Intervention de Catherine Hill

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 3 avril 2013 : 1ère réunion
Fiscalité comportementale — Audition de Mme Catherine Hill chef du service de biostatistiques et d'épidémiologie de l'institut gustave roussy

Catherine Hill, chef du service de biostatistiques et d'épidémiologie de l'Institut Gustave Roussy :

Mon propos consiste à recommander une augmentation des taxes sur le tabac et l'alcool pour des raisons de santé et de finances publiques.

Les courbes de consommation du tabac en France depuis 1950 montrent une première diminution de celle-ci après l'adoption de la loi Évin en 1991 ainsi qu'une baisse spectaculaire liée à la mise en place du Plan Cancer en 2003. La consommation de tabac s'est en revanche stabilisée durant le quinquennat du Président Sarkozy.

L'évolution du prix du tabac corrigé de l'inflation suit quant à elle une courbe inverse, avec deux hausses importantes au moment de l'adoption de la loi Evin et de la mise en place du Plan Cancer.

Au total, entre 1991 et 2004, les prix du tabac, corrigés de l'inflation, ont été multipliés par trois et les ventes ont été divisées par deux. Sur la même période, les recettes fiscales et les revenus des buralistes ont été multipliés par deux.

S'agissant des buralistes, l'analyse des données relatives à leur activité, publiées dans le numéro de février dernier de la Revue des tabacs, s'avère particulièrement éclairante. Elle révèle que le chiffre d'affaires lié aux produits du tabac n'a diminué que pour les débitants situés dans les départements frontaliers du nord et de l'est du pays. La mobilisation générale, destinée à protester contre une supposée diminution régulière du chiffre d'affaires, semble donc exagérée.

Les analyses d'élasticité viennent en revanche confirmer la sensibilité de la consommation aux évolutions des prix du tabac. Entre 1950 et 2010, l'élasticité moyenne en France est évaluée à 0,51, indiquant qu'une augmentation potentielle de 20 % du prix des cigarettes entraînerait une diminution de 10 % des ventes.

Le caractère hétérogène du marché du tabac doit être pris en compte dans le cadre d'une politique de lutte efficace contre le tabagisme.

D'une part, les différents produits, pour un poids de tabac identique, ont des prix minimum extrêmement variés : le prix de 20 cigarettes s'élève ainsi à 6,07 euros, celui de 20 cigares ou cigarillos à 5,90 euros et celui de 16 grammes de tabac à rouler à 3,4 euros. Ces écarts des prix, accentués par la politique fiscale consistant à limiter les hausses de taxes aux seules cigarettes, facilitent les reports de consommation vers les produits les moins chers. Une politique fiscale cohérente consisterait donc à chercher à harmoniser le niveau des différents produits du tabac.

D'autre part, le niveau de taxation entre produits est lui aussi différencié. Si les cigarettes sont taxées à 81 %, le tabac à rouler l'est à 76 % tandis que les cigares et les cigarillos le sont à 44 %. Ces derniers, qui représentent aujourd'hui 7 % du marché, ont bénéficié de cet écart de taxation au cours des dernières années.

Le mécanisme fiscal, applicable depuis janvier à l'ensemble des produits du tabac, est extrêmement sophistiqué. Il se compose d'une part spécifique et d'une part proportionnelle auxquelles s'ajoute un minimum de taxation de 3,90 euros.

On constate toutefois que l'éventail des prix du marché de la cigarette est aujourd'hui assez limité puisqu'il se situe entre 6,07 et 6,70 euros, aucun paquet de cigarettes ne se situant en dessous du prix d'entrée en jeu du minimum de taxation. Dans ces conditions, une taxation proportionnelle de l'ensemble des produits pourrait légitimement s'envisager.

Contrairement à la position défendue par la direction des douanes, il me semble d'ailleurs que ce resserrement de l'éventail de prix des cigarettes n'est pas problématique en soi. D'un point de vue sanitaire, l'existence d'un prix unique, de paquets anonymes et d'une obligation pour les buralistes de ne pas exposer l'ensemble des produits du tabac me paraîtrait bienvenue.

Au-delà de nos frontières, les données relatives au prix moyen de 20 cigarettes montrent que l'ensemble des pays limitrophes proposent des prix plus faibles que les nôtres.

En termes de santé publique, la stratégie consistant à augmenter faiblement et progressivement le prix des produits du tabac ne me paraît pas pertinente. Elle permet de stabiliser le prix du produit par rapport au niveau général des prix, de garantir un niveau équivalent de recettes fiscales, de préserver les marges des industriels, mais n'a malheureusement aucun impact sur la consommation.

Les conséquences de cette consommation sont pourtant désastreuses, en particulier chez les femmes : la mortalité par cancer du poumon chez celles-ci devrait en effet prochainement dépasser la mortalité par cancer du sein. Chez les hommes, en revanche, les politiques de prévention ont entraîné une diminution régulière de la mortalité par cancer du poumon de 1 % par an depuis 1991.

Pour faire baisser cette consommation, je propose par conséquent d'augmenter les prix du tabac de manière régulière, significative - 20% par an par exemple - et d'harmoniser par le haut les taxes applicables à tous les produits, à poids de tabac égal.

La prévention du tabagisme me paraît par ailleurs possible. Elle repose essentiellement sur une politique des prix, donc des taxes. À cet égard, je regrette que la France ait abandonné toute politique volontariste en ce domaine depuis 2004.

Je conclurai mon propos en énumérant quelques idées fausses entourant l'économie du tabac.

D'une part, les achats transfrontaliers et la contrebande ne compensent pas l'intégralité de la baisse des achats dans le réseau des buralistes. Bien que les données disponibles soient lacunaires, on peut estimer que ces stratégies de contournement et d'évasion ne compensent que la moitié de la baisse constatée.

D'autre part, la contrefaçon qui consiste à mettre sur le marché des cigarettes qui ne sont pas ce qu'elles prétendent être, n'est pas un problème aussi important que les industriels veulent le laisser entendre. Le tabac, quel que soit sa qualité, tue la moitié de ses consommateurs réguliers.

Enfin, les buralistes ne constatent pas systématiquement une baisse de leur chiffre d'affaires lorsque le prix des cigarettes augmente. Leur rémunération étant fixée en pourcentage du prix de vente, l'augmentation de ce dernier entraîne en général une hausse de leur rémunération lorsque les volumes de vente ne sont que faiblement impactés.

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