Puis M. Dominique Leclerc, rapporteur, a souligné que le rendez-vous de 2010 doit être l'occasion d'agir de manière déterminée pour rétablir l'équilibre du système de retraite. Au regard de cet objectif, la réforme à venir pourrait avoir comme horizon 2030, puisque celui de la réforme Fillon était 2020.
La situation actuelle justifie que tous les leviers soient utilisés car aucun n'est à lui seul capable de rétablir les comptes de l'assurance vieillesse. Les travaux du Cor montrent que, pour parvenir à l'équilibre en intervenant sur un seul levier, il faudrait d'ici 2020, en retenant les prévisions économiques les plus optimistes, soit relever l'âge effectif moyen de départ de près de cinq ans, soit augmenter les cotisations de 5 points, soit diminuer de plus de 20 % le niveau relatif des pensions.
Pire encore, à l'horizon 2050, l'équilibrage du système par un seul paramètre impliquerait soit de relever l'âge effectif moyen de départ de près de dix ans, soit d'augmenter les cotisations d'environ 10 points, soit de diminuer le niveau relatif des pensions de plus de 35 %. Ceci n'est pas acceptable et milite pour la mobilisation de tous les paramètres disponibles pour parvenir à l'équilibre. Ils sont au nombre de trois :
- le taux de remplacement et le niveau des pensions ;
- l'âge effectif de départ en retraite ;
- le niveau des recettes du système.
En ce qui concerne le taux de remplacement et le niveau des pensions, il est incontestable que la grande réussite du système de retraite français a été d'assurer un montant moyen de pension élevé qui accorde aux retraités un niveau de vie proche de celui des actifs.
Néanmoins, réduire le montant des pensions constituerait une régression évidente, d'autant que leur niveau relatif dans le secteur privé est déjà en diminution puisque les pensions et les salaires portés au compte sont indexés sur les prix, qui progressent moins vite que les salaires des actifs. La diminution des pensions ne semble donc pas être une piste pertinente. En revanche, il est souhaitable de réexaminer les règles fiscales dérogatoires dont bénéficient aujourd'hui les retraités.
Deuxième paramètre, l'âge effectif de départ en retraite qui est, à l'évidence, un élément essentiel pour le redressement financier du système de retraite. L'âge de cessation d'activité est en France particulièrement bas : 58,3 ans pour le régime général. L'âge de liquidation des droits à la retraite s'établit, pour sa part, autour de soixante et un ans et demi, ce qui montre qu'un grand nombre de salariés n'est plus en activité au moment de la liquidation de la retraite. Compte tenu de la progression continue de l'espérance de vie, il est absolument nécessaire de prolonger la durée d'activité. Deux moyens permettent d'y parvenir :
- augmenter la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein ;
- relever les âges légaux d'ouverture des droits et d'obtention d'une pension à taux plein.
En ce qui concerne la durée de cotisation, la loi de 2003 a posé un principe très fort consistant à faire en sorte de maintenir stable, au fil du temps, le rapport entre la durée d'assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein et la durée moyenne de retraite qui est, en gros, l'espérance de vie à soixante ans.
En application de ce principe, la durée de cotisation pour une retraite à taux plein sera de quarante et un ans en 2012, conformément au calendrier de la loi Fillon. Pour la suite, elle a prévu l'établissement d'un rapport avant le 1er janvier 2012 et avant le 1er janvier 2016 faisant apparaître l'évolution prévisible, pour les cinq années suivantes, du rapport entre la durée d'assurance et la durée moyenne de retraite. Les durées d'assurance seront alors fixées par décret, après avis de la commission de garantie des retraites et du Cor.
Ce dernier considère d'ailleurs que le respect des principes posés par la loi Fillon pourrait impliquer un passage à quarante et un ans et demi de cotisations en 2020, puis à quarante-deux ans un quart en 2030 et à quarante-trois ans et demi en 2050.
La méthode posée par la loi de 2003 est une bonne méthode, qui fixe un principe et des modalités lisibles d'application. Il est donc proposé de maintenir cette règle, sans accélérer l'augmentation de la durée de cotisation ni l'interrompre. La future loi pourrait poser le principe d'un passage de quarante et un à quarante et un ans et demi de cotisations entre 2012 et 2020 et prévoir des évolutions réglementaires ultérieures avec l'intervention de la commission de garantie des retraites et du Cor.
