Intervention de Philippe Paul

Réunion du 29 mars 2016 à 14h30
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Philippe PaulPhilippe Paul, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées :

Monsieur le président, messieursles ministres, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’est saisie pour avis des articles 19 et 32 du projet de loi.

Le premier objectif qui nous a guidés pour l’examen de ce texte était de nous assurer qu’il n’y ait pas, pour une même mission, de « décrochage » entre les soldats engagés sur notre territoire et les forces de sécurité intérieure. En effet, ce texte intervient dans un contexte caractérisé par un continuum plus fort que jamais entre menace extérieure et menace intérieure et par une participation légitime des soldats à la protection des citoyens contre cette dernière, dès lors que les terroristes sont eux-mêmes de plus en plus militarisés.

La traduction concrète de ce nouveau contexte est l’opération Sentinelle, qui a conduit au déploiement d’environ 10 000 hommes sur le territoire national. Ce déploiement, exceptionnel par son ampleur et par sa durée, pose un certain nombre de questions, que nous avons notamment pu aborder lors du débat en séance publique du 15 mars dernier sur le rapport remis par le Gouvernement à ce sujet. Notre commission avait également pu approfondir cette problématique lors de son déplacement au Fort de Vincennes, le 27 janvier 2016, auprès des soldats de l’opération Sentinelle.

Se pose ainsi, d’abord, la question de la doctrine d’emploi des militaires sur le territoire national. L’armée est pleinement légitime dans ce rôle. Toutefois, il existe toujours un risque que les compétences et qualités spécifiques des militaires soient insuffisamment exploitées et que ceux-ci soient considérés comme des supplétifs destinés à soulager les forces de sécurité intérieure. En outre, l’effort demandé à nos soldats, qui exercent parfois leur mission dans des conditions difficiles au cœur de nos villes, reste très important.

Par ailleurs, plusieurs événements graves ont montré la forte exposition des militaires sur notre territoire. Ainsi, le 1er janvier dernier, quatre soldats ont été attaqués devant la mosquée de Valence par un homme qui a essayé de les renverser avec son véhicule. Les militaires ont tiré et blessé l’agresseur ; un tiers, atteint par une balle perdue, a porté plainte contre les soldats.

Ces événements, et d’autres de moindre gravité mais quotidiens, ont conduit les militaires à s’interroger, d’une part, sur le cadre juridique dans lequel ils s’inscrivent lorsqu’ils sont amenés à faire usage de la force et, d’autre part, sur la protection dont ils bénéficient eux-mêmes lorsqu’ils sont victimes d’agressions.

Enfin, comme pour les policiers et les gendarmes, des interrogations subsistent quant à la situation des terroristes en fuite après avoir commis un attentat. Les textes en vigueur relatifs à la légitime défense ou à l’état de nécessité ne garantissent pas que leur neutralisation ne sera pas sanctionnée par le juge judiciaire.

Il serait sans doute juridiquement périlleux et quelque peu disproportionné de conférer à nos soldats les mêmes prérogatives lorsqu’ils agissent dans le cadre de Sentinelle et lorsqu’ils sont en OPEX. Toutefois, ces interrogations appelaient au minimum un ajustement du cadre réglementaire qu’ils doivent respecter sur notre territoire. C’est un tel ajustement que prévoit l’article 19 du projet de loi, qui s’applique aussi bien aux militaires des forces armées qu’aux fonctionnaires de police et aux militaires de la gendarmerie, ce dont notre commission se félicite. Nous estimons en effet que ce texte peut conforter le passage d’une vision statique de la protection à un mode opératoire en mouvement, avec une combinaison du feu et du renseignement militaire dans le cadre d’une traque antiterroriste. Il améliore également l’emploi de la palette capacitaire des armées en ouvrant l’usage des armes longues, qui étaient inutiles dans le cadre de la stricte légitime défense ; enfin, il rapproche les modes opératoires hors et au sein du territoire national, avec la notion d’identification d’un ennemi et de prise d’ascendant sur lui.

Les modifications opérées par la commission des lois pour simplifier le texte tout en assurant sa compatibilité avec le triptyque « actualité de la menace, proportionnalité de la réaction, absolue nécessité de la réaction », dégagé par la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme, en rendent sans doute l’application plus aisée, en préservant également l’avancée que constituait l’article initial. En revanche, il faut souligner que les interrogations légitimes des militaires sont loin d’être toutes résolues par ces dispositions. Il conviendra notamment de s’assurer que la récente amélioration de leur protection juridique lors de l’enquête judiciaire est bien effective.

Le second article examiné par notre commission, l’article 32, tend à instaurer un régime juridique pour les caméras mobiles des policiers et des gendarmes. Expérimentées avec succès dans les zones de sécurité prioritaire depuis 2013, ces caméras permettent effectivement d’abaisser les tensions dans les situations difficiles. Le texte adopté par des députés était toutefois juridiquement fragilisé par un amendement prévoyant que les personnes faisant l’objet de l’intervention pouvaient elles-mêmes demander le déclenchement de l’enregistrement. La commission des lois a ainsi adopté un amendement de notre commission remédiant à cette difficulté.

Je souligne que la commission des lois a également adopté un second amendement de notre commission permettant aux gendarmes de mieux employer les élèves stagiaires en fin de formation au sein de leurs unités, en leur conférant la qualité d’agents de police judiciaire, ou APJ, alors qu’ils ne sont actuellement qu’agents de la force publique.

Au total, le projet de loi constitue une étape supplémentaire dans l’amélioration des instruments dont disposent les forces de sécurité intérieure et les forces armées pour lutter contre la criminalité organisée et le terrorisme. Nous devrons cependant continuer à travailler pour que la situation spécifique des soldats engagés sur le territoire national soit prise en compte de la manière la plus efficace et la plus pertinente possible.

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