Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat sur l’offre de soins dans les territoires ruraux, proposé par notre groupe, traite un sujet qui préoccupe aujourd’hui tous les Français, puisque tous les territoires sont progressivement concernés.
C’est pourquoi j’avais interpellé Mme la ministre de la santé dans le cadre des questions d’actualité au Gouvernement le 22 mars dernier. Sa réponse, que beaucoup ont perçue comme inadaptée, voire inacceptable, au regard de la gravité de la situation, rend ce débat plus que jamais indispensable.
Face à un constat d’échec quant à la pérennisation de l’offre de soins dans les territoires ruraux et périurbains, des décisions efficaces et réalistes doivent être prises d’urgence.
En effet, madame la secrétaire d'État, si, comme on l’entend souvent, la France n’a jamais compté autant de médecins, les inégalités territoriales n’ont jamais été aussi flagrantes.
Le Conseil national de l’Ordre des médecins lui-même, dans l’édition 2015 de l’Atlas de la démographie médicale, constate que 83 % des départements français sont concernés par une perte d’effectifs en médecine. Cette diminution du nombre de praticiens est imputable non seulement aux départs en retraite non remplacés, mais aussi à une dépréciation constatée dans les facultés de médecine pour cette spécialité, malgré l’augmentation du numerus clausus.
Certes, il y a eu des mesures concrètes.
Plus de 600 maisons de santé plurisciplinaires ont été aménagées et on en prévoit 1 000 à l’horizon 2017. Mais certaines d’entre elles manquent déjà de médecins !
Les contrats d’engagement de service public et les contrats de praticien territorial de médecine générale montent en puissance. Mais, de l’aveu même du ministère, ces dispositifs nécessitent des améliorations pour être plus efficaces.
Malgré les différentes mesures des pactes territoire-santé, le bilan n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, la France compte aujourd’hui 192 déserts médicaux qui concernent 2, 5 millions d’habitants ; 26, 4 % des médecins inscrits au tableau de l’ordre ont plus de 60 ans et ce sont donc près de 52 000 praticiens qui souhaiteront prendre leur retraite dans moins de cinq ans.
Or le resserrement du numerus clausus dans les années quatre-vingt-dix provoquera une diminution de près de 10 % du nombre de médecins entre 2010 et 2020. Par ailleurs, 25 % des diplômés n’exercent jamais la médecine. Enfin, il n’y a pas toujours de cohérence entre le numerus clausus et le nombre de postes proposés à l’internat. Celui-ci est défini par la capacité d’accueil des centres hospitaliers et non par rapport aux besoins des territoires.
Comment peut-on imaginer attirer des médecins en milieu rural ou périurbain, alors que, durant toute la durée de leurs études, peu de rencontres sont organisées hors du milieu hospitalier pour leur permettre de découvrir les conditions d’exercice de la médecine générale dans ces territoires ?
Madame la secrétaire d'État, les élus sont désarmés et même désespérés. Ils ont tout essayé. Je n’énumérerai pas ici tout ce que les élus locaux sont obligés de faire. Quand on veut monter une maison médicale, c'est deux à trois ans, voire cinq ans, de travail !
Les élus locaux en sont arrivés à financer des loyers à des prix très modérés, à salarier des médecins et à essayer de trouver, s’il le faut, un emploi pour le conjoint du médecin. La réalité est difficile pour eux. Peuvent-ils faire plus ? Certainement pas ! Encore une fois, ils sont désespérés et il faut absolument que nous prenions des décisions, car il y a urgence. À cela s’ajoute le fait que vont rapidement être mis en place les groupements hospitaliers de territoire, les GHT, ce qui inquiète également les élus.
L’Association des maires de France est allée voir récemment Mme la ministre de la santé. Dans son communiqué du 29 mars 2016, elle a souhaité rassurer les élus en indiquant qu’ils seront dorénavant associés à cette démarche, alors qu’elle a pratiquement cessé dans la plupart des territoires.
Bien sûr, il n’est pas question de remettre en cause les GHT, dont chacun reconnaît l’intérêt en termes de mutualisation et de maîtrise des dépenses. Mais tels qu’ils sont définis et présentés dans le texte actuel, les GHT concentreront le pouvoir de décision au niveau du directeur de l’établissement pivot, plaçant pratiquement sous tutelle les centres hospitaliers locaux. L’avis du comité stratégique auquel participeront les élus n’est que consultatif. Il s’agit là d’une centralisation administrative sans précédent que les associations nationales d’élus – Assemblée des communautés de France, Association des maires ruraux de France, Association des petites villes de France, Association nationale des pôles d’équilibre territoriaux et ruraux et des pays – dénoncent dans un manifeste du 2 avril 2016. J’espère que nous pourrons rediscuter de la rédaction du décret d’application. Les élus demandent que les hôpitaux locaux de proximité soient considérés comme des établissements « partenaires », et non comme des établissements sous tutelle.
