Intervention de Françoise Gatel

Réunion du 7 avril 2016 à 14h30
L'offre de soins dans les territoires ruraux

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les difficultés liées à l’accès aux soins dans les territoires ruraux, mais aussi dans certaines villes petites ou moyennes, sont inquiétantes, d’une part, parce que c’est une réalité pour des millions de Français et, d’autre part, parce que le phénomène ne fait que s’accroître.

Aujourd’hui, on recense en métropole 192 déserts médicaux, dans lesquels vivent 2, 5 millions de personnes. Ce constat est d’autant plus inquiétant que la France n’a jamais compté autant de médecins généralistes : ils sont à peu près 200 000, soit environ 1 pour 300 habitants.

Toutefois, s’il n’y a jamais eu autant de médecins, ils n’ont jamais été aussi mal répartis sur le territoire. En outre, l’existence de ces zones sous-médicalisées a des effets cumulatifs : les autres professionnels de santé – pharmaciens, kinés et autres – disparaissent avec le médecin, créant ainsi de véritables déserts médicaux.

Les territoires ruraux, disais-je, ne sont pas les seuls touchés puisque, selon une étude de l’Association des petites villes de France, les habitants de petites villes se trouvent parfois à 30 minutes de transport d’un médecin généraliste.

Les écarts de densité varient d’un département à l’autre, dans un rapport de un à quatre, mais également d’une spécialité à l’autre. Ainsi, l’oto-rhino-laryngologie, la dermatologie et la rhumatologie sont les spécialités les plus touchées, avec une conséquence directe sur les délais d’attente d’une consultation. Les chiffres sont éloquents : en moyenne, il faut 40 jours pour avoir un rendez-vous chez un gynécologue et 133 jours chez un ophtalmologue, délai pouvant s’allonger jusqu’à 18 mois à Châteauroux !

Comment expliquer une telle évolution ?

Tout d’abord, la population médicale est vieillissante, notamment pour les médecins généralistes. À cela s’ajoute, ensuite, l’augmentation de la population âgée, la plus demandeuse de soins de proximité, mais aussi la moins mobile.

Enfin, l’activité libérale est de moins en moins attractive, ce qui s’explique avant tout par les contraintes du métier. Ainsi, en 2012, 9, 5 % des médecins dits « entrants » ont choisi d’exercer la médecine libérale tandis que 69 % de ces médecins choisissaient le salariat. Par ailleurs, 25 % de nos nouveaux médecins sont recrutés à l’étranger. L’hôpital public devient par conséquent le premier employeur de généralistes, alors même que les centres hospitaliers sont inégalement répartis sur le territoire, ce qui aggrave les disparités territoriales.

Les jeunes médecins, qui s’installent rarement dans les zones fragilisées, laissent donc sans successeur les médecins de zones sous-dotées. La jeune génération aspire, très légitimement, à d’autres conditions de travail : des horaires raisonnables et conciliables avec une vie de famille et des loisirs, et la proximité avec une ville pour permettre au conjoint de travailler.

Face à ces constats inquiétants, le Gouvernement a mis en place le pacte territoire-santé, dont l’ensemble des mesures sont incitatives. La plupart des solutions proposées ont donc pour objectif d’attirer de jeunes praticiens dans ces territoires : bourse d’études ou encore contrat de praticiens territoriaux de médecine générale.

En la matière, nous devons aussi souligner le volontarisme des élus locaux, mes collègues l’ont déjà fait. En ce sens, la mise en place de maisons de santé pluridisciplinaires représente sans aucun doute une solution puisque les pratiques des médecins ont fortement évolué vers le travail en groupe. Ces maisons sont instituées en concertation avec les collectivités territoriales, qui les financent largement, et se développent avant tout à l’échelon communal ou intercommunal.

Toutefois, elles nécessitent avant tout une forte implication des professionnels de santé, un accompagnement renforcé de l’agence régionale de santé, l’ARS, mais aussi le soutien financier de l’État, car elles ne peuvent être qu’un projet immobilier.

Pourtant, force est de constater que l’effet de ces dispositions est trop limité. Compte tenu de la gravité de la situation, il faut accélérer le déploiement de la télémédecine et de la délégation de soins. En réalité, il convient de donner aux différents acteurs politiques – les collectivités territoriales et l’État, via les agences régionales de santé – les outils et les moyens suffisants pour trouver une solution adaptée à chaque territoire.

Mon collègue Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, a rappelé avec force, lors des débats sur la loi de santé, combien il est vain de penser que l’incitation suffira à amener les médecins dans les zones démédicalisées. Le conventionnement sélectif, mis en place pour les infirmières libérales en 2008, est un outil qui a démontré son efficacité, le nombre d’installations dans les zones sous-dotées ayant augmenté de plus de 30 %.

À cet égard, il convient d’évoquer la proposition de mon collègue Jean-François Longeot, rapporteur pour avis au nom de la commission de l’aménagement du territoire sur la loi de santé, d’appliquer la règle « une entrée pour un départ ». Il s’agit non pas de contraindre les médecins ni de leur interdire de s’installer où ils le souhaitent, y compris en zone surdotée, mais simplement de contenir l’hémorragie en conditionnant le conventionnement d’un nouveau médecin en zone surdotée au départ à la retraite ou au déménagement d’un médecin installé.

Après la régulation de l’installation de médecins, il faut aussi évoquer la nécessaire professionnalisation des études de médecine, avec la systématisation d’une immersion précoce dans l’environnement professionnel. Il s’agirait d’instaurer un stage d’initiation à la médecine générale dès la seconde année de formation. L’initiative prise en ce sens en Aveyron a ainsi permis d’attirer 35 médecins, dont 20 généralistes.

Néanmoins, on ne peut pas aborder les politiques de santé de proximité sans aborder aussi la question épineuse de la gouvernance. Les élus locaux, par leur parfaite connaissance de leur territoire et par leurs nombreuses initiatives en matière de santé, sont des acteurs incontournables de la politique d’accès aux soins. Nous ne prétendons pas incarner les politiques de santé ; nous voulons juste être mieux informés et plus consultés. En particulier, nous attendons de l’ARS d’être davantage associés aux processus de décision affectant directement nos territoires et d’être mieux accompagnés dans nos initiatives.

Les groupements hospitaliers de territoire prévus par la loi de santé doivent permettre une meilleure prise en charge du patient, mais aussi une plus grande égalité d’accès à des soins de qualité. Toutefois, les hôpitaux sont ancrés dans un territoire et, à ce titre, les élus locaux ne peuvent pas être écartés de leur gouvernance. Dès lors qu’ils fournissent des soins de qualité, il faut préserver les hôpitaux de proximité pour assurer le suivi de toutes les populations, notamment les plus fragiles, et pour désengorger les hôpitaux centres.

Madame la secrétaire d’État, la désertification est un constat largement partagé. Nous ne saurions donc en rester là compte tenu de ses conséquences du point de vue de la dégradation de l’état de santé de tous nos concitoyens et de la dévitalisation tant des territoires ruraux que des villes moyennes et petites. Il est urgent et impératif d’agir en rassemblant tous les acteurs de l’offre de soins pour faire évoluer un modèle devenu insuffisant.

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