant.
Une grande majorité de nos établissements est totalement vétuste. J’évoquais ce matin la maison d’arrêt de Troyes située dans le centre-ville, ancien couvent des Cordeliers bâti en 1258 et transformé en prison au XIXe siècle. Il est impossible de faire évoluer ce bâtiment : il faut le détruire pour en construire un nouveau.
Il faut également bâtir de nouveaux établissements pour mettre à la disposition des magistrats tout l’éventail des réponses pénales. Ce n’est pas le Gouvernement qui incarcère ; ce ne sont pas l’Assemblée nationale ou le Sénat qui prononcent les sanctions.
Le taux de suroccupation actuel non seulement rend les conditions de détention indignes, mais menace aussi les conditions de travail des personnels. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous, dans les départements dont vous êtes élus, des établissements pénitentiaires. Partout, les organisations syndicales ou les directeurs vous préviennent de la menace. J’ai appelé une surveillante agressée ce matin, à neuf heures. Si elle a subi cette agression, c’est parce qu’elle s’est retrouvée dans une situation impossible à gérer. Je ne peux accepter de voir de telles situations se reproduire !
Il faut bien évidemment construire des établissements pénitentiaires. Encore faut-il qu’ils soient adaptés et bien localisés. Alors que certaines prisons, notamment dans les outre-mer, sont surpeuplées, 3 000 places sont vides : c’est l’un des paradoxes auxquels nous sommes confrontés et qu’il nous faut résoudre.
Le Gouvernement est prêt à engager des programmes immobiliers. Dans son livre intitulé Pour un État fort, que j’ai lu ce week-end, Alain Juppé propose de créer 10 000 places de prison. Bruno Le Maire, quant à lui, ne donne pas de chiffres – je cite tous ceux qui ont écrit des ouvrages sur ce sujet. Il est vrai que ma bibliothèque grossit à vue d’œil en ce moment et que je n’ai pas eu le temps de tout lire, mais je m’y engage !
Sourires et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Partons du chiffre évoqué par Alain Juppé : 10 000 places de prison, c’est 2 milliards d’euros ! Je suis prêt à prendre la responsabilité d’engager ces crédits. Et si le Sénat – je prends à témoin le rapporteur général de votre commission des finances – et l’Assemblée nationale aident le Gouvernement à construire son budget, alors nous pourrons apporter les réponses nécessaires et décider la construction de places de prison.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – Mme Nathalie Goulet applaudit également.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi, par MM. Mézard et Collombat, d'une motion n°96.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5 du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (n°492, 2015-2016).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour la motion.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme vous le savez, ce projet de loi contient plus d’une centaine d’articles, dont beaucoup d’une grande technicité juridique et aux effets encore mal évalués. D’autres, je pense à ceux qui concernent le dispositif de lutte contre le financement du terrorisme – je regrette d’ailleurs que le ministre du budget nous ait quittés –, sont trop légers à mon goût, s’agissant d’une question aussi essentielle.
Sommes-nous sûrs d’avoir strictement limité les mesures les plus restrictives de liberté – nombreuses dans ce texte – à la lutte contre le terrorisme et contre la délinquance organisée ? Sommes-nous sûrs d’avoir strictement limité la réutilisation possible des informations recueillies par les techniques d’IMSI-catcher ne concernant pas les personnes surveillées ? Sommes-nous sûrs d’avoir défini, avec suffisamment de précision, les conditions du déclenchement de la retenue administrative ? Avouez que l’expression « ensemble d’éléments de nature à constituer un faisceau d’indices suffisant pour présumer l’existence d’un lien entre les agissements de cette personne et des activités à caractère terroriste » manque un peu de précision, ce qui pourrait conduire à des « bavures » qu’il vaudrait mieux éviter. Cette question fera probablement l’objet d’une future loi, à l’occasion d’un scandale médiatique…
Inversement, si le désir d’introduire le contradictoire dès le niveau de l’enquête procède d’une bonne intention, cette innovation pourrait se révéler être, à l’usage, un nid à recours aux effets dévastateurs pour la justice.
Pour reprendre l’expression utilisée en commission par M. le rapporteur – je le cite de mémoire –, ce texte pourrait comporter presque autant de discussions générales que d’articles, tant les sujets abordés sont nombreux, divers et techniques, aux effets incertains.
Or c’est tout le contraire qui se passe : une séance marathon de la commission des lois pour examiner un texte profondément remanié et adopter 160 amendements du rapporteur. Que l’on doive saluer la continuité de ce dernier dans le travail et sa persévérance ne justifie pas une telle occultation du débat en commission. J’ai encore pu constater ce matin que les jeux étaient faits lors de l’examen des amendements de séance, déposés un jour et demi après le dépôt du rapport, rédigé en un temps record. Mais, encore une fois, le problème n’est pas la rapidité, bien au contraire…
Trois demi-journées de débats en séance publique, entrecoupées des nouvelles lectures d’une proposition de loi organique de modernisation – oui, cela s’appelle ainsi ! – des règles applicables à l’élection présidentielle et d’une proposition de loi portant sur le même thème et d’une séance de questions au Gouvernement, trois demi-journées au cours desquelles se succéderont trois, voire quatre ministres, cela ferait presque douter que nous soyons en « guerre » contre le terrorisme, comme on ne cesse de nous le rappeler pour justifier cette précipitation.
Cerise sur le gâteau : l’usage de la procédure accélérée à propos d’un texte dont certaines dispositions tirent, certes, les enseignements des tragiques événements du mois de novembre 2015, mais dont d’autres étaient dans les tiroirs depuis bien plus longtemps !
Et je ne dirai rien des pratiques qui, au nom de l’urgence, se sont passées jusque-là de la « sécurisation » législative nécessaire, pour m’exprimer dans le patois des bureaux.
Puisque nous légiférons, prenons le temps de le faire pleinement, ce dont l’absence de seconde lecture, l’absence de dialogue entre les deux chambres, ce qui justifie pourtant le bicamérisme, va nous priver.
Mes chers collègues, s’agissant de nos conditions de travail, je ne fais que relayer ce que nous n’avons de cesse de répéter, texte après texte, sur toutes les travées de cet hémicycle, sans que rien ne change.
Sans remettre en cause le travail de M. le rapporteur, le RDSE vous propose de mettre nos actes en accord avec nos paroles en cette occasion qui le mérite, lors de l’examen d’un texte dont la portée et les implications sont difficilement contestables.
N’étant pas Alexandre, monsieur le ministre, je vous proposerai non pas de réciter l’alphabet grec dans les deux sens, mais, pour mieux assurer notre réflexion, de renvoyer ce texte à la commission.
Ni chagrins ni angéliques, en faisant cela – n’en déplaise, cette fois, aux esprits béats –, nous ne perdrons pas de temps, mais en gagnerons. Surtout, nous ferons œuvre utile pour la sécurité et les libertés de nos concitoyens, affirmant ainsi le rôle du Sénat, dont la caractéristique première n’est pas, en principe, d’être le plus réactif aux mouvements de l’opinion.
M. Jacques Mézard applaudit.
Mon cher collègue, monsieur Mézard, je ne peux que partager votre sentiment sur les conditions dans lesquelles nous allons étudier ce projet de loi. Hélas, nous pourrions dresser le même constat sur presque tous les textes !
Au-delà de ce projet de loi, il y a un problème global d’organisation du temps du Parlement que nous ne résoudrons pas aujourd'hui. Sans doute n’a-t-on pas suffisamment insisté en 2008 sur la nécessité de réduire le nombre de procédures accélérées et de prévoir moins de semaines de contrôle, pour lesquelles on se bat parfois les flancs, afin de trouver des sujets qui attirent les parlementaires en séance. Il y a peut-être là quelque chose à revoir.
Car nous sommes contraints par des délais. Ce projet de loi prévoit notamment des dispositions pour ce qui concerne les grands événements. Il s’agit en particulier de l’Euro 2016, qui aura lieu prochainement. Par ailleurs, l’état d’urgence a été prorogé jusqu’au 26 mai par la loi. Irons-nous plus loin ? Aurons-nous suffisamment armé, en quelque sorte, les procédures de droit commun ? À un moment donné, nous devrons apprécier la situation.
C’est vrai, nos conditions de travail ne sont pas bonnes. Aujourd'hui encore, à treize heures, le Gouvernement a déposé quelques amendements de poids. Que devons-nous faire ? Reporter la discussion du texte, parce que nos conditions de travail sont mauvaises ? Ce n’est pas ce que les Français attendent de nous ! Ils veulent que nous nous adaptions à la situation. Serions-nous soutenus par l’opinion publique si nous invoquions, pour justifier un retard, nos mauvaises conditions de travail ? Nos concitoyens seraient probablement pris d’une franche rigolade.
Oui, vous avez raison sur le fond, monsieur Collombat. Hier après-midi, nous avons travaillé avec les administrateurs de la commission et reçu un représentant du Premier ministre à vingt heures, pour obtenir des explications. Les exigences sont là : des lois doivent être votées, et vite. Car la loi pénale, n’étant pas rétroactive, vous le savez mieux que moi, monsieur Mézard, monsieur Collombat, ne dispose que pour l’avenir.
La menace terroriste reste forte. Si on veut armer correctement les services de la police et de la justice, il faut que la loi soit adoptée le plus vite possible. C’est la raison pour laquelle je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur cette motion tendant au renvoi à la commission, même si je partage un certain nombre d’idées que vous venez de développer. Bien sûr, on aurait voulu faire mieux et vous suivre. Mais parce que vous êtes convaincus de la nécessité de répondre à l’attente forte de notre pays – c’est du moins ce que je crois –, je préférerais de loin que vous acceptiez de retirer cette motion, dans la mesure où la commission vous répond que, sur le fond, vous n’avez pas tort.
La bataille contre le temps est une bataille infinie. Dans la chambre criminelle de la Cour de cassation, il y a une très jolie horloge, où l’on peut lire une sentence latine que je me permets de vous traduire : « Le temps dévore tout, seul le droit demeure ». Malheureusement, personne ne peut gagner la bataille contre le temps.
Pour faire preuve de concision, je dirai simplement qu’un renvoi à la commission signifierait que les parlementaires n’ont pas pu exercer, autant qu’ils l’auraient souhaité, leur droit d’amendement. Or il me semble que le nombre d’amendements déposés et le nombre d’articles examinés par la commission des lois permettent d’apporter une réponse sur ce point. Le Gouvernement n’est donc pas favorable à l’adoption de cette motion.
Je vous le rappelle, aucune explication n’est admise, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. Nous n’avons pas été convaincus par l’exposé de M. le garde des sceaux. Néanmoins, compte tenu des observations de M. Mercier, qui nous donne raison sur le fond, nous retirons cette motion, après avoir fait passer un message, lequel, une fois de plus, ne sera pas entendu…
Sourires.
La motion n° 96 tendant au renvoi à la commission est retirée.
Nous passons donc à la discussion du texte de la commission.
Nous allons examiner les articles pour lesquels la priorité a été ordonnée.
Titre Ier
Dispositions renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement
Chapitre III
priorité
Dispositions améliorant la lutte contre les infractions en matière d’armes et contre la cybercriminalité
L'amendement n° 188 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Bertrand, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre Ier du titre Ier du livre III du code de sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 311-2 est ainsi rédigé :
« Art. L. 311 -2. – Conformément aux dispositions de l’article L. 2331-1 du code de la défense, les matériels de guerre, armes, munitions et éléments désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes :
« 1° Catégorie A : matériels de guerre et armes interdits à l’acquisition et à la détention, sous réserve des dispositions des articles L. 312-1 à L. 312-4-3 du présent code.
« Cette catégorie comprend :
« – A1 : les armes et éléments d’armes interdits à l’acquisition et à la détention ;
« – A2 : les armes relevant des matériels de guerre, leurs composants, les matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu et les matériels de protection contre les gaz de combat à l’exception exclusive des cas prévus par le 5° de l’article L. 311-3 ;
« 2° Catégorie B : armes soumises à autorisation pour l’acquisition et la détention ;
« 3° Catégorie C : armes soumises à déclaration pour l’acquisition et la détention ;
« 4° Catégorie D : armes soumises à enregistrement et armes et matériels dont l’acquisition et la détention sont libres.
« Un décret en Conseil d’État détermine les matériels, armes, munitions, éléments essentiels, accessoires et opérations industrielles compris dans chacune de ces catégories ainsi que les conditions de leur acquisition et de leur détention. Il fixe les modalités de délivrance des autorisations ainsi que celles d’établissement des déclarations ou des enregistrements.
« En vue de préserver la sécurité et l’ordre publics, le classement prévu aux 1° à 4° est fondé sur la dangerosité des matériels et des armes. Pour les armes à feu, la dangerosité s’apprécie en particulier en fonction des modalités de répétition du tir ainsi que du nombre de coups tirés sans qu’il soit nécessaire de procéder à un réapprovisionnement de l’arme.
« Par dérogation à l’alinéa précédent, les armes utilisant des munitions de certains calibres fixés par décret en Conseil d’État sont classées par la seule référence à ce calibre. »
2° L’article L. 311-3 est ainsi rédigé :
« Art. L. 311 -3. – Les armes et matériels historiques et de collection ainsi que leurs reproductions sont :
« 1° Sauf lorsqu’elles présentent une dangerosité avérée, les armes dont le modèle est antérieur au 1er janvier 1900 ;
« 2° Les armes dont le modèle, postérieur au 1er janvier 1900, est antérieur au 1er janvier 1946 et qui ont été rendues inaptes au tir de toutes munitions, par l’application de procédés techniques et selon des modalités qui sont définis par arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la défense, ainsi que des ministres chargés de l’industrie et de douanes.
« Elles sont énumérées par un arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la défense compte tenu de leur intérêt culturel, historique ou scientifique ;
« Les chargeurs de ces armes doivent être rendus inaptes au tir dans les conditions fixées par l’arrêté prévu au premier alinéa du présent 2° ;
« 3° Les armes relevant des catégories B, C et D rendues inaptes au tir de toutes munitions, quels qu’en soient le modèle et l’année de fabrication, par l’application de procédés techniques et selon des modalités qui sont définis par arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la défense, ainsi que des ministres chargés de l’industrie et des douanes ;
« 4° Les reproductions d’armes historiques et de collection dont le modèle est antérieur à la date prévue au 1°, sous réserve qu’elles ne tirent pas de munitions à étui métallique ;
« 5° Les matériels relevant de la catégorie A exclusivement destinés à intégrer la collection d’un musée au sens du livre IV du code du patrimoine dont la neutralisation est effectivement garantie par l’application de procédés techniques et selon les modalités définies par arrêté de l’autorité ministérielle compétente ;
« Ils sont énumérés par un arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la défense compte tenu de leur intérêt culturel, historique ou scientifique. »
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de répondre à votre intervention précédente. Désormais, même le droit change ! C’est bien cela le problème.
J’en viens au présent amendement, qui porte sur la réutilisation d’armes de collection. En en cannibalisant plusieurs, on arrive à remettre en service des armes en principe neutralisées.
Cet amendement vise à assimiler les armes de guerre neutralisées, inutilisables en l’état, aux armes de la catégorie A.
Sa rédaction ne répond pas, semble-t-il, à l’objectif de ses auteurs. En effet, la modification apportée à l’article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure exclut de la catégorie A2 les armes neutralisées de collection, sans changer les conditions actuelles pour en acquérir.
En tout état de cause, je rappelle que nous avons créé, à l’article 9 du projet de loi, une incrimination spéciale pour ce qui concerne la remilitarisation des armes neutralisées. C’est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur Collombat, de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
Si l’on se réfère à son objet, cet amendement vise à soumettre les armes de guerre neutralisées au régime le plus strict de l’interdiction, en les assimilant à des armes de la catégorie A.
Toutefois, j’observe que la rédaction de l’amendement n’est pas cohérente avec l’objectif et ne permet pas d’aboutir au résultat annoncé. Il y a donc là un problème.
Je relève également une difficulté de fond : cette proposition soulève la question de la neutralisation des armes qui fait l’objet depuis plusieurs mois, comme vous le savez, de discussions dans les enceintes européennes, dans le cadre d’une approche sensiblement différente de celle qui est suggérée par le biais de cet amendement.
Il s’agit d’abord, à l’échelle européenne, de fixer des standards techniques fiables de neutralisation, de nature à garantir notamment la non-réversibilité du processus. C’est l’objet du règlement européen d’exécution 2015/2403 de la Commission du 15 décembre 2015, pour lequel la France s’est beaucoup mobilisée, puisqu’elle est à l’origine de la demande de modification de la directive 91/477/CEE relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes.
Il s’agit ensuite de tenir compte, dans le classement des armes neutralisées, du respect ou non de ces standards techniques. Dès lors qu’ils sont respectés, il n’est pas nécessaire de conserver les armes concernées à un niveau de classification aussi élevé que la catégorie A. C’est la position que défend la France dans le cadre des débats actuels sur la révision de la directive 91/477/CEE.
Enfin, au regard du calendrier, il semble peu opportun de modifier la législation nationale sur ce sujet, alors qu’une évolution du cadre communautaire, demandée par les autorités nationales, est en cours. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, la transcrire en droit français.
Je veux simplement rappeler que, dans le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France, la proposition n° 70 visait à « assujettir les mouvements d’armes à feu inactives remises en état de fonctionnement létal aux obligations inscrites dans la directive 91/477 ».
Si j’ai bien noté les observations de M. le ministre, notamment le fait que le moment choisi n’est guère opportun, je rappelle l’importance de cette disposition, destinée à régler un vrai problème. Qu’elle soit débattue très prochainement à l’échelon européen me paraît donc une bonne idée.
Je retiens les arguments avancés. Si un problème juridique m’a échappé, je ne vois pas d’inconvénient à retirer cet amendement.
Simplement, je le réaffirme, il y a là un vrai problème. Je veux aussi redire tous mes doutes s’agissant de la capacité de l’Europe à s’armer, quel que soit le problème qu’elle doit affronter. Si les choses avancent aussi vite que pour le réseau SWIFT, auquel les Américains peuvent avoir accès alors que tel n’est pas notre cas, nous mettrons encore quelque temps avant d’arriver à la neutralisation de ces armes, qui peuvent être reformatées et servir à des fins peu recommandables.
Cela étant, je retire cet amendement.
L’amendement n° 188 rectifié est retiré.
La parole est à M. le ministre.
Je tiens à répondre à Mme Goulet et à M. Collombat.
La France a parfaitement conscience de l’importance de cette question. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a elle-même proposé, depuis le 31 août 2014, c'est-à-dire bien avant les attentats, la modification de la directive 91/477.
