Intervention de Jean-Yves Roux

Réunion du 7 avril 2016 à 14h30
L'offre de soins dans les territoires ruraux

Photo de Jean-Yves RouxJean-Yves Roux :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, bien des petites villes et bien des quartiers sont en effet touchés par la désertification médicale. Cela étant dit, le monde rural et les zones de montagne sont plus particulièrement et structurellement sous-dotés en médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes.

Dans son rapport de février 2016 portant sur l’accessibilité potentielle locale, l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, l’IRDES, souligne que quand la moyenne équivalent temps plein est de 66 % pour l’ensemble des Français, elle est de 59, 9 % pour les communes rurales isolées. Les communes rurales appartenant à de grands pôles sont sous-dotées à 49, 3 %.

Le paradoxe est grand. Une étude de septembre dernier portant sur les aspirations des Français est pourtant des plus formelles : alors que 65 % des Français sont des citadins, 64 % d’entre eux souhaitent vivre à la campagne. Alors que les territoires ruraux sont très attractifs pour l’ensemble des Français, ils ne le sont pas assez pour les médecins, généralistes ou spécialistes, et leurs familles.

D’ici à trois ans, une grande proportion de médecins partira à la retraite. Certains seront remplacés, d’autres non. Dans mon département des Alpes-de-Haute-Provence, 27, 5 % des médecins ont ainsi plus de soixante ans.

Des spécialités entières disparaissent de certains territoires. Ainsi mon département ne compte-t-il plus que trois gynécologues libéraux pour 165 000 habitants. Obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologue peut demander plusieurs mois et nécessiter ensuite de parcourir des centaines de kilomètres pour s’y rendre. Or le département des Alpes-de-Haute-Provence est considéré par le schéma régional d’organisation des soins, le SROS, non pas comme un désert médical, mais comme un département à risque de désertification.

Il y a, à n’en pas douter, un réel décalage entre ces chiffres et le vécu des patients. Le ratio entre la densité de médecins et la population ne me semble pas être le seul critère pertinent pour évaluer les inégalités territoriales et donc pour améliorer la couverture des territoires moins bien dotés.

Je souhaite à ce titre que nous changions de logiciel : il faut passer du ratio entre nombre de médecins et nombre de malades à une logique d’accès réel aux soins. À cet égard, j’évoquerai la situation des zones de montagne et des zones touristiques.

Le rapport Laclais-Genevard sur l’acte II de la loi montagne en préparation rappelle très justement que « les caractéristiques géographiques […] et climatiques […], ainsi que la faible offre de transports en commun, rendent de manière ponctuelle ou permanente les conditions d’accès aux services de santé difficiles ».

Nous devrons de la même manière réfléchir à la prise en compte des zones touristiques, qui présentent des fluctuations importantes de population. Des difficultés d’accès aux soins sont possibles en dehors des saisons touristiques, malgré une densité apparente de professionnels qui semble correcte, voire élevée. Une durée de trente minutes pour accéder à un médecin n’a pas la même signification partout, notamment quand il s’agit d’un médecin traitant qui est amené à refuser des patients supplémentaires.

Mes chers collègues, voilà quelques mois, nous nous félicitions tous ensemble de la signature des accords de Paris. Nous avons ici l’occasion de concrétiser notre engagement. Je propose que nous intégrions le critère de déplacement, de temps de transport, dans tous les schémas d’organisation du système de santé. Nous y gagnerons en qualité de vie bien sûr, mais aussi financièrement, car la prise en charge des transports coûte cher à la sécurité sociale.

Mes chers collègues, La COP 21 est aussi un outil d’aménagement du territoire pertinent pour l’offre de soins.

Dans ce contexte, de nombreuses décisions – de bonnes décisions ! – ont été prises ces dernières années. Bien des expériences locales ont été menées, certaines ont été des réussites, d’autres ont été loin de l’être. C’est la coexistence de tous ces leviers qui permettra d’obtenir des résultats, à la condition que ces possibilités soient connues de tous les médecins, en devenir ou souhaitant s’installer.

L’organisation de la table ronde sur la démographie médicale par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat du 17 février dernier a été à ce titre particulièrement riche d’enseignements.

Premier enseignement : les maisons médicales répondent aux aspirations des médecins, des professions paramédicales, des hôpitaux, mais aussi des élus. À cet égard, je me réjouis de la décision du Gouvernement de soutenir la création de maisons de santé, dont le nombre sera supérieur à 1 000 en 2017, contre 170 en 2012. Je souhaite que les nouveaux schémas régionaux d’organisation des soins veillent scrupuleusement à ce maillage afin qu’il n’y ait pas de concurrence territoriale entre les maisons médicales. À défaut, des élus se retrouveront avec des bâtiments vides, après avoir consenti des investissements importants.

Deuxième enseignement, et non des moindres : il est nécessaire de mettre en place une politique territoriale de santé encore plus fine au cours de la formation des jeunes médecins, en particulier lors de leurs stages d’internat. Ces derniers pourraient plus souvent avoir lieu dans des territoires moins dotés, avec des conventionnements augmentant la part des gratifications correspondantes.

C’est la raison pour laquelle je souscris pleinement à l’annonce qui a été faite lors de la conférence de la santé de février 2016 de créer un numerus clausus régional, tant pour les généralistes que pour les spécialistes. Ce numerus clausus gagnerait sans doute à être élaboré en étroite collaboration avec les SROS.

Troisième enseignement : il faut concentrer les politiques publiques sur les jeunes générations. Les tentatives pour convaincre des médecins en zones surdotées de s’installer dans des zones moins dotées ont donné assez peu de résultats. Le recours à des médecins européens, en particulier roumains, a eu du succès dans certains endroits, mais il s’est aussi révélé fragile. Le plus grand vivier de médecins réside donc parmi les jeunes générations ou les primo-installations.

À cet égard, je salue les annonces faites lors de la conférence de la santé qui vont dans ce sens, notamment la réforme de la formation initiale ou les passerelles entre les professions paramédicales et médicales. Le recrutement de 1 700 contrats de jeunes médecins en milieu rural, contre 350 en 2012, est notable.

Pour autant, et c’est un point auquel je tiens particulièrement, je souhaite vivement que l’on décrive aux étudiants dans les facultés de médecine la réalité de l’exercice du métier de médecin en milieu rural, lequel est très différent du métier de médecin généraliste en ville.

Il s’agit d’un métier très polyvalent, qui crée du lien social. Le film Médecin de campagne est un beau témoignage de cette réalité. Il s’agit aussi d’un métier de haute technicité, permettant une pratique médicale variée, de la traumatologie aux premiers dépistages d’ophtalmologie.

En outre, ces médecins utilisent bien entendu les dernières avancées de la télémédecine. L’accès au très haut débit est donc indispensable à la pratique médicale en milieu rural. De la même manière, ces médecins disposent bien souvent d’un matériel de pointe et de plateaux techniques, par exemple des rétinographes, nécessitant de lourds investissements.

Je propose donc que des aides spécifiques soient allouées aux médecins équipés de ces matériels de dépistage ou de premier secours. Au final, l’assurance maladie serait gagnante et le parcours de soins préservé.

Je souhaite enfin que nous réfléchissions à la création d’une nouvelle spécialité médicale, celle de médecin rural. Cette nouvelle classification permettrait de reconnaître la spécificité de ce métier, sa technicité, et de revaloriser le traitement des médecins l’exerçant.

Les territoires ruraux ne sont pas seulement des handicaps territoriaux à compenser, ils sont aussi des lieux d’innovation et d’excellence technique, y compris dans le domaine médical.

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