Votre première question renvoie à la formation des tarifs, au modèle même de la T2A, sur lequel beaucoup d'informations circulent, mais parcellaires. Je transmettrai un document précis à votre mission. Effectivement, tous les interlocuteurs n'ont pas le même point de vue sur la T2A et sur les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac).
La construction des tarifs n'est pas affectée par une telle volatilité, sauf dans quelques exemples, sous l'effet de la convergence ciblée. Nous nous sommes efforcés d'éviter les effets revenus en perfectionnant le modèle tarifaire, dont la dernière version, dénommée « V11 », est un véritable big bang : elle a fait passer de 800 à 2 300 le nombre de groupes homogènes de séjour (GHS) pour satisfaire une demande du corps médical tendant à mieux prendre en compte la comorbidité, ainsi que l'âge des patients. Depuis, le modèle ne subit plus que des corrections à la marge.
Cinq déterminants sont utilisés pour construire les tarifs annuels. Le premier est voté par le Parlement, il s'agit de l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam), c'est-à-dire l'enveloppe budgétaire disponible. Le deuxième est une anticipation de l'évolution en volume des soins dispensés, conduisant à un arbitrage prix-volumes, qui a exercé une pression à la baisse des tarifs. Troisième composante, les changements dans le périmètre des charges couvertes par la tarification : si une charge n'est pas couverte par les tarifs parce qu'elle relève des missions d'intérêt général (Mig), la masse budgétaire prise en compte pour élaborer les tarifs est diminuée d'autant, au profit des Mig. Quatrième élément, les coûts observés et leur hiérarchie : il s'agit de l'échelle nationale des coûts commune, une méthodologie commune aux secteurs privé et public. Enfin sont intégrées les priorités de service public et leurs modalités d'application, comme, ces dernières années, le développement des soins palliatifs, la prise en charge en cancérologie ou la chirurgie ambulatoire.
Plusieurs grands principes régissent la détermination de l'enveloppe budgétaire. Il y a d'abord l'Ondam hospitalier, ou plus exactement, l'objectif de dépenses en médecine, chirurgie et obstétrique (Odmco) fixé par voie réglementaire après le vote de l'Ondam par le Parlement. L'arrêté interministériel décline l'Ondam hospitalier en cinq sous-objectifs prenant en compte la nature des activités ou le statut juridique des établissements. Ainsi, l'Odmco inclut les séjours hospitaliers de médecine, chirurgie ou obstétrique (MCO), les actes et consultations externes, les produits pharmaceutiques et les dispositifs médicaux de la liste en sus, ainsi que les forfaits relatifs aux urgences ou aux prélèvements d'organes. L'Odmco est découplé entre une part tarifaire et les Migac. Les établissements ne relevant pas du champ MCO (soins de suite et de réadaptation, psychiatrie) demeurent, eux, financés par dotation globale ou prix de journée. Pour obtenir la totalité de l'enveloppe budgétaire, il convient d'ajouter le fonds de modernisation des établissements de santé publics ou privés (Fmespp), qui intervient en soutien à la politique sociale et surtout pour financer des investissements - enjeu colossal...
Dans le cadre de l'enveloppe budgétaire fixée, la première étape de la construction tarifaire consiste à déterminer le résultat de l'année n-1 en extrapolant les données disponibles. Pour 2011, nous connaissons le résultat des onze premiers mois pour les établissements publics et les établissements privés à but non lucratif - en clair, de l'ancien domaine couvert par la dotation globale - et seulement des dix premiers mois pour les établissements privés à but lucratif. La facturation au fil de l'eau ne fournit paradoxalement pas une vision claire et instantanée de l'ensemble des coûts.
Deuxième étape, la prise en compte de l'évolution du coût des facteurs. En 2011, l'évolution spontanée excédait 3 %, alors que l'Ondam était limitée à 2,8 %. Parmi les facteurs d'évolution, je citerai le glissement vieillesse-technicité (GVT), l'inflation, les mesures nouvelles décidées par le Gouvernement, des mesures statutaires comme le passage de certains infirmiers en catégorie A par suite de la réforme licence-mastère-doctorat (LMD), mais aussi la mise en oeuvre des plans de santé publique.
La troisième étape consiste à évaluer les économies que les établissements devront supporter pour rester dans l'enveloppe disponible. L'ajustement peut être obtenu par des mesures générales ou par des dispositions ciblées comme les plans de convergence élaborés en 2010, puis en 2011 et à nouveau en 2012. Dans le même cadre, nous déterminons la traduction budgétaire des gains de productivité attendus ; en 2012, les hôpitaux devront économiser 415 millions d'euros. In fine, on obtient un volume disponible, inférieur à l'évolution tendancielle naturelle des facteurs.
L'étape suivante est celle de l'arbitrage entre prix et volume - nombre de séjours, de soins ambulatoires, d'actes et de consultations externes. Cette étape intègre l'effet codage au sein des établissements. Le modèle est encore jeune et l'on s'est aperçu que certains avaient pris un retard de codage. Au total, la hausse en volume prévue cette année atteint 3,1 %, supérieure à l'Ondam voté. Une fois la provision en volume faite sur une campagne, on en déduit les tarifs. L'an dernier, nous avons distingué entre tarifs bruts et tarifs applicables après convergence ciblée.
S'agissant des changements de périmètre, en 2009, nous avons sorti la permanence des soins des tarifs pour en faire une Mig ; les gardes et astreintes sont désormais rémunérées au titre de cette mission. Inversement, lorsqu'un médicament devient courant, il est rayé de la liste en sus et réintégré dans les tarifs. Opérations très technocratiques, direz-vous, mais qui sont le moyen de répartir selon des critères objectifs une enveloppe fermée : respecter l'Ondam est pour nous une ardente obligation.
