Intervention de Jean-Pierre Bel

Réunion du 21 décembre 2005 à 15h00
Loi de programme pour la recherche — Article additionnel avant l'article 3 ou après l'article 22

Photo de Jean-Pierre BelJean-Pierre Bel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout au long de nos débats, qui ont été de grande qualité et au cours desquels chacun a essayé de jouer un rôle constructif, a été mise en avant l'importance des travaux des enseignants, des chercheurs, ainsi, d'ailleurs, que leur nécessaire indépendance.

Il s'agit là d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République et par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 janvier 1984.

Par cet amendement que j'ai l'honneur de présenter, nous demandons l'application de ce principe, et il nous paraît de ce fait totalement adapté à la loi de programme pour la recherche que nous examinons.

Nul, ici, n'ignore que, le 23 février dernier était promulguée une loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

À l'issue de nos travaux, mon groupe s'était prononcé contre ce texte. Je veux, en ma qualité de président du groupe socialiste, exprimer solennellement notre opposition pleine et entière à l'article 4 de cette loi et confirmer que nous ne nous reconnaissons dans aucun autre commentaire, aucune intervention qui aurait pu être formulé à ce sujet.

Cet article 4 institue en effet une obligation aux programmes scolaires de reconnaître « en particulier le rôle positif de la présence française d'outre-mer, notamment en Afrique du Nord ».

Comment une loi censée apaiser les douloureuses séquelles de la guerre d'Algérie a-t-elle pu susciter tant d'émoi ? Comment expliquer non seulement l'émoi, mais aussi la mobilisation provoquée par cette disposition malencontreuse, qui a conduit de très nombreuses personnalités, jusqu'aux plus hautes autorités de la République, à vouloir revenir dessus ?

En effet, l'insertion dans la loi d'une telle injonction a été interprétée comme la volonté d'écrire une « histoire officielle ».

Une telle démarche s'inscrit en totale contradiction avec les exigences de neutralité et de laïcité qui s'imposent à notre République et à son service public d'enseignement, lequel bénéficie de l'autonomie pédagogique reconnue dans le code de l'éducation, tant par l'article L. 711-1, pour l'enseignement supérieur, que par l'article L. 311-2, pour les établissements d'enseignement, à savoir les écoles, les collèges et les lycées.

Nous regrettons cette intrusion du pouvoir politique, qui tente d'imposer un sens à donner à des événements historiques. Cette interprétation partisane de la législation constitue un déni d'histoire. Nous souhaitons que les recherches sur la période concernée puissent se poursuivre dans la sérénité et de manière scientifique et objective.

Cet article a, je l'ai dit, provoqué un tollé légitime. Il importe de rétablir la sérénité.

Tel est l'objectif que nous recherchons par cet amendement, qui reprend de nombreuses initiatives du groupe socialiste : dès le 27 juin, en effet, mes collègues M. Jean-Pierre Michel et Mme Bariza Khiari demandaient, dans un article paru dans la presse nationale, l'abrogation de cet article ; dès le 4 juillet, j'ai saisi le Premier ministre, et notre groupe a déposé une proposition de loi allant dans ce sens.

Je regrette, incidemment, que ma demande, réitérée, d'inscrire cette initiative à l'ordre du jour d'une séance mensuelle réservée à l'initiative parlementaire ait été rejetée à deux reprises.

Je regrette également que la majorité n'ait pas saisi l'occasion donnée par les députés socialistes, le 29 novembre dernier, de réparer cette erreur parlementaire. Dès lors, parce qu'elle a persisté dans l'erreur manifeste, ce refus d'autocritique est devenu une faute.

À l'Assemblée nationale, on a entendu des propos s'abandonnant à la caricature, au mépris d'une sensibilité forte d'une partie de nos compatriotes, des prises de position qui nous mettent en difficulté dans notre volonté de rapprochement avec des pays comme l'Algérie, des invectives qui stigmatisaient certains membres du Gouvernement en fonction de leur origine.

C'est surtout aux Antilles que cet entêtement a le plus choqué, à tel point que le numéro 2 du Gouvernement a dû annuler un déplacement.

Mes collègues Claude Lise, Serge Larcher et Jacques Gillot m'ont ainsi demandé de réitérer cette demande d'abrogation de l'article 4 de la loi du 23 février 2005.

Comment, en effet, construire une identité sur ce déni de mémoire ? Comment ne pas comprendre que cet article blesse ceux qui, de nationalité française depuis des générations mais descendants d'esclaves ou de peuples colonisés, se sentent trop souvent, notamment lorsqu'ils vivent en métropole, ostracisés, discriminés, « ghettoïsés » ?

L'intervention du Parlement dans le champ de la mémoire n'est légitime qu'à la condition qu'il existe un consensus national. La loi doit construire une mémoire partagée. La communauté nationale ne peut se retrouver divisée autour de sa propre histoire. La loi n'a pas non plus vocation à trancher les rapports entre l'histoire et la mémoire.

Les lois mémorielles, qui apaisent les mémoires blessées, ne peuvent conduire à écrire une histoire officielle. La limite, si elle est parfois difficile à saisir, a manifestement été dépassée. Dans un souci d'apaisement tant des anciennes populations autrefois colonisées que de la communauté scientifique et éducative et de tous ceux qui se sont sentis blessés, nous souhaitons aujourd'hui que le Sénat accède à notre demande de supprimer l'article 4 de la loi du 23 février 2005.

Le Sénat confirmerait ainsi qu'il est, comme il se présente souvent, la sagesse de la République. Cette abrogation apporterait la démonstration de la volonté du Parlement de réfléchir avec sérénité à son rôle dans le domaine de la mémoire et de l'histoire.

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