Intervention de Olivier Bastien

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 mars 2016 à 9h30
Audition de Mme Anne Courrèges directrice générale et du professeur olivier bastien directeur de la direction prélèvement greffe organes-tissus de l'agence de la biomédecine

Olivier Bastien, directeur de la direction prélèvement greffe organes-tissus, de l'Agence de la biomédecine :

Je vais en effet vous rappeler comment s'est mis en place le prélèvement d'organes selon le protocole Maastricht III et quelles règles éthiques y ont présidé, avant de vous livrer les préconisations du comité de suivi à l'issue de cette phase pilote.

En matière de don d'organe, la classification, qui a évolué ces derniers temps, est double. Première catégorie, le don par donneur vivant, pour lequel vous avez joué un rôle majeur. Il suppose une relation stable et durable d'au moins deux ans entre donneur et bénéficiaire de la greffe. S'y ajoute la possibilité de dons croisés, programme qui reste cependant modeste en France puisqu'il n'est possible qu'entre deux paires constituées d'un donneur et d'un receveur, à l'exclusion d'autres chaînages tels qu'ils se pratiquent outre-Atlantique.

L'autre catégorie est celle du don par donneur décédé. Je rappelle que c'est la mort irréversible des structures encéphaliques et elle seule qui définit la mort. Elle peut survenir soit par la mort directe du cerveau - c'est la mort encéphalique classique - soit après arrêt de la perfusion cérébrale, survenant à la suite d'un arrêt circulatoire - terme qui a été préféré à celui d'arrêt cardiaque car avec l'apparition de nouvelles techniques, comme le pace maker, il peut y avoir stimulation électrique du coeur sans qu'il y ait circulation sanguine.

On distingue deux grandes catégories d'arrêts circulatoires. Les arrêts dits « non contrôlés », c'est à dire inopinés, survenant hors du milieu hospitalier, et les arrêts dits « contrôlés », survenant à l'intérieur d'un établissement hospitalier où l'ensemble des manoeuvres de réanimation va être mis en place immédiatement, mais aussi les arrêts succédant à l'interruption des thérapeutiques actives dans le cadre d'une fin de vie.

Ces décès après arrêt circulatoire ont fait l'objet d'une classification internationale, dite de Maastricht, révisée en février 2013. En France, où la loi autorisait à réaliser des prélèvements après arrêt circulatoire quelle qu'en soit la catégorie, on n'en réalisait de fait, jusqu'à présent, que dans le cas d'arrêt circulatoire de catégories I et II, soit les arrêts circulatoires non contrôlés. Ces prélèvements étaient effectués dans des centres ayant passé convention avec l'Agence de biomédecine, selon un protocole très précis. La catégorie III concerne les arrêts circulatoires survenant après une décision d'arrêt des thérapeutiques en raison du pronostic. Je rappelle, pour mémoire, qu'il existe aussi une catégorie IV, concernant les patients en mort encéphalique qui font un arrêt circulatoire irréversible au cours de la prise en charge en réanimation.

Le prélèvement après arrêt circulatoire, autorisé par la loi Léonetti, a débuté en France, dans la catégorie II de Maastricht, dès 2006. Mais ces prélèvements ne concernaient que les arrêts non contrôlés. Les organes prélevables se limitaient au rein et au foie, et il a fallu une petite modification législative pour y ajouter le poumon. Ce sont des opérations très techniques, qui nécessitent des moyens lourds, avec mise en place d'une circulation régionale pour reperfuser les reins. Si bien que le nombre de ces prélèvements stagne, autour de 110 par ans. Très peu de pays s'y sont lancés. La majorité des pays européens, hormis la France, l'Espagne et la Grande-Bretagne, n'a pas souhaité développer cette technique, assez complexe.

