Ses conclusions devraient être acceptées par tous. Jusqu'en 1984, les établissements de santé étaient financés par des prix de journée aux effets fortement inflationnistes et sans pertinence en termes de prise en charge des patients. Alors que les techniques médicales diminuent la durée des séjours à l'hôpital, le prix de journée incitait à les garder le plus longtemps possible. Il a été remplacé par un système de dotation globale reconduisant les budgets année après année, sous réserve de quelques adaptations mineures. Si elle a autorisé une maîtrise des dépenses, la dotation globale présentait cependant des inconvénients majeurs : absence de toute incitation, comme de reconnaissance des efforts accomplis ; faiblesse des indicateurs d'activité ; invitation au conservatisme - personne n'avait intérêt à innover. Figeant l'allocation des ressources sur des bases largement historiques, le système avantageait ceux qui ne développaient pas leur activité et pénalisait les plus volontaires et dynamiques.
Pleinement conscients de ces limites, les instigateurs de la dotation globale ont lancé parallèlement le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), pour mesurer l'activité hospitalière dans sa double dimension médicale et économique. Cet outil reste la base du système de financement.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 a mis en place en MCO une tarification à l'activité, la « T2A », dont seuls sont exclus les hôpitaux locaux, les activités de soins de suite et de réadaptation (SSR) et les soins psychiatriques.
Son principe est simple : l'établissement reçoit un paiement forfaitaire et défini a priori pour un type de séjour donné. Il s'agit d'un paiement par séjour hospitalier et non par acte pratiqué, la prise en charge étant supposée inclure un certain nombre de prestations. Ce modèle, sous de multiples variantes, est largement répandu dans les pays occidentaux : aux Etats-Unis d'abord, et dans la plupart des pays européens.
La montée en charge progressive de la T2A a été accélérée en 2008 : sans explication particulière de la part de la tutelle, son application est alors passée, en un an, de 50 % du champ à 100 % pour le secteur public et privé à but non lucratif.
De nombreux professionnels ont critiqué cette accélération du calendrier alors que le système était encore instable et mal évalué et qu'il reste extrêmement complexe. Pour les établissements publics et privés entrant dans le champ de la T2A, l'application des tarifs ne couvre qu'une partie des versements de l'assurance maladie : les tarifs stricts, qu'on appelle les groupes homogènes de séjour (GHS), représentent 31,7 milliards d'euros en 2010, soit 60 % des dotations de l'assurance maladie en MCO ; certains passages de malades en réanimation, néonatalité, soins intensifs et surveillance continue sont facturés avec des suppléments liés à l'activité mais non inclus dans les GHS, ils représentent 2,8 milliards, soit 5 % de l'ensemble ; l'activité externe et certains forfaits techniques atteignent 3,2 milliards, soit 6 % de l'ensemble; les médicaments onéreux et certains dispositifs implantables sont dits en sus et représentent 4,1 milliards, 8 % de l'ensemble ; les services d'urgence et la coordination liée aux prélèvements d'organes et aux greffes sont facturés sous forme de forfaits annuels liés au nombre de passages, pour 1,2 milliard, soit 2 % de l'ensemble ; enfin, la dotation finançant les missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (Migac) mobilise 7,8 milliards (15 % de l'ensemble). Et il y a encore d'autres lignes budgétaires, comme les forfaits dialyse dans le secteur privé ou l'hospitalisation à domicile facturée sur un modèle proche des GHS, les groupes homogènes de tarifs.
Pour nous, le financement des établissements de santé doit d'abord rester lié à leur activité pour améliorer la transparence, l'organisation et les modalités de prise en charge et éviter les inconvénients majeurs des modes de financement précédents.
La T2A a certes bousculé le monde hospitalier à la façon dont une photo argentique révèle les organisations défaillantes. En outre, la tutelle n'a pas joué correctement son rôle de pilotage et d'accompagnement, se focalisant sur l'outil devenu un but en soi. La technostructure a fétichisé la T2A car elle lui était utile pour forcer des décisions qu'elle ne réussissait pas à prendre seule. D'une certaine façon, la T2A est le pire des systèmes à l'exception de tous les autres... Il est toutefois nécessaire de revoir sa pratique et ses modalités d'application, notamment pour couvrir plus fidèlement les missions de service public et les coûts fixes.
