En Jordanie, 80 % des réfugiés se trouvent en dehors des camps, dans les villes et les villages où ils vivent tant bien que mal, en louant des logements sommaires, notamment grâce à l'aide internationale. Les enfants réfugiés syriens ont accès au système scolaire public, dans la mesure de la capacité d'absorption de celui-ci, ainsi qu'aux modes alternatifs de scolarisation soutenus par les organisations internationales, en particulier l'UNICEF. L'accès au système de santé leur a aussi été ouvert, d'abord gratuitement, et désormais moyennant le paiement de certains soins et de médicaments pour lequel ils bénéficient de l'aide internationale. Ils n'avaient en revanche jusqu'à récemment pas le droit de travailler, même s'ils trouvent en pratique souvent à être employés dans le secteur informel. L'un des enjeux de la Conférence de Londres était donc de faire évoluer la Jordanie sur ce point et de donner plus d'opportunités économiques aux réfugiés syriens mais aussi à la population jordanienne. Elle a permis l'adoption d'un « Jordan compact », qui constitue une forme d'accord donnant-donnant, l'Union européenne acceptant d'assouplir les règles applicables aux produits importés de Jordanie en échange de l'attribution de 200 000 permis de travail aux réfugiés syriens. Des négociations visant à attribuer un statut commercial privilégié à la Jordanie sont en cours, qui devraient permettre d'aboutir à un accord lors du conseil d'association UE-Jordanie qui se tiendra au mois de juin. Il est donc trop tôt pour apprécier la délivrance des permis de travail mais nous sommes plutôt optimistes.
Des engagements financiers, sous forme de dons, de prêts, ont également été pris à Londres, la répartition des 900 millions de prêts concessionnels accordés par la France devant encore être précisée.
La question de l'intégration des réfugiés est un sujet sensible en Jordanie, car elle renvoie à une réalité historique, plusieurs vagues de Palestiniens ayant été de facto intégrées. Il faut d'abord souhaiter que les réfugiés puissent retourner dans leur pays quand les conditions matérielles et politiques le permettront. Du point de vue du droit humanitaire international, ils n'ont d'ailleurs pas vocation à rester. Certes, il est probable que certains, notamment ceux qui ont tout perdu, resteront, à mesure que le temps passe. C'est une question que les autorités et la population jordaniennes regardent avec beaucoup d'attention.
Je ne dirai pas que la présence des réfugiés fragilise le pouvoir : elle fragilise plutôt le pays, d'autant qu'il ne s'agit pas de réfugiés riches, comme l'étaient les Palestiniens, et les Jordaniens rentrant des pays du Golfe en 1991 ou les Irakiens en 2003, mais de populations pauvres, originaires des régions rurales autour de Damas et du sud de la Syrie. Leur présence massive exerce une pression sur les services publics. C'est surtout sur ce point qu'il faut aider la Jordanie. Il convient de souligner, en revanche, le comportement exemplaire des réfugiés, dont la présence ne se traduit pas par une hausse de la criminalité ou du risque sécuritaire.
S'agissant de la politique extérieure de la Jordanie, il convient de rappeler que la Jordanie occupe une position centrale au Moyen-Orient. Elle mène une politique extérieure d'équilibre entre des voisins compliqués et avec des partenaires imposants en dehors de la région. Elle entretient des liens solides, dans le domaine sécuritaire et dans celui de l'aide au développement, avec les États-Unis. La Jordanie a un partenariat très proche avec des pays européens, le Royaume-Uni pour des raisons historiques mais aussi aujourd'hui la France. La Jordanie développe également des relations avec l'Union européenne en tant que telle, comme évoqué sur le sujet de la négociation des règles d'origine des produits manufacturés.
La Jordanie entretient également un partenariat très étroit avec les pays du Golfe, notamment son voisin saoudien. Les pays du Golfe sont des bailleurs importants. Je rappelle qu'après 2011, les États du conseil de coopération des États arabes du Golfe ont engagé 5 milliards de dollars d'aide au profit de la Jordanie. Cette aide devant trouver son terme cette année, se pose la question de la reconduction de ce dispositif.