Dans le cadre de la réflexion nationale sur la fin de vie et des débats sur la loi Léonetti, s'est ouverte la possibilité de faire évoluer les pratiques de réanimation et d'accompagner les patients en fin de vie, ce qui posait la question du prélèvement d'organe dans ce cadre. Néanmoins, les pratiques de réanimation n'avaient pas évolué aussi vite que la loi, la technicité, avec le développement des techniques d'assistance circulatoire et du coeur artificiel, avait énormément progressé, et la demande des familles et des soignants paramédicaux était forte. C'est pourquoi le Parlement a souhaité, via l'OPECST, engager une réflexion, dont le cheminement a été long du fait de la nécessité de mettre en place, parallèlement, avec les sociétés savantes de réanimation, les conditions techniques de nature à sécuriser la prise en charge médicale des patients en réanimation et en fin de vie, mais aussi de faire évoluer les consciences et les pratiques médicales et paramédicales. Cette réflexion a donné lieu à une Conférence nationale de consensus, Mieux vivre la réanimation, qui prenait aussi en compte la fin de vie.

L'agence de biomédecine a été officiellement chargée, en 2012, après un vote du conseil d'orientation, de mettre en place les conditions médico-techniques et le protocole pour la réalisation pratique de prélèvements de type Maastricht III et nous sommes retournés devant l'OPECST pour en rendre compte.

Ce protocole a été mis en place grâce à un comité de pilotage très large, associant les sociétés savantes, les professionnels du prélèvement - les coordinations hospitalières -, les instances et les professionnels de l'Agence. Nous avons pu bénéficier de l'expérience des protocoles de type Maastricht II. Nous savions que dans ce cas de figure où, du fait de l'arrêt de la circulation, les organes peuvent souffrir, on parvenait néanmoins à réaliser des greffes avec des résultats satisfaisants. Le fait est que les techniques de réanimation des organes ont évolué et que la France s'est dotée d'un parc important de machines de perfusion d'organes.

Dans ce type de prélèvement, tous les pays européens ne sont pas au même niveau. Certains l'avaient déjà mis en place, et nous nous sommes inspirés de leur expérience, tandis que d'autres ne le souhaitaient pas et que d'autres encore, comme nous, étaient en phase de mise en place. Nous souhaitions, ainsi que l'a rappelé Anne Courrèges, éviter ce qu'il s'est passé en Grande-Bretagne, où le prélèvement sur donneur vivant et le prélèvement de type Maastricht III ont connu une augmentation importante mais au prix d'une baisse du prélèvement après mort encéphalique. Il s'agissait de ne se priver d'aucune possibilité.

Dans le protocole, des moyens médico-techniques, fruit de nombreuses discussions, ont été mis en place. Il s'agit de protéger les organes pendant la phase d'arrêt circulatoire, dans le respect de l'éthique et des familles, et de diminuer les effets de ce que l'on appelle l'ischémie-répercussion. D'où l'obligation d'utiliser des machines de perfusion et de prévoir un protocole d'allocation rapide pour ne pas ajouter des durées d'ischémie liées au transport. Ces machines de perfusions sont une sorte d'incubateur dans lequel l'organe est placé pour y être oxygéné et éventuellement mis en hypothermie. Tous les CHU en sont équipés.

C'est ainsi qu'en mettant à profit l'expérience internationale et notre savoir-faire sur le Maastricht II, nous avons proposé un protocole strict qui a pu bénéficier des dernières évolutions techniques. Il a été validé par l'OPECST en 2013, puis approuvé par les différentes instances concernées, et cinq centres ont été successivement ouverts : Annecy, la Pitié-Salpêtrière, Nantes, puis La Roche-sur-Yon et Le Kremlin-Bicêtre. D'autres centres ont envoyé des dossiers ou des lettres d'intention mais n'étaient pas opérationnels durant cette phase pilote.

De l'évaluation menée, il ressort que l'ensemble des conditions du protocole ont été respectés. Parmi les règles éthiques imposées durant la phase de décision d'arrêt des thérapeutiques, figure la présence obligatoire d'un consultant extérieur pour valider la décision. A été présent, dans 100 % des cas, un réanimateur ou un spécialiste en neurologie. Les causes des décès ont été pour l'essentiel, ainsi que l'on s'y attendait, de nature neurologique : accidents vasculaires ou anoxies cérébrales irréversibles. Peu de traumatismes crâniens, en revanche, du fait des progrès de la réanimation et de la neurochirurgie, qui évitent bien des décès.

