Intervention de Jacques Trévidic

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 28 mars 2012 : 2ème réunion
Table ronde avec les organisations syndicales de praticiens hospitaliers sur le financement des établissements de santé

Jacques Trévidic, vice-président de la confédération des praticiens des hôpitaux :

Au début des années 2000, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé que le système de santé français était le meilleur au monde. Le système hospitalier reposait alors sur deux modes de financement opposés mais complémentaires : le service public hospitalier, dont les praticiens sont salariés, était financé par dotation globale jusqu'en 2003 ; le système libéral en ambulatoire et en clinique était financé à l'acte.

Chacun des deux systèmes présente des qualités et des défauts. Le service public est moins productif mais prend en charge tous les patients, sans distinction d'origine sociale, géographique ou fondée sur la gravité des cas, et assure un service d'urgences vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le système libéral est quant à lui plus productif mais favorise la production d'actes inutiles. Il n'assure qu'une permanence des soins irrégulière, tend à trier les patients pour ne prendre en charge que les cas les moins lourds et les plus rentables. Seul, le service public créerait des files d'attente. Seul, le système libéral serait source d'inégalité d'accès aux soins. La réussite du modèle français tenait donc à la juxtaposition des deux systèmes, et non à leur fusion ou à leur convergence, les avantages de l'un compensant les défauts de l'autre.

Parce qu'elle a eu pour effet de supprimer les rentes de situation de certains établissements dont l'activité avait baissé au profit de ceux dont l'activité avait augmenté, la T2A a été initialement accueillie de façon assez favorable par les hospitaliers. Cet effet psychologique positif pour les établissements dynamiques a masqué les défauts inhérents à ce mode de tarification. Les règles et les niveaux des tarifs d'hospitalisation ne sont connus que très tardivement, ce qui est source d'opacité dans les prévisions budgétaires et contribue à paralyser les projets de soins et les investissements. Les choix d'activité tendent à dériver vers des prises en charge segmentées et centrées sur les pathologies les plus rentables. Le nombre d'actes augmente et avec lui celui des actes non pertinents. Plus la part de T2A dans le financement des hôpitaux est importante, plus il convient d'être précis au moment de la codification. Cela conduit, d'une part à une complexification du système, d'autre part à une augmentation du temps passé par les médecins à coder plutôt qu'à prendre soin des malades.

Leurs décisions ayant un impact direct sur les ressources de leur établissement, les praticiens hospitaliers tendent à davantage prendre en compte l'intérêt de la structure plutôt que celui du patient. La pression des dirigeants hospitaliers se fait croissante au point que ceux-ci veulent « intéresser » les praticiens en intégrant une part variable dans leur rémunération. Or l'objectif principal de la médecine n'est pas la production de soins mais la conservation ou la restauration de la santé de nos concitoyens, ce qui passe parfois par l'abstention thérapeutique (primum non nocere). Pourtant celle-ci n'est pas valorisée.

La pertinence de certains actes, notamment chirurgicaux (prostate, sein, césarienne, appendicite...), est de plus en plus douteuse. Même si ces actes inutiles sont effectués dans de très bonnes conditions de qualité, il existe un risque que la course à l'activité dans les hôpitaux publics ne conduise inévitablement à l'éclosion de nouveaux scandales sanitaires. A cet égard, la facturation individuelle au fil de l'eau que les pouvoirs publics veulent mettre en oeuvre ne peut qu'aggraver les choses, en rapprochant jusqu'à les confondre les ressources de l'établissement de la décision de soins.

La convergence des tarifs hospitaliers publics et privés accentue encore la recherche de productivité des hôpitaux publics au détriment du temps passé à la décision médicale. Au final, ce sont les cliniques privées elles-mêmes qui risquent d'en pâtir car les hôpitaux publics leur reprennent des « parts de marché ».

Le choix doit-il se résumer au « tout budget global » ou au « tout T2A » ? C'est l'excessive domination de l'un ou de l'autre des deux systèmes qui a créé les problèmes rencontrés. Nos préférences iraient vers un système mixte (pour l'activité MCO hors Merri). Un socle de dotation globale, lié à des facteurs démographiques, épidémiologiques et d'offre de soins, représenterait approximativement 50 % du financement. Il serait complété à parts égales par un financement lié à l'activité, sur la base d'un modèle T2A simplifié, et par un financement fondé sur des indicateurs de qualité et de pertinence des soins. Les modalités de ce nouveau système restent bien évidemment à définir.

Afin de redonner une certaine lisibilité aux décideurs hospitaliers, il faut également revenir sur le système de l'état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD) et faire en sorte que le budget de l'année soit défini en fonction des indicateurs de l'exercice précédent. Cela évitera que les décisions individuelles de soins ne soient influencées par la crainte de perdre trop de ressources de financement. La moindre part de T2A permettra de simplifier le système et de diminuer le temps passé au codage.

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