Troisième paramètre, le relèvement des âges légaux. La France figure parmi les rares pays qui ont conservé l'âge de la retraite à soixante ans malgré l'allongement de l'espérance de vie. Il est donc légitime que la question d'un relèvement de cet âge minimal soit posée.
Mais elle se heurte aussitôt au problème du taux d'emploi des seniors, qui reste en France l'un des plus bas des pays développés. Certains font donc valoir que le report de l'âge légal transformera demain les jeunes retraités d'aujourd'hui en chômeurs ou en salariés en invalidité.
Toutefois, les auditions ont montré que l'âge de soixante ans fait lui-même obstacle à l'emploi des seniors, dans la mesure où la proximité de l'âge de la retraite n'incite pas les entreprises à embaucher ou à conserver les salariés les plus âgés.
Aussi, l'âge minimal de départ pourrait faire partie des leviers à activer en 2010, à deux conditions : d'une part, engager une politique très active en faveur de l'emploi des seniors, d'autre part, prendre en compte la pénibilité de certains métiers pour ne pas pénaliser les travailleurs dont elle a réduit l'espérance de vie.
Quant aux modalités de relèvement de l'âge, il paraît souhaitable de retenir la même méthode que pour la durée d'assurance, c'est-à-dire un relèvement progressif, assorti de bilans d'étapes dans lesquels pourrait intervenir la commission de garantie des retraites, notamment pour suivre l'évolution du taux d'emploi des seniors et vérifier que la réforme n'a pas pour effet d'augmenter le taux de chômage. Le maintien du dispositif de cessation anticipée d'activité pour carrières longues introduit par la loi de 2003 pourrait permettre d'éviter que le relèvement de l'âge légal de départ ne pénalise trop fortement ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt.
Quoi qu'il en soit, le relèvement de l'âge effectif de départ en retraite est un pilier de la réforme, mais ne sera pas suffisant. Les mesures relatives à l'âge et à la durée de cotisations ne permettent de faire face, au mieux, qu'à 50 % des besoins de financement de la seule Cnav à l'horizon 2030. En outre, ces mesures d'âge ont des effets progressifs et laissent entière la question des déficits actuels.
Il est donc indispensable de rechercher de nouvelles recettes sauf à accepter l'accumulation des déficits et, ce faisant, la constitution d'une dette sociale considérable, dont la charge reposera sur les générations futures.
a alors abordé la question des ressources du système. Ici encore, la mobilisation d'une seule catégorie de ressources ne pourra pas suffire : il ne s'agit pas de trouver quelques dizaines ou centaines de millions d'euros, mais bien plusieurs milliards.
Trois voies sont possibles :
- l'augmentation des cotisations, qui sont la ressource principale des régimes de retraite ;
- l'élargissement de l'assiette des prélèvements ;
- la mobilisation de ressources nouvelles.
En ce qui concerne les cotisations, la loi Fillon prévoyait un redéploiement des cotisations chômage au bénéfice des cotisations vieillesse. Dans cette optique, le Gouvernement avait annoncé, en 2008, une augmentation de la part patronale déplafonnée des cotisations retraite de 0,3 % en 2009, 0,4 % en 2010 et 0,3 % en 2011. La crise économique et la dégradation du marché du travail l'ont conduit à différer cette augmentation. En 2012, ce transfert aurait rapporté à la branche vieillesse 6,5 milliards d'euros. Ce redéploiement ne doit pas être abandonné. En effet, selon les projections du Cor, le régime d'assurance chômage pourrait retrouver un solde annuel excédentaire à partir du milieu des années 2010. Il conviendrait donc de réaliser le transfert des cotisations aussitôt que la situation du marché de l'emploi le permettra.
Pour le reste, les marges de progression des cotisations sont limitées dans la mesure où elles affectent le coût du travail et la compétitivité des entreprises, ce qui n'est pas pertinent dans un contexte de crise et de reprise très lente de la croissance.
