En outre, si nous partageons le constat selon lequel le crime organisé alimente les réseaux terroristes en liquidités, en matériels et parfois aussi en hommes, l’opportunité de l’extension des moyens de renseignements à l’ensemble des infractions régies par le texte nous paraît discutable. Il suffit d’ailleurs de lire la liste des incriminations pour s’en convaincre.
Dans le sillage des débats que nous avons eus dans cet hémicycle sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence, il ne convient pas de rétrécir la compétence dévolue constitutionnellement à l’autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles.
Mes chers collègues, vous connaissez notre détermination à combattre avec fermeté les « ennemis de la liberté ». De ce point de vue, nous nous féliciterions de l’intransigeance pénale ici prévue à l’encontre des agents de la terreur et de ceux qui les soutiennent, si nous n’avions pas conscience des difficultés que rencontrera notre système judiciaire pour les faire appliquer.
Comment ignorer ces difficultés quand vous-même, monsieur le garde des sceaux, dénoncez l’augmentation inéluctable des coûts cachés du système pénitentiaire et de ceux du système judiciaire, grevé par le prix des mesures d’enquête et d’expertise ?
Ce projet de loi facilite le recours à ces coûteuses techniques d’interception et de captation des communications. Il nécessitera des moyens humains considérables pour traiter et analyser les données ainsi collectées.
Cette constatation s’applique également aux dispositions qui inscrivent de nouveaux délits dans le code pénal et prévoient d’aggraver le quantum des peines d’infractions en lien avec des activités terroristes.
À cet égard, je tiens à réaffirmer, dans la tradition du groupe du RDSE, que l’accumulation des lois pénales réactives est un non-sens, que le suivisme par le Parlement d’une opinion publique exacerbée par les médias est toujours un danger démocratique, que lutter contre le crime organisé par une multiplication constante des incriminations et une aggravation non moins constante de l’échelle des peines est une absurdité que la France ne cesse de faire sous les quinquennats successifs sans aucun succès pratique.
On ne lutte pas contre le terrorisme en envoyant des messages aux médias ; c’est en donnant aux forces de sécurité et à la justice les moyens matériels et humains nécessaires que l’on y parvient.
L’état catastrophique de la justice relève, depuis des décennies, d’une responsabilité collective tant des gouvernants que des citoyens qui n’ont jamais voulu en faire une priorité.
Comment ne pas être indigné de constater dans le même temps les sommes fabuleuses dépensées aux fins de construire des stades pour l’Euro 2016 et la pénurie dans nos greffes et nos commissariats ? Mes chers collègues, quand les Romains ont abusé de l’adage « panem et circenses », leur civilisation s’est effondrée.