Une autre pondération entre ses composantes aiderait à en définir des bases plus justes. Certaines activités médicales ne sont pas adaptées à un mécanisme du type T2A. Celles qui sont soumises à des normes réglementaires fixant des seuils d'encadrement des patients induisent parfois une augmentation des coûts par paliers. D'autres ne peuvent pas être standardisées car elles relèvent davantage d'une logique patient que d'une approche par pathologie, ainsi des services de réanimation ou de soins intensifs où la prise en charge est à la fois multiforme et très variable selon les patients. Comment modéliser sous une forme de GHS, ou un équivalent, la défaillance d'un ou plusieurs organes, élément qui caractérise le passage dans un de ces services ? Les actes techniques sont minoritaires dans la prise en charge d'autres activités : il s'agit d'un problème plus global de la médecine en France qui a plutôt valorisé les actes techniques par rapport au temps clinique. Enfin, la logique d'un coût moyen national ne peut pas correspondre à des lieux où l'activité est limitée mais où la puissance publique estime qu'elle doit être préservée pour des raisons de sécurité sanitaire.
Une nomenclature clinique financerait plus justement le temps médical passé. De même, des conférences de consensus pluridisciplinaires pourraient définir à partir de critères médicaux le périmètre des activités qui ne sauraient relever d'une logique de financement à l'acte ou au séjour. Pour celles-là, le modèle pourrait évoluer soit en sortant de la logique GHS pour aller vers un système plus forfaitaire, à l'instar de ce qui existe pour les urgences qui conservent toutefois un lien avec le niveau d'activité, soit en fixant une dotation minimale de base décorrélée de l'activité et représentative d'une part des coûts fixes.
Avant la T2A, les modalités de financement divergeaient entre, d'une part, le secteur public et privé à but non lucratif, financé par les prix de journée puis la dotation globale, d'autre part, le secteur privé lucratif dont le régime était proche de celui des prix de journée avec un encadrement par objectif quantifié national, d'où les appellations barbares de secteur ex-DG et de secteur ex-OQN. La mise en place d'une tarification liée à l'acte thérapeutique pratiqué induit, presque instinctivement, l'idée que le financement doit être égal quels que soient le lieu ou les modalités d'exercice. Or, les grilles tarifaires entre les deux secteurs présentent des différences conceptuelles fortes : en clinique, le GHS ne couvre pas les honoraires des médecins qui sont facturés à part au patient par le praticien lui-même ; à l'hôpital, le tarif est tout compris. Le processus de convergence entre les grilles tarifaires engagé malgré ces différences de construction présente des biais méthodologiques rédhibitoires. Les écarts de champs entre les grilles imposent un retraitement statistique avant la moindre comparaison. Cette construction macro-économique est largement artificielle. En outre, les comparaisons ne sont valables que toutes choses égales par ailleurs ; or, il y a des différences fondamentales dans les modes de prise en charge, dans les contraintes d'organisation, dans les coûts des personnels ou de capacité à programmer les activités. Ce dernier point ne dépend pas de la seule organisation administrative ou soignante, mais aussi des publics et des activités pratiquées, notamment la part des actes pratiqués en série.
Il est indispensable de dépasser les clivages devenus quasiment idéologiques. La convergence, qui a pu servir d'aiguillon, a inutilement focalisé l'attention et crispé les positions, au détriment de l'essentiel. C'est pourquoi nous proposons de la suspendre.
En ce qui concerne l'immobilier, les investissements hospitaliers ont fortement progressé ces dernières années. Le plan Hôpital 2007 a enclenché une mécanique critiquée à juste titre par la Cour des comptes, car on a débloqué très rapidement des enveloppes dont l'attribution n'avait pas été, c'est une litote, suffisamment sélective. En outre, ce plan laissait les établissements s'endetter sur la totalité du projet, les subventions de l'assurance maladie étant versées année après année pour couvrir le remboursement des prêts, ce qui interdisait un calcul optimum du plan de financement et du retour sur investissement.
