Intervention de Dounia Bouzar

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 24 mars 2016 : 1ère réunion
L'islam en france laïcité et égalité entre hommes et femmes — Audition de Mme Dounia Bouzar docteure en anthropologie directrice générale du centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam ancienne personnalité qualifiée du conseil français du culte musulman

Dounia Bouzar, directrice générale du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI), ancienne personnalité qualifiée du Conseil français du culte musulman (CFCM) :

Il est important en effet de revenir sur les rabatteurs, avant de parler de la prévention et de la déradicalisation. Les rabatteurs représentent un public très large et peuvent revêtir plusieurs visages. Certains sont payés par Daech ou Al-Nosra. Ce sont par exemple des gens qui ne peuvent pas partir au combat, par exemple parce qu'ils souffrent d'asthme ou d'un handicap. Ils ne sont pas forcément sur zone. Je citerai l'exemple d'un fameux rabatteur tchéchène aux yeux verts, implanté en Tchétchénie mais rémunéré à la tâche par Daech, qui est parvenu à recruter vingt ou trente adolescentes. Il séduisait les jeunes filles en leur faisant croire qu'il était combattant en Syrie et qu'il sauvait des enfants tous les jours. Il y a ainsi des rabatteurs professionnels à différents niveaux.

Mais il y a aussi les jeunes eux-mêmes. Je pense par exemple à une adolescente de quinze ans qui a recruté ses meilleures amies, dont une plus jeune qu'elle. Alors qu'elle s'est fait arrêter et n'a pu passer la frontière, son amie a été jusqu'au bout et a sans doute péri dans les camps de Daech, suscitant une culpabilité sans fin pour la jeune femme rabatteuse. Quand les jeunes basculent dans le radicalisme, avant d'être en rupture amicale - premier indicateur d'alerte que j'ai conçu - ils ont tendance à vouloir entraîner avec eux ceux qu'ils aiment. Ils deviennent alors tous des rabatteurs en puissance sur les réseaux, bénévoles, officiant 24 heures sur 24, ne dormant plus, passant leur temps à parler aux autres et à essayer de les convaincre.

Sur la question de la prévention, au risque de me répéter, il me paraît fondamental que les acteurs sociaux de terrain soient mieux outillés, partout, pour savoir distinguer l'islam du radicalisme. Il faut être en mesure de diagnostiquer précocement les signes de la radicalité (repli sur Internet, port du jilbab, fin du monde notamment). Si l'on disposait d'une chaîne humaine capable d'identifier les signes de début de radicalité, on pourrait sauver plus de vies.

Je citerai ici l'exemple d'un père qui m'a appelée parce qu'il avait vu le sourire de sa fille à l'évocation du massacre du musée juif à Bruxelles. Son intuition s'est révélée juste, car il a trouvé trois niqabs cachés dans la chambre de la jeune fille, sous son matelas, constat qui l'a bouleversé à tel point qu'il avait du mal à me parler. Nous avons ainsi pu sauver sa fille qui, depuis lors, est redevenue athée... (c'est rare, mais cela arrive). Il faut faire confiance aux parents, car ils connaissent leurs enfants et sont en capacité de détecter les comportements suspects.

Il faut également arrêter les polémiques inutiles, qui nous font du mal et entravent notre action.

Il faut aussi pouvoir transmettre notre savoir à tout le monde. Dès que les jeunes rejettent leurs amis, tombent dans la théorie du complot ou perçoivent les adultes comme des ennemis, il faut les rassurer pour les désamorcer. Mais on ne peut agir qu'en les repérant.

Enfin, arrêtons de véhiculer l'interprétation des radicaux comme s'il s'agissait du message de l'islam. C'est insupportable et, surtout, contre-productif, puisque cela valide l'interprétation des intégristes !

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