Il a fallu attendre le 15 novembre 2015 pour que la présidence luxembourgeoise et la Commission européenne, par le truchement de son commissaire Dimitris Avramopoulos, décident d’inscrire le sujet à l’ordre du jour du conseil Justice et affaires intérieures qui a suivi les attentats.
Nous avons donc parfaitement conscience que l’action de l’Union européenne, sur ce sujet, nécessitera un certain délai, dans la mesure où nous avons attendu dix-huit mois pour obtenir un accord de l’Union s’agissant de la modification de la directive en question.
Quoi qu’il en soit, dans la mesure où, par une décision prise le 15 décembre, l’Union européenne a accepté de modifier cette directive et que cette directive est cohérente avec le plan de lutte contre le trafic d’armes à feu annoncé par le Gouvernement français le 13 novembre, quatre heures avant les attentats, il est préférable, selon moi, de porter le débat à l’échelon européen plutôt que de signifier à l’Union, au moment même où nous nous battons pour qu’elle évolue, que la législation que nous adoptons pourrait être en décalage avec ce qu’elle pourrait décider prochainement.
Je vous remercie donc, monsieur Collombat, d’avoir retiré votre amendement. Je pense que nous aurons d’autres occasions de débattre de ces sujets au Sénat. J’apporterai bien sûr toutes les explications nécessaires s’agissant de la manière dont le débat évolue au sein de l’Union.
Le chapitre II du titre Ier du livre III du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 312-3 est ainsi rédigé :
« Art. L. 312-3. – Sont interdites d’acquisition et de détention d’armes des catégories B, C et des armes de catégorie D soumises à enregistrement :
« 1° Les personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour l’une des infractions suivantes :
« – meurtre, assassinat ou empoisonnement prévus aux articles 221-1 et suivants du code pénal ;
« – tortures et actes de barbarie prévus aux articles 222-1 et suivants du même code ;
« – violences volontaires prévues aux articles 222-7 et suivants du même code ;
« – exploitation de la vente à la sauvette prévue à l’article 225-12-8 du même code ;
« – travail forcé prévu à l’article 225-14-1 du même code ;
« – réduction en servitude prévue à l’article 225-14-2 du même code ;
« – administration de substances nuisibles prévue à l’article 222-15 du même code ;
« – embuscade prévue à l’article 222-15-1 du même code ;
« – menaces d’atteinte aux personnes prévues aux articles 222-17 à 222-18-3 du même code ;
« – viol et agressions sexuelles prévus aux articles 222-22 à 222-31-2 du même code ;
« – exhibition sexuelle prévue à l’article 222-32 du même code ;
« – harcèlement sexuel prévu à l’article 222-33 du même code ;
« – harcèlement moral prévu aux articles 222-33-2 et 222-33-2-1 du même code ;
« – enregistrement et diffusion d’images de violence prévus à l’article 222-33-3 du même code ;
« – trafic de stupéfiants prévu aux articles 222-34 à 222-43-1 du même code ;
« – infractions relatives aux armes prévues aux articles 222-52 à 222-67 du même code ;
« – enlèvement et séquestration prévus aux articles 224-1 à 224-5-2 du même code ;
« – détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport prévu aux articles 224-6 à 224-8-1 du même code ;
« – traite des êtres humains prévue aux articles 225-4-1 à 225-4-9 du même code ;
« – proxénétisme et infractions qui en résultent prévus aux articles 225-5 à 225-12 du même code ;
« – recours à la prostitution des mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables prévu aux articles 225-12-1 à 225-12-4 du même code ;
« – exploitation de la mendicité prévue aux articles 225-12-5 à 225-12-7 du même code ;
« – vols prévus aux articles 311-à 311-11 du même code ;
« – extorsion prévue aux articles 312-1 à 312-9 du même code ;
« – demande de fonds sous contrainte prévue à l’article 312-12-1 du même code ;
« – recel de vol ou d’extorsion prévu aux articles 321-1 à 321-5 du même code ;
« – infractions relatives aux explosifs prévues aux articles 321-6-1 et 321-11-2 du même code ;
« – destruction, dégradation et détérioration d’un bien prévu à l’article 322-1 du même code ;
« – destruction, dégradation et détérioration ne présentant pas de danger pour les personnes prévues aux articles 322-1 à 322-4-1 du même code commises en état de récidive légale ;
« – destruction, dégradation et détérioration dangereuses pour les personnes prévues aux articles 322-5 à 322-11-1 du même code ;
« – menaces de destruction, de dégradation ou de détérioration et fausses alertes prévues aux articles 322-12 à 322-14 du même code ;
« – blanchiment prévu aux articles 324-1 à 324-6-1 du même code ;
« – actes de terrorisme prévus aux articles 421-1 à 421-6 du même code ;
« – entrave à l’exercice des libertés d’expression, du travail, d’association, de réunion ou de manifestation prévu aux les articles 431-1 et 431-2 du même code ;
« – participation à un attroupement en étant porteur d’une arme ou provocation directe à un attroupement armé prévues aux articles 431-5 et 431-6 du même code ;
« – participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme prévue à l’article 431-10 du même code ;
« – participation à un groupe de combat interdit prévu aux articles 431-13 à 431-21 du même code ;
« – intrusion dans un établissement d’enseignement scolaire par une personne porteuse d’une arme prévue aux articles 431-24 et 431-25 du même code ;
« – rébellion armée et rébellion armée en réunion prévues à l’article 433-8 du même code ;
« – association de malfaiteurs prévue à l’article 450-1 du même code ;
« – fabrication ou commerce de matériels de guerre ou d’armes ou de munitions de défense sans autorisation prévus aux articles L. 2339-2, L. 2339-3 et L. 2339-4 du code de la défense ainsi qu’aux articles L. 317-1-1, L. 317-2 et L. 317-3-1 du présent code ;
« – acquisition, cession ou détention, sans autorisation, d’une ou plusieurs armes ou matériels de catégorie C ou d’armes de catégorie D mentionnées à l’article L. 312-4-2 du présent code ou de leurs munitions prévues aux articles L. 317-5, L. 317-6 et L. 317-7 du présent code ;
« – port, transport et expéditions d’armes de catégorie C ou d’armes de la catégorie D soumises à enregistrement sans motif légitime prévus aux articles L. 317-8 et L. 317-9 du présent code ;
« – importation sans autorisation des matériels des catégories A, B, C ou d’armes de la catégorie D énumérées par un décret en Conseil d’État prévue et réprimée par les articles L. 2339-10 et L. 2339-11 du code de la défense ;
« - fabrication, vente, exportation, sans autorisation, d’un engin ou produit explosif ou incendiaire, port ou transport d’artifices non détonants prévus aux articles L. 2353-4 à L. 2353-13 du code de la défense ;
« 2° Les personnes condamnées à une peine d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ou condamnées à la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont elles sont propriétaires ou dont elles ont la libre disposition en application des dispositions du code pénal et du présent code qui les prévoient. » ;
2° Après l’article L. 312-3, il est inséré un article L. 312-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 312 -3 -1. – L’autorité administrative peut interdire l’acquisition et la détention des armes des catégories B, C et D aux personnes dont le comportement laisse craindre une utilisation de ces armes dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui. » ;
3° Le premier alinéa de l’article L. 312-4 est ainsi rédigé :
« L’acquisition et la détention des armes, éléments d’armes et de munitions de catégorie B sont soumises à autorisation dans des conditions définies par un décret en Conseil d’État. Lorsque l’autorisation est délivrée pour la pratique du tir sportif, ce décret prévoit notamment la présentation de la copie d’une licence de tir en cours de validité délivrée par une fédération sportive ayant reçu délégation du ministre chargé des sports au titre de l’article L. 131-14 du code du sport. » ;
4° L’article L. 312-4-1 est ainsi modifié :
a) À la seconde phrase du premier alinéa, le mot : « ou » est remplacé par le mot : « et » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Ce décret peut prévoir qu’en raison de leurs caractéristiques techniques ou de leur destination, l’acquisition de certaines armes de catégorie C est dispensée de la présentation des documents mentionnés aux 1° à 3° du présent article ou est soumise à la présentation d’autres documents. » ;
5° L’article L. 312-16 est ainsi modifié :
a) Le 2° est ainsi rédigé :
« 2° Les personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes des catégories B et C et des armes de catégorie D soumises à enregistrement en application de l’article L. 312-3 ; »
b) Après le 2°, il est inséré un 3° ainsi rédigé :
« 3° Les personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes des catégories B et C et des armes de catégorie D soumises à enregistrement en application de l’article L. 312-3-1. »
L'amendement n° 245, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 27
Remplacer la référence :
par la référence :
II. – Alinéa 31
Supprimer cet alinéa.
III. – Alinéa 46
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
« – acquisition, cession ou détention sans déclaration ou enregistrement d’armes ou matériels de catégorie C ou d’armes de catégorie D ou de leurs munitions prévues aux articles L. 317-4-1 et L. 317-7 du présent code ;
« – acquisition ou détention d’armes ou munitions en violation d’une interdiction, prévue à l’article L. 317-5 du présent code ;
« – obstacle à la saisie d’armes ou munitions, prévu à l’article L. 317-6 du présent code ; »
IV. – Alinéa 48
Remplacer les mots :
et réprimée par les articles L. 2339-10 et L. 2339-11
par les mots :
à la section 5 du chapitre IX du titre III du livre III de la deuxième partie du code de la défense
V. – Alinéa 50
Supprimer les mots :
en application des dispositions du code pénal et du présent code qui les prévoient
VI. – Alinéa 52
Après la référence :
D
insérer les mots :
soumises à enregistrement
La parole est à M. le rapporteur.
L'amendement est adopté.
L'article 7 est adopté.
I
1° Après l’article 132-16-4, il est inséré un article 132-16-4-1 ainsi rédigé :
« Art. 132-16-4-1. – Les délits relatifs au trafic d’armes prévus aux articles 222-52 à 222-67 sont considérés, au regard de la récidive, comme une même infraction. » ;
2° Après la section 6 du chapitre II du titre II du livre II, il est inséré une section 7 ainsi rédigée :
« Section 7
« Du trafic d’armes
« Art. 222-52. – Le fait d’acquérir, de détenir ou de céder des matériels de guerre, armes, éléments d’armes ou munitions relevant des catégories A ou B, sans l’autorisation prévue au I de l’article L. 2332-1 du code de la défense, en violation des articles L. 312-1 à L. 312-4, L. 312-4-3, L. 314-2 et L. 314-3 du code de la sécurité intérieure, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende si l’auteur des faits a été antérieurement condamné pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale à une peine égale ou supérieure à un an d’emprisonnement ferme.
« Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 500 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise par au moins deux personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.
« Art. 222-53. – Le fait de détenir un dépôt d’armes ou de munitions des catégories A ou B est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
« Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 500 000 € d’amende si l’auteur des faits a été antérieurement condamné pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale à une peine égale ou supérieure à un an d’emprisonnement ferme.
« Les mêmes peines sont applicables lorsque l’infraction est commise par au moins deux personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.
« Art. 222-54. – Le fait de porter ou de transporter, hors de son domicile, sans motif légitime, et sous réserve des exceptions résultant des articles L. 315-1 et L. 315-2 du code de la sécurité intérieure, des matériels de guerre, armes, éléments d’armes ou munitions relevant des catégories A ou B, même en en étant régulièrement détenteur, est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende.
« Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 500 000 € d’amende si l’auteur des faits a été antérieurement condamné pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale à une peine égale ou supérieure à un an d’emprisonnement ferme.
« Les mêmes peines sont applicables si deux personnes au moins sont trouvées ensemble porteuses de matériels de guerre, armes, éléments d’armes ou munitions ou si le transport est effectué par au moins deux personnes.
« Art. 222-55. – Le fait pour une personne habilitée ou autorisée à pénétrer dans un établissement scolaire de pénétrer ou de se maintenir dans un tel établissement en étant porteuse d’une arme sans motif légitime est puni d’une peine de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende.
« Art. 222-56. – Le fait de frauduleusement supprimer, masquer, altérer ou modifier de façon quelconque les marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes de toute nature apposés ou intégrés sur des matériels mentionnés à l’article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure, des armes ou leurs éléments essentiels afin de garantir leur identification de manière certaine suivant les modalités fixées par un décret en Conseil d’État est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
« Art. 222-57. – L’acquisition, la vente, la livraison ou le transport de matériels, d’armes et de leurs éléments essentiels mentionnés à l’article L. 311-2 du code de la sécurité intérieure dépourvus des marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes de toute nature apposés ou intégrés sur les matériels, les armes ou leurs éléments essentiels, nécessaires à leur identification de manière certaine suivant les modalités fixées par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 317-7-1 du même code, ou dont les marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes de toute nature auraient été supprimés, masqués, altérés ou modifiés, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
« Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 500 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée.
« Art. 222-58. – Le fait de contrefaire un poinçon d’épreuve ou d’utiliser frauduleusement des poinçons contrefaits est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
« Art. 222-59. – Le fait de constituer ou de reconstituer une arme est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
« Est puni des mêmes peines le fait de modifier une arme, et d’en changer ainsi la catégorie ou de détenir en connaissance de cause, d’acquérir, de vendre, de livrer ou de transporter une arme ayant fait l’objet d’une modification mentionnée à l’article 222-56 du présent code, dans les conditions prévues à l’article 222-57 du même code.
« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende si l’auteur des faits a été antérieurement condamné pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale à une peine égale ou supérieure à un an d’emprisonnement ferme.
« Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 500 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée.
« Art. 222-60. – La tentative des délits prévus aux articles 222-52 et 222-56 à 222-58 est punie des mêmes peines.
« Art. 222-61. – Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2, des infractions définies à la présente section encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38, les peines prévues à l’article 131-39.
« L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.
« Art. 222-62. – I. – Les personnes physiques coupables des infractions prévues à la présente section encourent également les peines complémentaires suivantes :
« 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de quinze ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition.
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues à la présente section, le prononcé des peines complémentaires est obligatoire. Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.
« Art. 222-63. – Pour les infractions prévues à la présente section, peut être prononcée à titre de peine complémentaire l’interdiction de séjour, suivant les modalités prévues à l’article 131-31.
« Art. 222-64. – L’interdiction du territoire français peut être prononcée dans les conditions prévues à l’article 131-30, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l’encontre de tout étranger coupable de l’une des infractions prévues à la présente section.
« Art. 222-65. – Les personnes physiques coupables des infractions prévues à la présente section peuvent également être condamnées à un suivi socio-judiciaire, selon les modalités prévues aux articles 131-36-1 à 131-36-13.
« Art. 222-66. – Dans les cas prévus à la présente section, doit être prononcée, à l’encontre des personnes physiques et des personnes morales, la confiscation des installations, matériels et de tout bien ayant servi, directement ou indirectement, à la commission de l’infraction, ainsi que tout produit provenant de celle-ci, à quelque personne qu’ils appartiennent et en quelque lieu qu’ils se trouvent, dès lors que leur propriétaire ne pouvait en ignorer l’origine ou l’utilisation frauduleuse.
« Peut également être prononcée la confiscation de tout ou partie des biens du condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis.
« Art. 222-67. – L’article L. 317-1 du code de la sécurité intérieure est applicable à la présente section. » ;
3° L’article 322-6-1 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende » sont remplacés par les mots : « de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende » ;
b) Au second alinéa, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq » et le montant : « 45 000 » est remplacé par le montant : « 75 000 » ;
4° L’article 322-11-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « sept » et le montant : « 75 000 » est remplacé par le montant : « 100 000 » ;
b) Au troisième alinéa, les mots : « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 » sont remplacés par les mots : « de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 » ;
5° Au 4° de l’article 421-1, les références : « par les articles 322-6-1 et 322-11-1 » sont remplacées par les références : « aux articles 222-52 à 222-54 et aux articles 322-6-1 et 322-11-1 » et la référence : « L. 317-4, » est supprimée ;
6° L’article 431-28 est abrogé.
II. – Le code de la défense est ainsi modifié :
1° L’article L. 2339-10 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, le montant : « 9 000 euros » est remplacé par le montant : « 75 000 € » ;
b) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait de contrevenir au I de l’article L. 2335-17 est puni des mêmes peines. » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 2339-14, après le mot : « définies », sont insérés les mots : « aux articles 222-52 à 222-54 du code pénal, », la référence : « et au premier alinéa de l’article L. 2339-10 » est remplacée par la référence : » aux deux premiers alinéas de l’article L. 2339-10 » et les références : « des articles L. 317-4 et L. 317-7 et au 1° de l’article L. 317-8 » sont remplacées par la référence : « de l’article L. 317-7 » ;
3° Au premier alinéa de l’article L. 2353-4, le montant : « 3 750 » est remplacé par le montant : « 75 000 ».
III. – Le chapitre VII du titre Ier du livre III du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 317-4 est abrogé ;
2° À la fin de l’article L. 317-5, les références : « à l’article L. 312-10 ou à l’article L. 312-13 » sont remplacées par les références : « aux articles L. 312-3, L. 312-10 et L. 312-13 » ;
3° L’article L. 317-7 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « des catégories A, B » sont remplacés par les mots : « de la catégorie C », le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « trois » et le montant : « 3 750 » est remplacé par le montant : « 45 000 » ;
b) Au deuxième alinéa, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « sept » et le montant : « 500 000 » est remplacé par le montant : « 100 000 » ;
c) Le troisième alinéa est ainsi rédigé :
« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende si l’auteur des faits a été antérieurement condamné pour une ou plusieurs infractions mentionnées aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale à une peine égale ou supérieure à un an d’emprisonnement ferme. En outre, la peine complémentaire d’interdiction de séjour peut être prononcée suivant les modalités prévues à l’article 131-31 du code pénal. » ;
4° Les articles L. 317-7-1 à L. 317-7-4 sont abrogés ;
5° L’article L. 317-8 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « de matériels de guerre, » sont supprimés ;
b) Le 1° est abrogé ;
6° Le 1° de l’article L. 317-9 est abrogé.
IV
L'amendement n° 42 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et M. Reichardt, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Après la lettre :
B
insérer les mots :
ou produits chimiques dont la liste est arrêtée par décret
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements n° 43 rectifié et 44 rectifié.
J’appelle donc en discussion les deux amendements suivants.
L’amendement n° 43 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et M. Reichardt, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Après la lettre :
B
insérer les mots :
ou des produits chimiques dont la liste est arrêtée par décret
L'amendement n° 44 rectifié, présenté par Mme N. Goulet et M. Reichardt, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Après le mot :
détenteur
insérer les mots :
ou des produits chimiques dont la liste est arrêtée par décret
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Ces trois amendements ont exactement le même objet. Il s’agit d’ajouter aux armes citées les produits chimiques, dont la liste est arrêtée par décret.
Sur ces trois amendements, la commission émet un avis défavorable, car ils sont satisfaits par les dispositions existantes. Je vous demande donc, madame Goulet, de bien vouloir les retirer.
