Intervention de Antoine Durrleman

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 11 janvier 2012 : 1ère réunion
Etude relative aux dépenses de l'assurance maladie hors prise en charge des soins — Audition de Mm. Antoine duRrleman président de la sixième chambre de la cour des comptes michel braunstein président de section Mme Stéphanie Bigas et M. Daniel Vasseur conseillers référendaires

Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes :

Il y a un an, votre commission nous a présenté une demande originale : examiner les dépenses prises en charge par le régime général d'assurance maladie qui ne correspondent pas directement à des remboursements de soins. Nous devions traiter des dépenses d'intervention et non pas des dépenses de gestion administrative. La Cour des comptes, qui n'avait jamais mené une telle approche, a donc examiné un agrégat de dépenses extrêmement diverses par leur nature comme par leur importance, allant de quelques dizaines de millions jusqu'à plusieurs milliards d'euros.

Ces dépenses sont non négligeables et leur diversité grandit. Elles se montent à 21 milliards, soit 13 % du total des dépenses d'assurance maladie du régime général. Cet agrégat correspond à des postes qui n'ont aucun rapport entre eux. Le plus important regroupe l'ensemble des transferts depuis le régime général d'assurance maladie vers d'autres organismes de sécurité sociale. A lui seul, il représente 18 milliards, dont 13 correspondent à la contribution de l'assurance maladie à la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Les 3,4 milliards du deuxième bloc correspondent aux compensations démographiques entre régimes. Le troisième bloc (1,8 milliard) concerne la prise en charge de cotisations sociales de professionnels de santé conventionnés.

Parmi les autres actions, 850 millions sont consacrés à vingt-six fonds et entités diverses, deux fois plus nombreuses qu'il y a dix ans ; 400 millions vont aux actions de prévention ; les prestations régies par des conventions internationales représentent 350 millions ; enfin, 221 millions servent à des prestations d'action sanitaire et sociale. Il convient en outre de rajouter 1,1 milliard de pertes sur créances irrécouvrables - nous n'avons pas fait d'analyse particulière sur ces admissions en non-valeur, dont nous traitons au moment de la certification des comptes.

Il faut en réalité neutraliser une partie de ces dépenses pour appréhender la masse financière réelle. Les dépenses sont en effet artificiellement majorées par le fait que le régime général d'assurance maladie apporte depuis 2006 une contribution élevée - 12,9 milliards - à la CNSA, laquelle lui rembourse la prise en charge des soins en établissement pour les personnes âgées et handicapées. Le montant réel de dépenses hors soins se monte à 8,2 milliards, à comparer aux 140 milliards de prise en charge de soins : les ordres de grandeur sont extraordinairement différents.

Les dynamiques de dépenses sont également différentes : entre 2001 et 2010, l'enveloppe hors soins a augmenté deux fois moins vite que celle dédiée aux soins : respectivement 22 % et 50 %. Au sein de cette enveloppe, les mouvements ont été divers : les charges de compensation et les charges liées aux cotisations sociales des praticiens auxiliaires médicaux ont fortement augmenté. Dans le même temps, les dépenses d'action sanitaire et sociale ont diminué sous l'effet d'un changement de périmètre et d'un transfert sur d'autres lignes budgétaires.

Pour résumer, un agrégat par défaut de 21 milliards en brut, 8 milliards en net ; une extrême diversité de prestations, rien ne reliant ces différentes enveloppes.

Quant à l'utilisation de ces financements, les charges dites indues nous ont semblé relativement peu importantes. La quasi-totalité des dépenses financées sur cette enveloppe de 8,2 milliards est en relation avec l'assurance maladie. Les charges indues tiennent à des compensations créées au début des années 60 afin de faire jouer la solidarité financière entre régimes. Ce système a évolué, notamment à la suite des propositions de la Cour des comptes dans son rapport sur l'application de la loi de financement pour 2010. La compensation généralisée a été supprimée par la loi de financement pour 2011, mais est resté en place le système des compensations bilatérales entre le régime général et quatre régimes spéciaux de salariés : ceux de la SNCF, de la RATP, des mines et des clercs de notaires. La Cour des comptes avait constaté en 2010 que ces transferts n'étaient pas calculés selon les dispositions règlementaires en fonction de la cotisation sociale généralisée (CSG) réellement perçue par les régimes bénéficiaires, mais sur le montant de la cotisation salariale qu'ils auraient touchée si la CSG n'avait pas été mise en place. La Cour considère que ces compensations bilatérales font peser sur la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) une charge injustifiée évaluée à 564 millions pour 2009. Ce dispositif a été maintenu, mais l'article 3 de la loi de financement pour 2012 prévoit un allègement de cette charge d'une centaine de millions.