Deuxième levier possible, l'élargissement de l'assiette des cotisations. Celle-ci est aujourd'hui très concentrée sur les revenus du travail, et plus particulièrement sur la partie salariale de ces revenus. Cette assiette est assortie de nombreux mécanismes d'exonération, d'exemption ou de réduction, dont le bien-fondé mériterait d'être examiné. Le coût de la politique d'allégement de charges sociales est très élevé puisqu'il atteint plus de 31 milliards en 2010.
Plusieurs études récentes se sont penchées sur les moyens de réduire les exonérations de cotisations sociales. La dernière, confiée à l'inspection générale des finances, montre qu'il en résulterait la perte d'au moins 400 000 emplois. La seule piste d'économie jugée envisageable est celle que la commission avait retenue lors du dernier PLFSS, c'est-à-dire l'annualisation du calcul des exonérations de charges, dont on peut attendre 2 milliards d'économies par an. Cette mesure doit maintenant être prise.
En ce qui concerne les exonérations ciblées, dont le montant devrait s'élever à 3,5 milliards d'euros en 2010, la priorité est aujourd'hui d'évaluer précisément l'efficacité de chaque dispositif en appliquant rigoureusement les règles de bonne gouvernance posées par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012.
Naturellement, la recherche de recettes complémentaires passe par la poursuite du réexamen de l'ensemble des niches sociales. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a créé le forfait social mais certains éléments en demeurent exclus. Le taux de ce forfait, initialement 2 %, a été doublé dans la loi de financement pour 2010. Son rendement est estimé à un peu moins de 800 millions d'euros cette année. Plusieurs pistes sont envisageables pour aller plus loin dans la remise en cause des niches sociales :
- un élargissement de l'assiette du forfait social ;
- un relèvement du taux de ce forfait, dont le montant reste faible ;
- un relèvement du taux spécifique applicable aux attributions de stock-options et d'actions gratuites ;
- une remise à plat de la taxation des indemnités de rupture ;
- la taxation des retraites chapeau.
Enfin, le rééquilibrage du système des retraites doit sans doute passer par la mobilisation de ressources nouvelles.
Une première piste consisterait à réexaminer les avantages fiscaux spécifiques aux retraités qui bénéficient notamment d'un taux réduit de CSG sur les pensions. Il pourrait être envisagé d'aligner la CSG des retraités imposables sur celle des actifs, ce qui permettrait d'épargner les petites retraites et rapporterait environ 2 milliards d'euros. Une telle convergence s'inscrirait dans la logique de la CSG qui est censée être un prélèvement universel.
Une autre hypothèse consisterait à instaurer un prélèvement spécifique sur les revenus du capital, qui s'ajouterait aux prélèvements existants. Relever d'un point le taux global de ces prélèvements rapporterait un peu plus de 1,1 milliard d'euros. Il serait également possible de créer une contribution additionnelle à l'impôt sur le revenu pour les contribuables ayant un revenu particulièrement élevé.
Les pistes les plus radicales qui ont été évoquées consisteraient à remplacer les cotisations sociales actuelles par une autre assiette, qui pourrait être la cotisation sur la valeur ajoutée, la TVA ou la CSG. La plus réaliste consisterait probablement à envisager un transfert de cotisations d'assurance maladie vers les régimes de retraite, en gageant ce transfert par une légère augmentation de la CSG au profit de la branche maladie, dont le caractère universel des dépenses pourrait justifier cet accroissement de la fiscalisation des ressources. Les effets d'un remplacement de la masse salariale par la valeur ajoutée comme assiette des cotisations sociales sont particulièrement incertains et pourraient conduire à des effets différents de ceux recherchés en pénalisant l'investissement. Quant à la TVA sociale, elle aurait l'avantage d'avoir un rendement élevé et d'être relativement indolore, mais elle suscite depuis l'origine certaines réserves de la commission, notamment parce qu'elle présente un risque inflationniste, que les expériences étrangères ne sont pas entièrement probantes et que les risques de fraude sont élevés.
En ce qui concerne les autres leviers financiers, le fonds de réserve des retraites, qui dispose actuellement de 33 milliards d'euros, doit être sanctuarisé pour réserver son utilisation à partir de 2020. A cette date, il pourrait disposer de 70 milliards, ce qui n'est pas beaucoup au regard des besoins, mais pourrait permettre un lissage des déficits. Mobiliser aujourd'hui ces réserves serait le signe d'un nouveau report des efforts sur les générations futures, ce qui n'est pas acceptable. Quant au fonds de solidarité vieillesse, il est souhaitable qu'il assume le plus possible l'ensemble des avantages non contributifs du système de retraite et bénéficie à cette fin de ressources pérennes.
Enfin, l'épargne retraite ne sera jamais qu'un complément à la retraite par répartition. L'objectif dans ce domaine ne doit pas être de créer de nouveaux produits mais d'assouplir le fonctionnement des contrats existants pour les rendre plus attractifs en visant spécifiquement les jeunes qui doivent être incités à épargner tôt, les salariés des petites et très petites entreprises qui n'ont pas accès à une épargne retraite collective et les personnes aux revenus très modestes. A cet égard, la Mecss se rendra prochainement en Allemagne pour tirer les leçons de la réforme conduite par le ministre Riester en la matière.
a précisé que ces actions paramétriques ne seront efficaces que si politique de l'emploi et retraites sont des sujets traités conjointement.
Ainsi, le rendez-vous 2010 devra tenir compte la pénibilité du travail, dont les effets sur l'espérance de vie sont clairement établis. Il est vrai que la problématique de la pénibilité relève moins des retraites que des conditions de travail et de l'organisation de celui-ci. Mais, à court terme au moins, il est souhaitable qu'elle soit prise en considération dans la définition des règles relatives au bénéfice des pensions de retraite, afin d'apporter une réponse aux personnes déjà exposées aux facteurs de pénibilité. Sur ce sujet, la proposition de Serge Volkoff, combinant une approche à la fois individuelle et collective, semble très pertinente. Un système à trois niveaux pourrait être proposé :
- le premier identifierait les travailleurs qui ne subissent pas la pénibilité ;
- le troisième déterminerait les métiers intrinsèquement pénibles ;
- le niveau intermédiaire conduirait une commission départementale assistée d'experts à étudier les dossiers individuels pour identifier ceux qui justifient des mesures particulières de prise en charge.
Au-delà de la pénibilité, il est nécessaire d'avoir une réflexion globale sur le rapport au travail dans notre société. Le travail est aujourd'hui trop souvent ressenti comme une source de souffrance, ce qui explique l'aspiration à partir le plus tôt possible à la retraite. Les conclusions de la mission d'information sur le mal-être au travail auront donc une grande importance.
En ce qui concerne l'emploi des seniors, il est évident qu'une politique très active doit être poursuivie si l'on veut éviter que le report de l'âge légal de départ en retraite se traduise par une augmentation du chômage. Pour cela, il faudra mettre fin aux préretraites déguisées, examiner de très près le dispositif de rupture conventionnelle, qui connaît un grand succès et qui risque de devenir une nouvelle voie de sortie du marché du travail pour les seniors. Il faudra surtout promouvoir une meilleure gestion des ressources humaines en fin de vie active, ce qui implique de développer les bilans de compétences au cours de la carrière, de promouvoir la validation des acquis de l'expérience, de favoriser la formation des seniors et d'aménager les tâches, les postes et les horaires en fin de vie active.
De nombreuses mesures en ce sens ont déjà été prises et un grand nombre d'accords de branches conclus sur ce sujet. Il faudra néanmoins poursuivre et intensifier cet effort.
De la même manière, il est urgent de faciliter l'insertion des jeunes sur le marché du travail, faute de quoi, dans quelques décennies, plus personne ne cotisera assez longtemps pour obtenir une retraite à taux plein. A cet égard, la formation en alternance doit continuer à être développée, notamment dans les secteurs où elle ne l'est pas encore. Par ailleurs, il semble souhaitable d'étudier la possibilité pour les jeunes de valider des droits au titre de la retraite sur leurs périodes de stages. Naturellement, il faut éviter que cette mesure ne conduise à une diminution des offres de stages, ce qui implique une certaine prudence en la matière.