Les amendements n° 42 rectifié, 43 rectifié et 44 rectifié sont-ils maintenus, madame Goulet ?
Les amendements n° 42 rectifié, 43 rectifié et 44 rectifié sont retirés.
L'amendement n° 247 rectifié, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 18
Remplacer la référence :
L. 317-7-1 du même code
par la référence :
222-56 du présent code
II. – Alinéa 22
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Est puni des mêmes peines le fait de modifier une arme et d’en changer ainsi la catégorie.
III. – Après l’alinéa 37
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au deuxième alinéa de l’article 321-6-1, après les mots : « prévus par les », sont insérés les mots : « articles 222-52 et 222-53 du code pénal, les » et la référence : «, L. 317-4 » est supprimée ;
IV. – Après l’alinéa 46
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Aux articles L. 2339-5 et L. 2339-9, les mots : « les dispositions du » sont remplacés par les mots : « la section 7 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal et le » ;
V. – Après l’alinéa 50
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le second alinéa de l’article L. 2339-11 est supprimé ;
VI. – Après l’alinéa 52
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Le premier alinéa de l’article L. 2353-13 est complété par les mots : « ainsi que selon celles de la section 7 du chapitre II du titre II du livre II du code pénal » ;
VII. – Après l’alinéa 65
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° L’article L. 317-9-2 est abrogé ;
VIII. – Alinéa 66
Rédiger ainsi cet alinéa :
IV. – À la première phrase du 1° de l'article 46 de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et à la première phrase du 1° de l'article 40 de l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, la première occurrence du mot : « ou » est remplacée par les références : «, aux articles 222-52 à 222-59 ou aux articles ».
La parole est à M. le rapporteur.
L'amendement est adopté.
L'article 9 est adopté.
priorité
L'amendement n° 17 rectifié, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 17
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 78-2 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « raisons plausibles de soupçonner » sont remplacés par les mots : « raisons objectives et individualisées » ;
2° Les sixième à quinzième alinéas sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :
« Aucun contrôle d'identité ne peut être réalisé au motif d’une quelconque discrimination, telle que définie par l’article 225-1 du code pénal.
« Les contrôles d’identité réalisés en application du présent article donnent lieu, à peine de nullité, à l’établissement d’un document spécifiant le motif du contrôle, ainsi que les modalités de garantie de l’anonymat des personnes contrôlées.
« Cette dernière mesure fait l’objet d’une mise en place progressive dans le cadre d’une expérimentation dans quelques sites pilotes, conformément à l’article 37-1 de la Constitution et accompagnée d’une évaluation incluant des experts indépendants, avant sa généralisation progressive à tout le territoire. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Par cet amendement, qui fait suite à une proposition de loi du groupe communiste républicain et citoyen, il s’agit d’améliorer le code de procédure pénale pour ce qui concerne les contrôles d’identité.
L’objet de notre proposition est de lutter contre les contrôles d’identité abusifs et discriminatoires et de renforcer la confiance que nos concitoyennes et concitoyens placent quotidiennement dans les forces de l’ordre, en adaptant le cadre juridique de l’article 78-2 du code précité.
La situation dramatique qu’a vécue notre pays lors des attentats du 13 novembre 2015 a nécessité des mesures exceptionnelles, qui se sont traduites par un renforcement des pouvoirs administratifs de police et un surcroît de moyens en matière de sécurité, notamment dans le cadre de l’état d’urgence.
Plusieurs mesures exceptionnelles adoptées dans ce cadre migrent dans notre droit commun avec le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
La jeunesse a été au premier rang des victimes frappées par les actes barbares que nous venons de subir. Il est important que nous puissions restaurer un climat serein dans le respect de chacune et chacun. Ce retour à l’apaisement passe en partie par une surveillance attentive des possibles amalgames et discriminations véhiculés par des contrôles d’identité parfois abusifs, dont le nombre sera d’ailleurs accru après l’adoption de l’article 18 de ce projet de loi.
C’est pourquoi il paraît nécessaire de rétablir une sécurité juridique et une utilisation efficace de ces contrôles, en modifiant l’article 78-2 du code de procédure pénale qui définit les circonstances autorisant les contrôles d’identité et les motifs légaux les justifiant. L’imprécision de la rédaction actuelle de cet article favorise les dérives, limite l’efficacité de toute autre mesure et contribue aux violations graves et répétées des droits fondamentaux, comme la liberté de circulation, la protection contre l’arbitraire, la protection de la vie privée, ou encore la non-discrimination.
Cet amendement tend à un encadrement des contrôles d’identité et à la mise en place d’un récépissé après contrôle.
L’article 78-2 du code de procédure pénale que le présent amendement vise à modifier fonde les contrôles et vérifications d’identité, c’est-à-dire les contrôles menés pour déterminer le lien d’une personne avec une infraction qui a été commise ou pour prévenir la commission d’un délit ou d’un crime. Ces opérations de police judiciaire se font sous le contrôle des autorités judiciaires, notamment du procureur de la République
Cette disposition est, en l’état actuel du droit, tout à fait encadrée. Quels motifs peuvent justifier un tel contrôle ? Il est prévu que les personnes contrôlées sont celles à l’égard desquelles il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » qu’elles ont commis ou tenté de commettre un délit ou bien qu’elles se préparent à le faire. La notion de « raisons plausibles de soupçonner » est aujourd’hui encadrée par la jurisprudence, et il n’y a donc pas lieu de la remettre en cause.
Par ailleurs, la remise d’un récépissé en cas de contrôle d’identité serait une mesure particulièrement lourde à mettre en œuvre.
Un amendement similaire a été repoussé en commission. Je vous demande donc, ma chère collègue, de bien vouloir retirer celui-ci. Dans le cas éventuel où vous vous y refuseriez, …
Sourires.
… je me verrais contraint d’émettre, au nom de la commission, un avis défavorable.
L'amendement n'est pas adopté.
L'amendement n° 75 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Pellevat, D. Laurent, Mandelli, Morisset, Trillard et de Legge, Mme N. Goulet, M. Charon, Mme Canayer, MM. Lefèvre, Gournac, Kennel et Houel et Mme Mélot, est ainsi libellé :
Avant l’article 17
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 78-2 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Tout contrôle discriminatoire constitue un dysfonctionnement du service public de la justice de nature à engager la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire. Constitue un contrôle discriminatoire celui qui traduit une erreur manifeste qu’un officier de police judiciaire normalement soucieux de ses devoirs n’aurait pu en aucun cas commettre ou encore celui qui révèle l’animosité personnelle, l’intention de nuire ou qui procède d’un comportement anormalement déficient. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Cet amendement a pour objet de compléter l’article 78-2 du code de procédure pénale évoqué à l’instant par M. le rapporteur, afin de rappeler que tout contrôle d'identité opéré sur des motifs discriminatoires engage la responsabilité de l'État et de définir la notion de contrôle discriminatoire.
On rejoint là l’amendement précédent. Le problème ayant été rencontré dans le cadre de l’actuel état d’urgence, les signataires de cet amendement souhaiteraient recevoir des précisions sur ce sujet.
Je comprends les motivations des auteurs de cet amendement.
Néanmoins, l’introduction dans la loi d’un système quasi automatique d’engagement de la responsabilité de l’État en cas de contrôle discriminatoire me semble relativement dangereuse.
La jurisprudence constitue un instrument tout à fait adéquat en cas de contrôle véritablement discriminatoire ; il n’est donc pas nécessaire, en la matière, d’instaurer des rigidités.
Je demande par conséquent le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai, au nom de la commission, un avis défavorable.
Il me semblerait relativement intéressant de définir la notion de contrôle discriminatoire ; je constate néanmoins que M. le ministre et M. le rapporteur considèrent que c’est inutile.
Je retire donc cet amendement, monsieur le président.
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 78-2-2, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs est ainsi rédigé :
« Art. 78-2-2. – I. – Sur réquisitions écrites du procureur de la République, dans les lieux et pour la période de temps que ce magistrat détermine et qui ne peut excéder vingt-quatre heures, renouvelables sur décision expresse et motivée selon la même procédure, les officiers de police judiciaire, assistés, le cas échéant, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux 1°, 1° bis et 1° ter de l’article 21 du présent code, peuvent procéderauxcontrôles d’identité prévus au septième alinéa de l’article 78-2, aux fins de recherche et de poursuite des infractions suivantes :
« – actes de terrorisme mentionnés aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal ;
« – infractions en matière de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs mentionnées aux 1° et 2° du I de l’article L. 1333-9, à l’article L. 1333-11, au II des articles L. 1333-13-3 et L. 1333-13-4 et aux articles L. 1333-13-5, L. 2339-14, L. 2339-15, L. 2341-1, L. 2341-2, L. 2341-4, L. 2342-59 et L. 2342-60 du code de la défense ;
« – infractions en matière d’armes mentionnées à l’article L. 222-54 du code pénal et à l’article L. 317-8 du code de la sécurité intérieure ;
« – infractions en matière d’explosifs mentionnés à l’article 322-11-1 du code pénal et à l’article L. 2353-4 du code de la défense ;
« – infractions de vol mentionnées aux articles 311-3 à 311-11 du code pénal ;
« – infractions de recel mentionnées aux articles 321-1 et 321-2 du même code ;
« – faits de trafic de stupéfiants mentionnés aux articles 222-34 à 222-38 dudit code.
« II. – Dans les mêmes conditions et pour les mêmes infractions que celles prévues au I, ils peuvent procéder àla visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public.
« Les véhicules en circulation ne peuvent être immobilisés que le temps strictement nécessaire au déroulement de la visite qui doit avoir lieu en présence du conducteur. Lorsqu’elle porte sur un véhicule à l’arrêt ou en stationnement, la visite se déroule en présence du conducteur ou du propriétaire du véhicule ou, à défaut, d’une personne requise à cet effet par l’officier ou l’agent de police judiciaire et qui ne relève pas de son autorité administrative. La présence d’une personne extérieure n’est toutefois pas requise si la visite comporte des risques graves pour la sécurité des personnes et des biens.
« En cas de découverte d’une infraction ou si le conducteur ou le propriétaire du véhicule le demande ainsi que dans le cas où la visite se déroule en leur absence, il est établi un procès-verbal mentionnant le lieu et les dates et heures de début et de fin de ces opérations. Un exemplaire en est remis à l’intéressé et un autre exemplaire est transmis sans délai au procureur de la République.
« Toutefois, la visite des véhicules spécialement aménagés à usage d’habitation et effectivement utilisés comme résidence ne peut être faite que conformément aux dispositions relatives aux perquisitions et visites domiciliaires.
« III. – Dans les mêmes conditions et pour les mêmes infractions que celles prévues au I, ils peuvent procéder àl’inspection visuelle des bagages ou à leur fouille.
« Les propriétaires des bagages ne peuvent être retenus que le temps strictement nécessaire au déroulement de l’inspection visuelle ou de la fouille des bagages, qui doit avoir lieu en présence du propriétaire.
« En cas de découverte d’une infraction ou si le propriétaire du bagage le demande, il est établi un procès-verbal mentionnant le lieu et les dates et heures de début et de fin de ces opérations. Un exemplaire en est remis à l’intéressé et un autre exemplaire est transmis sans délai au procureur de la République.
« IV. – Le fait que ces opérations révèlent des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. » ;
2°
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 16 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 153 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 16.
L’article 17 prévoit d’étendre les pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles et vérifications d’identité.
Nous sommes opposés à cette mesure, qui pourrait constituer une violation des droits au respect de la vie privée et surtout à la non-discrimination des personnes contrôlées.
En effet, le risque est grand que, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, on foule aux pieds les droits fondamentaux des personnes.
Désormais, les officiers de police judiciaire, agissant sur réquisition du procureur de la République, pourront procéder, en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules, à l’inspection visuelle et à la fouille des bagages.
Cette mesure est attentatoire aux libertés fondamentales, dès lors que, comme le souligne le Syndicat de la magistrature, « en faisant référence à la seule menace terroriste, sans préciser ni sa nature ni son imminence, et en n’exigeant pas que soit caractérisé un risque de trouble à l’ordre public précis et circonstancié, cette nouvelle disposition est susceptible de s’appliquer en permanence au vu du risque continu de telles atteintes dans le contexte actuel. »
Les critiques formulées à l’encontre des réquisitions judiciaires de contrôle d’identité existantes doivent être reprises avec force, dans un contexte où ce pouvoir est confié à une autorité administrative, sur la base de critères larges et flous majorant les risques d’atteintes aux libertés.
Nous demandons donc la suppression de l’article 17, qui ne respecte pas les principes de proportionnalité et de non-discrimination dans la mise en œuvre des pouvoirs de police.
Je me doute du sort qui sera réservé à cet amendement, mais je crois malgré tout que, à travers ce débat autour de la suppression de l’article 17, nous pointons du doigt une réalité aujourd’hui vécue par de nombreuses personnes présentes sur le territoire national, notamment des jeunes gens bénéficiant même parfois de la citoyenneté française.
Il est nécessaire de nous interroger sur l’application au quotidien des procédures de contrôle d’identité par une partie de nos forces de l’ordre – pas toutes : il faut respecter leur travail, qui, dans sa grande majorité, est accompli avec sérieux et respect du droit à la non-discrimination.
Le sentiment est très fort, émanant d’une partie de la population de notre territoire, d’un recours abusif et discriminatoire à ces contrôles.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l'amendement n° 153.
L’article 17 prévoit d’étendre les pouvoirs des forces de l’ordre à l’occasion des contrôles d’identité. Il introduit la possibilité, pour les officiers de police judiciaire assistés d’agents de police judiciaire adjoints, de procéder, avec l’autorisation du parquet, à l’inspection visuelle et à la fouille des bagages, en plus des contrôles d’identité et de la visite des véhicules.
La liste des infractions permettant de recourir à ce type de contrôles et de fouilles est très large, et aucun élément objectivable n’est nécessaire pour demander ce contrôle.
Le recours important aux contrôles en France est source régulière de critiques, portant notamment sur leur caractère discriminatoire.
Nous considérons, en conséquence, que cette disposition doit être supprimée.
Il existe dans notre droit une disposition ancienne, datant de 2001, qui permet au procureur de la République d’organiser des vérifications d’identité sur un territoire déterminé.
L’article 78-2-2 du code de procédure pénale établit simplement une liste d’infractions dont la recherche et la poursuite peuvent justifier l’organisation de ces vérifications.
Le III de l’article 17 du présent texte instaure la possibilité de fouiller les bagages, selon les mêmes modalités que celles qui sont prévues pour la fouille des véhicules, à l’occasion d’un contrôle d’identité. Cette disposition est tout à fait nécessaire. L’ampleur de la menace actuelle et les événements qui viennent de se dérouler en Belgique plaident pour l’adoption de cet article, et contre ces deux amendements de suppression.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Je comprends parfaitement les motivations de Mmes les sénatrices Cukierman et Benbassa, mais je ne les partage pas.
Je pense que chacun, dans cet hémicycle, en conviendra : si nous souhaitons que cet article 17 soit adopté, c’est non pas en vue d’organiser des contrôles discriminatoires, mais parce que nous avons besoin des dispositions de cet article.
Celles-ci donnent en effet aux forces de l’ordre des pouvoirs supplémentaires, strictement encadrés, afin de leur fournir les moyens de prévenir la perpétration d’actes à caractère terroriste sur le territoire national. Il est là, le motif de cette proposition !
Les événements auxquels la France ainsi que d’autres pays de l’Union européenne ont été récemment confrontés en ont témoigné : faute de mesures permettant aux forces de l’ordre de procéder à un minimum de vérifications susceptibles de prévenir les actes terroristes, les mêmes qui s’opposent souvent à ce type de mesures s’empressent, lorsque de tels actes se produisent, de relever les failles des services de renseignement ou les manquements de la police.
Le même scénario se répète à chaque fois : on refuse de donner davantage de pouvoir aux forces de l’ordre, et, lorsque les actes sont constatés, celles-ci sont mises en cause !
Je veux donc rappeler de façon extrêmement claire que si nous prenons une telle disposition, c’est pour lutter contre le terrorisme et en vue de prévenir des actes terroristes.
Cela étant dit, je partage bien entendu totalement la préoccupation de Mmes Cukierman et Benbassa concernant le caractère inacceptable des contrôles discriminatoires.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons ouvert la possibilité d’une saisine directe de l’IGPN, l’Inspection générale de la police nationale. L’IGPN est désormais saisie chaque année ; elle est extrêmement diligente lorsqu’elle est saisie pour contrôle discriminatoire, et rend un rapport dans lequel elle rend compte de son activité en la matière.
Je suis quant à moi intraitable à l’égard de ce type d’actes dès lors qu’ils émanent de services placés sous ma responsabilité, comme je l’ai dit clairement à propos d’une vidéo diffusée la semaine dernière.
Il faut en toutes choses de la sagesse et de l’équilibre : les dispositions législatives doivent être interprétées sur la base des motifs qui président à leur édiction, plutôt que de procès d’intention alléguant des arrière-pensées qui, en l’occurrence, n’existent pas.
Mon intervention vaudra explication de vote contre l’article 17.
Je comprends les propos de M. le rapporteur et de M. le ministre. Mais ce texte n’en est pas moins dangereux !
Monsieur le rapporteur, vous venez de faire allusion aux attentats de Bruxelles. Mais, à supposer que cet article soit adopté, il serait illusoire de faire croire à nos compatriotes que ces nouvelles possibilités de fouille assureraient notre sécurité, et que, à compter de l’entrée en vigueur de ce texte, la menace ne pèserait plus sur le pays. Les forces nécessaires à l’organisation de tous ces contrôles n’existeront tout simplement pas !
Monsieur le ministre, j’ai pris acte des propos que vous avez tenus à la suite de la diffusion de la vidéo que vous avez évoquée, et, d’une façon générale, de votre condamnation des actes discriminatoires.
Cependant, s’agissant de cet article, mais aussi d’autres articles du présent projet de loi, notre inquiétude concerne moins les dispositions prévues, qui sont très précisément encadrées, que le contexte dans lequel elles sont proposées.
C’est sur ce point que porte notre principal désaccord, et que vous ne parvenez pas à dissiper nos doutes : nous craignons une fuite en avant qui pourrait devenir, à plus ou moins long terme, incontrôlable, en direction d’un renforcement toujours plus important des pouvoirs exceptionnels donnés aux forces de l’ordre.
L’exception en question est certes régie par des cadres définis ; mais le risque est que, « dérapant » progressivement, on en vienne à banaliser les recours injustifiés aux contrôles d’identité, aux fouilles des véhicules, et même des bagages.