Le protocole imposait également des conditions en termes de délais d'ischémie, pour s'assurer que le résultat de la greffe soit optimal. Que les choses soient bien claires, il ne s'agit pas d'imposer une durée à la fin de vie mais bien de respecter une durée ischémique : si la phase agonique se prolonge, il n'y a pas de prélèvement. On ne saurait accélérer la fin de vie et les modalités de prises en charge du patient ne doivent en rien changer. A la suite de l'arrêt qui signe la mort du patient, une perfusion régionale normothermique est mise en place jusqu'au prélèvement d'organe, comme pour le Maastricht II, puis l'organe est placé sous machine de reperfusion.

Les résultats confirment que ce type de décès frappe majoritairement des hommes, probablement du fait du risque majoré d'accident vasculaire ou de pathologie athéromateuse. L'âge des donneurs était limité à 60 ans, afin de ne pas ajouter un risque lié à l'âge du greffon. L'ensemble des examens complémentaires a bien été réalisé, conformément au protocole, pour conforter le pronostic de fin de vie irréversible. Dans un certain nombre de cas, la procédure a dû être interrompue, soit en raison de délais non compatibles, soit d'un refus de la famille ou du patient. Il y a eu un cas de refus administratif prononcé par le procureur, et une annulation en raison d'un risque de transmission infectieuse.

Les modalités de réalisation de la LAT (limitation et arrêt des thérapeutiques) ont bien été conformes au protocole. Le choix du lieu avait suscité débat : nous n'avions pas exclu de réaliser la LAT, à l'instar de certains pays comme les Pays-Bas ou la Belgique, au bloc opératoire, mais les conditions d'accueil des familles ne sont pas apparues optimales et les services ont préféré le service de réanimation. L'extubation a été réalisée dans 100 % des cas, de même que la sédation titrée, conformément aux règles de bonne pratique. La circulation régionale a également été réalisée dans 100 % des cas. Enfin, les proches ont choisi, pour moitié d'entre eux, de rester jusqu'à la phase terminale s'ils le souhaitaient, les autres préférant attendre dans une salle d'accueil.

Un certain nombre de donneurs éligibles n'ont pu être prélevés, soit en raison de problèmes techniques de canulation, soit du fait de délais dépassés. Au total, 48 % des donneurs éligibles ont bien été prélevés : 27 greffes rénales ont été réalisées dont 26 restent fonctionnelles. C'est un résultat excellent. Dans la majorité des pays qui avaient mis en place ce type de protocole, mais sans machine de perfusion, on enregistre 20 % d'échec des transplantations. Pour les greffes hépatiques, six sur six ont donné une reprise immédiate de fonction. Depuis le début de l'année, douze greffes de rein et deux greffes de foie supplémentaires ont été réalisées. Sans que de nouveaux centres aient encore été ouverts, car nous effectuons, avant chaque ouverture, une visite sur place pour vérifier que les conditions médico-techniques sont remplies et s'assurer de l'adhésion de l'ensemble de l'équipe de l'établissement.

Le ressenti des équipes soignantes représentait un point d'évaluation important. Certes, les établissements concernés s'étaient portés volontaires pour cette phase pilote, mais il n'en est pas moins frappant de relever un renforcement de la cohésion au sein des équipes. Les services de réanimation, qui accueillent beaucoup de personnes en fin de vie, ne sont pas des services faciles. Le fait d'avoir mieux communiqué sur la fin de vie, renforcé l'accompagnement des patients et formalisé des protocoles précis a mis en phase infirmières et médecins. Les équipes ont d'ailleurs toujours souhaité un debriefing après les premiers prélèvements, afin de pouvoir s'exprimer sur cette expérience.

L'attribution des greffons, enfin, n'est pas sanctuarisée. Si seuls cinq établissements ont participé à la phase pilote, neuf CHU ont bénéficié des greffons.

Au total, le protocole a été respecté dans l'ensemble de ses phases. Le comité de suivi a émis, à la suite de la phase pilote, des préconisations. Il recommande notamment de rendre possible, dans les mêmes conditions, l'ouverture d'autres centres et de relever l'âge maximal des donneurs de 60 à 65 ans. Le conseil médical et scientifique de l'Agence et son conseil d'orientation ont approuvé ces deux orientations.

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