Alors, relisez-la !
Je souhaiterais apporter ma contribution à ce débat, non pas en battant ma coulpe - mon intervention ne s'apparente pas à un acte de repentance à l'égard du passé colonial de la France -, mais plutôt en exprimant un regret. Je regrette pour ma part de ne pas avoir fait preuve de suffisamment de vigilance au moment du débat sur le projet de loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, plus particulièrement lors de l'examen de l'article 4, dont le groupe socialiste et le groupe CRC demandent aujourd'hui l'abrogation.
Oui, je pense qu'il faut avoir l'honnêteté de dire les choses. Je rappelle que mes collègues du groupe socialiste et moi-même n'avons pas approuvé ce projet de loi, mais j'avoue qu'en décembre dernier, au moment de la discussion de cet article, comme bien d'autres, je n'ai pas mesuré l'émoi que pouvait légitimement susciter cet article, non seulement dans la communauté des historiens, à qui l'on demandait en quelque sorte d'enseigner une histoire officielle, mais également dans les départements et territoires qui furent d'anciennes colonies.
Pour avoir effectué un déplacement en Algérie en mai dernier en ma qualité de président du groupe d'amitié France-Algérie, j'ai pu constater l'incompréhension qu'a provoquée là-bas la loi n° 2005-158 du 23 février 2005.
Trois mois après l'adoption de la loi, alors que le débat commençait à peine en France, l'article 4 n'avait pas échappé à nos amis algériens, observateurs très attentifs de la vie politique française.
Les interlocuteurs que j'ai rencontrés ne comprenaient pas pourquoi, à la veille de la signature d'un traité d'amitié entre la France et l'Algérie, le législateur français se risquait à une telle provocation à l'encontre du peuple algérien, d'autant que les Algériens, ainsi que j'ai pu le constater, témoignent d'un attachement manifeste à l'égard de la France, que ce soit en réintroduisant l'enseignement du Français au cours élémentaire, en prenant un soin particulier des cimetières français ou en favorisant les échanges économiques.
Les conséquences ne se sont d'ailleurs pas fait attendre. Ce traité d'amitié, dont personne ne doutait qu'il serait signé avant la fin de l'année et qui aurait dû être le prélude à des relations enfin apaisées entre la France et l'Algérie, a été suspendu sine die.
C'est d'autant plus regrettable que ce traité, souhaité, rappelons-le, par le Président de la République, est appelé à devenir demain le moteur de la coopération euro-méditerranéenne, comme l'a été - et la comparaison n'est pas trop forte - le couple franco-allemand dans la construction européenne.
Je crains que les efforts de rapprochement développés dans nos deux pays ne soient mis à mal si la France n'envoie pas très vite un signe positif à l'Algérie.
Je songe aussi à la blessure que l'article 4 a infligée à nos concitoyens français issus de l'immigration. Je doute fort que la colonisation française soit considérée par beaucoup d'entre eux comme une époque positive. Bien au contraire, elle n'inspire sans doute à leurs aînés que des souvenirs douloureux. Je ne crois pas, de surcroît, qu'elle reflète à leurs yeux les valeurs de la République telles qu'on les leur enseigne ou qu'on les leur a enseignées.
Je doute enfin que ce texte vienne apporter un apaisement, après les graves événements qu'ont connus nos banlieues. Il est primordial de faire en sorte que tous les enfants de la République se sentent aimés et reconnus, dans leur diversité, comme appartenant à la communauté nationale. N'oublions pas que notre pays est pluriel.
En maintenant envers et contre tout l'article 4, nous risquons d'entretenir les rancoeurs et d'alimenter les haines.
Que de nombreuses analyses développent l'idée que la présence française ait permis des avancées en matière d'équipement, d'éducation et d'action sanitaire pour les peuples assujettis, soit. Mais rien ne saurait justifier l'essence même de la colonisation, système de domination d'un peuple sur un autre, en contradiction avec les grandes valeurs démocratiques et humanistes de la République.
Laissons se poursuivre le débat sur notre histoire coloniale. Laissons aux universitaires et aux historiens le soin de dégager progressivement, à travers les documents disponibles et les témoignages, les éléments et les faits qui permettront de nous éclairer, pour nous rapprocher de la vérité historique.
Monsieur le ministre, vous avez longuement parlé de sagesse. Pour ce qui nous concerne, à la place que nous occupons dans cet hémicycle, nous devons reconnaître nos erreurs et les corriger. Nous en sortirons collectivement grandis.