Bien entendu, il existe des possibilités de recours pour contrôle abusif ; mais, dans la réalité, les choses sont parfois bien plus compliquées, et, la plupart du temps, les personnes concernées préfèrent passer sous silence ces contrôles.
Madame la sénatrice, nous sommes confrontés au même débat à chaque fois que nous examinons ce type de dispositions.
De ce point de vue, je reconnais une certaine cohérence à votre positionnement, puisque vous m’opposez toujours les mêmes arguments.
J’essaie de cheminer avec vous, madame la sénatrice, et je respecte tout à fait la position qui est la vôtre.
Votre argument est que cette disposition ne permettra pas d’éviter le risque terroriste. Or s’il existait une seule et unique disposition législative nous garantissant d’éviter à coup sûr le risque terroriste, nous écririons une loi, elle comporterait un article, et l’affaire serait entendue ! Mais il n’existe aucune mesure de ce genre ! C’est pourquoi nous devons prendre un ensemble de dispositions, et jouer sur la totalité des parties du clavier.
Si nous ne prenions que des mesures sécuritaires en oubliant d’engager des actions préventives de déradicalisation nous permettant d’agir en profondeur, nous serions en difficulté.
Et si nous ne prenions qu’une certaine catégorie de mesures sécuritaires sans adopter toutes celles qui s’imposent, qui vont du contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne – mesure par définition européenne – à la consultation et à l’alimentation du SIS, le système d’information Schengen, en passant par la lutte contre les faux documents, nous serions également en difficulté.
C’est l’articulation de l’ensemble de ces mesures qui fait l’efficacité de la lutte antiterroriste : c’est précisément ce que nous vous proposons.
Quoi qu’il en soit, personne – ni le rapporteur ni moi-même, en tout cas – ne pense qu’il existe une mesure constituant l’alpha et l’oméga de la lutte antiterroriste et qui suffirait à garantir notre sécurité.
Par ailleurs, vous parlez de fuite en avant ; mais nous sommes dans un État de droit ! Les dispositions du présent texte font l’objet de mécanismes de contrôle et de possibilités de recours.
Au sein même du ministère de l’intérieur, des dispositifs ont été mis en place, sur lesquels je suis d’une vigilance extrême : je n’accepterai ni la moindre violence ni la moindre discrimination.
Plutôt que d’être dans la crainte ou le fantasme, il faut donc travailler à ce que, pour reprendre la fameuse formule de Montesquieu, « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
En l’occurrence, les choses sont ainsi organisées que le pouvoir des forces de l’ordre et de l’administration est arrêté par un ensemble de dispositifs de contrôle parlementaire et juridictionnel, permettant d’éviter les dérives que vous redoutez, lesquelles – je tiens à le dire solennellement devant le Sénat – ne sont pas consubstantielles à l’activité de la police.
La police, dans ce pays, est éminemment républicaine. Elle protège aujourd’hui un très grand nombre de lieux de culte et de citoyens, à raison, précisément, des risques auxquels ils se trouvent exposés par leur appartenance religieuse ou philosophique. À ce titre, nous devons lui rendre hommage.
Les amendements ne sont pas adoptés.
L'amendement n° 250, présenté par M. M. Mercier, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer la référence :
L. 222-54
par la référence :
La parole est à M. le rapporteur.
Cet amendement tend simplement à corriger une erreur de référence, monsieur le président.
L'amendement est adopté.
L'article 17 est adopté.
L'amendement n° 154, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Après l'article 17
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre III du titre II du livre Ier du code de procédure pénale est complété par un article 78-8 ainsi rédigé :
« Art. 78 -8. – I. – L’État peut autoriser la mise en place d’une expérimentation d’une durée de douze mois, au plus tard un an après la promulgation de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et lutte contre les atteintes graves à la sécurité publique, contre le terrorisme et contre la fraude dans les transports publics de voyageurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, afin d’étudier la mise en place d’un récépissé de contrôle d’identité et de fouille.
« Dans le cadre de cette expérimentation, les contrôles d’identité ou les fouilles réalisés en application des articles 78-2, 78-2-2 et 78-2-4 donnent lieu, sous peine de nullité, à l’établissement d’un document mentionnant :
« 1° Les motifs justifiant le contrôle ainsi que la vérification d’identité ou la fouille ;
« 2° Le jour et l’heure à partir desquels le contrôle ou la fouille a été effectué ;
« 3° Le matricule de l’agent ayant procédé au contrôle ou à la fouille ;
« 4° Les observations de la personne ayant fait l’objet du contrôle ou de la fouille.
« Ce document est signé par l’intéressé ; en cas de refus de signer, mention en est faite. Un double est remis à l’intéressé.
« Un procès-verbal retraçant l’ensemble des contrôles est transmis au procureur de la République. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Cet amendement, qui reprend les termes d’une proposition de loi écologiste déposée le 16 novembre 2011, tend à établir un mécanisme équilibré et pertinent pour lutter contre un phénomène qui est devenu une réalité humiliante et injustifiée pour de nombreux citoyens : le contrôle au faciès.
Les auteurs du présent amendement proposent que chaque contrôle fasse l’objet d’un procès-verbal. Chaque personne contrôlée disposera ainsi d’une preuve du contrôle lui permettant, le cas échéant, de faire valoir le caractère abusif de celui-ci auprès des autorités administratives indépendantes compétentes. Cette preuve prendra la forme d’une attestation de contrôle, qui comportera plusieurs mentions, sous peine de nullité.
Outre l’identité de la personne contrôlée, seront ainsi mentionnés les motifs qui justifient le contrôle et la vérification d’identité, le jour et l’heure à partir desquels le contrôle a été effectué, l’identité de l’agent y ayant procédé, ainsi que les observations de la personne ayant fait l’objet du contrôle.
Consignés, les contrôles d’identité seront ainsi mieux encadrés, et le recours à une telle procédure sera recentré sur sa raison d’être.
Par ailleurs, le présent projet de loi élargit les possibilités de fouilles. Ces fouilles pourraient poser les mêmes problèmes de discrimination, impossibles à contester du fait de l’absence de dispositif de traçabilité.
C’est pourquoi il est proposé de tester ce récépissé de contrôle ou de fouille – d’ailleurs, cela correspond à une demande formulée par tous les défenseurs des droits qui se sont succédé –, au titre d’une expérimentation qui serait conduite dans deux métropoles, les conditions étant précisées par décret en Conseil d’État.
Cet amendement a pour objet d’instaurer un récépissé pour les contrôles d’identité.
Cette proposition a déjà été formulée à plusieurs reprises, notamment en 2011, et la commission a refusé un certain nombre d’amendements analogues.
J’ajoute que l’instauration d’un tel récépissé, dans les conditions proposées par les auteurs de l’amendement, aurait pour première conséquence de vider de son efficacité la procédure de contrôle d’identité qui est à l’heure actuelle tout à fait indispensable.
La mise en place de caméras mobiles permettra d’ailleurs de répondre en partie à vos attentes, madame la sénatrice.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
Même avis.
Je suis tout à fait sensible à l’idée de pouvoir établir la traçabilité de la relation entre la police et la population. Mais les forces de sécurité intérieure sont aujourd’hui confrontées à un problème : la lourdeur considérable des procédures.
Je préfère donc à la disposition que vous proposez, madame la sénatrice, celle des caméras-piétons qui figure dans le texte dont nous débattons aujourd’hui, et qui permettra d’établir en continu la traçabilité de la relation entre la police et la population. Elle me semble à la fois plus moderne et plus efficace que l’instauration d’un récépissé.
L'amendement n'est pas adopté.
Le chapitre III du titre II du livre Ier du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après l’article 78-3, il est inséré un article 78-3-1 ainsi rédigé :
« Art. 78-3-1. – I. – Toute personne faisant l’objet d’un contrôle ou d’une vérification d’identité prévus au présent chapitre peut, lorsque ce contrôle ou cette vérification révèle qu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste, faire l’objet d’une retenue sur place ou dans le local de police où elle est conduite pour une vérification de sa situation par un officier de police judiciaire permettant de consulter les traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, selon les règles propres à chacun de ces traitements, et, le cas échéant, d’interroger les services à l’origine du signalement de l’intéressé ainsi que des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers.
« La retenue ne peut donner lieu à audition.
« Le procureur de la République territorialement compétent est informé dès le début de la retenue.
« II. – La personne retenue est immédiatement informée par l’officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, dans une langue qu’elle comprend :
« 1° Des motifs de son placement en retenue ;
« 2° De la durée maximale de la mesure ;
« 3° Du fait que la retenue dont elle fait l’objet ne peut donner lieu à audition ;
« 4° Du fait qu’elle bénéficie du droit de prévenir toute personne de son choix et son employeur. Si des circonstances particulières l’exigent, l’officier de police judiciaire prévient lui-même la personne choisie et l’employeur.
« Si l’officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités liées à la retenue, ne pas devoir faire droit à cette demande, il en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, d’y faire droit.
« Sauf en cas de circonstance insurmontable, qui doit être mentionnée au procès-verbal, les diligences incombant à l’officier de police judiciaire en application du premier alinéa du 4° doivent intervenir au plus tard dans un délai de deux heures à compter du moment où la personne a formulé la demande.
« III. – Lorsqu’il s’agit d’un mineur de dix-huit ans, la retenue fait l’objet d’un accord exprès du procureur de la République. Le mineur doit être assisté de son représentant légal ou, en cas d’impossibilité dûment justifiée, d’un administrateur ad hoc désigné par le procureur de la République. Le service mentionné à l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles est informé de cette retenue.
« IV. – La personne faisant l’objet d’une vérification de situation ne peut être retenue que pendant le temps strictement nécessaire à l’accomplissement des vérifications mentionnées au premier alinéa du I, pour une durée qui ne peut excéder quatre heures à compter du début du contrôle effectué. Pour un mineur, cette durée ne peut excéder deux heures. Dans ce cas, le délai mentionné au troisième alinéa du 4° du II du présent article est ramené à une heure.
« Le procureur de la République peut mettre fin à tout moment à la retenue.
« L’officier de police judiciaire mentionne dans un procès-verbal les motifs qui justifient la vérification de situation administrative et les conditions dans lesquelles la personne a été présentée devant lui, informée de ses droits et mise en mesure de les exercer. Il précise le jour et l’heure à partir desquels la vérification a été effectuée, le jour et l’heure de la fin de la retenue et la durée de celle-ci.
« Ce procès-verbal est présenté à la signature de la personne. Si cette dernière refuse de le signer, mention est faite du refus et des motifs de celui-ci. Le procès-verbal est transmis sans délai au procureur de la République, copie en ayant été remise à la personne.
« V. – Les prescriptions énumérées au présent article sont imposées à peine de nullité. » ;
2° À l’article 78-4, les mots : « par l’article précédent » sont remplacés par les références : « aux articles 78-3 et 78-3-1 ».
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 33 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 155 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 33.
Dans la continuité de nos propositions précédentes, et sans surprise, nous demandons la suppression de l’article 18, qui prévoit de créer une nouvelle procédure de retenue permettant, à la suite d’un contrôle d’identité, de retenir une personne, et cela même si celle-ci a justifié son identité et si le contrôle ne fait pas apparaître, incidemment, une quelconque infraction.
Il s’agit d’une « garde à vue administrative », dont sont exclus l’avocat et le médecin. L’idée serait, selon les défenseurs de ce dispositif, de laisser aux services de renseignement la possibilité et le temps de mener un interrogatoire.
Cette disposition constitue la transposition d’une mesure figurant dans la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi relative à l’état d’urgence. Le paragraphe IV proposé pour le nouvel article 78-3-1 du code de procédure pénale prévoit ainsi que la personne faisant l’objet d’une vérification de situation peut être retenue quatre heures – cette durée est de deux heures pour un mineur – lorsqu’il existe, aux termes du paragraphe I du même article, « des raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste ».
Le texte de l’article 18 est donc une parfaite illustration de l’inquiétante introduction de mesures exceptionnelles dans notre droit commun, du durcissement de notre arsenal juridique et du déséquilibre entre autorité administrative et autorité judiciaire, au mépris des exigences constitutionnelles et conventionnelles, comme du juste équilibre qui doit être préservé entre protection des droits et impératifs de sécurité publique.
La notion de « comportement » a démontré, dans le cadre de l’état d’urgence, les risques qu’elle pouvait créer en matière de discrimination, puisque le seul fait religieux a pu constituer un « comportement » dans certains dossiers.
Bien évidemment, cette remarque fait écho à nos amendements précédents, et nous avons le sentiment que les contrôles discriminatoires au faciès vont très certainement s’aggraver avec cette mesure.
À nos yeux, et comme l’a rappelé le Syndicat des avocats de France, « soit la personne est un suspect, et dès lors être placée en garde à vue, soit elle ne l’est pas, et il ne saurait être question de porter atteinte à sa liberté d’aller et venir ».
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 155.
L’article 18 permet aux forces de l’ordre, à l’occasion d’un contrôle d’identité, de retenir une personne jusqu’à quatre heures lorsqu’il y a des raisons sérieuses de penser que son comportement est lié à des activités à caractère terroriste.
Comme le note le Défenseur des droits, cet article « présente une étrange parenté avec les dispositions de l’article 4 de l’avant-projet de loi portant modification de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, lesquelles autorisent, lors d’une perquisition, une retenue de quatre heures d’une personne, y compris d’un mineur, lorsqu’il existe “des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics”. L’article 18 illustre ici ce glissement inquiétant vers l’intégration de mesures exceptionnelles dans notre droit commun, un durcissement de notre arsenal juridique et un déséquilibre entre autorité administrative et autorité judiciaire, au mépris des exigences constitutionnelles et conventionnelles, ainsi que du “juste équilibre” qui doit être préservé entre protection des droits et impératifs de sécurité publique. »
En conséquence, nous proposons de supprimer cet article.
L’article 18 est l’un des points forts du texte qui nous est soumis. Il contient une mesure qui apparaît presque de nature mixte, mi-administrative, mi-judiciaire.
M. le ministre de l’intérieur s’inscrira évidemment en faux, mais je maintiens cette affirmation. L’opération se déroule en effet sous le contrôle du procureur de la République, ce qui marque bien le caractère judiciaire de l’opération. Ce dernier est informé de cette retenue et peut y mettre fin s’il le juge nécessaire, ce qui constitue une garantie importante accordée aux personnes qui font l’objet d’une telle retenue.
Cette mesure vise des personnes soupçonnées d’avoir des activités en lien avec des entreprises terroristes. Il faut laisser le temps aux services de police d’organiser cette retenue de quatre heures, pendant laquelle on pourra naturellement vérifier les fichiers, ainsi que d’autres éléments. Je rappelle en outre que seul un officier de police judiciaire peut décider de mettre en œuvre cette procédure, avec l’obligation d’en informer immédiatement le procureur de la République.
Il ne s’agit pas d’une garde à vue, ce n’est pas une mesure privative de liberté et il ne peut y avoir d’audition dans ce cadre. La personne peut simplement être retenue pendant le temps des vérifications. Nous verrons, à l’occasion de l’examen des amendements qui suivent, quel est plus précisément le régime juridique de cette mesure, comment la personne qui fait l’objet de la retenue peut avertir un proche ou son employeur et quel peut être le rôle du procureur de la République.
Il est vrai toutefois que la retenue de quatre heures peut poser un certain nombre de problèmes, sur lesquels nous reviendrons en cours de discussion. C’est le cas notamment s’agissant des mineurs, pour lesquels nous pensons qu’un régime particulier doit être mis en place.
Nous jugeons néanmoins cette retenue pertinente pour permettre aux services d’être efficaces. Sans entrer dans les détails de la mesure pour l’instant, je pense donc qu’il faut la conserver tout en l’encadrant et en l’améliorant.
C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur les deux amendements de suppression.
Cette mesure législative que nous proposons n’est pas le résultat d’un caprice, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la conséquence d’une réalité.
Replaçons-nous dans des circonstances que nous avons déjà connues.
Sur un axe routier, les forces de sécurité procèdent au contrôle d’un individu muni d’un passeport belge. Elles suspectent ce passeport d’être un faux et le nom sous lequel l’individu se présente de n’être certainement pas le sien.
Prenons-nous le temps de procéder aux vérifications pertinentes, en sollicitant les services concernés, notamment les services étrangers, pour savoir s’ils disposent d’informations sur le nom de l’individu et son éventuelle implication dans des activités à caractère terroriste, ou laissons-nous cette personne repartir ? Voilà le problème concret !
Nous devons être précis sur ces sujets. Aujourd’hui, en l’état actuel du droit, aucune disposition ne permet de procéder à une retenue pour vérifications. Nous instaurons donc un dispositif qui permette de se conformer au droit lorsque l’on effectue une retenue le temps d’effectuer des vérifications.
Faut-il, oui ou non, procéder à ce genre de vérifications ? Telle est la question de fond, à laquelle nous pensons qu’il faut répondre positivement.
Il nous semble impossible de retenir des personnes pour ce motif sans contrevenir complètement au droit actuel. C’est pourquoi il faut, selon nous, adapter le droit pour permettre cette retenue.
La garde à vue ne se justifie pas dans ce cas, car la personne fait simplement l’objet d’une vérification, et en aucun cas d’interrogations de la part d’un officier de police judiciaire ou d’un magistrat. Si, après vérification, les services nous indiquent qu’il y a un problème majeur, alors la garde à vue est possible.
Si nous n’adoptons pas cette mesure, nous laissons partir la personne. Et si celle-ci frappe peu de temps après, vous m’expliquerez, madame la sénatrice Cukierman, qu’il existe une faille dans l’efficacité de mes services !
Je vous assure que, dans les heures qui suivront, se développera une grande théorie sur les failles des services, leur incapacité à prévenir le risque terroriste, et nous aurons considérablement affaibli la capacité de résistance et de résilience de notre pays qui repose sur la confiance qu’ont les citoyens dans la capacité de l’État à prévenir le risque terroriste.
Je prends cet exemple concret, car je voudrais essayer de sortir de l’esprit d’un certain nombre de parlementaires l’idée, que je peux par ailleurs respecter et comprendre, selon laquelle il y aurait une espèce de perversité consubstantielle à l’État, surtout lorsqu’il est chargé des services de sécurité et de renseignement, qui le conduirait systématiquement à prévoir des dispositions sournoises pour procéder à des contrôles policiers dérogatoires au droit commun, afin de discriminer telle ou telle catégorie de la population. Tel n’est absolument pas l’objectif de cette mesure, dont l’unique finalité est, dans la situation précise que je viens d’évoquer, de disposer des instruments juridiques nous permettant de faire face à la situation. C’est de cela qu’il s’agit, et de rien d’autre.
Par conséquent, je demande au Parlement, sur cet article, de raisonner à partir de cette réalité à laquelle nous sommes quotidiennement confrontés dans la lutte antiterroriste. C’est parce que nous avons besoin de cet outil que je suis défavorable à ces amendements.
