Intervention de Hakki Akil

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 décembre 2015 à 9h03
Crise irako-syrienne et question des réfugiés- Audition de M. Hakki Akil ambassadeur de turquie en france

Hakki Akil, ambassadeur de Turquie en France :

Nous avons en effet l'habitude de faire passer les messages les plus difficiles en disant qu'il s'agit de notre opinion personnelle, mais nous ne pouvons en fait malheureusement pas nous payer le luxe d'en avoir une !

En ce qui concerne la mauvaise image de la Turquie, vous avez malheureusement raison : la Turquie ne bénéficie pas, surtout en France, d'une bonne image de marque, et ce depuis longtemps. La Turquie, c'est un peu la « tête de Turc » des journaux et des médias français !

Pour ce qui est du double langage, je peux vous assurer que la Turquie n'en a jamais eu. Nous combattons Daech depuis le début.

Notre façon de le faire est différente de celle de certains de nos alliés, surtout américains. Le temps nous a malheureusement donné raison. Je vous avais expliqué, lors de ma dernière audition, que les frappes aériennes étaient utiles et nécessaires, mais ne pouvaient seules résoudre le problème. Il en va de même pour la France : vous pouvez frapper Raka, la Syrie ou l'Irak tant que vous voulez, l'origine de votre problème se trouve en France.

Il faut d'abord résoudre le problème originel politiquement. C'est pareil en ce qui nous concerne pour Daech : il nous faut résoudre le problème de départ. S'il existait à Damas un gouvernement qui représente toutes les composantes du pays, Daech ne pourrait trouver un terrain propice pour s'établir. Il faut à Damas un gouvernement qui englobe les sunnites au lieu de les marginaliser et de les évincer de toutes les sphères de la société. Dans le cas contraire, Daech trouvera un terrain fertile chez les sunnites, qui considéreront Daech comme leur sauveur.

Si certains Français partent combattre à 3 000 kilomètres de chez eux pour une raison absolument stupide, c'est qu'il y a un problème en France ! Il faut donc le résoudre à la source. C'est ce que nous avons toujours soutenu. Nous n'avons jamais été hostiles aux frappes aériennes, mais nous avons dit que cela ne pouvait résoudre le problème.

Quant à l'importation du pétrole ou la porosité des frontières, je peux vous garantir que la Turquie n'a jamais acheté de pétrole à Daech. Notre président a dit très clairement qu'il démissionnerait si le président Poutine était capable de prouver que la Turquie achète du pétrole à Daech. Si ce n'est pas le cas, il espère que le président Poutine fera de même !

Il est très facile de prétendre à la télévision que les camions que l'on bombarde vont livrer du pétrole en Turquie. On peut aussi affirmer qu'ils vont dans n'importe quel autre pays. Il n'y a aucune preuve ! La consommation de pétrole turque s'élève à 35 millions de tonnes par an. Nous en achetons à tous les pays producteurs.

Je ne veux pas dire qu'il n'y a jamais eu de trafic de pétrole. Il y en a eu, et il y en aura toujours. Si le pétrole coûte 25 dollars d'un côté de la frontière et 50 dollars de l'autre, il y aura du trafic. L'important, c'est le volume de celui-ci.

Durant le premier semestre de cette année, les autorités turques ont mis la main sur 559 000 litres de pétrole, soit environ vingt-cinq camions citernes, qui essayaient d'entrer en fraude. Ce n'est toutefois pas par des camions citernes que passe ce pétrole, mais à l'aide de tuyaux d'irrigation. Ce sont souvent les groupes kurdes qui pratiquent cette contrebande, et non Daech. Peut-être les groupes kurdes achètent-ils également du pétrole auprès de Daech. La population kurde se trouve des deux côtés, et elle a plus de facilités. Ce trafic existait avant l'apparition de Daech, des deux côtés de la frontière. Il n'est pas nouveau.

Je peux vous garantir que la Turquie n'a pas acheté un seul litre de pétrole à Daech. Le trésor américain a cité les noms de sociétés et d'hommes d'affaires qui ont organisé ce trafic, affirmant par exemple que le pétrole de Daech était acheté par le régime de Damas par le biais d'un homme d'affaire russo-syrien, George Haswani.

Les Chypriotes grecs et les Russes présents dans la partie grecque de Chypre servent également d'intermédiaires.

Le Trésor américain a expliqué qu'environ 95 % du pétrole de Daech allait au régime de Bachar al-Assad. Ce n'est pas nous qui le disons !

Les Russes ont accusé la Turquie de trafic de pétrole, ou de prodiguer des soins aux combattants de Daech ; les porte-paroles du ministère des affaires étrangères et du Trésor américain ont qualifié ces affirmations de ridicules.

J'insiste parce que cela a malheureusement rencontré beaucoup d'échos dans les journaux...

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