Face au phénomène du périple meurtrier auquel nous sommes confrontés dans le cadre de la menace terroriste, phénomène dont je disais tout à l’heure qu’il est caractérisé par une succession d’actes criminels dont le seul but est de causer un maximum de victimes, le Gouvernement a proposé un cadre approprié pour l’usage des armes par les forces de l’ordre, se traduisant par la création d’un nouveau cas d’irresponsabilité pénale pour les agents faisant usage de leur arme.
L’analyse des menaces et des modes opératoires des terroristes radicalisés démontre que les actions de ceux-ci débutent le plus souvent par des assassinats de masse, des prises d’otages meurtrières, des tirs sur des passants au gré de leurs déplacements, et s’achèvent presque systématiquement par un retranchement destiné à provoquer une confrontation avec les unités d’intervention.
Or, dans l’état actuel du droit, reposant sur les principes de la légitime défense, les forces de l’ordre ne peuvent intervenir dans le laps de temps où les individus concernés ne menacent plus directement des personnes, mais s’apprêtent à le faire de nouveau dans un temps rapproché, la légitime défense supposant une concomitance entre l’agression et la riposte.
Dans de telles situations, les policiers et les gendarmes primo-arrivants, mais aussi les unités d’intervention, sont contraints soit d’attendre la commission d’un acte pouvant entraîner l’usage des armes, soit de se placer volontairement dans une situation de légitime défense, avec les risques que cela comporte pour eux-mêmes, pour les otages, pour les passants.
Par conséquent, l’article 19 du présent projet de loi vise à permettre d’adapter les règles d’usage des armes aux modes opérationnels particuliers mis en œuvre par les terroristes, qui ne se limitent pas à une unique action déterminée dans l’espace et dans le temps, mais dont les agissements s’inscrivent dans un périple meurtrier, entrecoupé de périodes pendant lesquelles le droit actuel et l’application qui en est faite ne permettent pas aux forces de l’ordre de faire usage de leurs armes.
Si la rédaction issue des travaux de la commission des lois du Sénat présente le mérite de la simplicité, elle ne permet pas, en l’état, de répondre de façon satisfaisante au phénomène du périple meurtrier. Par ailleurs, elle ne satisfait pas aux exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
L’absence de référence à l’action criminelle visant à causer plusieurs victimes, dans laquelle s’inscrivent les meurtres commis et ceux qui pourraient être de nouveau perpétrés, rend ce fait justificatif applicable à des situations autres que celle du périple meurtrier.
Ainsi, tel qu’il est rédigé, le texte pourrait s’appliquer à la fuite de malfaiteurs venant de commettre un meurtre ou une tentative de meurtre à la suite d’un braquage, ce qui n’est absolument pas l’objectif du projet de loi. La rédaction est donc trop large de ce point de vue.
De surcroît, le critère de l’imminence de la réitération laisse à penser que l’on se situe dans un temps beaucoup plus court que celui auquel se réfère le texte adopté par l’Assemblée nationale, qui vise le temps « rapproché » et permet de tenir compte de l’entrecoupement de périodes divisant une action criminelle qui se poursuivra de manière certaine.
Il s’agit donc, monsieur le rapporteur, de distinguer beaucoup plus clairement ce nouveau régime de celui de la légitime défense, qui repose, vous le savez mieux que quiconque, sur le caractère immédiat et direct de la menace.
Certaines garanties doivent nécessairement figurer dans le texte afin d’assurer sa conformité aux exigences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à laquelle je vous sais particulièrement attaché, monsieur le rapporteur.
Les critères d’appréciation de l’absolue nécessité et de la stricte proportionnalité, dont vous êtes l’un des théoriciens et qui sont caractérisés dans le texte par des raisons réelles et objectives de craindre une réitération, la circonstance de la première agression et les informations dont dispose l’agent au moment où il fait usage de son arme, doivent figurer dans le texte. Je sais que vous êtes d’accord avec nous sur ce point, monsieur le rapporteur.
Le risque de réitération doit être objectif, ce qui autorise l’agent à faire usage de son arme. Ainsi, dans son arrêt Finogenov et autres contre Russie de 2011, la CEDH prend en compte le profil des terroristes, leur caractère déterminé, les conséquences potentielles de l’opération terroriste pour caractériser l’absolue nécessité qui autorise l’usage des armes.
Dans son arrêt Mc Cann, Farell et Savage contre Royaume-Uni du 27 septembre 1995, la CEDH admet que le recours à la force par les agents de l’État puisse se justifier lorsqu’il se fonde sur une « conviction honnête », considérée pour de bonnes raisons comme valable à l’époque des événements.
Il s’agit donc, monsieur le rapporteur, de critères d’appréciation importants qui permettent de caractériser l’existence de raisons réelles et sérieuses de craindre la réitération de l’action meurtrière et de justifier l’usage des armes.
Enfin, il n’apparaît pas adapté d’insérer une telle disposition dans le code pénal dès lors qu’il s’agit non pas d’instaurer un nouveau fait justificatif, mais de décliner un fait justificatif, qu’il s’agisse de l’ordre de la loi ou de l’état de nécessité, à l’attention des seules forces de l’ordre, des douaniers et des militaires.
De façon habituelle, les dispositions prévoyant des hypothèses d’ordre de la loi figurent dans des textes particuliers, et non dans le code pénal. C’est pourquoi ces éléments doivent être intégrés dans la rédaction de la commission des lois afin de tenir compte de la nécessité de répondre à un cas de figure précis, tout en garantissant le respect par la loi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Je suis convaincu que, sur le fondement de ces explications très fournies et très précises, nous parviendrons à nous accorder !