Avant de vous présenter en détail les différents axes évoqués par le président, je souhaiterais à mon tour vous remercier pour cette audition. Je tiens également à préciser que toutes les données sur lesquelles s'appuieront mes propos sont issues de documents, d'études ou de rapport publics français ou étrangers.
Notre première inquiétude concerne l'impact dramatique qu'aurait la mise en place d'une fiscalité comportementale sur l'image de nos produits à l'international.
En 2012, le vin, deuxième secteur exportateur derrière l'aéronautique mais devant le luxe, a rapporté près de 7,6 milliards d'euros et attiré sur notre territoire près de 12 millions de touristes venus découvrir nos 10 000 caves touristiques.
Comment expliquer aux consommateurs étrangers que la France s'apprête à taxer, pour des raisons de santé publique, un produit dont Serge Renaud, père du French paradox, avait souligné les bienfaits dans le cadre d'une consommation mesurée et d'un régime dit méditerranéen.
Vin et société prend pleinement sa part de responsabilité sociétale en défendant la définition et la promotion d'une consommation mesurée. Je tiens à rappeler que la modération est définie dans le programme national nutrition santé (PNNS) et dans les rapports successifs de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle s'entend comme deux verres par jour pour les femmes, trois pour les hommes et le respect d'un jour d'abstinence par semaine.
Nous tenons à souligner que la mise en place d'une fiscalité comportementale sur le vin, en ciblant l'ensemble des consommateurs, n'opérerait aucune distinction entre les différents modes de consommation. Or, si nous regrettons les comportements excessifs, nous nous opposons fermement à la stigmatisation d'une consommation mesurée.
Le recensement qu'effectue la filière depuis dix ans sur le portail public pubmed, nous permet de constater qu'aucun consensus scientifique n'existe concernant les effets négatifs qu'entraînerait une consommation mesurée de vin sur la santé publique. Nous vous engageons, dans le cadre de vos travaux de contrôle, à tenir compte de cet état de fait.
Le dernier baromètre santé de l'INPES montre par ailleurs que les modes de consommation du vin ont changé au fil du temps : 45 % des français sont désormais des consommateurs occasionnels et 38 % d'entre eux ne boivent pas de vin, chiffre qui pourrait atteindre 43 % en 2015.
On boit moins mais mieux dans notre pays : 85 % de la consommation du vin en France est effectuée à table et 90 % est réalisée en famille ou entre amis. Le vin est un art de vivre, un produit culturel et de transmission, une fierté nationale.
Divers exemples montrent par ailleurs qu'une taxe comportementale sur le vin serait inefficace au regard des objectifs poursuivis. A fiscalité constante, on constate ainsi une diminution structurelle - de l'ordre de 20 % sur la dernière décennie - de la consommation de vin en France. A contrario, la consommation des spiritueux est restée stable malgré l'alourdissement de la fiscalité adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2012. Au-delà de nos frontières, la politique de taxe élevée menée par le Royaume-Uni ne permet pas d'endiguer le développement de la pratique du binge drinking chez les jeunes.
La mise en place d'une telle fiscalité risquerait en revanche d'entraîner des reports de consommation vers des produits de moindre qualité et un approvisionnement vers des pays frontaliers moins taxés.
Les conclusions du rapport du bureau régional Europe de l'OMS 2012 doivent également nous interpeller. Ce document, qui définit un indice de dangerosité de l'alcool sur une échelle de 1 à 5, attribue aux pays du sud de l'Europe, à la fois producteurs de vin et bénéficiant d'une fiscalité favorable, des indices moins élevés qu'aux pays du Nord du continent qui se caractérisent pourtant par une fiscalité élevée. L'existence d'une culture du vin et d'une éducation au produit dès le plus jeune âge réduirait donc la dangerosité de la consommation de boissons alcoolisées.
Les données relatives à l'âge de la première alcoolisation nous préoccupent néanmoins : onze ans chez les garçons et treize ans chez les filles. La prise en charge de ces comportements à risque ne peut s'effectuer que par la mise en oeuvre d'une véritable éducation aux arômes et aux goûts dans notre pays.
Le dernier axe de mon exposé concerne le caractère déstabilisant d'une fiscalité comportementale sur l'économie de notre filière.
Je tiens d'abord à préciser que le chiffre des exportations françaises de vin masque d'importantes disparités entre les 87 000 exploitations réparties dans les soixante-six départements producteurs de vins. La Loire n'est pas le Bordelais et le Beaujolais n'est pas la Champagne.
Si la fiscalité est restée constante ces dernières décennies, les droits de circulation et la taxe sur la valeur ajoutée représentent tout de même plus d'un milliard d'euros de recettes fiscales en 2012. S'ajoutent à ce chiffre les recettes issues du foncier viticole qui fait vivre nos régions, qui façonne nos paysages et qui crée un maillage local et régional d'exploitation.
Nous tenons par ailleurs à vous alerter sur la vulnérabilité de notre filière : une exploitation sur quatre a fermé depuis 2000, un viticulteur sur quatre a plus de soixante ans et 73 % des exploitants arrivant à l'âge de la retraite ne savent pas à qui transmettre leur exploitation. Nous sommes préoccupés aujourd'hui par le manque d'attractivité de nos métiers.
Dans ces conditions, une pression fiscale supplémentaire serait injuste : elle impacterait les viticulteurs les plus fragiles, ceux qui n'ont pas les moyens d'aller conquérir des marchés à l'export.
Enfin, nous regrettons que sur le milliard d'euros de recettes fiscales issues du vin, 10 % seulement soient alloués à l'INPES, organisme en charge de mener des politiques de prévention et d'éducation permettant de lutter efficacement contre les excès.