Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il n’est nul besoin d’être diplômé de la faculté pour s’apercevoir que notre système médical n’est pas très en forme, particulièrement en milieu rural, où il présente des symptômes inquiétants.
C’est logique, car en France, on n’a jamais su faire du préventif. Puisqu’on fait du curatif, il faut avant tout établir un diagnostic étiologique, c’est-à-dire examiner et analyser les causes de cette situation afin de trouver des pistes et quelques solutions ! Des solutions, certains oseront vous en proposer. Mais en médecine, comme en politique, si l’on ne traite pas la cause, la rémission risque d’être de courte durée.
Vous me pardonnerez donc d’énumérer des causes ayant parfois été maintes fois évoquées, mais les piqûres de rappel ont souvent leur utilité. Pour ma part, je ne parlerai que du problème de la démographie médicale en milieu rural, car c’est mon domaine.
Ce problème résulte de la conjonction – je dis bien : de la conjonction – de réglementations, d’orientations et d’évolutions dont nous sommes tous, les décideurs politiques, le monde médical et la société en général, collectivement responsables. Aucun élément n’est responsable à lui seul.
Premier élément : le numerus clausus, qu’on ne peut pas ne pas évoquer. Oui, bien sûr, nous le savons, il n’y a jamais eu autant de médecins qu’en ce moment et ils sont mal répartis sur le territoire, mais une erreur stratégique et une mauvaise appréciation de la chronologie du temps médical expliquent cet état de fait. Je vais m’expliquer très schématiquement.
Les médecins des années cinquante, qui ont créé les réseaux en milieu rural, ont été accompagnés et remplacés par les étudiants des années soixante-dix, qui eux-mêmes seront accompagnés et remplacés par les étudiants des années quatre-vingt-dix et deux mille.
Or le numerus clausus est apparu en 1971 et a été au plus bas en 1995. Le numerus clausus a été instauré afin de limiter le nombre de médecins, au motif que plus il y a de médecins, plus on dépense, ce qui n’est pas entièrement faux. C’est d’ailleurs pour la même raison que l’on a malencontreusement aidé certains médecins à prendre une retraite anticipée. Il est toujours ennuyeux de ne raisonner qu’en termes financiers !
Ce n’est donc pas un hasard si nous constatons aujourd'hui le manque de médecins : c’est parce que la première génération de médecins « numéruclausés », les étudiants de 1971, ceux qui ont expérimenté le numerus clausus, prennent leur retraite en ce moment. L’arrivée de médecins étrangers n’a pas atténué le malaise et le desserrement du numerus clausus en 1999 a été trop tardif.
Deuxième élément : la formation. Il y a eu, au fil des décennies, un changement notable de la formation des médecins. Avant, on disait d’un généraliste qu’il était un omnipraticien. On lui apprenait à faire plein de choses en plus de la médecine généraliste : de la petite chirurgie, de la pédiatrie, de la gynécologie, de l’obstétrique, de l’ORL, etc. Tous ces actes peuvent être bien utiles en milieu rural. Et quand on sait faire parce qu’on a appris, on a moins d’angoisse ! Cette polyvalence a malheureusement disparu parce que les spécialistes voulaient se réserver certains actes et que la menace de la judiciarisation n’incitait pas les médecins à en faire plus.
Alors le médecin aux mains nues, perdu dans la campagne, c’est encore possible, mais cela a maintenant des limites.
Troisième élément responsable dénoncé par beaucoup : l’hospitalo-centrisme, soit le fait que les études médicales se déroulent principalement à l’hôpital. Or ce n’est pas à l’hôpital qu’on apprend véritablement la médecine ; ce n’est pas à l’hôpital qu’on découvre le métier de médecin. C’est sur le terrain !
Quatrième élément, et erreur fondamentale : sous prétexte que les études de médecine comprennent de la physique, de la chimie et de la biochimie, les candidats doivent avoir un profil scientifique. Or, pour être médecin, surtout médecin généraliste, il faut être non pas un matheux, mais un philosophe et un humaniste. Un médecin n’est pas un ingénieur ou un technicien. Il peut l’être, certes, mais s’il n’est que cela, il ne fait pas un très bon médecin.
Cinquième et dernier élément : force est de reconnaître que les jeunes médecins ont des objectifs de vie différents aujourd'hui, qu’ils ont une autre conception du confort de vie et de leur profession.
Associés les uns aux autres, tous ces éléments expliquent l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Alors que faire, sachant que toutes les mesures incitatives n’ont pas été probantes ou qu’elles ont été un échec, selon la Caisse nationale d’assurance maladie et le Conseil de l’ordre, d’après les déclarations qu’ont faites, au sein même de cette maison, leurs représentants ?
Il faut continuer à réformer les études médicales, le mode de sélection, la formation, les stages, la pratique du terrain, sans avoir peur de bousculer certains ordres établis et certains corporatismes ou poujadismes professionnels.
Il faut bien sûr favoriser les regroupements, les maisons médicales, inventer de nouveaux fonctionnements, sans oublier que l’ordinateur et le téléphone ne remplaceront jamais le contact direct, sauf à accepter un certain pourcentage d’accidents. Dans ce cas, nous n’avons pas la même conception de la médecine.
Permettez-moi maintenant de prononcer un « gros mot » : il faudra bien, un jour, toucher à la liberté d’installation. Nous savons que cela ne plaît pas aux syndicats médicaux, à l’Ordre, que cela ne plaît pas forcément au Gouvernement non plus, et que les lobbies sont puissants, mais il faudra y venir tôt ou tard, c’est une évidence.
Ayant une certaine expérience en tant que médecin et en tant qu’élu, j’affirme qu’il y a des constantes qui ne peuvent et qui ne doivent pas changer : la médecine n’est pas qu’une boîte à sous, elle est avant tout un service public. Le médecin généraliste a par définition un rôle de traitant, mais il a aussi, dans ses gènes, un rôle social, qu’il soit médecin à Paris ou toubib en rase campagne. C’est bien parce qu’il y a enchevêtrement du rôle, des images et des fonctions que des petites communes sont un peu perdues quand elles n’ont plus de médecin.
Les solutions ne seront jamais exclusivement financières. Elles seront un peu éducatives, un peu philosophiques, beaucoup réglementaires. C’est vrai, je l’avoue, c’est un peu compliqué pour les décideurs politiques, mais la médecine, ce n’est pas qu’un métier. Poser un diagnostic, trouver le bon traitement, c’est parfois aussi un peu compliqué.