Nous avons identifié des charges contestables : aucune doctrine ne distingue les structures appelées à être financées par l'Etat de celles relevant d'un financement par l'assurance maladie. Trois contributions de l'assurance maladie posent néanmoins problème, à commencer par la prise en charge du financement du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière. Alors que cette gestion était auparavant assurée par la direction des hôpitaux, le financement de l'établissement public national administratif créé pour gérer le corps des directeurs d'hôpitaux et celui des praticiens hospitaliers a été imputé sur l'assurance maladie et non pas sur des crédits budgétaires.

La deuxième contribution problématique est versée à l'établissement français du sang pour la procédure amiable d'indemnisation des victimes contaminées par le virus de l'hépatite C lors de transfusions sanguines.

Créée en 2009 pour vingt ans, la troisième contribution controversée va au comité de gestion des oeuvres sociales des établissements hospitaliers. Il s'agit en réalité de permettre au système de retraite supplémentaire de survivre. Ce régime sur-complémentaire a été en grande difficulté : on a gelé les prestations, augmenté les cotisations et l'on a décidé que l'assurance maladie verserait la subvention nécessaire.

Les montants de ces trois contributions restent néanmoins modestes, respectivement 15, 35 et 14 millions d'euros.

Cette enveloppe pose surtout des problèmes de périmètre et de pilotage. La nature des dépenses qui lui sont assignées se modifie en effet rapidement. Tel est le cas pour le fonds national d'action sanitaire et sociale (Fnass) dont beaucoup de dépenses ont été mises à la charge du risque maladie, du fonds CMU ou du nouveau fonds d'actions conventionnelles qui est chargé, depuis 2011, de gérer les crédits de la formation professionnelle. Il faudrait aller jusqu'au bout de cette politique de recentrage : pour quelles raisons certaines dépenses de cure thermale restent-elles ainsi à sa charge ? De même, la typologie des aides financières individuelles pourrait être actualisée.

Le fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaire (FNPEIS) connaît aussi des problèmes de périmètre. Ses crédits ont augmenté au cours des dix dernières années, en raison des dotations de l'assurance maladie à l'institut national de prévention et d'éducation en santé. Le problème tient au financement par ce fonds des centres d'examen de santé des caisses locales d'assurance maladie à hauteur de 154 millions en 2010. Cette somme est en progression importante depuis dix ans. Dans son rapport sur l'application des lois de financement pour 2009, la Cour avait regardé leur gestion et leur apport, et conclu que leur utilité pouvait apparaître contestable et qu'il était souhaitable de les transformer en centres de soins. Pour autant, ce fonds ne recouvre qu'une part infime des dépenses de l'assurance maladie en faveur de la prévention sanitaire. En septembre, nous avons remis à la Mecss de l'Assemblée nationale un rapport sur la prévention sanitaire où nous avons essayé de quantifier l'effort en matière de prévention de l'assurance maladie. L'essentiel de la contribution de l'assurance maladie à la politique de prévention passe directement par le risque (les consultations des généralistes et des spécialistes mais aussi les dépistages). Cet effort global de l'assurance maladie en faveur de la prévention ne fait pas l'objet d'évaluations très précises : la dernière remonte à 2002 et l'évaluait à 5,7 milliards. Or, la dotation du FNPEIS est d'un montant dix fois inférieur. Il ne retrace donc pas la politique de prévention menée par l'assurance maladie.

Problèmes de périmètre, donc, mais aussi de pilotage. Le principal concerne le rôle de l'assurance maladie face aux vingt-six fonds et entités qu'elle finance. Si l'assurance maladie n'a pas de politique d'ensemble, ses contributions sont focalisées sur trois secteurs : 200 millions concernent des établissements et des fonds agissant dans le secteur hospitalier ; 325 millions financent des institutions intervenant dans le domaine de la santé publique ; enfin, un ensemble beaucoup plus disparate concerne des organismes destinés à promouvoir l'optimisation des soins et mobilise 430 millions.

