Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le numérique change tout, et cela va continuer. Aussi, pour adapter le fonctionnement et le rôle de l’État et pour assurer la protection des citoyens, mais aussi pour faire en sorte que la France puisse maîtriser les évolutions qu’engendrent ces technologies, il convient aujourd'hui de légiférer.
Suivant les choix que nous ferons, nous nous bornerons à constater la domination de certains algorithmes et bases de données géantes ou, au contraire, nous signifierons que les meilleurs apports du net, c’est-à-dire l’économie collaborative, le partage, la mutualisation, la transparence de l’action publique et le contrôle des données, doivent rester des fondamentaux et s’amplifier.
Certes, notre pays ne pourra pas porter cette volonté seul ; mais la patrie de Proudhon, celle qui fut à l’origine de la philosophie mutualiste, doit rester à l’avant-garde de ces combats.
Le numérique est un domaine que nous devons sans doute aborder avec une grande humilité, car, tous ici, nous sommes des représentants du monde d’avant. Nous devinons certains des enjeux et des défis, mais rien n’est définitif, car la force de l’innovation, conjuguée aux évolutions sociales qu’elle engendre, ne peut être totalement maîtrisée.
Promesse d’émancipation pour ce qu’il propose, le numérique permet aussi au plus grand nombre d’accéder à ce qui était auparavant le lot des privilégiés. Aux TPE et PME il offre ainsi des capacités naguère réservées aux grandes entreprises. Mais il comporte aussi des risques : la surveillance, le fichage, la domination par les algorithmes.
Par ailleurs, le numérique est un facteur puissant d’innovation et de croissance, ce qui est essentiel. À cet égard, la créativité des Français, qu’ils vivent en France ou à l’étranger, et leur capacité à entreprendre dans des start-up sont un atout pour notre pays.
Pour que la France reste à l’avant-garde et progresse, trois séries de conditions doivent selon moi être réunies.
La première a trait à la maîtrise des technologies, c'est-à-dire à la puissance de calcul et à la puissance de stockage. En fin de compte, c’est d’abord d’énergie qu’il s’agit. Il faut également garantir l’accès au numérique pour tous au travers d’infrastructures et d’un cadre législatif favorable et encourager une éducation qui favorise l’aptitude des jeunes à innover.
La deuxième série de conditions se rapporte à la citoyenneté numérique, justifiant le titre du projet de loi. Il s’agit d’abord d’affirmer un principe, qui est une condition de la cohésion sociale : plus le virtuel prend de la place, plus il est essentiel de soigner le cadre de vie autour de soi. Nous devons développer un sentiment de protection et de non-impunité face au numérique et donner la priorité à l’éducation pour que les risques et la maîtrise du numérique soient bien connus de tous.
La troisième série de conditions touche à l’international. Nous devons rester ouverts, ne pas fermer notre réseau pour telle ou telle raison, et participer à l’ensemble des coopérations internationales tendant à normer le net au niveau mondial, sans nous refermer lorsque nous avons une crainte.
Permettez-moi de formuler trois remarques générales sur trois aspects du texte : l’open data, la portabilité des données et la loyauté des plateformes.
L’open data soulève deux préoccupations. J’ai déjà dit qu’il s’agit de la bonne philosophie, mais il faut veiller à la sécurité nationale et à notre indépendance, ainsi qu’à une anonymisation totale des données, ce qui nécessite des études de risques. Toute la différence entre la société numérique que nous pourrions subir et la République numérique que nous nous proposons de construire tient à cette consécration de l’accès public au savoir et de la non-exclusivité de l’information et des algorithmes, qui doivent être publics plutôt que secrets.
La capitalisation des entreprises n’est plus aujourd'hui corrélée à la valeur des actifs, mais d’abord aux algorithmes et aux bases de données qu’ils maîtrisent. La transparence en la matière est donc une exigence démocratique et sociale et un combat de société.
En ce qui concerne la portabilité des données, sa mise en œuvre au niveau européen nous apporte plus de force ; elle permet aux usagers de ne pas dépendre des fournisseurs d’accès, qui créent de la gratuité pour fabriquer de la dépendance, et crée les conditions de la libre concurrence.
Le prochain règlement européen va dans ce sens, mais, sur certaines catégories de données, comme les historiques de navigation, le contenu des mails, les commentaires que les internautes laissent sur des sites, les achats et les données de santé ou bancaires, j’estime qu’il conviendrait d’aller plus loin. Ces données doivent être protégées, car elles sont constitutives de la personne. En particulier, il me semble important d’interdire leur commercialisation, ainsi que l’obligation de les communiquer à un tiers afin, par exemple, de bénéficier d’un nouveau service.
J’en viens à l’article 22, relatif à la loyauté des plateformes.
Il revient au législateur de protéger, mais, dans le domaine du numérique, il faut tenir compte de deux contraintes. D’abord, le numérique se joue des frontières, de sorte qu’aucune protection n’est absolue ; le consommateur doit en être conscient, et les règles établies doivent être opérationnelles, sans quoi l’on construira des lignes Maginot numériques qui ne serviront à rien, sauf à déconsidérer la loi. Ensuite, il ne faut pas instaurer de protections qui conduiraient des compétences à quitter notre pays, car nous n’aurions alors ni les compétences ni les protections.
Madame la secrétaire d'État, l’initiative que vous avez prise de procéder à une consultation directe des internautes est intéressante. C’est une novation, qui favorise la démocratie directe. À présent, le Parlement doit avoir pour préoccupation d’assurer une participation encore meilleure de l’ensemble des citoyens à ses travaux, tant en commission qu’en séance publique, afin que ceux-ci comprennent la manière dont nous fonctionnons. C’est ainsi, me semble-t-il, que nous pourrons renforcer la démocratie représentative.
Pour terminer, je tiens à exprimer mon dépit d’avoir vu l’article 40 de la Constitution opposé à l’un de mes amendements, qui visait à permettre à tous les citoyens du monde d’avoir accès aux chaînes de la télévision française publique par internet. Je le regrette, car le sujet est important.