Intervention de Jean-Jacques Lasserre

Réunion du 6 avril 2016 à 14h30
Développement d'outils de gestion de l'aléa économique en agriculture — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Jean-Jacques LasserreJean-Jacques Lasserre :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’exposé des motifs de la proposition de résolution rappelle plusieurs rendez-vous qui ont ponctué l’année 2015 : le plan exceptionnel de soutien à l’élevage lancé le 22 juillet, les mesures complémentaires prises le 3 septembre, la loi de finances pour 2016 parue au Journal officiel le 30 décembre, enfin, devant la persistance de la crise, les décisions portant essentiellement sur l’allégement des charges sociales prises le 11 février.

Tout en reconnaissant les efforts réalisés, je constate que la situation de l’agriculture n’a pas évolué favorablement pour autant.

Examinons l’évolution des cours des grandes productions. En ce qui concerne le lait, nous nous orientons vers un prix de 2, 90 euros pour dix litres, en baisse de près de 40 centimes par rapport aux années 2012-2013. S’agissant du porc, nous nous situons autour de 1, 10 euro le kilogramme, avant application d’un système différencié de primes. Pour les céréales, l’année qui s’ouvre s’annonce extrêmement difficile.

Nous sommes d’accord sur le constat, mais ce n’est pas le plus difficile. Repenser le modèle agricole est une nécessité, qui s’impose dans un cadre européen et mondial dépassant désormais largement les frontières de l’Hexagone.

Le contexte européen est évoqué dans cette proposition de résolution. La préparation de la future PAC sera, bien évidemment, un très grand rendez-vous. Il est clair que la France portera de lourdes responsabilités quant à la définition des futures interventions.

Nous avons constaté des évolutions significatives : il faut aujourd’hui les évaluer froidement et probablement corriger certaines d’entre elles.

Le budget de l’agriculture est globalement en régression. C’est un constat, monsieur le ministre, pas un reproche, car le débat est complexe. Les décisions sur le découplage sont bonnes, de même que les réflexions en direction de l’élevage et des jeunes agriculteurs. En revanche, le budget européen doit être totalement revisité en ce qui concerne les opérations de « verdissement » : leur évaluation mérite d’être affinée, de même que leur réel rapport qualité-prix. Enfin, la responsabilité de l’Europe sur sa contribution à la couverture des risques économiques doit être engagée.

Faut-il définitivement abandonner l’idée d’outils de régulation ? C’est ma première interrogation.

Ce serait selon moi une erreur de penser que nous devons totalement et définitivement abandonner l’idée de régulation des prix et des volumes. Ce serait un véritable aveu d’impuissance par rapport à la liberté des marchés. Nous pensons donc que des initiatives portant sur les outils de régulation des prix et des volumes doivent être prises.

Ma seconde interrogation porte sur la solidarité professionnelle. Son principe est accepté par les acteurs politiques et professionnels. Toutefois, soyons lucides : ces mécanismes seront difficiles à construire. Comment prendre la mesure de l’aléa économique ? Quels seront les seuils déclencheurs ? Faut-il avoir une approche locale, régionale ou nationale ? Quels moyens budgétaires des collectivités, quels moyens financiers et quels moyens fiscaux faudra-t-il déployer ? Autant de réponses que la profession, l’Union européenne et la France devront construire.

Au-delà du budget de la PAC et de sa future évolution, nous ne pouvons passer sous silence les délocalisations des productions dans des pays européens, qui mettent la France en grande difficulté.

Nous pouvons ainsi nous pencher sur le déplacement de la production laitière ou de la production porcine. Observons les phénomènes concernant les fruits et légumes : les distorsions de concurrence entre pays membres ne sont plus supportables. Il y a là un vrai sujet d’harmonisation des politiques sociales et environnementales au plan européen, et un véritable chantier que cette proposition de résolution devrait aborder beaucoup plus clairement. C’est dire l’urgence qu’il y a à prendre des initiatives politiques significatives.

Des réflexions sont déjà engagées sur la PAC de l’après-2020. Les institutions européennes admettent que des mécanismes de couverture des risques sous forme d’assurance, de fonds mutuels ou d’outils de stabilisation du revenu existent, mais qu’ils sont très peu utilisés.

Le Parlement européen prépare un rapport sur la question, et une étude suggère une organisation à cinq niveaux, depuis la gestion des risques les moins importants jusqu’aux crises les plus graves, qui seraient, elles, gérées directement par la Commission européenne.

La gestion des volumes serait prise en main par les organisations de producteurs, assistées par les collectivités. Des assurances récoltes et revenus seraient développées avec, là aussi, des financements publics. Ces pistes intéressantes arrivent tardivement, mais il faut néanmoins les prendre en compte.

Je rappelle par ailleurs la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, examinée le 23 mars dernier au Sénat en deuxième lecture. Différentes orientations fondamentales sont évoquées dans ce texte, et on ne peut que souhaiter le succès de cette proposition de loi et regretter son rejet par l’Assemblée nationale. La recherche d’un consensus sur ce texte nous semble nécessaire et serait, à n’en pas douter, saluée.

La proposition de résolution examinée aujourd’hui nous semble également utile, et nous lui apporterons donc notre appui.

Je souhaite, pour terminer, évoquer l’initiative que je compte prendre avec certains de mes collègues membres de la commission des affaires économiques.

Nous sommes en effet en train de planifier une série d’auditions d’acteurs clefs du secteur des assurances, d’acteurs institutionnels et d’acteurs de terrain, avec pour objectif de déposer une proposition de loi dont je souhaite vivement qu’elle puisse associer toutes les formations politiques de notre assemblée.

Je considère que le sujet de la « couverture des risques », particulièrement des risques climatiques en l’espèce, mériterait d’être abordé avec toute la vigueur et l’intérêt nécessaires.

À l’heure actuelle, trois types d’interventions existent : un dispositif de provisions fiscales sur les résultats d’exploitation, qui intéresse les zones à grande culture ou à haute rentabilité ; le système dit « des calamités agricoles », alimenté financièrement par les agriculteurs, mais dont le niveau de couverture est faible ; enfin, le système assurantiel, qui est limité, car il est onéreux, malgré les aides européennes.

Une solution visant à régler les difficultés posées par les aléas climatiques doit être trouvée. La situation de grande fragilité que connaît l’agriculture nécessite un système de couverture, et de toute urgence. Nous devons, tous ensemble, y travailler, et je fais appel à toutes les sensibilités politiques.

Le principe de l’assurance généralisée doit être retenu, car il organise à lui seul un système vraiment mutualisé. La discussion avec les organismes d’assurance doit s’ouvrir d’urgence, afin de percevoir les vrais enjeux.

Enfin, les concours publics indispensables doivent être réunis. C’est possible et, selon moi, le budget de 255 millions d’euros destiné au Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, doit trouver là son utilisation exclusive.

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