Il faudra travailler sur la question de la procédure du choix des projets afin de trouver un équilibre entre efficacité collective et autonomie des établissements, notamment en renforçant les capacités nationales de contre-expertise technique des projets immobiliers des établissements.
Nous estimons par principe que les tarifs n'ont pas à financer l'immobilier. Il faut donc dégager des ressources qui ne soient pas liées à l'activité stricto sensu, en privilégiant une logique de contrat de projet pluriannuel et en faisant appel à des financements du type Grand emprunt.
La méthode de calcul des tarifs gagnerait elle aussi à être améliorée. Schématiquement, l'Agence technique d'information sur l'hospitalisation (Atih) de Lyon calcule, pour un type de séjour - les groupes homogènes de malades, GHM -, des coûts moyens constatés sur un échantillon d'établissements volontaires pour intégrer la procédure. A partir d'une grille classant par coût les GHM, le ministère de la santé prépare une grille de tarifs, les GHS, qui sont les contreparties financières des GHM. Cependant, les priorités du ministère de la santé modifient les échelles en fonction des objectifs de santé publique et par des incitations pour telle ou telle prise en charge.
Au total, les acteurs concernés, soignants et administratifs, comprennent mal les modalités d'une construction opaque, instable et sujette à d'importants retraitements statistiques. L'échantillon est beaucoup trop faible tandis que les pathologies peu fréquentes peuvent difficilement être modélisées sous cette forme en raison du faible nombre d'actes de référence.
Nous proposons donc de poursuivre de manière plus volontariste le déploiement de la comptabilité analytique dans les établissements, d'élargir le plus possible l'échantillon utilisé par l'Atih pour calculer les coûts et de confirmer l'ouverture des travaux de l'Agence aux acteurs hospitaliers par la représentation des fédérations et la création d'un comité scientifique doté de réelles compétences. Cela évitera bien des contestations.
La méthode unique utilisée aujourd'hui pourrait utilement être complétée par d'autres procédés : par exemple, calculer un coût cible de référence, à partir de données médicales, pour certains actes et prestations se prêtant à une logique de série ou de standardisation.
Comment garantir la stabilité et la prévisibilité des tarifs dont la volatilité est dénoncée par tous les établissements que nous avons visités ? On pourrait les calculer dans une perspective pluriannuelle, décaler au 1er juillet l'entrée en vigueur des nouveaux tarifs et mettre en place un dispositif de contractualisation avec l'ARS pour que l'établissement bénéficie d'un financement stable sur le cycle de développement d'une nouvelle activité.
Les systèmes d'information et les procédures de codage se sont développés dans les établissements avec le plus grand empirisme. Malheureusement, l'administration centrale n'a pas joué tout son rôle d'accompagnement et de pilotage. Il en résulte une hétérogénéité des systèmes, progiciels et logiciels, qui dialoguent mal entre eux. Or, ils sont essentiels tant en termes d'organisation pour l'hôpital et l'assurance maladie que, plus globalement, pour le suivi épidémiologique ou de vigilance sanitaire et pour celui du patient du début à la fin de son parcours dans le système de santé.
Il est donc nécessaire de renforcer les systèmes d'information médicale des établissements pour faciliter l'échange de données entre les différents acteurs, dans le cadre du secret médical. Une réflexion sur les départements d'information médicale (DIM) pour professionnaliser la filière et la doter de moyens renforcés est indispensable.
Parmi les doléances entendues lors de nos déplacements, les contrôles de l'assurance maladie : indispensables dans une logique de tarification à l'activité pour éviter la dérive des dépenses, ils sont aujourd'hui très mal vécus. On leur reproche une pratique trop variable et une quasi-immixtion dans les choix thérapeutiques ou les décisions médicales. Afin de restaurer la confiance des équipes, nous proposons de transformer la commission de contrôle placée auprès de l'ARS en une commission de concertation et de dialogue composée à parité de représentants, d'une part, de l'Etat et de l'assurance maladie, d'autre part, des fédérations hospitalières. Renforcer le pilotage national tout en diversifiant les équipes de contrôle éviterait également les disparités et améliorerait la qualité et la rapidité des réponses de l'Atih sur les règles de codage.