Je reste très perturbé par cet article, qui constitue malgré tout une privation de liberté pendant quatre heures à la suite d’un contrôle.
On pourrait à la rigueur comprendre cette mesure dans le cadre de l’état d’urgence, mais elle devient plus problématique dès lors qu’on veut pouvoir la mettre en œuvre en toutes circonstances.
On nous indique que des vérifications sont parfois indispensables, dans un but de prévention ; l’important me semble alors l’encadrement de cette mesure.
Je constate que celle-ci sera mise en œuvre sous le contrôle du procureur de la République, ce qui constitue une garantie, mais alors la réforme constitutionnelle visant à renforcer l’indépendance de la justice en réformant le Conseil supérieur de la magistrature, le CSM, est d’autant plus essentielle. En l’occurrence, assurer l’indépendance du parquet s’avère indispensable.
Par ailleurs, selon moi, une autre urgence serait la nécessité de renforcer les interconnexions de fichiers et la capacité de nos forces de police à vérifier l’ensemble des passeports de l’Union européenne, de manière que la plupart des vérifications ne durent pas quatre heures. Si les moyens étaient ainsi améliorés, nous pourrions plus facilement éviter ces privations de liberté.
Au final, je ne voterai pas ces amendements de suppression, car l’essentiel me semble aujourd’hui de protéger nos concitoyens.
Non seulement je ne voterai pas ces amendements de suppression, mais je soutiens totalement l’article 18, qui encadre une séquence de procédure nouvelle permettant à nos services d’avoir davantage de latitude pour procéder à des vérifications.
Nous avons vu, ces derniers temps, combien il était important de pouvoir vérifier certaines données, notamment les identités, voire la nationalité d’un certain nombre de personnes.
Cet article me semble donc indispensable. Nous pouvons l’approuver ou non, mais, dans le contexte actuel, nous devons absolument donner à nos services les moyens de pouvoir effectuer ces vérifications.
Monsieur le ministre, il nous reste un peu plus de 45 amendements à étudier en votre présence, et nous ne pouvons pas nous éterniser sur chacun d’entre eux. Je voudrais toutefois apporter deux précisions.
Tout d’abord, il ne me semble pas que, dans nos rangs, nous ayons relevé des failles ou des incompétences de vos services. Certains nous reprochent dans cet hémicycle de faire preuve d’angélisme, mais, je le répète, vivre, c’est aussi accepter que le risque zéro n’existe pas.
Jamais, à ma connaissance, nous ne vous avons attaqué sur de prétendues failles de vos services après les terribles drames et attentats qui ont eu lieu.
On peut toujours ajouter des dispositions, mais le principe de l’acte de terrorisme est aussi de s’adapter à la situation. Malheureusement, quand le pire est voulu, il pourra toujours survenir, quelles que soient les mesures que l’on prendra, y compris celles que propose aujourd’hui la majorité sénatoriale sur le durcissement des peines.
Nous n’accusons pas non plus le Gouvernement de faire preuve de perversité dans les mesures qu’il propose. Malheureusement, vous ne serez pas toujours ministre de l’intérieur, monsieur Cazeneuve – indépendamment des échéances à venir, je vous souhaite aussi de pouvoir accéder à d’autres fonctions ! §Nous ne savons pas qui, demain, sera à la tête de votre ministère.
En outre, eu égard à l’exemple très précis que vous nous avez présenté, le délai de quatre heures me semble soit trop court, soit trop long.
J’entends les arguments sur les garanties liées au contrôle exercé par le parquet. Toutefois, outre que le rôle et les conditions de nomination des magistrats du parquet ont été rappelés, ces derniers ne peuvent pas être les baudets de la justice. Leur charge de travail s’accroît texte de loi après texte de loi, et je doute de leur capacité à tout contrôler.
Vous avez eu raison de rappeler que nous avons encore 45 amendements à examiner ensemble, madame Cukierman. Nous ne pouvons pas passer deux heures sur chacun, sauf à ce que vous soyez lassés de ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs.
Quoi qu’il en soit, vous avez également raison, le risque zéro n’existe pas. Je dis souvent que 100 % de précautions ne suffisent pas à garantir le risque zéro. Mais zéro précaution, c’est 100 % de risques ! Donc, sous prétexte que le risque zéro n’existe pas, nous ne pouvons pas nous permettre de ne prendre aucune précaution !
Je préconise quand même que l’on prenne un minimum de précautions, et nous essayons de prendre celles qui, à l’aune de l’expérience, nous paraissent nécessaires.
Ensuite, le procureur de la République intervient à tout moment dans cette procédure. Je le dis aussi à Mme Benbassa, qui considère que trop de pouvoirs sont donnés à la police et trop peu aux magistrats. En l’occurrence, le procureur de la République peut à tout moment faire cesser cette retenue s’il estime qu’elle n’est pas souhaitable ou pas conforme.
Enfin, les arrestations de Reda Kriket la semaine dernière, puis d’Abderahmane Ameuroud en Belgique et d’Anis B., hier, aux Pays-Bas, des individus que nous pistons depuis des semaines et dont nous connaissons la dangerosité, montrent les ramifications européennes de ces groupes terroristes, la nécessité d’une vigilance absolue et l’importance de pouvoir se doter de dispositifs de vérification lorsque des personnes sont contrôlées, afin que nous puissions nous assurer que nul individu pouvant représenter un risque majeur pour la sécurité des Français ne passe à travers les mailles du filet.
Il n’est pas inopportun de passer un petit peu de temps sur l’article 18, la mesure qu’il prévoit étant dans les tuyaux depuis fort longtemps, bien avant les attentats du 13 novembre. Nous savons tous qu’il s’agit d’une demande récurrente d’un certain nombre de services et d’administrations.
Cet article pose toutefois plusieurs difficultés, à commencer par sa rédaction. La notion de « raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste » est pour le moins floue sur le plan juridique. Et je ne fais là que reprendre les conclusions auxquelles sont parvenues différentes personnes qui se sont exprimées sur ce sujet.
Le texte qui nous est soumis dispose ensuite : « La retenue ne peut donner lieu à audition. » Il faudrait alors préciser que l’enquêteur ne peut pas poser de questions, car nous risquons sinon d’être confrontés à de réelles difficultés.
Si la personne retenue s’exprime, que faisons-nous de son expression, monsieur le ministre, notamment si elle peut être utile pour une enquête ? Faut-il consigner quelque part ces déclarations, appeler le procureur de la République pour qu’il ouvre une procédure ?
S’agit-il ensuite d’une mesure administrative ou judiciaire ? C’est une mesure de police administrative, mais elle est placée sous le contrôle du procureur de la République. Je peux comprendre que l’on parle à son propos de mesure privative de liberté – appelons un chat un chat –, mais nous sommes alors confrontés à une difficulté de plus en plus récurrente.
Je le disais tout à l’heure, les nouveaux pouvoirs confiés, dans ce texte, au procureur de la République sont incompatibles avec son actuel statut. Là aussi, monsieur le ministre, nous souhaitons avoir une réponse. Peut-être relève-t-elle d’ailleurs de la responsabilité du Parlement ?
Enfin, je rejoins les observations faites par Cécile Cukierman sur le fait que personne, dans cette assemblée, n’a remis en cause, à un moment ou à un autre, la qualité du travail des services de renseignement et de sécurité. Je pense que c’est une bonne chose.
Je suis très réservé sur l’article 18 que nous sommes en train d’examiner. Je vais pourtant le voter. Deux raisons expliquent ce choix : d’abord, les circonstances ; ensuite, l’excellent travail réalisé par la commission des lois.
Pour autant, j’aurais aimé que cette mesure soit limitée dans le temps et que son renouvellement soit décidé par le Parlement – peut-être n’est-ce pas possible ? Certes, les circonstances la justifient, mais franchement, qu’elle soit permanente change la nature des choses et me gêne.
Les amendements ne sont pas adoptés.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 156, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Après le mot :
personne
insérer le mot :
majeure
II. – Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Il s’agit d’un amendement de repli visant à exclure les mineurs de la retenue de quatre heures prévue à l’article 18.
L'amendement n° 124, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et Sueur, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 13, première phrase
Après les mots :
d’un mineur de
insérer les mots :
seize à
II. – Après l’alinéa 13
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les mineurs de seize ans ne peuvent faire l’objet de la présente retenue.
La parole est à M. Alain Richard.
Le groupe socialiste et républicain est favorable à l’article 18 et rejoint l’argumentation du ministre, tout simplement fondée sur le principe de prévention. Si l’on veut attendre d’avoir des preuves judiciaires de l’appartenance de quelqu’un à un réseau terroriste, il n’y a rien à faire ! On ne peut en effet qu’attendre que des actes délictueux soient commis… Et ils peuvent être meurtriers !
L’article 18 fait partie des dispositifs qui permettent de tenter de prévenir. Nous savons qu’il ne fournit pas une absolue certitude de détection, mais la mesure proposée est un outil de recherche des individus présentant le risque maximum.
Nous pensons – et c’est une différence d’appréciation avec M. Mézard – qu’il s’agit d’une mesure restrictive, et non privative, de liberté. Il nous semble d’ailleurs que cette distinction a été clarifiée, de façon pérenne, par une décision récente du Conseil constitutionnel qui fixe le critère d’une mesure privative de liberté.
En revanche, nous avons une hésitation, partagée par de nombreux membres de la commission des lois, sur la soumission des mineurs à cette mesure.
La commission a proposé un aménagement, que nous avons du mal à trouver convaincant. Elle a prévu que, dans le cas où un mineur fait l’objet de vérifications, la durée de la retenue ne peut excéder deux heures.
À cet instant de nos débats, je souhaite souligner qu’il ne s’agira pas de vérifications faites de manière aléatoire ; elles seront réalisées dans des situations de menace, sur des personnes dont on peut présumer qu’elles présentent des risques.
Or dans le cas où les agents de police font face à quelqu’un qui, certes, n’est pas majeur, mais qui est potentiellement dangereux, a été identifié ou fait l’objet d’un fichage, prévoir que les vérifications nécessaires, y compris à l’échelon international, pourront être réalisées en deux heures au lieu de quatre n’est pas très convaincant en pratique. En effet, il s’agira des mêmes vérifications que celles qui seront faites à l’égard des majeurs.
Qui plus est, il est malheureusement plausible que des mineurs fassent partie des auteurs potentiels de préparatifs criminels.
Nous proposons donc un compromis d’une autre nature. Il consiste à conserver la durée de quatre heures pour réaliser les vérifications nécessaires, mais sans que la mesure puisse s’appliquer à un mineur de moins de seize ans.
En effet, il est vraisemblable qu’un individu âgé de seize ans et demi ou dix-sept ans puisse participer à un réseau de préparation d’actes terroristes ; il faut donc qu’il puisse faire l’objet des vérifications qui sont prévues, y compris internationales. En revanche, s’agissant d’un individu de moins de seize ans, la plausibilité est très faible.
Nous préférons cette formule de protection des mineurs.
L’amendement n° 170 rectifié, présenté par Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux, M. Dantec, Mme Archimbaud et MM. Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Alinéa 13, deuxième phrase
Après le mot :
assisté
insérer les mots :
d'un avocat et
La parole est à Mme Esther Benbassa.
L’amendement n° 125, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et Sueur, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 13, deuxième phrase
Après le mot :
légal
supprimer la fin de cette phrase.
La parole est à M. Alain Richard.
La mesure de retenue prévue à l’article 18 peut-elle être appliquée aux mineurs et, dans l’affirmative, dans quelles conditions ?
L’amendement n° 156, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, vise à exclure les mineurs de la retenue administrative. Malheureusement, on constate régulièrement que des mineurs peuvent commettre des actes terroristes, et l’agression qui a eu lieu à Marseille en est un exemple. Par conséquent, leur exclusion de cette mesure ne me semble pas pertinente. De surcroît, la commission a apporté des garanties substantielles à cette procédure, nous y reviendrons dans quelques instants. Elle est donc défavorable à l’amendement n° 156.
Les amendements n° 124 et 125 du groupe socialiste et républicain portent, quant à eux, sur la façon d’appliquer la retenue administrative aux mineurs.
Pour les auteurs de ces amendements, cette mesure ne pourrait viser que des mineurs âgés de seize à dix-huit ans.
La commission a prévu des garanties pour les mineurs, notamment la désignation d’un administrateur ad hoc et l’information – c’est un pas de plus – du service de l’aide sociale à l’enfance. Les auteurs de l’amendement n° 125, considérant, quant à eux, que la désignation d’un représentant ad hoc, en cas d’impossibilité pour le représentant légal d’assister le mineur, serait trop lourde, demandent que soit supprimée cette mesure. Toutefois, une telle suppression aurait purement et simplement pour effet de rendre impossible le placement d’un mineur en retenue en l’absence de son représentant légal.
Je suis donc défavorable à l’amendement n° 125.
Par le biais de l’amendement n° 124, les membres du groupe socialiste et républicain choisissent une méthode différente de celle qu’a retenue la commission. Celle-ci, pensant que des mineurs, même âgés de moins de seize ans, peuvent commettre des actes terroristes, encadre le dispositif, en limitant la retenue à deux heures, en renforçant le rôle du procureur de la République et en prévoyant la présence soit d’un représentant légal, soit d’un administrateur ad hoc.
Notre proposition nous paraît plus efficace et mieux correspondre, malheureusement, à la réalité du terrorisme. Pour autant, la commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement, avant de se prononcer sur cet amendement.
Le Gouvernement est défavorable à l’exclusion des mineurs de la mesure de retenue, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, des mineurs sont effectivement impliqués dans des activités à caractère terroriste. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous donner des chiffres précis : 400 mineurs ont été signalés pour radicalisation et contact avec des groupes à caractère terroriste et 76 mineurs sont impliqués dans les combats en Irak et en Syrie. Le sujet que nous traitons est non pas futur, mais actuel.
Ensuite, se pose la question de savoir si le mineur impliqué dans des activités terroristes doit être considéré par l’État, la justice ou le ministère de l’intérieur comme un majeur. L’implication d’un mineur dans une activité à caractère terroriste ne fait pas de lui un majeur. Il demeure bien mineur.
Cela étant, la vulnérabilité particulière d’un certain nombre de mineurs à la propagande sectaire de Daech justifie qu’on les mette sous protection le plus vite possible, car cette propagande sectaire peut les conduire aux pires exactions et à l’avenir le plus funeste. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité que cette retenue s’applique aux mineurs, mais selon des dispositions différentes de celles qui prévalent pour les majeurs.
Pour les mineurs, l’autorisation du procureur de la République doit être expresse, à la différence du dispositif arrêté pour les majeurs. Pourquoi une telle autorisation ? Tout simplement parce que le mineur qui est entre les mains d’une organisation sectaire, voire de parents qui ont pu le conduire sur le théâtre des opérations, a besoin d’une mise sous protection. Cette retenue est par conséquent nécessaire pour déclencher les mesures de protection du mineur, lorsqu’il est confronté à une telle situation.
Je ne suis donc pas favorable à l’amendement n° 156 de Mme Benbassa, parce que son adoption nous priverait de la possibilité de protéger un mineur rapidement et efficacement, dès lors qu’il s’est trouvé engagé dans des opérations à caractère terroriste, soit parce qu’il a été victime d’un endoctrinement sectaire, soit parce que ses parents l’ont obligé à se rendre sur le théâtre des opérations.
Dans le même temps, je partage tout à fait le sentiment que la mesure qui s’applique aux mineurs ne peut pas être la même que celle qui s’applique aux majeurs. C’est la raison pour laquelle, dans l’esprit que je viens d’indiquer, nous proposons une autorisation expresse du procureur de la République.
Pour toutes ces raisons, qui tiennent à notre volonté de protéger ces mineurs, je ne suis pas favorable à l’amendement tendant à supprimer complètement la retenue pour les mineurs. Il en est de même pour les amendements n° 124 et 125, car, s’ils étaient adoptés, ces mineurs se retrouveraient exposés, sans que l’État puisse les protéger.
Je veux bien admettre les explications données par M. le ministre de l’intérieur sur notre amendement relatif à la retenue des mineurs de moins de seize ans. Mais il n’a pas apporté de réponse au sujet de l’administrateur ad hoc, qui pose, à mon avis, un véritable problème technique. Trouver une telle personne dans le délai de quatre heures va être relativement compliqué, ce qui peut susciter, ensuite, des difficultés si jamais le mineur est gardé à vue et que l’administrateur n’est pas arrivé en temps utile. Je suis très étonné que M. le ministre n’ait pas formulé d’observations sur ce point.
Je comprends les précautions que veut prendre M. le rapporteur, mais techniquement, sur le terrain, je ne vois pas comment on arrivera à suivre la procédure, sauf à prolonger la rétention du mineur pour trouver l’administrateur ad hoc.
Veuillez m’excuser de ne pas avoir été complet, monsieur le sénateur. Je ne suis favorable ni à la suppression de la possibilité de retenue ni à la diminution de la durée de la mesure.
Je perçois tout à fait l’incohérence mise en avant par le sénateur Richard précédemment. Je considère que cette retenue est importante, comme l’est la durée de quatre heures. D’une part, la garantie du dispositif réside dans l’autorisation expresse donnée par le procureur de la République. D’autre part, la retenue de quatre heures, nécessaire pour procéder aux vérifications, peut être la condition de la mise en protection du mineur.
Alain Richard disait tout à l’heure que, à partir du moment où l’on considère que cette retenue est importante, il n’y a pas de raison d’en diminuer la durée. J’adhère parfaitement à cet argument.
Dès lors que nous sommes favorables à cette retenue et que l’objectif du Gouvernement est la mise sous protection du mineur victime d’un endoctrinement sectaire, la durée de quatre heures doit s’apprécier à l’aune de cet objectif.
En ce qui concerne l’administrateur ad hoc, la mesure sera difficile à mettre en œuvre d’un point de vue opérationnel. Dans la plupart des cas, nous n’y arriverons pas. On peut considérer soit qu’il faut inscrire dans le texte cette garantie supplémentaire, tout en sachant que l’objectif sera difficilement atteint pour des raisons pratiques, soit qu’il ne faut pas y faire figurer des dispositions dont on sait qu’elles peuvent être inopérantes, ce qui est plutôt notre position.
Mais il n’y a aucun dogmatisme en l’espèce et je m’en remets à la sagesse du Parlement.
Je remercie le ministre des explications qu’il vient de nous donner. Pour résumer l’état de nos discussions, je crois que, mis à part l’amendement de Mme Benbassa visant à supprimer la retenue pour les mineurs, il existe un accord pour faire en sorte que les mineurs puissent effectivement faire l’objet d’une retenue. En effet, de nombreux mineurs – le ministre a rappelé les chiffres – participent à des opérations terroristes. Nous devons pouvoir à la fois les contrôler et les protéger.
