Les établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), nouvelle appellation des établissements privés à but non lucratif participant au service public hospitalier, représentent environ 10 % de l'hospitalisation. C'est donc un secteur important, quoique moins développé que dans d'autres pays, comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou les Etats-Unis. Notre secteur a été cité en exemple pour ses potentialités de gestion rigoureuse. Nous avons coutume de nous qualifier d'« hôpital invisible », vertueux mais pas assez considéré. Dans le cadre de la T2A, notre échelle tarifaire est identique à celle des hôpitaux publics.
J'exerce en cardiologie et j'ai pu constater comment la T2A a modifié le fonctionnement de l'hôpital, avec certains effets pervers qu'il faut souligner. La T2A ne doit pas être considérée sous le seul angle financier.
La T2A provoque tout d'abord une discordance stratégique entre le comportement des établissements, incités à accroître leurs recettes et entraînés dans une logique concurrentielle, et les orientations assignées aux agences régionales de santé (ARS), censées promouvoir au niveau territorial la coopération entre les différentes composantes de l'offre de soins. Le lien mécanique entre l'activité et les ressources des établissements a certes permis une moralisation du financement, mais il a également suscité une course à l'activité.
La T2A permet aux établissements, sur un mode déclaratif qui n'est contrôlé qu'a posteriori, de déterminer la lourdeur d'un séjour, en fonction de la pathologie principale pour laquelle la personne a été hospitalisée ainsi que des pathologies associées. C'est un mode de tarification beaucoup plus adapté aux actes chirurgicaux qu'aux activités de médecine.
La T2A - c'est l'une de ses vertus - doit permettre de valoriser l'activité des hôpitaux sur des bases les plus objectives possibles. Il nous a cependant fallu des années pour devenir des codeurs honorables. Cela a été fait sans véritable formation ni soutien des praticiens. Le temps assigné au codage, pris sur le temps médical, est incontestablement un effet négatif de la mise en place de la T2A.
Quels correctifs devrait-on apporter ? Le retour à la dotation globale n'est pas souhaitable. Ce système n'obéissait à aucune logique. Toutefois, la classification qui nous est appliquée ne recouvre pas les frais réels. Or nous disposons, dans les établissements, des systèmes informatiques qui permettent de les établir précisément, en décomposant les coûts hôteliers, le coût des soins infirmiers et para-infirmiers, le coût du temps chirurgical, post-chirurgical ou médical, le coût des traitements.
Nos directeurs d'établissements, nos responsables de l'information médicale et les ARS elles-mêmes nous incitent à mieux coder nos prestations. Si nous le faisons mal, les recettes s'en ressentent. Si nous le faisons trop bien, les tarifs baissent, puisque la tarification s'inscrit en tout état de cause dans une enveloppe fermée. La T2A aboutit à fausser la réflexion des soignants, en les focalisant sur la dimension financière de leur activité.
Il faut aussi mentionner l'effet des bornes basses et des bornes hautes qui ont été définies pour réduire ou augmenter la valorisation des séjours dont la durée s'écarte de limites prédéfinies et considérées comme habituelles. Par exemple, pour un patient atteint d'une infection broncho-pulmonaire, l'établissement recevra 1 000 euros supplémentaires si le patient sort le huitième jour au lieu du septième. Cela n'a rien de logique.
Quant au mode de détermination des tarifs, certains actes chirurgicaux sont sous-valorisés, ce qui a d'ailleurs encouragé les dépassements d'honoraires dans les établissements privés lucratifs. On peut remarquer que la convergence est systématiquement réalisée vers le bas.
La T2A était sans doute une étape nécessaire pour mieux analyser l'activité des hôpitaux. Mais le système ne peut être pérennisé tel quel, car il fausse l'état d'esprit de nombreux médecins et gestionnaires, avec un risque de dégradation de la qualité humaine des soins. Il faudrait aller vers un mode de financement prenant beaucoup plus en compte le coût réel des pathologies.
S'agissant du codage, il faudrait renforcer les services d'information médicale, avec un plus grand nombre de techniciens d'information médicale mieux formés et agissant sous le contrôle des médecins responsables des départements d'information médicale (Dim). Il serait nécessaire de pouvoir envoyer ces techniciens dans les différents services, afin d'y superviser les opérations de codage. Les médecins Dim devraient quant à eux se sentir investis d'une mission de formation et de contrôle centrée sur la nécessité médicale, et non exclusivement inspirée par les préoccupations des gestionnaires.
Comment qualifier les contrôles de l'assurance maladie ? Comme vous le savez, ils portent sur des échantillons à partir desquels sont extrapolés les redressements infligés aux établissements. Il est normal que le payeur contrôle, mais les modalités actuelles n'ont aucune légitimité.
On ne peut pas dire que la T2A ait engendré des pratiques de sélection des patients, surtout dans les secteurs public et privé à but non lucratif. Mais les médecins savent que les gestionnaires et les Dim sont par exemple attentifs aux durées de séjour qui excèdent la norme. C'est parfois à se demander s'il n'est pas plus profitable à l'établissement, d'un strict point de vue financier, de voir un patient grabataire décéder au cours du séjour plutôt que de le soigner ! Moins que la sélection, je retiendrai plutôt l'incitation à s'orienter vers des activités plus intéressantes, du fait du mode de tarification.
En ce qui concerne les missions d'intérêt général et aide à la contractualisation (Migac), je donnerai deux exemples d'insuffisances tirés de mon expérience personnelle, en Picardie, région souffrant d'une démographie médicale très défavorable. Les Migac doivent normalement permettre de financer la permanence des soins. Or la règlementation distingue aujourd'hui la permanence des soins proprement dite, qui suppose de pouvoir traiter un patient admis à l'hôpital pour un problème urgent, et la continuité des soins, qui doit être quant à elle garantie pour les patients déjà hospitalisés. Seule la première est aujourd'hui prise en compte pas les Migac et les ARS ne se préoccupent pas des gardes et astreintes nécessitées par la continuité des soins.
Il me semble également que les urgences sont très insuffisamment financées. Dans ce domaine, une coopération entre établissements est souhaitable, mais les dotations sont attribuées sur la base de critères non pertinents comme le taux de patients hospitalisés après passage aux urgences. Certains établissements disposent de services d'urgence sans nécessairement pouvoir assurer tous types d'hospitalisations ultérieures.