L'évolution de ces fonds est assez erratique. Une partie de ces financements est soumis à un encadrement pluriannuel mais beaucoup sont hors objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam). Ces dotations devraient faire l'objet d'un encadrement pluriannuel dans le cadre de la convention d'objectif et de gestion entre l'Etat et la Cnam en intégrant des mécanismes de révision et en clarifiant les règles de répartition entre l'Etat et l'assurance maladie. Cela semble d'autant plus nécessaire que divers fonds ont constitué des réserves. C'est notamment le cas du fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés (Fmespp) qui percevait chaque année 347 millions. Une partie de sa réserve a fait l'objet d'une utilisation discutable : les pouvoirs publics ont attribué à des établissements ou à des institutions publiques et privées des subventions exceptionnelles qui auraient du être financées dans des conditions de droit commun. Le dispositif a été modifié à l'occasion de la loi de financement pour 2010 et ces fonds ont été en partie récupérés. La loi de financement pour 2012 vient de ramener la dotation du Fmespp de 347 millions à 290 millions, suivant la règle de déchéance quadriennale. La Cour a constaté que l'article 65 de la loi de financement pour 2012 crée un fonds d'intervention régional pour une dépense plus efficiente du point de vue de la continuité et de la qualité des soins. Financé en 2012 grâce à une partie des crédits dévolus au Fmespp ainsi qu'à d'autres fonds, ce Fir assurera une fongibilité des dotations de l'assurance maladie sous la responsabilité des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS).

Les montants en jeu avec les cotisations sociales des praticiens et auxiliaires médicaux sont importants : 1,8 milliard pour le régime général et 2 milliards pour l'ensemble des régimes d'assurance maladie. Voilà des avantages sociaux importants résultant du cumul de mesures prises à différents moments. En 1960, la quasi-totalité des cotisations d'assurance maladie dues par les professionnels du secteur 1 a été prise en charge afin d'inciter les professionnels à se conventionner. De plus, la cotisation personnelle d'allocation familiale due par les médecins de secteur 1 est partiellement prise en charge : 5 points sur 5,4 points sous le plafond de la sécurité sociale et 2,9 points au-dessus ; cette prise en charge a été instituée en 1990 en contrepartie du gel du secteur 2. Enfin, les cotisations des praticiens auxiliaires médicaux du secteur 1 dues au titre des différents régimes obligatoires d'assurance vieillesse complémentaire sont prises en charge à hauteur des deux tiers.

Le coût de ces prises en charge a augmenté de 13 % depuis 2003 et devrait continuer à croître, dans la mesure où il s'agit d'une indexation sur la masse des honoraires sans dépassement. Elles représentent une part substantielle mais très inégale du revenu des professionnels concernés : 7 % du revenu des chirurgiens dentistes et 18 % de celui des médecins généralistes du secteur 1 qui en sont les principaux bénéficiaires.

Pour l'assurance maladie, ces prises en charge ont contribué à la revalorisation des revenus des professionnels et elles ont l'avantage de ne pas peser directement sur les assurés sociaux, car il n'y a évidemment pas de ticket modérateur comme pour la revalorisation des lettres clés. Pour un médecin du secteur 1, la prise en charge des cotisations sociales correspond à une majoration de la lettre C de 3,38 euros en-dessous et de 2,90 euros au-dessus du plafond de la sécurité sociale, montant qu'il faut rapprocher des 23 euros de la consultation.

La Cour des comptes estime que ces sommes, malgré leur montant, ne jouent plus qu'un rôle mineur dans la politique conventionnelle menée par l'assurance maladie. Les justifications historiques ont progressivement disparu et ces prises en charge n'ont aucune incidence sur les adhésions à la convention médicale, d'autant que seul un petit nombre de médecins peut aujourd'hui adhérer au secteur 2. De plus, elles ne limitent en rien le coût des soins pour les patients, faute de régulation des dépassements conventionnels. La Cour a suggéré l'an dernier une modulation en fonction du lieu d'implantation des professionnels de santé : ceux installés dans les zones les plus denses bénéficieraient d'une prise en charge réduite et ceux s'installant dans les déserts médicaux, de taux majorés. Un tel système serait progressif et reposerait sur une cartographie rénovée.

La Cour des comptes s'est également interrogée sur la liberté de choix d'affiliation laissée aux professionnels de secteur 2 qui peuvent, c'est une singularité, adhérer au système du régime social des indépendants (RSI), plus avantageux que le régime général. Cette liberté de choix n'est pas équitable car elle n'a pas pour contrepartie la régulation des dépassements des honoraires du secteur 2.

Ces différents constats nous conduisent à formuler onze recommandations : les deux premières visent à clarifier les périmètres du Fnass et du fonds national de prévention ; les quatre suivantes ont pour objet de mieux encadrer les dotations de l'assurance maladie aux fonds et entités extérieures ; la septième concerne le mode de calcul des compensations bilatérales pour éviter les charges indues ; les quatre dernières portent sur la façon dont pourrait être réexaminée la prise en charge conventionnelle des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion