Intervention de Jacques Mézard

Réunion du 29 mars 2016 à 14h30
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jacques MézardJacques Mézard :

À quoi sert-il d’inventer de nouvelles incriminations, d’aggraver le quantum des sanctions lorsque, de manière schizophrène, on s’évertue à trouver des palliatifs pour permettre aux juges d’application des peines de ne pas incarcérer les condamnés ou de les faire sortir plus vite ? À quoi sert-il de prononcer des peines d’emprisonnement quand nos maisons d’arrêt et nos centrales sont pleines ?

Notre système pénal est à bout de souffle. Il faut que l’exécutif et le Parlement prennent le temps de la réflexion et de la concertation pour le refonder, le moderniser, dans le respect de l’équilibre entre sécurité et liberté.

Le texte qui nous est soumis comporte des articles utiles auxquels nous souscrivons, mais pose un certain nombre de problèmes de fond. Bien sûr, dans le contexte des attentats, tout ce qui est censé améliorer la sécurité, tout ce qui a pour but de faire obstacle au terrorisme et d’en châtier les auteurs, est vécu et revendiqué par l’opinion comme prioritaire, exclusif, essentiel. Nous n’avons jamais eu de goût pour un angélisme à la mode dans certains quotidiens parisiens. Pour nous, pas de faiblesse avec ceux qui assassinent des innocents et avec leurs complices !

Mes chers collègues, il est aussi du devoir et de la tradition du Sénat de veiller à ce que la rigueur nécessaire et l’utilisation des moyens restreignant les libertés ne soient dirigées que contre les terroristes, leurs complices et ne deviennent pas un processus opératoire banal. De ce point de vue, ce projet de loi est susceptible d’entraîner des dérives. Lorsque le Sénat s’éloigne de sa mission de garant des libertés, il n’est plus lui-même.

L’article 18 relatif à la retenue de quatre heures est l’illustration du risque potentiel de dérives : à l’imprécision des mots « raisons sérieuses de penser » s’ajoute le caractère surréaliste d’une « retenue sans audition ». Et que dire de l’incohérence d’une mesure de police administrative sous le contrôle du parquet judiciaire ! Est-ce cela, la simplification ?

En réalité, la lutte contre le terrorisme cache des évolutions de fond de notre procédure pénale. Notre rapporteur Michel Mercier a déclaré que 98 % des dossiers relèveraient de l’action du couple procureur-juge des libertés et de la détention. Le but est-il la dévitalisation et la disparition des juges d’instruction, mots chers à M. Vallini, qui a commencé à les illustrer dans l’affaire d’Outreau avec une réforme à échec retentissant ?

Quant à l’introduction d’un contradictoire partiel avec le parquet au cours de l’enquête, c’est un non-sens : le procureur est une partie poursuivante, non un magistrat impartial. Et que dire de l’officialisation, à l’article 6, de la délation applicable à tout délit relevant de trois ans de prison !

Ce qui caractérise ce texte, c’est l’absence de définitions et le flou de nombreux termes au mépris des garanties requises pour le justiciable, sans respect suffisant du contradictoire ; c’est aussi un glissement de la procédure pénale vers le parquet et une marginalisation du juge du fond au profit de procureurs nommés par l’exécutif.

L’audition, le 15 mars, du premier président de la Cour de cassation est révélatrice du risque que fait encourir ce projet de loi : le remplacement du juge d’instruction par le couple procureur-juge des libertés et de la détention pour décider de nombreuses mesures intrusives « ne peut présenter un niveau de garanties équivalent ».

Sans préjuger de notre vote final, qui découlera de l’examen en séance publique, notre devoir est d’être fidèles à nos principes, quels que soient les clameurs de l’opinion publique et le poids des administrations ministérielles.

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