La commission des lois a été très attentive à bâtir un régime spécial de protection pour les mineurs. Le Gouvernement a participé à ces travaux. Il faut, par exemple, l’autorisation expresse du procureur de la République et l’assistance d’un administrateur ad hoc, en cas d’absence de représentant légal.
La seule question restante, et qui peut temporairement nous séparer, est celle de la durée de la retenue : nous avons prévu un délai de deux heures, quand le ministre estime que quatre sont nécessaires. Nous nous rejoignons toutefois sur le fait d’inclure tous les mineurs, sans distinction d’âge.
Pour avancer vers un vote qui pourrait rassembler une grande majorité des sénateurs, je suis prêt, monsieur le ministre, à la lumière de vos explications et en accord avec M. le président de la commission des lois, à modifier la durée de la retenue pour les mineurs et à revenir à quatre heures.
Je suis extrêmement sensible à la position de M. le rapporteur qui est le résultat d’un cheminement conjoint. La commission des lois du Sénat a réalisé un énorme travail sur ce texte et a contribué, comme la Haute Assemblée en général, à l’améliorer. Nous cheminons ensemble !
Finalement, trois questions se posent.
Est-ce que nous supprimons la retenue pour les mineurs ? Je n’y suis pas favorable, pour les raisons que j’ai indiquées.
Dès lors que l’on retient cette mesure, faut-il prévoir une durée de deux ou de quatre heures ? J’ai expliqué pourquoi j’ai proposé quatre heures.
Enfin, l’assistance d’un administrateur ad hoc est-elle nécessaire ? J’y suis défavorable, car cette mesure sera très difficile à mettre en œuvre. Si elle est adoptée à la suite de la proposition du Sénat, les conditions de sa mise en œuvre seront un véritable nid à contentieux, lorsqu’un mineur en retenue verra sa situation judiciarisée. Je ne le souhaite pas.
C’est la raison pour laquelle il me semble que la solution la plus sage est d’accepter la retenue de quatre heures avec une garantie forte – l’autorisation expresse du procureur de la République – et sans l’assistance de l’administrateur ad hoc, pour les raisons que je viens d’exposer.
Je suis particulièrement convaincu par l’évolution de la commission des lois, que nous avions déjà sentie ce matin, et très sensible aux arguments de M. le ministre.
La discussion sur la retenue de quatre heures n’est pas du tout de même nature selon que l’on a affaire à un majeur ou à un mineur. Je suis pour ma part beaucoup plus rassuré lorsque celle-ci concerne les mineurs, puisque c’est pendant cette période-là que l’on peut non seulement, éventuellement, prévenir une opération terroriste, mais surtout préserver le mineur, qui, par définition ou par essence, n’a pas une capacité intellectuelle équivalant à celle d’un adulte.
À voir comment des mineurs de moins de seize ans, voire de moins de quinze ans, peuvent être utilisés dans des attentats kamikazes, en Afrique notamment – M. le ministre pourra me contredire, mais j’en serais étonné –, je me dis au contraire que la mesure proposée par le Gouvernement, telle qu’elle vient d’être expliquée et adoptée par la commission, mérite d’être votée.
La modification que vient d’annoncer M. le rapporteur me convient tout à fait. Un délai de quatre heures pour tout le monde me paraît logique, une vérification prenant le même temps, qu’elle concerne un adulte ou un mineur. Cette mesure tend donc à sécuriser complètement une procédure nécessaire, tout en nous permettant de défendre aussi les enfants contre eux-mêmes. C’est donc une très bonne chose.
Cependant, je me demande ce qu’il va advenir de l’amendement n° 62 rectifié, qui a été largement cosigné, et qui tend également à prévoir un délai de quatre heures pour tout le monde : la parole du rapporteur règle-t-elle le débat ou cet amendement va-t-il venir en discussion ?
Il est bien certain que, si les amendements dont nous discutons actuellement sont rectifiés dans le sens que j’ai préconisé, l’amendement n° 62 rectifié n’aura plus d’objet, mais je vous laisse bien volontiers, en signe de respect, la paternité de cette mesure, puisqu’elle correspond à ce que nous voulons faire.
Si M. Grand en est d’accord, il peut se joindre à nous pour supprimer les deux dernières phrases de l’alinéa 14.
Monsieur le rapporteur, pour plus de clarté, il conviendrait de respecter l’ordre de discussion des amendements prévu par le dérouleur de séance.
En tout état de cause, nous prenons l’engagement devant le Sénat de corriger la durée de retenue pour les mineurs au moment où l’amendement de M. Grand viendra en discussion.
Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de quelques instants afin que nous puissions nous accorder avec la commission.
Je donne la parole à M. Gérard Roche, pour une explication de vote, puis je suspendrai la séance quelques instants, monsieur le ministre.
Vous avez la parole, mon cher collègue.
Je voudrais faire une remarque d’ordre général pour tous les débats relatifs à ce projet de loi.
Face à la violence des attaques, nous pourrions être en état de guerre. Or notre République, dans sa grandeur, a décidé de rester un État de droit. Néanmoins, vu le contexte, il faut que celui-ci s’adapte pour défendre les citoyens. Tout en respectant l’État de droit, nous devons prendre des mesures efficaces contre la brutalité de l’agression que nous subissons, au niveau tant national et qu’international.
Je veux donc rendre hommage à tout le travail accompli pour que cet État de droit reste ferme, même si certaines décisions peuvent choquer et pourraient paraître exagérées dans une autre situation. Dans la période actuelle, il faut vraiment défendre nos droits.
Cela dit, nous devons convenir que les mineurs peuvent aussi être des terroristes, ces derniers étant « formés » de plus en plus jeunes. Nous pouvons le regretter, mais c’est ainsi. La solution retenue me semble donc à la fois sage et courageuse.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n’est pas adopté.
Je suis saisi d’un amendement n° 125 rectifié, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et Sueur, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Alinéa 13, deuxième phrase
Après le mot :
légal
rédiger ainsi la fin de cette phrase :
, sauf impossibilité dûment justifiée.
La parole est à M. Jacques Bigot.
La rédaction initiale de notre amendement présentait un inconvénient. Nous ne pouvons supprimer entièrement la deuxième phrase de l’alinéa 13, qui doit être ainsi rédigée : « Le mineur doit être assisté de son représentant légal, sauf impossibilité dûment justifiée. »
Il faut éviter que l’on reproche postérieurement aux forces de l’ordre de ne pas avoir contacté le représentant légal.
L’amendement est adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 200 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 3
I. – Remplacer les mots :
lorsque ce contrôle ou cette vérification révèle qu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement peut être lié à des activités à caractère terroriste
par les mots :
lorsque la consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés par officier de police judiciaire et selon les règles propres à chacun de ces traitements, révèle qu’elle fait l’objet d’une fiche dite “S” dans le fichier des personnes recherchées
II. – Supprimer les mots :
de consulter les traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, selon les règles propres à chacun de ces traitements, et
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
Il s’agit d’une tentative pour concilier deux objectifs : prévenir les actes de terrorisme tout en nous abstenant d’adopter une « loi des suspects », ce qui arriverait si nous retenions une définition tellement large du suspect que tout le monde pourrait, selon l’humeur de celui qui effectue le contrôle, se trouver impliqué.
Pour reprendre l’expression employée par Alain Richard tout à l’heure, nous visons des situations caractérisées par un risque. Il ne s’agit pas de contrôles impromptus destinés à satisfaire la curiosité des forces de l’ordre : si ces contrôles sont mis en place, c’est parce qu’un risque existe véritablement.
Deux situations peuvent alors se présenter.
D’une part, on constate effectivement une infraction au moment du contrôle. Reprenons l’exemple donné par M. le ministre : si l’on a affaire à une personne en possession d’un faux passeport, il peut paraître justifié d’y regarder de plus près, mais nous disposons déjà des outils, cette personne pouvant être mise en garde à vue.
Je le répète, ce n’est pas moi qui ai pris cet exemple.
D’autre part, et c’est l’objet principal de cet article, se présente le cas de tous ceux pour lesquels on ne sait rien. Pour ceux-là, nous proposons de recourir au fichier S, qui permet d’avoir des renseignements plus consistants que des suspicions « à la tête du client ».
Selon nous, les officiers de police judiciaire, qui seront certainement présents dans de telles situations, par définition assez difficiles, doivent pouvoir consulter le fichier S et prendre le temps d’analyser si la personne contrôlée, qui a peut-être des choses à se reprocher, présente un profil peu dangereux ou pourrait être un « client » de grosse stature.
Tel est l’objet d’une formulation par laquelle nous essayons, peut-être maladroitement, de concilier les exigences que j’ai rappelées et de donner un caractère assez objectif à la retenue, tout en maintenant la possibilité de la décider.
L’amendement n° 191 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
révèle
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
un ensemble d’éléments de nature à constituer un faisceau d’indices suffisant pour présumer l’existence d’un lien entre les agissements de cette personne et des activités à caractère terroriste, peut faire l’objet d’une retenue sur place ou dans le local de police pour une vérification de sa situation par un officier de police judiciaire. Cette retenue a nécessairement pour objectif de permettre la consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, selon les règles propres à chacun de ces traitements, et, le cas échéant, d’interroger les services à l’origine du signalement de l’intéressé ainsi que des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Pierre-Yves Collombat et moi-même avons beaucoup travaillé, mais dans la solitude, puisque ce texte est le fruit d’une coproduction du Gouvernement et de l’exécutif de la commission des lois.
Rires au banc des commission s .
Manifestement, notre réflexion intéresse peu les auteurs de cette coproduction… Et pourtant, il serait bon que nous soyons au moins un tout petit peu entendus, ce qui n’est manifestement pas le cas quand le président et le rapporteur de la commission, ainsi que M. le ministre, refusent de répondre à nos questions.
D’ailleurs, je pensais que le texte était tellement bien « ficelé » qu’il n’y avait plus rien à toucher. Or vous venez de demander une suspension de séance pour en améliorer la rédaction en coproduction, ce qui prouve que c’est encore possible…
Sourires.
C’est ce que nous nous efforçons en tout cas de faire avec cet amendement n° 191 rectifié, qui a pour objet de remplacer l’expression « des raisons sérieuses de penser », qui pose problème à de nombreuses analystes, par la suivante : « un ensemble d’éléments de nature à constituer un faisceau d’indices suffisant pour présumer l’existence d’un lien entre les agissements de cette personne et des activités à caractère terroriste ».
Juridiquement, il s’agirait quand même d’une amélioration par rapport à la formulation initiale.
Voilà ce que nous avons pensé dans notre solitude. Nous soumettons cette proposition à votre sollicitude et, surtout, à votre sagesse.
Je veux dire à MM. Collombat et Mézard que nous avons essayé de mener les mêmes recherches qu’eux…
M. Michel Le Scouarnec s’esclaffe.
Nous devons y arriver ensemble !
Il est bien certain que la retenue ne va pas concerner toutes les personnes qui font l’objet d’un contrôle ou d’une vérification d’identité. Il faudra qu’un élément déclenche cette décision.
À cet instant, je vous rappelle que tous les propos que nous tenons seront publiés au compte rendu intégral des débats, ce qui éclairera éventuellement le Conseil constitutionnel, mais surtout les magistrats qui auront à appliquer ces décisions.
De quoi s’agit-il ? L’inscription au fichier des personnes recherchées sera bien évidemment l’élément le plus simple et le plus habituellement utilisé pour déclencher la retenue.
Si nous ne l’écrivons pas, c’est pour ne pas lier les deux et pour laisser une marge d’appréciation aux officiers de police judiciaire, lesquels pourront disposer d’éléments, que nous ne connaissons pas, pouvant justifier cette retenue de quatre heures.
Monsieur Collombat, monsieur Mézard, même si vous semblez en douter, ce qui déclenchera normalement la retenue, ce sera l’inscription sur le fichier des personnes recherchées. Il peut toutefois exister des éléments autres que le fichier – une attitude, par exemple – qui fonderont ces « raisons sérieuses de penser ».
Je n’éprouve donc aucune crainte de ce point de vue et M. Mézard, grand connaisseur de la jurisprudence des tribunaux de l’ordre judiciaire, sait parfaitement que la formule retenue par la commission est encadrée par ces derniers, qui n’abandonnent pas complètement les choses à la décision non fondée d’un officier de police judiciaire !
Je rappelle, en outre, que la retenue pour vérification de situation est placée sous le contrôle du procureur de la République, qui est en mesure d’y mettre fin à tout moment si les choses se passent mal. Il faut donc voir dans cette judiciarisation un vrai contrôle et une réelle garantie.
Au bénéfice de ces observations, il me semble que MM. Mézard et Collombat pourraient retirer leurs amendements. Les explications que je viens de leur donner montrent qu’ils ont été compris. Ils le seront d’autant mieux s’ils acceptent de laisser aux forces de police, sous le contrôle du procureur de la République, une latitude d’action qui est tout à fait nécessaire s’agissant d’actes de terrorisme.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Mézard, monsieur Collombat, je vais faire abstraction de la commission des lois, oubliant ses arguments, pour raisonner avec vous seuls et dissiper ainsi ce sentiment de solitude qui semble vous tarauder profondément !
Sourires.
Je vous propose plusieurs éléments de réponse.
Il me semble d’abord que vos deux amendements sont fondés sur la crainte que la rédaction retenue par le Gouvernement ne soit trop imprécise et trop aléatoire pour permettre une application de la retenue qui évite des mesures arbitraires ou discriminantes.
Or la formulation que nous avons retenue est précisément celle qui a été utilisée dans le cadre de textes précédents – je pense notamment à la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. Cette formulation, le Conseil constitutionnel l’a reconnue et validée, estimant qu’elle permet de définir parfaitement le périmètre de notre intervention. Cette validation par le Conseil constitutionnel est donc une garantie que le risque que vous redoutez ne se réalisera pas.
Je veux ensuite attirer votre attention sur le fait que tous ceux que nous sommes susceptibles de retenir ne sont pas tous fichés S.
Prenons le cas d’un individu terroriste qui n’est pas de nationalité française et dont nous ignorons qu’il est parti sur le théâtre des opérations en Syrie, par exemple. Nous le retenons alors qu’il n’est pas fiché S, mais parce qu’il est fiché par un autre service étranger – cette situation peut tout à fait se produire dans le contexte particulier auquel nous sommes confrontés. Nous interrogeons le service étranger en question au moment de la retenue pour connaître les caractéristiques exactes de cet individu. Eh bien, avec la rédaction que vous proposez, nous ne pourrions plus le faire ! La seule retenue à laquelle nous pourrions procéder concernerait des personnes de nationalité française, fichées S ou figurant au fichier des personnes recherchées.
C’est au nom de ces considérations concrètes et en me situant sur le plan opérationnel que je ne peux pas émettre un avis favorable sur ces amendements. Nous ne pouvons pas ne retenir que des citoyens de nationalité française ! Les événements du 13 novembre l’ont montré, les terroristes envoient sur le territoire national des individus non fichés par nos propres services, parce qu’ils trouvent beaucoup plus facile de nous atteindre ainsi.
Fort de ces explications et en vertu de ces raisons opérationnelles, je vous demande, messieurs les sénateurs, d’accepter de retirer ces deux amendements.
Je ne peux pas suivre le raisonnement de M. le ministre.
D’abord, je ne suis guère sensible – vous voudrez bien m’en excuser ! – à l’argument selon lequel la formulation a été validée par le Conseil constitutionnel !
Ensuite, je reconnais qu’il y a un risque supplémentaire. Mais c’est toute la difficulté de l’exercice de la prévention en démocratie ! Il vient un moment où il faut arrêter le curseur et se garder d’aller trop loin, sauf à agir, de toute façon, en pure perte, car il y aura toujours quelque chose qui échappera à notre vigilance.
Il n’y a pas trente-six solutions. Si l’individu présente un certain nombre d’indications très précises révélatrices d’un délit – faux papiers, par exemple, ou autre chose –, si la situation est suffisamment sérieuse, la procédure ordinaire permet, me semble-t-il, de placer l’individu en garde à vue.
En revanche, pour tout ce qui concerne la suspicion, d’après ce que je sais – peut-être l’infirmerez-vous – le fichier S est quand même déjà très large. On nous a parlé de tel ou tel individu qui, bien que figurant au fichier S, n’avait jamais fait l’objet de la moindre demande !
Ce que je veux dire, c’est qu’il vient un moment où il faut arrêter le curseur. Et ce que nous proposons nous semble sinon la bonne solution, en tout cas la moins mauvaise.
Comment le procureur de la République, qui n’est ni omniscient ni doué d’ubiquité, pourrait-il exercer un véritable contrôle sur les mesures de retenue administrative ? C’est évidemment impossible !
Telles sont les raisons pour lesquelles je maintiens l’amendement n° 200 rectifié.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n’est pas adopté.
L’amendement n° 168 rectifié, présenté par Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux, M. Dantec, Mme Archimbaud et MM. Gattolin et Labbé, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
La personne faisant l’objet de cette retenue doit toutefois pouvoir être assistée d’un avocat.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
L’amendement n° 168 rectifié est retiré.
L’amendement n° 199 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Barbier, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
le procureur de la République
par les mots :
juge des libertés et de la détention
La parole est à M. Jacques Mézard.
Par cet amendement, nous souhaitons substituer, dans l’alinéa 5 de l’article 18, le juge des libertés et de la détention au procureur de la République. En effet, nous n’avons pas terminé le débat sur les définitions respectives d’une mesure « restrictive » de liberté et d’une mesure « privative » de liberté. Sur ce point, je reconnais toute l’intelligence de nos hauts magistrats – sans préciser lesquels ! – qui parviennent à établir une différence entre une mesure « restrictive » de liberté et une mesure « privative » de liberté. Nous atteignons là l’un des sommets du débat !
En tout cas, lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de retenue de quatre heures, que cette dernière relève de la « restriction » ou de la « privation » de liberté, je pense que celui qui est le mieux à même d’exercer un contrôle n’est pas le procureur de la République. En effet, dans le système actuel – et tant qu’il n’y aura pas de révision constitutionnelle sur ce point – le procureur de la République est nommé par le pouvoir exécutif dont il dépend – ce qui n’est d’ailleurs pas forcément une critique de ma part, faute de savoir si l’autre solution sera meilleure.
Quoi qu’il en soit, je pense qu’il serait opportun de donner la possibilité du contrôle de cette mesure au juge des libertés et de la détention plutôt qu’au procureur de la République.
Il serait bon qu’un débat sur le juge des libertés, notamment sur la collégialité de cette instance, ait rapidement lieu. Outre que l’importance du sujet justifie l’ouverture d’une réflexion, cela témoignerait d’un effort du Gouvernement pour faire passer la pilule de cet article 18 !