Soyons clairs sur la prise en compte des coûts constatés pour construire les tarifs : un tarif n'est pas un coût. Cependant, grâce à l'échelle nationale des coûts, constituée sur la base des informations fournies par un échantillon - trop restreint à mon sens - d'établissements volontaires, nous vérifions qu'il n'y a pas de rentes de situation, de sur-financements par rapport aux coûts réalisés ou, au contraire, de déficits.
L'échelle nationale des coûts reposait en 2009 et 2010 sur un modèle à trois niveaux de tarifs (bruts, cibles et de campagne) afin d'éviter de déséquilibrer l'offre sur le terrain, mais le message passait difficilement. C'est pourquoi, comme nous nous y étions engagés auprès des fédérations, le modèle a été simplifié en 2011. Désormais, les fédérations nous alertent sur les sous ou sur-financements et les ajustements sont apportés sans avoir à remanier tous les tarifs. Nous nous efforçons ainsi de nous rapprocher au maximum de la réalité tout en respectant l'arbitrage volume-prix.
Vous m'avez interrogée sur le bilan de la T2A. Quel établissement souhaite-t-il le retour à la dotation globale, mis à part tel ou tel qui était jadis particulièrement bien servi ? Tous se rendent compte que la T2A permet un financement plus équitable, évite les rentes de situation de certains au détriment des autres - les chimiothérapies étaient parfois interrompues au mois de novembre, faute de crédits suffisants ! En outre, le nouveau financement prend en compte l'innovation scientifique, puisque la facturation en sus des médicaments et dispositifs médicaux nouveaux permet de diffuser plus vite certains traitements très onéreux. Ce système est plus responsable et il a transformé la culture hospitalière en conduisant à piloter non plus seulement par la dépense, mais aussi par les recettes. Je salue à ce propos les efforts d'efficience réalisés. Enfin, la T2A conduit à s'interroger sur le processus de soins et l'allocation du personnel entre les services ; elle invite à une réflexion sur la taille des unités, sur la segmentation et la complémentarité.
Je ne suis pas sourde, j'entends les reproches formulés contre la réforme de la tarification. La nouvelle tarification paupériserait l'hôpital. Mais l'Ondam est voté par la représentation nationale ! J'ajoute que la transition s'est faite progressivement : de 2004 à 2011 pour le secteur public, 2005 à 2011 pour le privé. Son effet redistributif parmi les établissements publics a été lissé entre 2004 et 2011, pour 1 300 millions d'euros au total, dont 540 millions entre 2008 et 2011. Hors honoraires médicaux, l'effet redistributif a atteint 140 millions d'euros entre 2005 et 2011 pour les établissements privés.
Paradoxalement, la T2A est simultanément accusée d'être budgétairement inflationniste. Or l'Ondam a été respecté en 2011 pour la deuxième année consécutive et il en ira de même cette année. Néanmoins, si l'on ne fait pas d'effort sur la pertinence des soins, la dynamique des volumes risque d'entraîner une pression sur les tarifs.
On invoque un risque de découpage des séjours. Un premier frein est automatique, puisque la tarification est réduite de 50 % dans le cas d'une nouvelle hospitalisation intervenant moins de trois jours après la fin de la précédente. Le chaînage des séjours peut en outre être analysé ex post. Nul indicateur n'est au rouge en la matière.
Enfin, il a été dit que la T2A finançait une part excessive des dépenses. Or, les Migac représentent 15 % du montant versé par l'assurance maladie aux établissements MCO. Avec la liste en sus et les forfaits, un quart de l'activité hospitalière est financé autrement que par les tarifs de séjour.
Le modèle a certes des limites, objectives. Il tend à développer l'activité au-delà du médicalement nécessaire sur un territoire donné. Avec nos bases de données, nous pouvons heureusement calculer des taux de recours prenant en compte la population concernée. De fortes disparités sont constatées sur certains actes comme l'endoscopie, l'angioplastie ou l'appendicectomie. Nous avons donc saisi la Haute Autorité de santé (HAS) pour qu'elle élabore des référentiels applicables à dix GHS médicaux ou chirurgicaux. Le cas échéant, les agences régionales de santé (ARS) réuniront les acteurs d'un territoire de santé, pour discuter avec eux et utiliser le prochain contrat pluriannuel pour diminuer telle ou telle activité dans les établissements publics ou privés. Nous devons être soucieux de l'utilisation des deniers publics.
La deuxième limite concerne l'instabilité des règles de financement, qui rendrait le système insuffisamment lisible. Cependant, depuis la version V11 et ses 2 300 GHS, nous ne modifions plus qu'à la marge la classification. Cette année, nous avons procédé à une actualisation pour l'obstétrique et la prise en charge du nouveau-né, après les travaux conduits l'an dernier avec les fédérations. Nous ne pouvons appliquer un tarif identique aux maternités de niveau 3 et à celles de niveau 1, puisque les normes sont différentes, ainsi que les coûts de structure.
En définitive, une seule question reste véritablement ouverte : faut-il diminuer encore la part de la T2A au profit des activités financées par des forfaits ? Nous avons déjà augmenté les Mig, en y intégrant la prise en charge de la précarité, les Merri, la permanence des soins, la rémunération des internes... Nous sommes allés assez loin. Il faut à présent faire vivre le modèle en le rendant plus transparent. La construction des tarifs est une alchimie qui prend en compte et pondère cinq paramètres importants, avec la préoccupation de limiter les effets revenu et d'approcher la vérité des coûts afin qu'aucun établissement ne soit lésé ou privilégié.