Les Migac représentent 11,5 % de l'Ondam hospitalier, un niveau stable depuis 2009 après une phase de montée en puissance. Extrêmement hétérogènes avec leurs quatre-vingt-treize lignes budgétaires, elles peuvent se regrouper en trois blocs presque équivalents : les missions d'enseignement et de recherche principalement destinées aux CHU (2,7 milliards en 2010), les missions d'intérêt général (2,9 milliards) et les aides à la contractualisation (2,2 milliards). Les dix Migac les plus importantes atteignent 73 % du total, les huit les plus faibles étant inférieures à un million d'euros.
Leurs contours ont beaucoup évolué au fil des années. Surtout, les pouvoirs publics ont eu la plus grande peine à trouver un équilibre entre la prise en compte de la diversité des missions, la volonté de transparence et la lisibilité du système. Malgré des efforts de transparence, celui-ci est devenu opaque et peu compréhensible. Pour simplifier et clarifier la situation, nous proposons de remettre à plat l'ensemble des dotations de mission d'intérêt général par un travail contradictoire entre les différents acteurs.
Le développement des crédits de l'enseignement et de la recherche dans le cadre d'une enveloppe fermée a trop pesé sur les charges de l'assurance maladie. L'Etat devrait prendre en charge les crédits dédiés à ces compétences.
Au lancement de la T2A, les autorités ont vendu la réforme aux hospitaliers en promettant plus de ressources pour les établissements dynamiques et vertueux. Le désenchantement est à la mesure de l'illusion. Dans le cadre d'une enveloppe fermée et contrainte, l'Ondam, le mode de régulation des dépenses d'un système de tarification à l'activité est simple : soit par les volumes, soit par les prix. Et la seconde solution est plus aisée à mettre en oeuvre car elle n'affiche pas d'objectifs susceptibles d'apparaître comme des restrictions aux soins.
Ainsi, les tarifs sont aujourd'hui calculés en début d'année en intégrant une prévision d'évolution de l'activité. Dans les faits, les tarifs ont baissé tous les ans, car la prévision de volume était supérieure à l'Ondam.
Finalement, un établissement dont l'activité progresse moins vite que la prévision nationale de la DGOS reçoit des ressources en baisse... La mécanique est très démotivante pour les équipes. Cette régulation prix-volumes de type strictement macro-économique et uniquement destinée au respect de l'Ondam s'est doublée à partir de 2009 d'une mise en réserve de crédits de nature budgétaire qui n'a pas davantage été comprise par les établissements.
Alors que d'autres outils de maîtrise de l'Ondam ont été mis en place, il est aujourd'hui nécessaire de réformer en profondeur la régulation des dépenses pour la rapprocher de l'évolution de l'activité de chaque établissement et éviter l'actuelle mise en réserve infra-annuelle des Migac. Pourquoi ne pas assortir un certain volume d'activité de tarifs stables, éventuellement fixés de manière pluriannuelle, avec un barème dégressif au-delà de ce volume ? Certains pays pratiquant la T2A ont également mis en place une régulation micro-économique au niveau des établissements, qui pourrait passer par un contrat avec l'ARS. Cette solution, certes complexe, présenterait l'avantage de ne pas pénaliser indistinctement les établissements.
Nous proposons également de conforter le rôle des ARS en matière d'évaluation des besoins de financement des établissements et de leur donner des marges de manoeuvre financières plus importantes. Elles doivent, par exemple, pouvoir contractualiser avec les établissements pour financer le développement d'activités nouvelles afin de leur assurer un niveau de ressources connu sur une période suffisante.
Parce que la T2A peut constituer un obstacle aux coopérations hospitalières car les établissements ont intérêt à développer leur propre activité, les ARS doivent avoir la capacité de soutenir les établissements qui souhaitent coopérer entre eux, en leur attribuant des financements spécifiques sur une période transitoire d'accompagnement.