Intervention de Anne Courèges

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 mars 2016 à 9h30
Audition de Mme Anne Courrèges directrice générale et du professeur olivier bastien directeur de la direction prélèvement greffe organes-tissus de l'agence de la biomédecine

Anne Courèges, directrice de l'Agence de la biomédecine :

La question du consentement est complexe et vous a d'ailleurs beaucoup occupés dans la période récente. Elle revient à chaque loi de bioéthique, et cela est naturel, tant elle est centrale.

Ce qui nous a frappés, c'est la méconnaissance de la loi dans l'opinion publique. Le principe de consentement présumé existe dans notre droit positif depuis 1976. Or, nous avons constaté que la plupart des gens l'ignoraient, et pensaient que nous étions sous un régime de consentement explicite.

Il ne faut pas perdre de vue qu'un consentement présumé reste un consentement. Faute de le dire avec force, on contribue à l'incompréhension de la population. Lors de la phase d'abord des proches, dans les services hospitaliers, la famille, bien souvent, ne comprend pas les questions qui lui sont adressées sur l'état d'esprit du patient, car elle s'imaginait qu'en l'absence de carte de donneur, la question ne se posait pas. Or, pour l'équipe médicale, il s'agit de savoir si, de son vivant, la personne avait manifesté des signes de refus ou, au contraire, de non opposition au don d'organe. Si l'on avait la certitude que tous ceux qui ne veulent pas être donneur s'inscrivent sur le registre national des refus, ce serait simple. Mais il n'est pas toujours facile d'engager une démarche administrative sur sa propre mort.

Une évolution législative est intervenue, qui renvoie à un décret la fixation des modalités d'expression du refus, de son vivant. La concertation est en cours, si bien que je ne puis vous en dire plus aujourd'hui. Nous attendons tous son issue avec impatience puisque le nouveau dispositif doit entrer en vigueur au 1er janvier 2017 : il faut que nous puissions informer le public et les professionnels le plus rapidement possible. Sans compter que l'Agence a été mandatée pour établir des règles de bonne pratique dans l'abord des proches. Dans la question du prélèvement, l'organisation et le savoir-faire comptent beaucoup. C'est pourquoi je vous rejoins pleinement sur la formation. Mais c'est aussi avec des règles de bonne pratique, nourries des expériences de terrain, qui donnent un canevas général, harmonisé sur l'ensemble du territoire, que l'on parviendra à un abord des proches le plus humain et le plus efficace possible.

La formation est évidemment essentielle. C'est un des axes du plan Greffe II que j'ai évoqué. Notre préoccupation est de former les coordinations hospitalières de prélèvement, c'est à dire les professionnels spécialisés, dont c'est le métier que d'accompagner les familles dans cette première phase du deuil. L'Agence de biomédecine a mis en place une formation gratuite, la formation des coordinations hospitalières de prélèvement, qui se tient deux fois l'an à Lyon pour apporter les meilleurs retours d'expérience aux professionnels et les aider à réfléchir collectivement sur leurs pratiques.

Mais notre préoccupation est aussi d'étendre la formation au-delà de ce cercle de professionnels spécialisés. Car il faut former dès le début de la prise en charge : les urgentistes, les réanimateurs, afin que toute la chaîne de solidarité que constitue la greffe soit formée à cette thématique, et que les familles soient accompagnées dès qu'elles entrent à l'hôpital. Cela suppose de former beaucoup de monde et c'est pourquoi nous avons mis en place une plate-forme informatique, faite de mooc, avec, dans certains cas, une part de présentiel, accessible à l'ensemble des professionnels. C'est un chantier qui a été lourd mais la plate-forme est désormais opérationnelle et devrait nous permettre de former un maximum de personnes. Les coordinations hospitalières de prélèvement sont au coeur du dispositif ; leur rôle est essentiel mais difficile, comme en témoigne l'important turn over dans cette profession. Il faut valoriser ce métier exigeant si l'on veut que les professionnels se tournent vers lui.