Je comprends bien l’objectif de M. Mézard et je le rejoins pour considérer qu’il est maintenant largement temps de travailler sur le statut du juge des libertés et de la détention, actuellement assez flou, et auquel ce texte va confier des rôles importants. Il nous faut véritablement entreprendre un travail pour mettre au point une loi organique organisant son statut.
Toutefois, l’article dont nous discutons est relatif aux contrôles d’identité. Je rappelle que l’article 78-1 du code de procédure pénale dispose que « l’application des règles prévues par le présent chapitre est soumise au contrôle des autorités judiciaires mentionnées aux articles 12 et 13 », à savoir le procureur de la République et le procureur général de la République.
Je ne pense pas que l’on puisse, à l’occasion de l’examen de ce texte, modifier de A à Z le régime juridique des contrôles ou des vérifications d’identité – cela demanderait un peu de temps !
Bien sûr que vous les connaissez !
De plus, je veux rappeler que l’autorité judiciaire est naturellement compétente pour apprécier la légalité de ces mesures. Une décision du Conseil constitutionnel du 5 août 1993 a rappelé qu’il revient au tribunal pénal d’apprécier, si besoin est, la légalité des opérations.
L’amendement n’est pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 89 rectifié, présenté par MM. Karoutchi et Cambon, Mme Duchêne, MM. Bizet, Cantegrit, Bouchet, Savin, Joyandet, Milon, Danesi, Dufaut et Mouiller, Mme Estrosi Sassone, M. Laménie, Mmes Lopez et Deromedi, MM. Chaize et Pellevat, Mme Hummel, MM. D. Laurent et Gilles, Mme Micouleau, MM. P. Dominati et G. Bailly, Mme Procaccia, MM. Morisset, de Raincourt et Laufoaulu, Mme Duranton, MM. Charon, Masclet et Savary, Mme Giudicelli, MM. Mandelli, Gremillet, Pierre, Mayet, Chasseing, Lefèvre et Pointereau, Mme Mélot et MM. Houel et Husson, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 4° Du fait qu’elle bénéficie du droit de faire prévenir par l’officier de police judiciaire toute personne de son choix ainsi que son employeur.
La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne.
La possibilité pour la personne retenue de prévenir la personne de son choix et son employeur paraît nécessaire au titre des garanties encadrant une privation de liberté, même de très courte durée.
Elle existe pour la vérification d’identité de l’article 78-3 du code de procédure pénale, dont le présent article s’est initialement inspiré. Elle existe également pour la garde à vue prévue à l’article 63-2 du code de procédure pénale, la rétention pour vérification de situation de la personne placée sous contrôle judiciaire – prévue à l’article 141-4 du même code – ou faisant l’objet d’un mandat – définie par les articles 133-1 et 135-2 dudit code.
Cependant, le droit de prévenir une personne de son choix doit être adapté à l’objet de cette nouvelle procédure de vérification dont la mise en œuvre est fondée sur une présomption de comportements liés à des activités terroristes.
Dès lors, la possibilité qui serait offerte à la personne retenue de pouvoir joindre elle-même une personne de son choix présenterait le risque majeur de diffusion d’informations auprès du réseau auquel elle est susceptible d’appartenir et de rendre ainsi inefficace cette mesure administrative en entravant les capacités d’actions des services de renseignements.
Aussi, il est indispensable de remplacer le droit d’information directe par un droit d’information indirecte, par l’intermédiaire de l’officier de police judiciaire, afin de garantir l’efficacité opérationnelle de cette mesure dans le contexte d’extrême menace auquel notre territoire est exposé. L’officier de police judiciaire pourra ainsi apprécier, sous le contrôle du procureur de la République, si les nécessités mêmes de la retenue doivent conduire à refuser de faire droit à la demande d’aviser la personne désignée par l’intéressé.
L’amendement n° 189 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 4° Du fait qu’elle bénéficie du droit de prévenir toute personne de son choix et son employeur, et d’être assistée d’un avocat.
La parole est à M. Jacques Mézard.
Nous sommes là aussi au cœur du débat. La situation, telle qu’elle se dessine, est assez surréaliste ! Il est prévu d’instaurer une retenue de quatre heures pour permettre à l’autorité administrative, sous contrôle de l’autorité judiciaire, de procéder à un certain nombre d’investigations. L’alinéa 10 de l’article 18 donne la possibilité à la personne retenue – il était difficile de faire autrement ! – de prévenir toute personne de son choix et son employeur.
Imaginez un terroriste – un vrai ! – qui est l’objet de cette retenue : il va avoir la possibilité de prévenir toute personne de son choix qu’on est en train de vérifier son identité. La chose est déjà assez originale !
En même temps, à partir du moment où il s’agit d’une mesure restrictive de liberté – ou privative, selon le cas – il est bien évident qu’il faut donner des droits à la personne retenue. Là réside toute l’ambiguïté du système.
Aux termes de l’amendement précédent, la personne retenue ne peut pas prévenir elle-même, mais doit passer par le canal de l’officier de police judiciaire. Nous y ajoutons la possibilité d’être assisté d’un avocat.
On peut considérer que c’est absurde. J’ai vécu – nous avons tous vécu ici – le même débat sur la garde à vue. On trouvait, du côté gauche de l’hémicycle, ceux qui, en harmonie avec nous, tenaient les mêmes discours que celui que je tiens aujourd’hui et qui seront peut-être à nouveau les leurs ultérieurement…
Ce point est important, puisqu’il constitue l’une des garanties fortes accordées par le projet de loi aux personnes placées en retenue.
Nous sommes en présence de deux propositions. La première, qui a été défendue par Mme Duchêne, prévoit que l’officier de police judiciaire informe, pour le compte de la personne retenue, son employeur et toute personne de son choix. Un verrou est posé : la personne retenue ne pourra en aucun cas passer l’appel elle-même et devra toujours passer par l’officier de police judiciaire.
La seconde proposition, défendue par M. Mézard, prévoit que la personne placée en retenue pourra appeler une personne de son choix et qu’elle aura, de toute façon, également le droit d’être assistée d’un avocat.
Je veux rappeler la position prise par la commission des lois, ce qui me permettra d’expliquer les raisons pour lesquelles j’émets un avis défavorable sur les deux amendements.
Pour la commission, il faut naturellement que la personne placée en retenue puisse avertir la personne de son choix et son employeur. En revanche, il faut faire attention et se prémunir contre le risque que la personne placée en retenue n’utilise, en appelant un complice potentiel pour lui annoncer qu’elle est placée en retenue, un code qui mettrait à ce dernier la puce à l’oreille. Et le fait que cette personne soit appelée par un officier de police judiciaire ne change rien à l’affaire !
Imaginons qu’un officier de police judiciaire appelle, par exemple, M. Collombat – il sera sans doute très souvent sollicité ! §Plus sérieusement, l’appel à une personne choisie par la personne placée en retenue, s’il émane d’un officier de police judiciaire, sera aussi une alerte si la personne retenue est un terroriste potentiel.
Quel est donc le dispositif retenu par la commission ?
Examinons tout d’abord le cas où la retenue ne démontre pas une grande dangerosité de la personne en cause. Celle-ci pourra alors elle-même appeler son employeur ; cela est préférable à un appel effectué par l’officier de police judiciaire, qui pourrait conduire à la perte de l’emploi en question, conséquence somme toute indésirable. La personne retenue pourra également, si elle le veut, appeler un membre de sa famille.
J’en viens désormais à l’autre possibilité, devançant ainsi l’argument que m’opposera à n’en pas douter M. Mézard. Si donc les vérifications administratives effectuées par l’officier de police judiciaire démontrent que la personne retenue est potentiellement dangereuse, un délai de deux heures est institué pendant lequel l’officier de police judiciaire peut et doit consulter le procureur de la République. Au vu des éléments fournis par l’officier et des explications présentées par la personne retenue, le procureur peut défendre à cette dernière d’avertir son employeur ou la personne de son choix.
J’estime donc que le système que nous avons mis en place non seulement préserve les droits de la personne retenue, mais évite aussi toute déclaration de complicité et toute possibilité d’éveiller les soupçons de complices, tout cela sous le contrôle du procureur de la République.
C’est la raison pour laquelle je vous demande, ma chère collègue, de retirer votre amendement, dont la rédaction est trop absolue ; faute de retrait, l’avis de la commission serait défavorable.
Votre amendement, monsieur Mézard, tendrait quant à lui à faire se déplacer un avocat alors même qu’aucune audition n’est prévue et qu’on a déjà beaucoup de peine à les faire venir pour les gardes à vue.
Il serait donc extrêmement bienvenu que vous retiriez, vous aussi, votre amendement, sans quoi l’avis de la commission serait, là encore, défavorable.
Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 89 rectifié de M. Karoutchi, qui vise à remplacer le droit d’information directe par un droit d’information indirecte, effectuée par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire.
Il paraît en effet indispensable d’encadrer davantage ce droit de la personne retenue d’avertir une personne de son choix afin de maîtriser le risque de diffusion d’informations.
Pour cette raison de bon sens, le Gouvernement s’est montré favorable à un amendement déposé par M. Karoutchi, fait somme toute fort rare ! §Je regrette qu’il ne soit pas présent à l’instant dans cet hémicycle pour l’entendre : je compte sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour lui transmettre cet avis.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Surtout, qu’il n’en déduise pas que, pour que ses amendements soient adoptés, il suffit qu’il ne soit pas présent : cela ne marcherait pas systématiquement !
Nouveaux sourires.
Plus sérieusement, il est également important de rappeler que, si cet amendement était adopté, l’officier de police judiciaire pourrait apprécier, sous le contrôle du procureur de la République, si les nécessités de la retenue doivent conduire à refuser de faire droit à la demande d’aviser la personne désignée par l’intéressé. Cet élément important de garantie justifie lui aussi l’adoption de cet amendement.
En revanche, à mon grand regret, je suis défavorable à l’amendement n° 189 rectifié de M. Mézard pour toutes les raisons évoquées par M. le rapporteur, sur lesquelles je ne reviendrai pas compte tenu de la qualité des relations d’amitié qui me lient à M. Mézard.
Mêmes mouvements.
Pour ma part, monsieur le ministre, je suivrai l’avis de M. le rapporteur.
En effet, le dispositif créé par cet article est extrêmement délicat : nous devons donc nous munir de précautions.
Il en va ainsi de la possibilité offerte à la personne retenue de prévenir elle-même son employeur : cette personne, lors de la retenue, n’est présumée coupable d’aucune infraction. Si tel était le cas, il faudrait qu’elle soit immédiatement mise en garde à vue et qu’elle puisse ainsi bénéficier des protections offertes par ce statut et, notamment, de la présence d’un avocat.
Dans ce régime de retenue pour vérification, au contraire, aucun avocat n’est nécessaire. En effet, la personne n’est pas entendue : aucun rapport n’est établi, on ne fait alors que contrôler les informations disponibles à son sujet. Ce n’est qu’une fois ce contrôle effectué que, éventuellement, des mesures de garde à vue peuvent être prises au vu des informations récoltées.
Dès lors, il faut tout de même admettre que, durant ce contrôle, la personne retenue puisse elle-même prévenir des tiers et, en particulier, son employeur, quitte à ce que ce soit sous le contrôle de l’officier de police judiciaire. Cela permettrait d’éviter que l’employeur ne se pose des questions sur son salarié, ce qui pourrait avoir de réelles conséquences pour ce dernier.
Voilà pourquoi j’estime que la rédaction issue des travaux de la commission est ici la meilleure : je voterai par conséquent contre l’amendement n° 89 rectifié.
Je tiens à attirer l’attention de nos collègues sur le caractère quelque peu paradoxal du raisonnement qui est tenu. À en croire certains orateurs, c’est parce que la personne retenue ne fait pas l’objet de réels soupçons qu’elle ne saurait se voir offrir de garanties ; en revanche, si des soupçons sérieux pesaient sur elle, elle pourrait alors bénéficier d’un avocat ! Ce raisonnement est tout de même assez curieux !
Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l’amendement.
L’amendement n° 97 rectifié bis, présenté par Mmes S. Robert, Bonnefoy et Lienemann et MM. Patriat et Leconte, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Si l’officier de police judiciaire a des raisons sérieuses de penser que la communication avec la personne choisie ou l’employeur peut avoir des conséquences de nature à porter atteinte à l’ordre public ou aux intérêts fondamentaux de la Nation, il ne fait pas droit à cette demande et en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s’il y a lieu, d’y faire droit.
La parole est à Mme Sylvie Robert.
Cet amendement a pour objet de mieux préciser les motifs pour lesquels l’officier de police judiciaire peut ne pas faire droit à la demande formulée par la personne retenue de communiquer avec un tiers ou son employeur.
La notion de « nécessités liées à la retenue » présente dans la rédaction actuelle de cet alinéa nous apparaît trop vague. Cela est d’autant plus préjudiciable que cette rédaction risque de rendre ce droit totalement ineffectif.
Aux termes de notre amendement, l’officier de police judiciaire ne pourrait fonder son refus que sur des motifs impérieux, en l’occurrence la sauvegarde de l’ordre public ou des intérêts fondamentaux de la Nation.
En d’autres termes, nous entendons substituer à la notion de « nécessités liées à la retenue » des motifs impérieux et précis, susceptibles de légitimer l’impossibilité de donner suite à ce droit de la personne retenue.
Au vu de l’adoption, à l’instant, de l’amendement n° 89 rectifié, l’avis de la commission est défavorable.
L’amendement n’est pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 169 rectifié, présenté par Mmes Aïchi, Benbassa, Blandin et Bouchoux, M. Dantec, Mme Archimbaud et MM. Gattolin et Labbé, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 190 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« 5° De son droit à garder le silence.
La parole est à M. Jacques Mézard.
Cet amendement vise à ce que soit notifié à la personne retenue dans le cadre du dispositif prévu à cet article son droit à garder le silence.
On nous affirme que cette retenue ne pourra donner lieu à audition. J’ai pourtant déjà soulevé les difficultés techniques que cette interdiction suscitera sur le terrain. En effet, il existe des gens qui parlent alors même qu’on leur demande de se taire : cela est tout aussi vrai pour les interrogateurs que pour ceux qui sont censés répondre aux questions !
Je juge nécessaire de notifier très clairement à la personne retenue qu’elle a le droit de ne rien dire. En effet, dans l’état actuel de la rédaction de ce texte, ne pas le faire donnerait lieu ultérieurement à des problèmes de procédure.
L’amendement n° 190 rectifié bis de M. Mézard est très bon : la commission a donc émis à son sujet un avis favorable.
À mon grand regret, je dois dire que cet amendement pose un problème, monsieur Mézard.
Le régime de la retenue pour vérification de situation créé par cet article est calqué sur celui de la retenue aux fins de vérification d’identité prévu à l’article 78–3 du code de procédure pénale. Il s’agit d’une mesure de vérification et non pas d’un nouveau régime d’audition libre ou de garde à vue.
Par conséquent, pour des raisons de droit, il n’y a pas lieu de notifier un droit à garder le silence à une personne retenue dans ce cadre, car elle n’a pas vocation à être interrogée.
Il est par ailleurs expressément prévu que la retenue ne peut donner lieu à audition. Aux termes de la rédaction retenue par la commission des lois, la personne retenue est d’ailleurs précisément informée de ce fait.
Par conséquent, votre amendement est satisfait par les dispositions que nous avons d’ores et déjà arrêtées. Voilà pourquoi, monsieur Mézard, je vous demande de le retirer.
Je ne retirerai pas cet amendement. En effet, il y a là un véritable problème ; je crois par ailleurs que les procédures sont d’autant mieux appliquées qu’elles sont claires.
Notre amendement vise non seulement à assurer le respect des droits de la personne, mais surtout à garantir le principe de loyauté dans le recueil des preuves d’une infraction, principe dont l’importance a encore été soulignée par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mars 2015.
Que se passera-t-il, aux termes de la rédaction actuelle de l’article ? On notifiera à la personne retenue qu’il ne peut pas y avoir lieu à audition ; cela n’est pas la même chose que de lui indiquer qu’elle peut rester silencieuse.
Je persiste à répéter ma question restée sans réponse : que se passera-t-il si la personne parle, ne serait-ce qu’un petit peu, à demi-mot ou à mots couverts ? Que fera-t-on de ces déclarations ?
Dans l’intérêt même de la procédure, il est à mon sens plus sain, conformément aux principes de clarté et de loyauté, de signifier à la personne retenue qu’elle peut garder le silence.
L’amendement est adopté.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 62 rectifié est présenté par MM. Grand, Milon, Lemoyne et Laufoaulu, Mme Imbert, MM. D. Laurent, Danesi, Laménie, Vasselle, Pinton, Gilles, Pellevat et Bouchet, Mme Hummel, M. Chaize, Mme Micouleau, MM. G. Bailly, Charon, Masclet, Savary, B. Fournier, Mandelli, Pierre, Dallier, Revet et Gremillet et Mme Garriaud-Maylam.
L’amendement n° 126 est présenté par MM. Bigot, Richard et Leconte, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 14, deuxième et dernière phrases
Supprimer ces phrases.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour présenter l’amendement n° 62 rectifié.
Le thème de cet amendement a été très largement abordé lors de l’examen d’amendements antérieurs. Par conséquent, je me contenterai de rappeler que nous souhaitons harmoniser la durée de retenue à quatre heures. Que la personne contrôlée soit mineure ou majeure, quatre heures sont nécessaires pour permettre aux forces de l’ordre de procéder aux vérifications requises.
Sans rouvrir le débat sur ce point, je tiens à préciser que, bien évidemment, notre groupe votera contre ces amendements.
Nous avions jugé que la rédaction de la commission améliorait légèrement cet article. L’adoption de ces amendements identiques serait un retour en arrière.
J’ai bien entendu les propos tenus tout à l’heure. Néanmoins, je doute que retenir ainsi des enfants plus longtemps serve à mieux les protéger. Le glissement auquel on assiste ici, qui tend à assimiler le mineur à l’adulte, ne manque pas de m’inquiéter.
Sans prêter au Gouvernement, monsieur le ministre, un quelconque esprit pervers dans ses volontés potentielles de réforme, j’en arrive à me réjouir que nous n’ayons pas encore inscrit à l’ordre du jour la réforme de l’ordonnance de février 1945 relative à l’enfance délinquante. En effet, j’en viens à m’inquiéter très fortement de ce qu’une telle réforme pourrait contenir.
Les amendements sont adoptés.
