Les classements que j'ai cités ne reposent pas exclusivement sur le coût du travail ou la fiscalité. Aux premières places du classement de la Banque mondiale figurent, entre autres, Singapour, le Danemark, le Royaume-Uni, Hong-Kong ou encore la Suède. Il prend en compte les infrastructures, les droits sociaux et politiques, l'adaptabilité... Nous sommes en 27e position. Au-delà des caricatures, nous devons trouver un équilibre.
La fierté, ce n'est pas refuser de se comparer : sans lucidité, elle devient vanité. Sortons du défaitisme : nous pouvons changer sans renoncer à nos préférences collectives. L'obstacle est davantage la défiance, le corporatisme qu'une véritable impossibilité d'agir. Depuis vingt ans, nous brassons les mêmes sujets - ainsi du code du travail ; mais on ne veut pas bouger tant que l'autre partie ne fait pas d'effort. Défendons nos préférences collectives, nos équilibres sociaux, notre rapport à la liberté dans un monde ouvert. Nous ne reconstruirons pas ce qui est présenté comme un âge d'or, mais qui n'a peut-être jamais été. Je n'ai pas connu cette époque ; de toute ma vie consciente, je n'ai côtoyé que des gens qui me parlaient de crise. On ne change pas la mer, mais on peut changer d'embarcation pour gagner la régate.
Les 3 000 milliards d'euros d'épargne financière en France ont été massivement investis dans l'immobilier - résultats de dispositifs fiscaux incitatifs, de l'épargne réglementée, notamment dans le logement, et d'une préférence française. La plus grande partie du reste alimente l'assurance vie. L'économie française, comme l'économie allemande, se caractérise donc par un financement des entreprises très intermédié, au contraire des économies anglo-saxonnes où le financement en fonds propres s'effectue directement sur le marché. Or la crise financière a conduit les régulateurs, à un niveau supra-national, à rediriger l'épargne financière vers le financement obligataire plutôt qu'en fonds propres. Cela s'est traduit par un désinvestissement massif des assureurs, qui ont ramené leurs taux de financement en fonds propres de 10, parfois 30 % à 2 à 5 %. Il convient par conséquent d'inciter nos concitoyens à se porter davantage vers le risque actions, notamment à travers les plans d'épargne en actions (PEA) ou l'épargne salariale dont nous avons amélioré le cadre fiscalo-social l'an dernier. Ensuite, les financements des assurances vie et des régimes de retraite doivent être réorientés vers le capital productif.
Demain, le projet de loi Sapin II sera présenté au Conseil des ministres ; il crée notamment des fonds de pensions à la française. Les 130 milliards des régimes additionnels de retraite ont été placés sous régulation « Solvabilité 2 », c'est-à-dire dirigés vers le financement obligataire, alors même que nous n'y étions pas contraints. La loi Sapin II les redirigera vers des financements plus diversifiés et surtout vers l'économie réelle, à hauteur de 10 à 20 milliards d'euros. À 35 ou 40 ans, placer l'épargne de son régime de retraite additionnel dans des fonds obligataires est contre-productif sur la longue période, à la fois pour l'épargnant - car les rendements sont faibles - et pour l'économie.
La régulation financière à laquelle nous sommes parvenus est anti-économique, car dominée par la régulation bancaire et assurancielle. Pour faire un parallèle, c'est comme si la filière nucléaire avait été confiée aux autorités de sûreté : les comités compétents sont composés de professionnels dont le métier est de réduire le risque. Rappelons-nous que la crise financière a été diffusée par les banques, alors que les intermédiaires de marché avaient fait preuve d'une relativité solidité. Conséquence : les économies les plus touchées étaient les plus intermédiées - celles de l'Europe continentale. Bâle III concerne avant tout les établissements bancaires qui n'ont pas causé la crise de 2008 et restreignent en conséquence l'octroi de crédit. « Solvabilité 2 » chasse les financements vers l'obligataire. En Europe, nous avons créé un équilibre où la contrainte budgétaire est augmentée, l'offre de crédit bancaire et l'offre de fonds propres assuranciels contractées. C'est un environnement déflationniste. Un débat annuel en Ecofin sur ces sujets serait bienvenu.
On a jeté l'opprobre, en France, sur les banques et assurances, qui n'étaient pas les plus coupables, au lieu de réduire le shadow banking et de s'attaquer aux acteurs de marché les plus agressifs. L'écart s'est accru entre les plus régulés et les autres.