Si cet équilibre de partenariat n’est pas rétabli, l’Association nationale des centres hospitaliers locaux prévoit la disparition de 300 hôpitaux de proximité sur les 1 300 existants dans les trois ans, ce qui est en totale contradiction avec l’objectif de la ministre rappelé dans son dernier communiqué : « Tous les établissements, quels que soient leur taille et leur positionnement dans l’offre de soins, joueront un rôle majeur dans les GHT […] et [participent] donc à l’égalité d’accès aux soins au cœur des territoires. »
Madame la secrétaire d'État, vous en conviendrez, la situation est intenable, et nous avons perdu suffisamment de temps.
Depuis 2009, tous les rapports concluent à la nécessité d’engager des réformes de fond.
Je vous renvoie aux propositions formulées dans le rapport d’information de notre collègue Hervé Maurey, intitulé Déserts médicaux : agir vraiment, que nous sommes nombreux à soutenir, ainsi qu’à celles du Conseil national de l’Ordre des médecins dans son livre blanc Pour l’avenir de la santé.
Il est nécessaire de réformer fondamentalement les études de médecine en favorisant au plus tôt la connaissance et la pratique de plusieurs modes d’exercices médicaux par les étudiants. J’en discutais aujourd'hui avec le vice-président de l’ordre des médecins : il est tout à fait d’accord pour reconnaître que la formation des jeunes médecins se fait surtout en milieu hospitalier fermé et qu’ils n’ont que peu d’occasions, voire aucune, d’aller sur le terrain voir comment s’exerce la médecine en milieu rural ou périurbain.
Il faut également renforcer les obligations de stage par une diversification des modes de pratiques et une période d’une durée revalorisée en cabinet de ville.
Enfin, une régionalisation des épreuves classantes nationales et l’ouverture de postes d’internes en adéquation avec les particularités de la région en termes de démographie médicale sont indispensables pour répondre précisément aux besoins des territoires.
Ce sont des mesures de moyen et de long terme. Dans l’attente des effets que produiront ces mesures, je vous demande une décision d’urgence : il faut définir une durée pendant laquelle il sera demandé par convention aux jeunes médecins de s’installer en milieu rural.
On ne peut pas ignorer que la plupart des acteurs de santé, qu’il s’agisse des pharmaciens, des infirmiers, des kinésithérapeutes, des sages-femmes, des chirurgiens-dentistes et des orthophonistes, en sont arrivés là plus ou moins rapidement. Aujourd'hui, le conventionnement existe pour tous ces acteurs.
Je ne parle évidemment pas seulement des médecins généralistes. On connaît, dans ces territoires ruraux comme ailleurs, la problématique des spécialistes. Il faut attendre entre trois et douze mois pour avoir un rendez-vous avec un orthophoniste, et il y a, en plus, de grandes différences de tarifs.
C'est la raison pour laquelle il est aujourd’hui nécessaire, pour accompagner la reconquête des territoires ruraux, que nous allions jusqu’à la suppression des aides financières, quelles qu’elles soient, lorsque les médecins s’installent dans des territoires surdotés. Là aussi, il y a un problème. On peut trouver dans des territoires surdotés des médecins exonérés de cotisations URSSAF ! Par conséquent, il est temps de recentrer tous nos efforts, et ce dans les meilleurs délais, sur la problématique de la ruralité et du périurbain, d’autant que celle-ci commence même à s’étendre aux petites villes.
Ensuite, comme je l’expliquais, il faut s’assurer que la mise en place des groupements hospitaliers de territoire n’aggrave pas le problème d’accueil des jeunes médecins. En effet, la première interrogation de ces derniers lorsqu’on les rencontre porte non seulement sur la présence d’une maison de santé, mais encore sur l’existence d’un hôpital rural de proximité, qui leur permet de maintenir un rapport avec le patient. La politique ambulatoire trouve, là aussi, une concrétisation : l’existence d’un lien entre le médecin, le patient et la famille. Ce lien est assuré par l’hôpital de proximité, que la ministre a affirmé plusieurs fois vouloir pérenniser.
Madame la secrétaire d’État, je vous demande avec solennité de mesurer la gravité de la situation et de répondre à la détresse et à l’injustice que subissent nos concitoyens quand leur pays ne leur garantit plus l’égalité d’accès aux soins.