La Jordanie est également impliquée dans un certain nombre d'opérations extérieures. Elle participe notamment à la coalition au Yémen, tant dans un esprit de solidarité envers les monarchies du Golfe que dans une compréhension de la nécessaire dimension mondiale de la lutte contre le djihadisme. Il s'agit d'une lutte idéologique et non de la sécurité des frontières proches.
On a vu dans les mois plus récents comment la Jordanie a également essayé de développer sa relation avec la Russie, pour peser politiquement sur le processus en cours en Syrie.
La relation de la Jordanie avec Israël résulte d'un choix stratégique du souverain précédent, poursuivi aujourd'hui. Ce choix est contesté par une partie de la population, hostile à la « normalisation » de la relation avec Israël. Cette contestation trouve d'ailleurs une expression dans une partie du mouvement parlementaire. Il est certain que la Jordanie n'a pas aujourd'hui développé tout le potentiel que recèle sa relation avec Israël. Sur le plan commercial, notamment, Israël pourrait constituer une porte de sortie pour les exportations jordaniennes qui ne trouvent plus de débouchés en Syrie. Les a priori politiques de certains Jordaniens freinent cette évolution et viennent de la perception que, au-delà du traité de paix bilatéral, le conflit entre Israël et les Palestiniens n'a pas trouvé de solution. La Jordanie est sans doute l'un des pays les plus sensibles à ce qui se passe dans les territoires palestiniens, comme en témoignent les récents développements relatifs au respect des règles d'accès à l'esplanade des mosquées.
Enfin, les relations avec l'Iran ont été rétablies, au niveau des ambassadeurs, peu avant la conclusion des accords de Vienne. La Jordanie veille à maintenir un dialogue avec tous ses voisins. Pour autant avec les grands, une certaine prudence se manifeste. La Jordanie semble observer l'évolution du rôle de l'Iran sur la scène internationale.
En matière de politique intérieure, les réformes en cours sont ambitieuses et courageuses, notamment en matière de décentralisation. Les prochaines élections seront intéressantes et elles se dérouleront quasiment de façon simultanée à de nouveaux échelons d'administration. Il est encore un peu tôt pour savoir si les Jordaniens s'intéresseront à ces nouvelles élections car ils ne perçoivent pas nécessairement les pouvoirs de ces nouvelles instances. La campagne électorale n'a pas véritablement commencé et les forces politiques ne se sont pas encore structurées sur ces enjeux, même s'il y a eu débat au Parlement et dans la société civile sur le quota de femmes sur les listes de candidats, sans évolution marquante au demeurant. Enfin la loi sur les municipalités reste à préciser, notamment quant aux ressources financières dont elles disposeront.
La France rappelle régulièrement son attachement au maintien du moratoire sur l'exécution des sentences de peine de mort, qui a été suspendu pour les crimes de terrorisme à la suite de l'assassinat par Daech d'un pilote de l'armée de l'air jordanienne. Dans certains cas, les juges n'ont pas le choix : la loi ne prévoit pas d'alternative à la peine capitale ; mais le jugement prononcé peut ne pas être exécuté. Le moratoire était en place depuis longtemps ; nous exprimons aux autorités jordaniennes la volonté qu'il soit maintenu.
Nous menons également beaucoup d'actions de soutien à la liberté de la presse, à travers des actions de formation ouvertes aux médias jordaniens et, au-delà, à ceux de la région. La Jordanie, comparée à d'autres pays de la région est un pays où la presse est active. Il y a actuellement un débat sur l'interprétation de la loi sur la cybercriminalité, que certains journalistes estiment abusive.
Nous n'avons pas constaté de départs importants de familles françaises installées en Jordanie depuis le début de la crise syrienne. En revanche, nous ne constatons pas non plus d'évolution positive du nombre d'expatriés. Nous sommes dans une phase de consolidation des investissements des entreprises françaises, plus que de lancement de nouveaux investissements. Dès lors, la fréquentation du lycée français reste en-deçà des capacités d'accueil. La tradition pour les Jordaniens est plutôt de se tourner vers le système anglo-saxon, mais nous travaillons au développement de l'attractivité de cet établissement pour des élèves jordaniens, en lien avec la perspective de réalisation d'études supérieures en France.