Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 29 mars 2016 à 21h30
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme — Articles additionnels après l'article 19

Bernard Cazeneuve, ministre :

C’est un souci d’efficacité qui amène le Gouvernement à se prononcer contre cet amendement.

M. Retailleau souhaite créer une infraction pénale visant à réprimer le séjour intentionnel à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve d’une entreprise terroriste autonome.

Or, aux termes de l’amendement, ce séjour ne pourra être réprimé que s’il a lieu « afin d’entrer en relation avec un ou plusieurs de ces groupements ». Une telle rédaction soulève plusieurs difficultés concrètes.

La première tient à l’absence de nécessité de la mesure proposée. En effet, en l’état actuel du droit, le fait de séjourner sur un théâtre d’opérations terroristes constitue d’ores et déjà l’un des éléments constitutifs de l’infraction d’entreprise terroriste individuelle instaurée par la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, au travers de l’article 421-2-6 du code pénal.

En outre, la loi française trouve à s’appliquer à tout crime ou délit qualifié d’acte de terrorisme commis à l’étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, selon l’article 113-13 du code pénal. Ainsi, les personnes qui séjournent sur un théâtre d’opérations terroristes font d’ores et déjà l’objet de poursuites judiciaires sur le fondement de l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, définie à l’article 421-2-1 du code pénal comme le fait de « participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, » d’un acte de terrorisme.

Dès lors, l’incrimination dont la création est proposée est beaucoup trop proche dans sa définition des délits d’entreprise terroriste individuelle et d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, tout en étant assortie – c’est d’ailleurs un paradoxe ! – d’une sanction pénale moindre. Le dispositif envisagé est donc moins ferme que celui de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme. N’étant nullement de ceux qui préconisent moins de fermeté à l’égard du terrorisme, je ne peux soutenir une telle mesure.

Par ailleurs, l’amendement contrevient au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. La rédaction est, en effet, trop imprécise. La condition « afin d’entrer en relation avec un ou plusieurs de ces groupements » recouvre des réalités trop diverses : s’agit-il d’une simple intention ? Comment se manifeste-t-elle positivement ? De même, le « motif légitime » prévu comme cause exonératoire n’est pas davantage défini, ce qui laissera dans l’incertitude le juge appelé à apprécier une telle situation. Prenons un exemple concret : un Français qui se rend en Syrie pour combattre Daech est susceptible de tomber sous le coup de l’incrimination !

Enfin, et c’est ce qui me paraît le plus important, l’amendement manque en réalité son objectif. S’il est vrai que, dans certaines situations particulières, la preuve de la participation à un groupement ou à une entente terroriste peut être délicate à apporter, en tout cas dans un délai bref, il sera tout aussi complexe de démontrer la volonté d’entrer en relation avec un ou plusieurs groupements terroristes. Dès lors, la difficulté liée à la preuve subsiste.

Pour remédier à cette difficulté, l’article 20 du projet de loi prévoit un dispositif de contrôle administratif des retours sur le territoire national permettant d’imposer des obligations aux personnes revenant de théâtres d’opérations terroristes qui pourraient présenter une menace pour la sécurité publique.

De deux choses l’une : si la preuve que la personne est allée sur un théâtre d’opérations terroristes dans le but d’entrer en relation avec un ou plusieurs groupements de nature terroriste peut être matérialisée, l’individu pourra être poursuivi pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, incrimination qui l’expose à des sanctions beaucoup plus lourdes que celles qui sont prévues dans le présent amendement ; si cette preuve ne peut pas être matérialisée, le procureur de Paris, compétent en matière antiterroriste, ne pourra pas poursuivre et le contrôle administratif, mesure de police administrative inscrite à l’article 20, se justifiera alors pleinement.

Sur de tels sujets, essayons d’être extrêmement pragmatiques et concrets. Considérons ce qui existe déjà dans notre arsenal antiterroriste et voyons si les mesures proposées sont plus efficaces que celles dont nous disposons.

À mes yeux, un tel dispositif n’apporte rien par rapport à l’existant ; au contraire, il prévoit une moindre pénalisation. Je renvoie le Sénat à ce qu’a écrit M. le rapporteur, qui s’est posé les mêmes questions que moi, dans l’exposé des motifs de l’un de ses amendements :

« Dans la proposition de loi votée par le Sénat le 2 février dernier, il était proposé de créer un délit de séjour à l’étranger ne supposant pas les critères cumulatifs requis pour incriminer du délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ou d’entreprise individuelle terroriste. Le but de cette création était d’apporter une réponse à la situation préoccupante de personnes de retour de Syrie ou d’Irak […] dont la situation n’est pas, en l’état actuel du droit pénal, judiciarisable et qui présentent un véritable risque pour la sécurité publique.

« Le Gouvernement nous a fait valoir que ces personnes ne pourraient pas être plus facilement judiciarisées avec le délit de séjour à l’étranger. Je me suis rallié à cette opinion. »

Le rapporteur est donc parvenu à la même conclusion que le Gouvernement. J’espère que vous voudrez bien retirer votre amendement, monsieur Retailleau.

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