Intervention de Louis Schweitzer

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 avril 2016 à 9h00
Mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir et la procédure d'évaluation des investissements publics — Audition de M. Louis Schweitzer commissaire général à l'investissement

Louis Schweitzer, commissaire général à l'investissement :

Comme vous l'avez rappelé, le programme d'investissements d'avenir a été créé à l'initiative du président Sarkozy et mis en oeuvre par une commission présidée par Alain Juppé et Michel Rocard, lesquels sont encore coprésidents du comité de surveillance des investissements d'avenir, chargé de veiller à la continuité de l'action du commissariat général à l'investissement. Cela vaut d'être noté, car il n'est pas fréquent de voir ainsi la continuité d'une action assurée sous l'autorité de ses fondateurs mêmes.

Le PIA 1, ouvert en 2010, comprenait 35 milliards d'euros, et le PIA 2, 12 milliards d'euros, affectés à des investissements d'avenir - investissements au sens large puisque l'on y inclut des dépenses d'enseignement supérieur et de recherche, considérant à juste titre que ces dépenses, bien qu'étant, juridiquement parlant, de fonctionnement, n'en représentent pas moins un investissement important pour l'avenir de notre pays. Les domaines concernés sont l'enseignement, la formation, la recherche, la valorisation de la recherche et la modernisation de l'économie.

Ces crédits, votés dans le cadre du budget de l'Etat, sont cependant préservés de la régulation budgétaire, ce qui permet de s'engager sur plusieurs années : ils sont immédiatement reversés à des opérateurs en étant déposés sur des comptes du Trésor.

Si certains de ces crédits prennent la forme classique de subventions ou d'avances remboursables, et pèsent immédiatement sur le déficit de l'État, une part importante d'entre eux - 18,3 milliards d'euros -, affectés à l'enseignement supérieur et à la recherche, sont des dotations non consommables : dans ce cas, seule est versée une somme annuelle calculée sur la base du taux d'intérêt des obligations du Trésor, soit 3,4 % pour le PIA 1 et 2,5 % pour le PIA 2. Ceci explique que, sur 47 milliards d'euros de crédits ouverts, bien qu'ayant engagé 38,1 milliards d'euros et contractualisé avec les bénéficiaires pour un peu plus de 32 milliards d'euros au 31 mars 2016, nous n'ayons décaissé que 14,5 milliards d'euros. Par nature, certaines sommes se décaissent, en effet, sur plus de trente ans.

Viennent enfin des dépenses en fonds propres, l'État investissant en « investisseur avisé », parallèlement aux investisseurs privés, ainsi que des prêts, pour un peu moins de 9 milliards d'euros. Si ces sommes entrent bien dans le déficit au sens budgétaire, elles n'entrent pas dans le déficit public au sens de la comptabilité nationale, sur lequel est calculé le fameux critère des 3 % : les prêts et les fonds propres n'interfèrent donc pas sur le déficit maastrichtien.

La philosophie du PIA se résume en trois mots : excellence, innovation, coopération. L'exemple des Idex, c'est à dire des universités reconnues comme instituts d'excellence, en fournit une illustration. Dans le cadre du PIA 1, il en existe huit : Bordeaux, Toulouse, Marseille, Strasbourg, et, à Paris, Sorbonne Université, Paris-Saclay, Paris Sciences et Lettres, Sorbonne Paris Cité. Quels critères s'appliquent dans ce cadre ? En premier lieu, nous allons à l'excellence. Les crédits du PIA allant à l'enseignement supérieur ne sont pas répartis également entre toutes les universités mais bien alloués à des universités considérées comme excellentes au rang mondial. En deuxième lieu, nous appuyons l'innovation : nous allons vers des universités orientées à la pointe de la recherche, et pas seulement celles qui assurent un bon enseignement. En troisième lieu, nous favorisons la coopération : la création des Idex vise précisément à assurer un rapprochement entre universités et grandes écoles, ce qui ne va pas toujours de soi, ainsi qu'entre universités et monde économique, ce qui est moins dans la tradition française que dans d'autres pays.

Ajoutons que le PIA est un process. Les bénéficiaires ne sont pas choisis, comme de coutume, par l'administration ou au travers de critères mécanistes, mais sur la base d'avis d'experts ou de jurys internationaux et, à l'issue d'un processus interministériel prenant la forme d'un comité de pilotage, par décision du Premier ministre. Tel est le cas pour les Idex choisis dans le PIA 1 qui passent, cette semaine même, devant un jury international, à la suite de quoi le processus que je viens de décrire suivra son cours pour confirmer ou non ces initiatives.

