Quel est le rapport des forces en présence ? Que représente au sein de l'opposition les forces de Daech et des différents groupes ? L'Iran a-t-elle des forces visibles et comment sont-elles mobilisées ?
Quelles sont les réactions des populations à la suite des bombardements ? Certains observateurs estiment que les bombardements peuvent avoir des conséquences « favorables », d'autres expliquent que cela peut décourager les Syriens de chercher des solutions à l'intérieur et déclencher des migrations de populations. Que pensez-vous de la mise en place de zones de protection ? Ne faut-il pas envisager un cessez-le-feu pour sécuriser une partie du territoire et des populations ? Est-ce réaliste ?
Face au risque d'essaimage que vous évoquiez, il importe de trouver une issue rapide à cette crise avant qu'une recomposition ne s'opère. Quelle est, selon vous, la durée prévisible de la campagne que le Parlement a autorisée ?
Général Didier Castres. - Les armées sont actuellement engagées, dans toutes leurs dimensions, au-delà de leur contrat opérationnel : 13 000 militaires sont engagés sur le territoire national et 10 000 en opérations extérieures, ce qui représente en termes d'équipements 45 chasseurs, 475 blindés, une dizaine d'autres aéronefs et une douzaine de bâtiments de la Marine nationale. La marge pour agir davantage est par conséquent étroite.
S'agissant de la consommation des bombes, la campagne aérienne ne posait aucune difficulté de gestion de stock. Depuis la décision du Président de la République d'accentuer la lutte contre Daech, nous allons multiplier par 2 la consommation mensuelle. Cet effort est tout à fait supportable, sous réserve de lancer des commandes de complément dès à présent ; ce qui somme toute est une procédure normale. Il n'y aura pas d'interruption des opérations en raison d'une pénurie de munitions.
D'ailleurs, la difficulté principale ne réside pas tant dans nos stocks : nos avions embarquant une grande quantité d'armement, ils seraient en mesure de frapper davantage, mais la problématique est celle des cibles à traiter pour désorganiser Daech. Depuis un an et demi, Daech s'est organisé, dissimulé, protégé et ces cibles sont difficiles à détecter.
Les forces combattantes de Daech sont estimées à un effectif de 30 000 en Syrie et en Irak, dont 40 % de combattants étrangers. Ils sont opposés à 140 000 Kurdes du nord de l'Irak, 7000 Kurdes syriens et 130 000 membres des forces de sécurité irakiennes. En outre, il existe en Syrie une constellation de combattants très divers de l'ordre de 100 000 personnes, dont la France estime que 80 000 d'entre eux appartiennent soit à des groupes terroristes désignés comme tels par les Nations unies, soit à des groupes salafistes extrémistes. Les travaux actuellement conduits sous l'égide de la Jordanie permettront surement d'y voir plus clair.
Doit-on et peut-on aller combattre au sol ? Il est clair que les bombardements seront insuffisants pour reprendre le contrôle des zones tenues par les terroristes. Sur cette question, je voudrais simplement vous donner quelques ordres d'idées. Lors de la deuxième bataille de Falloujah, en novembre 2004, contre les mêmes adversaires que ceux d'aujourd'hui, les combats ont duré 5 mois. Les Américains et les Irakiens ont engagé 45 000 hommes, 100 avions, drones, hélicoptères et 300 blindés pour pouvoir prendre la ville. En Afghanistan où la coalition a conduit une opération de contre-insurrection qui pourrait ressembler à ce qu'il y aurait à faire en Syrie, l'OTAN a déployé jusqu'à 150 000 militaires et 350 000 membres des forces locales de sécurité, soit 500 000 hommes au total. A ce stade, une opération de contre-insurrection en Syrie est hors de portée des pays arabes et « hors de la volonté » des pays occidentaux.
S'agissant de l'engagement européen en Syrie, il se limite actuellement à l'engagement de la France, et à celui de la Grande-Bretagne, depuis quinze jours. Les Belges vont participer. Les Allemands vont apporter des moyens de reconnaissance. Cela illustre bien la faiblesse des moyens de la coalition et le manque de mobilisation de la communauté internationale, à commencer par les Européens.
S'agissant du nouveau Centre de Planification et de Conduite des Opérations (CPCO) de Balard, nous avons un outil de grande qualité, moderne et performant, qui répond au besoin de la multiplicité des crises et aux opérations modernes.
A propos de Barkhane, l'apport des Européens va permettre de rehausser le niveau de la MINUSMA, notamment au niveau de son état-major, où il reste des lacunes. La stratégie française au Mali donne satisfaction. La France a réussi à faire coopérer les pays de la région qui montent maintenant des opérations conjointes, et qui sont désormais mobilisés par la sécurité de leurs confins sahéliens. La place qui est donnée aux opérations des Nations unies permet aux forces françaises de se concentrer sur les opérations de contre-terrorisme.