Autre axe essentiel, la communication, qui fait partie des missions de l'Agence, chargée de promouvoir le don. Vous évoquez la campagne sur la moelle osseuse, fort bien relayée par les médias, y compris les médias locaux, qui jouent un rôle essentiel. Il y a deux semaines, sur M6, a été diffusé un Zone interdite spécial sur la greffe, qui montrait véritablement ce qu'est un parcours de greffe. C'est très important. De même le livre Réparer les vivants, qui sera bientôt porté à l'écran, a permis de faire connaitre au grand public cette course contre la montre que représente chaque greffe.

Des campagnes sont menées tous les ans. Je regrette qu'elles ne soient pas assez visibles, tant il est difficile de surnager dans le trop-plein médiatique. Tous les ans se tient, le 22 juin, la journée nationale du don d'organe et de la greffe, qui marque reconnaissance aux donneurs. La semaine qui précède, nous organisons une campagne télévisuelle - couteuse, car nous sommes facturés au même tarif que tout annonceur. L'Agence communique aussi par le biais de la relation presse. Mais nous ne pouvons pas tout faire ; les acteurs de terrain, professionnels et associations, jouent un rôle indispensable pour faire vivre le sujet, non seulement le 22 juin mais toute l'année. Ce soir, par exemple, la course du coeur va être lancée place Joffre, à Paris : un relai de 800 kilomètres jusqu'aux Arcs, qui permettra, le long du parcours, de promouvoir le don dans tous les villages et les villes qu'il traversera.

Nous organisons également, à l'automne, une campagne sur le donneur vivant. Nous sommes soucieux, encore une fois, de diversifier les sources de greffons. La mort encéphalique en fournit aujourd'hui 80 %, mais il faut diversifier. D'où cette campagne qui, eu égard au caractère assez nouveau du sujet, ne sera pas télévisuelle mais utilisera l'affichage, les relations presse, les réseaux sociaux. Car il s'agit aussi pour nous de s'adresser aux jeunes, un public difficile à atteindre car ils ne regardent pas la télévision et passent beaucoup de temps de smartphone en tablette. Il n'est pas facile de retenir leur attention. Au-delà des actions menées dans les établissements scolaires, il faut parvenir à la capter. La campagne du 22 juin, l'an dernier, a comporté pour la première fois une vidéo sur YouTube. Si le ton en était burlesque, c'est qu'elle s'adressait aux 16-25 ans. Elle mettait en scène l'homme qui meurt sans cesse, incarné par un acteur looser dont la seule fonction serait de mourir dans les films. Il enchaine ainsi les morts les plus absurdes, il est étranglé, jeté dans une piscine, décapité... Encore une fois, les 16-25 ans étaient notre cible. Et c'est aussi pourquoi cette vidéo était en anglais, pour emprunter à Hollywood et aux films qu'ils ont l'habitude de voir. Mais à la fin, l'acteur se relève et fait cette remarque qui tombe comme une évidence : dans les films, on peut se permettre de mourir autant que l'on veut mais dans la vraie vie, on ne meurt qu'une fois. Il faut donc avoir dit de son vivant à ses proches quelle est sa position sur le don. Cette vidéo a été vue plus de trois millions de fois. C'est énorme pour un spot institutionnel. Certes, ce type d'opération est « one shot », on ne captive ainsi l'attention que ponctuellement, mais l'idée est d'inscrire ce type d'action dans la durée, car la pédagogie est faite de répétition, en particulier lorsque l'on traite du don d'organe.

Tout ceci pour dire l'importance que nous accordons à la communication. Cette année, l'enjeu sera double. Au 22 juin et à la campagne « donneur vivant » viendra s'ajouter, à l'automne, une campagne destinée à faire connaître les changements intervenus dans la législation, pour préparer l'entrée en vigueur du nouveau dispositif, au 1er janvier 2017. Cela représente un coût supplémentaire, mais les enjeux le justifient.

Nous avons aussi besoin de vous, du travail que vous menez dans vos circonscriptions, avec les associations. Ce sujet nous concerne tous ; nous sommes tous les porte-parole du don d'organe.

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