Le PIA a souvent été considéré comme une procédure certes remarquable, mais trop lente. Nous nous efforçons donc de réduire les délais, qui ne sont plus désormais que de trois mois entre le dépôt d'un projet et son agrément. Si bien que le PIA 1 et le PIA 2 seront presque en totalité engagés mi-2017. D'où une interrogation : fallait-il lancer un PIA 3 ? Ce n'était pas initialement prévu, étant entendu que les PIA 1 et 2 ont été conçus comme des procédures d'exception, visant à préserver notre potentiel de croissance et les investissements d'avenir en un temps de rigueur budgétaire. Mais le fait est que nous ne sommes pas au bout de cette période, et nous n'avons pas de raison de penser qu'elle se terminera en 2017 ou en 2018. Ainsi, les circonstances que j'espère exceptionnelles et qui avaient justifié la naissance des PIA 1 et 2 sont, reconnaissons-le, toujours d'actualité et appelées à s'inscrire dans la durée, ce qui pose avec d'autant plus d'acuité la question du PIA 3. Encore fallait-il cependant, avant que de s'y lancer, s'assurer que le PIA 1 et le PIA 2 répondent bien aux objectifs fixés. C'est pourquoi nous nous appliquons à nous-mêmes les règles que nous appliquons à tous les bénéficiaires de crédits, en nous soumettant à une évaluation par un comité d'experts internationaux, que nous avons demandé à France Stratégie de désigner. Ce comité, présidé par Philippe Maystadt, ancien Vice-Premier ministre de Belgique et ancien président de la Banque européenne d'investissement (BEI), a procédé à un examen, qui s'est étalé sur six mois. Jugeant que le PIA répondait à son double objectif, à savoir d'aller à l'excellence, à l'innovation, à la coopération, et d'avoir une action transformante sur un certain nombre d'institutions et d'organismes en France, le comité s'est déclaré favorable à un PIA 3, non sans relever, néanmoins, un certain nombre d'insuffisances et de faiblesses. Nous prenons en compte ces observations et nous efforçons d'y remédier. Certaines de ces dérives, cependant, ne relèvent pas du commissariat général à l'investissement, ainsi que le souligne le comité. Un exemple, également identifié par la Cour des comptes : l'imputation sur le PIA d'investissements certes porteurs d'avenir mais qui auraient dû être portés par le budget général. Ainsi en est-il des avances remboursables à Airbus pour financer l'Airbus 350 qui, toutes justifiées qu'elles soient, ont été imputées sur le PIA bien qu'elles n'aient pas été décidées dans le cadre du process que je vous ai décrit. Ainsi en est-il également du soutien à des investissements du commissariat à l'énergie atomique dans le nucléaire militaire. Pour vous donner un ordre de grandeur, j'indique que tels investissements, qui n'entrent pas dans les objectifs initiaux du PIA, représentent 20 % des sommes engagées.

Quelles pourraient être les orientations du PIA 3 ? Sachant que le Gouvernement n'a décidé pour l'heure que d'un montant qui s'élève à 10 milliards d'euros, et du fait que le programme serait soumis au Parlement en 2016, je précise que les réflexions que je vais vous livrer sur la façon dont pourrait se répartir cette somme n'ont pas reçu sanction officielle. La répartition en nature de crédits que nous envisageons semble cependant, pour une large part, faire consensus au sein du Gouvernement - mais, en tout état de cause, je n'ignore pas qu'en cette matière, c'est le Parlement qui a le dernier mot. Sur ces 10 milliards d'euros, 4 milliards d'euros pourraient aller à des subventions et avances remboursables - soit des crédits pesant sur le déficit au sens de Maastricht. Viendraient ensuite 2 milliards d'euros, non plus en dotations non consommables, dans la mesure où les taux d'intérêt des obligations du Trésor, soit la somme effectivement versée, sont tombés à moins de 2 %, mais en dotation décennale, soit une dotation versée par dixième sur dix ans. Enfin, 4 milliards d'euros pourraient prendre la forme de fonds propres, lesquels ne pèsent pas sur le déficit maastrichtien. Ceci sous deux conditions. Il s'agit, en premier lieu, de s'assurer que l'État investisse avec une perspective de rentabilité analogue à celles d'un investisseur privé. Pourquoi l'État irait-il investir ? Car en matière d'innovation, il est à même, pour peu qu'existe une espérance de recette, de prendre des risques plus importants qu'un investisseur privé. Les experts s'accordent à souligner que le problème ne tient pas tant, en France, à une insuffisance de l'épargne...

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