Intervention de Emmanuel Detter

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 17 mars 2016 : 1ère réunion
Problématique des normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture des outre-mer — Contraintes normatives applicables à la filière de la banane

Emmanuel Detter, consultant à EURODOM :

Monsieur le sénateur, vous soulevez un problème majeur qui relève de l'action du Gouvernement et de Bruxelles.

L'ODEADOM a demandé au cabinet AND-International de réaliser une étude sur la banane bio, en comparant les productions de la République dominicaine et des Antilles. Les résultats sont spectaculaires. Une liste en fin de rapport établit que la République dominicaine peut utiliser 33 produits pour la banane bio. Seuls trois produits sont autorisés aux Antilles car aucun laboratoire n'a pris le risque de dépenser beaucoup d'argent en recherche pour une AMM. 14 produits sur les 33 ne sont pas autorisés par la liste communautaire en agriculture conventionnelle. Nous avons des productions, étiquetées bio en raison d'un accord commercial, qui utilisent 19 produits et qui, de plus, utilisent des produits que nous ne pouvons pas même utiliser en agriculture conventionnelle.

Depuis l'interdiction des traitements phytosanitaires aériens, nos avions et nos hélicoptères ont été achetés par nos concurrents de la République dominicaine qui les utilisent pour leurs propres traitements bio !

Cette tromperie du consommateur est inquiétante car elle cause un préjudice à nos producteurs. De plus, si le consommateur européen prend conscience que ce qui provient des pays tiers n'a plus de label sérieux, il perdra confiance.

J'attire votre attention sur le fait que le sujet est particulièrement d'actualité. À Bruxelles, le règlement sur l'étiquetage des produits bio fait l'objet de discussions, difficiles, sous présidence néerlandaise, dans le cadre de trilogues. Nous avons fait notre part de travail d'alerte. Depuis le début, la Commission a plutôt l'intention d'aller vers la conformité : elle demande que la réglementation bio communautaire s'applique aux pays tiers d'ici cinq ans. Tout le monde s'est aperçu que ce sera impossible pour des productions tropicales sur lesquelles il n'y a pas d'équivalence. La conformité sur les pommes de terre est concevable, mais pas sur les bananes. Nous avions obtenu du Parlement européen que l'octroi de l'équivalence ait pour contrepartie le respect du principe de loyauté des échanges et que la Commission doive adapter en conséquence la réglementation communautaire. Cet amendement avait été adopté dans le cadre du trilogue mais il a été modifié. L'amendement en cours de discussion reprend l'exigence de conformité à 5 ans et prévoit que la Commission puisse accorder des dérogations pour l'importation de produits bio venant de pays tiers sur le territoire communautaire, avec la précision que, pour les régions ultrapériphériques, les dérogations ne seront possibles que dans 5 ans. Nous avons un vrai problème car le commissaire Hogan est allé en Colombie et a annoncé un grand accord sur le bio.

Dans les productions communautaires tropicales, notre savoir-faire pour le bio est supérieur à tout ce qui se fait dans le monde. Si Bruxelles en était convaincu, nous aurions la possibilité de commencer à définir un standard européen du bio. Les problèmes économiques des grands laboratoires que nous évoquions en début d'audition seraient réglés si le standard européen bio s'appliquait au marché communautaire. Le laboratoire ne ferait pas valider ses produits uniquement pour la Guadeloupe ou la Martinique, mais pour l'ensemble du monde qui voudrait accéder au marché communautaire.

La question du standard européen du bio a été soulevée par les producteurs à Bruxelles. Nous en avons parlé à Monsieur Joost Korte, directeur général adjoint de la DG Agri et au chef de cabinet adjoint de Madame Anna Cecilia Malmström, commissaire en charge du commerce, qui ont bien pris conscience de la situation. Cependant, lors des discussions en trilogue en présence du Conseil, de la Commission et du Parlement, on s'est à nouveau écarté d'une solution satisfaisante pour nos productions qui consisterait à reconnaître que nous avons une agriculture tropicale dans l'Union européenne et à rechercher, au moins pour le bio, une solution adaptée.

Il faudrait une volonté communautaire, portée par une demande française, de modifier la réglementation pour définir un standard européen du bio, qui s'appliquerait progressivement à nos partenaires commerciaux des pays tiers. Permettons à ceux qui font la meilleure banane de disposer de labels valorisants et donnons 5 ans aux autres producteurs pour se conformer à nos standards plutôt que de nous enfermer dans une logique où le bio de chez nous serait un bio continental, jamais appliqué dans l'agriculture tropicale, et d'autoriser à peu près n'importe quoi pour les pays tiers.

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