L’amendement n° 123, présenté par MM. Bigot, Richard, Leconte et Sueur, Mmes Lienemann, S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 18
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … – Une personne ayant déjà fait l’objet d’une telle retenue dans les quatre-vingt-dix jours précédents ne peut être à nouveau retenue. » ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Cet amendement vise à ce qu’une personne ne puisse faire l’objet d’une retenue pour vérification de situation qu’une seule fois dans un intervalle de quatre-vingt-dix jours.
Ce débat a montré que les conditions qui pouvaient conduire à une retenue pour vérification étaient somme toute relativement objectives. Par conséquent, si, à l’occasion d’une vérification d’identité, une personne correspond aux critères qui entraînent une telle retenue, cela devrait logiquement être le cas à chaque nouveau contrôle. Or les vérifications nécessaires auront été effectuées lors du premier contrôle. Il serait dès lors inutile de prévoir leur répétition quasi systématique lors de contrôles ultérieurs.
Voilà pourquoi nous avons déposé cet amendement tendant à restreindre la répétition de ces retenues pour vérification. À nos yeux, quatre-vingt-dix jours constituent un intervalle durant lequel on peut raisonnablement considérer que les vérifications effectuées au cours d’un premier contrôle restent valables et suffisantes.
Les auteurs de cet amendement posent une question importante. Leur idée est toute simple : après qu’une personne a été soumise à une retenue pour vérification, elle ne peut faire l’objet d’une seconde mesure de ce type avant l’expiration d’un délai de quatre-vingt-dix jours.
Néanmoins, il nous faut garder à l’esprit la situation actuelle en matière de terrorisme. On constate que certains jeunes qui, récemment encore, sortaient dans des cafés, riaient et se comportaient en somme comme tous les autres jeunes se sont radicalisés en quelques jours pour devenir des terroristes. Les typologies de ces jeunes terroristes changent très vite !
Trois mois, c’est un délai long, trop long : en trois mois, une personne a le temps de se radicaliser. Voilà pourquoi il me semble inopportun de rendre impossible une nouvelle retenue de ces personnes pendant une durée aussi longue.
Par conséquent, l’avis de la commission sur cet amendement est défavorable.
J’entends votre argument, monsieur le rapporteur. Pour autant, ne pourrait-on pas alors rectifier l’amendement pour modifier le délai qui y est spécifié ? On pourrait ainsi sauvegarder son objet premier, à savoir éviter que chaque contrôle donne lieu à une retenue pour vérification.
Si vous considérez qu’un délai de quatre-vingt-dix jours est trop long, peut-être un délai de vingt ou trente jours serait-il convenable ? Une telle durée me semble pouvoir aussi constituer un gage d’efficacité, en évitant aux forces de police de procéder à des retenues systématiques chaque fois qu’elles tombent sur la même personne. Cela garantirait que ces retenues ne se fassent que pour de bonnes raisons et ne mobilisent pas de manière superflue non seulement des forces de police, mais aussi un procureur.
Par ailleurs, le dispositif créé par cet article restreint tout de même lourdement la liberté d’aller et venir de la personne en cause, surtout si les contrôles sont répétés.
Je peux donc accepter de rectifier l’amendement si le délai qui y est spécifié s’avère trop long. Son adoption permettrait en tout cas d’éviter des dérives tant pour les libertés que pour l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, dérives que rejettent ceux-là mêmes qui appellent de leurs vœux cette mesure.
Sans vouloir faire de mauvais esprit – vous savez bien, mes chers collègues, que ce n’est pas dans mes habitudes ! –, je ne peux que déplorer le caractère ubuesque de ce que nous sommes en train de créer.
Il y a effectivement un problème : si quelqu’un présente régulièrement des signes inquiétants, il risquera d’être contrôlé chaque fois qu’il passera par tel ou tel lieu. Peut-être faudrait-il prévoir de lui délivrer une décharge qu’il pourra présenter pour se justifier ? Soyons sérieux !
Monsieur le ministre, nous sommes tout à fait conscients qu’il faut donner à la police les moyens d’assurer un contrôle approfondi de l’identité dans les conditions que vous avez exposées au début de l’examen de ce texte. Reste que ces conditions doivent être le plus conformes possible aux dispositions de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dès lors qu’il s’agit non d’une garde à vue, mais bien d’une retenue administrative, le risque que des abus surviennent n’est pas négligeable.
Certes, on peut rectifier cet amendement et ramener à trente jours le délai proposé. Si, à l’issue de cette période, la personne en cause a évolué de telle sorte qu’elle est en passe d’intégrer une association de malfaiteurs ou à caractère terroriste, il est possible de la placer en garde à vue et pas seulement de prévoir un approfondissement du contrôle d’identité. N’oublions pas que, si une enquête générale sur le secteur est diligentée, l’article 78-3 du code de procédure pénale permet de retenir la personne pour d’autres motifs.
Des précautions sont donc justifiées et nécessaires. Tel est le sens de cet amendement. S’en débarrasser ne me semble pas une très bonne idée au regard des obligations que peut nous imposer l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’amendement n’est pas adopté.
L’article 18 est adopté.
(Non modifié)
Après l’article 371-5 du code civil, il est inséré un article 371-6 ainsi rédigé :
« Art. 371 -6. – L’enfant ne peut quitter le territoire national sans une autorisation de sortie du territoire signée des titulaires de l’autorité parentale.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article. »
L’amendement n° 265, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Remplacer ces alinéas par trois alinéas ainsi rédigés :
« Art. 371 -6 – I. – Tout mineur français quittant le territoire national sans être accompagné d’un titulaire de l’autorité parentale doit être muni d’un passeport en cours de validité. Lorsqu’il présente un tel document, le mineur est présumé voyager avec l’accord des titulaires de l’autorité parentale.
« Cette disposition ne s’applique pas dans le cadre des voyages scolaires dans le premier et le second degrés.
« II. – Les dispositions du présent article sont applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna. »
La parole est à M. le ministre.
Cet amendement vise à sécuriser le dispositif d’autorisation de sortie du territoire pour les mineurs voté par l’Assemblée nationale, tout en limitant les contraintes administratives pour les familles.
Le régime des autorisations de sortie du territoire, tel qu’il était en vigueur jusqu’en 2013, était largement inefficace. En effet, le modèle d’autorisation délivré par les mairies ne constituait pas un document sécurisé, ce qui diminuait grandement l’intérêt d’un contrôle lors du passage de la frontière par le mineur.
Aussi, plutôt que de faire reposer le dispositif sur une autorisation simplement signée des parents, aisément falsifiable, ou encore de prévoir la délivrance d’un document spécifique attestant de cette autorisation, il est proposé d’utiliser le passeport comme support de l’autorisation de sortie du territoire, hors voyages scolaires. Celui-ci, qui est très sécurisé, constitue d’ores et déjà le document de voyage nécessaire à la plupart des déplacements. Il deviendrait obligatoire pour les mineurs, non accompagnés d’un titulaire de l’autorité parentale, pour tout déplacement en dehors du territoire national.
Qui plus est, ce dispositif ne crée aucune charge nouvelle, que ce soit pour les collectivités territoriales, qui étaient les seules concernées par le dispositif d’autorisation de sortie du territoire en vigueur jusqu’en 2013, ou pour l’État. En particulier, si les mairies n’étaient pas mobilisées pour les autorisations de sortie du territoire, cela signifierait, en l’état du texte, que les deux titulaires de l’autorité parentale devraient se rendre en préfecture pour signer ce document, ce qui serait une contrainte particulièrement lourde pour la plupart des familles, ainsi qu’une charge nouvelle pour les préfectures.
Cet amendement tend également à rendre applicables dans les collectivités régies par le principe de spécialité législative les modifications apportées dans le code civil par cet article.
À l’unanimité – j’insiste sur ce point ! –, l’Assemblée nationale a rétabli l’autorisation parentale de sortie du territoire et c’est une bonne chose. Si nous voulons que la commission mixte paritaire aboutisse, il faut bien tenir compte des votes qui ont eu lieu dans l’autre assemblée…
Sinon, nous n’y arriverons jamais. Sur cet important projet de loi pénale, nous souhaitons un vote transpartisan. Je ne vois donc pas l’intérêt d’aller contre les députés pour une mesure, non seulement qui n’en est pas une, mais qui, de plus, est inconstitutionnelle.
En effet, le code civil ne s’applique pas en Nouvelle-Calédonie. C’est ainsi ; on ne va pas changer la Constitution maintenant.
J’ajoute que, s’il suffit d’avoir un passeport dans sa poche pour quitter le territoire, c’est assez facile : il n’y a qu’à le prendre dans le placard avant de partir ! Ce n’est pas une garantie véritable.
C’est la raison pour laquelle je souhaite que le Gouvernement retire cet amendement et accepte, comme j’invite le Sénat à le faire, le vote de l’Assemblée nationale.
Oui, je le maintiens, monsieur le président.
L’amendement n’est pas adopté.
L’article 18 bis est adopté.
L’article 375-7 du code civil est ainsi modifié :
1°
2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En cas d’urgence, dès lors qu’il existe des éléments sérieux laissant supposer que l’enfant s’apprête à quitter le territoire national dans des conditions qui le mettraient en danger et que l’un des détenteurs au moins de l’autorité parentale ne prend pas de mesure pour l’en protéger, le procureur de la République du lieu où demeure le mineur peut, par décision motivée, interdire la sortie du territoire de l’enfant. Il saisit dans les huit jours le juge compétent pour qu’il maintienne la mesure dans les conditions fixées à l’alinéa précédent ou qu’il en prononce la mainlevée. La décision du procureur de la République fixe la durée de cette interdiction, qui ne peut excéder deux mois. Cette interdiction de sortie du territoire est inscrite au fichier des personnes recherchées. »
L’amendement n° 114, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – L’article 375-5 du code civil est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Il est ajouté un paragraphe ainsi rédigé :
« II. – Le présent article est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna. » ;
II. – Le présent article est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna.
La parole est à M. le ministre.
Je retire cet amendement, monsieur le président !
L’article 18 ter est adopté.
Après l’article 122-4 du code pénal, il est inséré un article 122-4-1 ainsi rédigé :
« Art. 122-4-1. – N’est pas pénalement responsable le fonctionnaire de la police nationale, le militaire de la gendarmerie nationale, le militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 du code de la défense ou l’agent des douanes qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme à l’encontre d’une personne venant de commettre un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtres, dans le but exclusif d’empêcher la réitération imminente de ces actes. »
Est-il possible pour un policier de tirer sur un terroriste qui s’enfuit et se dirige peut-être vers de futures victimes ? En l’état actuel du droit, non ; en tout cas, pas de façon catégorique.
Dans ce contexte, en effet, le policier peut seulement invoquer l’état de nécessité – et non la légitime défense –, lequel exige de multiples conditions et critères jurisprudentiels, très insécurisants pour les forces de l’ordre.
Dans une tuerie du type de celle de Charlie Hebdo, il n’était pas possible aux primo-intervenants d’imaginer que cette action terroriste, qui présentait toutes les caractéristiques d’une action isolée, aurait une suite. Or la fuite des terroristes multiplie à l’extrême les risques de réitération.
Pour interrompre une action terroriste, il peut souvent n’y avoir aucune autre solution que la neutralisation des terroristes. Le cadre juridique de l’utilisation des armes à feu par les policiers n’est pas adapté à cette nouvelle donne.
L’Assemblée nationale a tenté de répondre à cette situation par l’insertion d’un nouvel article L. 434-2 dans le code de la sécurité intérieure, dont la rédaction me paraît, ainsi qu’à beaucoup d’autres, très confuse. En outre, tant pour des raisons de cohérence que des raisons symboliques, je pense que cette disposition devait plutôt être introduite dans le code pénal.
C’est pourquoi j’ai souhaité que le code pénal indique que, « lorsqu’un ou plusieurs homicides volontaires viennent d’être tentés ou commis par un ou des individus dont l’attitude laisse craindre une réitération de l’action, l’usage des armes par les agents de la force publique intervenant afin d’empêcher la fuite des auteurs et complices des faits constitue un acte absolument nécessaire à la sauvegarde des personnes ».
Le rapporteur de la commission des lois a repris cette même idée avec une autre formulation et l’intègre comme il se doit dans le code pénal. Je le soutiens donc bien volontiers et vous annonce, monsieur le président, que je retire l’amendement n° 91, qui sera appelé plus tard dans la discussion de cet article.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 34 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 157 est présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 34.
L’article 19 traite des circonstances dans lesquelles les policiers, les militaires de la gendarmerie nationale, les militaires déployés sur le territoire national ainsi que les douaniers peuvent faire usage de leur arme sans être pénalement responsables. Il modifie la législation en vigueur, en élargissant les motifs d’irresponsabilité pénale au cas de risque d’une répétition d’une attaque meurtrière de masse, assouplissant ainsi les conditions d’ouverture du feu dans cette situation.
Les tueries perpétrées à Paris par une poignée d’individus, en différents lieux, au mois de novembre de l’année dernière, semblent la justification de cette adaptation de la législation. Évidemment, ce n’est pas écrit explicitement dans le texte, mais c’est bien ce qui ressort de tous les commentaires sur cet article.
Certes, cette adaptation a été considérablement simplifiée par rapport à la rédaction de l’Assemblée nationale, tant celle-ci était alambiquée et quasiment inapplicable. Actuellement, pour bénéficier de l’irresponsabilité pénale, les forces de l’ordre doivent pouvoir invoquer la légitime défense ou l’état de nécessité.
Je demeure toutefois sceptique sur la façon de procéder. Pourquoi ajouter ce nouveau cas de nécessité, qui de surcroît n’est pas défini avec suffisamment de précision ? Il restera à définir ce qu’est « un usage absolument nécessaire et strictement proportionné ». Une telle évolution de la législation ne nous semble pas nécessaire pour renforcer la protection juridique des forces de l’ordre. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 157.
L’article 19, réécrit par la commission des lois, élargit un peu plus les possibilités pour les agents de police, les agents des douanes, les militaires et les gendarmes de faire usage de leur arme.
L’état de nécessité n’étant pas défini avec suffisamment de précision, nous considérons que cette présomption d’irresponsabilité des policiers et autres agents disposant d’armes est beaucoup trop large. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cette disposition.
L’article 19 est extrêmement important, puisqu’il essaie de traiter un problème pratique en créant un cadre juridique d’ouverture du feu pour prévenir la réitération d’une tuerie de masse. Nous savons tous que ces dispositions sont réclamées et attendues à la fois par les forces de police et la douane ; la gendarmerie se trouve dans une situation différente, mais pas tant que cela.
C’est pourquoi il convient de traiter ce problème globalement. C’est d’ailleurs très difficile ; sinon, on l’aurait déjà fait depuis très longtemps. On ne peut donc se rallier à ces amendements identiques de suppression.
La rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale est assez complexe et, pour comprendre la totalité des dispositions que cet article contient, une connaissance très approfondie du code pénal et du dictionnaire Larousse est nécessaire !
Sourires.
La commission des lois a donc tenté de réécrire cet article, en se fondant sur la notion d’ordre de la loi et en s’inspirant d’une disposition voisine figurant dans le code de la défense. Ainsi, serait déclaré pénalement non-responsable « le fonctionnaire de la police nationale, le militaire de la gendarmerie nationale, le militaire déployé sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l’article L. 1321-1 du code de la défense ou l’agent des douanes qui fait un usage absolument nécessaire et strictement proportionné de son arme à l’encontre d’une personne venant de commettre un ou plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre, dans le but exclusif d’empêcher la réitération imminente de ces actes ».
Je vous proposerai un amendement tendant à remplacer l’épithète « imminente » par l’expression « dans un temps rapproché », pour tenir compte des observations que nous a adressées M. le ministre.
Il s’agit donc d’essayer d’encadrer ce droit accordé aux forces de l’ordre de faire usage de leur arme quand il y a déjà eu commission d’un assassinat ou tentative d’assassinat et que l’on a la certitude que cet acte va être réitéré dans un temps rapproché. C’est l’exemple même des attentats de Paris ! Les criminels vont d’un point à un autre, d’un bar à un autre… Il est donc normal que l’on puisse les poursuivre et les attaquer pour les empêcher d’agir.
Reste que ce n’est pas un permis de tirer : ce droit est strictement encadré par les exigences constitutionnelles, conventionnelles, et par la jurisprudence de la Cour de cassation. C’est pourquoi nous précisons que l’usage du feu doit être « absolument nécessaire et strictement proportionné ».
Toutes ces raisons ont amené la commission des lois à modifier le texte de l’Assemblée nationale et à adopter cette nouvelle rédaction qu’elle vous soumet aujourd’hui, mes chers collègues. Il faut par conséquent approfondir ce débat et rejeter ces amendements identiques de suppression.
Je suis du même avis que M. le rapporteur, mais je souhaite profiter de ce débat pour préciser la position du Gouvernement et les raisons pour lesquelles il a proposé d’introduire cette disposition dans le texte.
Les événements des mois de janvier et de novembre 2015 ont donné lieu à l’utilisation par les terroristes de modes opératoires qui n’avaient jamais été observés auparavant dans notre pays, comme le port et l’activation de ceintures explosives de manière autonome ou combinée avec des meurtres de masse commis avec des armes de guerre.
Ces entreprises meurtrières ont pu se poursuivre durant plusieurs heures, voire, dans le cas des frères Kouachi ou d’Amedy Coulibaly, pendant plusieurs jours avant que les auteurs ne soient neutralisés, non sans avoir commis ou tenté de commettre d’autres crimes. C’est avec une assurance et une désinvolture absolument terrifiantes que les frères Kouachi, tout comme certains des auteurs d’exactions du 13 novembre dernier, ont pu, entre deux tueries, se mouvoir sur la voie publique ou dans les transports en commun, porteurs de leur arme et de leur ceinture explosive.
N’oubliez pas ces mots qui ont été lancés par Mohammed Merah aux négociateurs du RAID quelques heures avant l’assaut final : « Moi, la mort, je l’aime, comme vous, vous aimez la vie. »
À ce jour, le seul cadre permettant aux policiers d’ouvrir le feu est celui de la légitime défense. Dès lors qu’ils ne sont pas directement menacés ou que le malfaiteur ne menace pas directement un tiers, les agents ne sont pas habilités à faire usage de leur arme. Or, dans les cas de figure très spécifiques que je viens d’évoquer, il est nécessaire de donner la possibilité aux forces de l’ordre de faire usage de leurs armes pour neutraliser ces individus, car il est certain qu’ils recommenceront à tuer dès que l’occasion se présentera à eux et n’hésiteront pas à faire de nouvelles victimes.
La disposition présentée par le Gouvernement vise par conséquent à sécuriser l’action des forces de l’ordre. C’est la raison pour laquelle l’examen de cet article est l’occasion d’approfondir ce débat et, pour moi, de revenir sur les dispositions envisagées par la commission des lois et le contenu des autres amendements déposés.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Les amendements ne sont pas adoptés.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.