Intervention de Alain Milon

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 18 juillet 2012 : 1ère réunion
Financement des établissements de santé — Examen du rapport d'information

Photo de Alain MilonAlain Milon, rapporteur :

Au-delà des défauts de construction pratique de la T2A et de ses effets sur le fonctionnement des établissements, nous nous sommes beaucoup interrogés sur ses conséquences éventuelles en termes de qualité et de pertinence des soins et des séjours.

Il est extrêmement difficile d'isoler les effets propres de la T2A, dans la mesure où elle interagit avec d'autres facteurs. En outre, le président de la HAS nous a confirmé qu'aucune étude n'a été menée en France sur ce sujet. La T2A présente également un risque inflationniste.

De toute évidence, il y a eu un effet codage, c'est-à-dire une meilleure description des séjours. Le rattrapage dans l'exhaustivité des systèmes d'information est plutôt derrière nous, et la pression exercée artificiellement sur les volumes devrait s'estomper. Cette question ne correspond toutefois pas à une augmentation des actes pratiqués mais à leur meilleure retranscription - nous restons en tout état de cause dans une enveloppe fermée.

Plus généralement, une part significative de l'augmentation de l'activité tient à des facteurs indépendants du mode de tarification : besoins de santé croissants, vieillissement de la population, développement des maladies chroniques et amélioration des techniques médicales comme la radiothérapie et la chimiothérapie.

D'autres phénomènes plus critiquables contribuent cependant au développement de l'activité. Nous avons en particulier été frappés lors de nos déplacements par l'importance des actes pratiqués pour des raisons de couverture médico-légale au nom du principe de précaution et dans la perspective d'éventuels contentieux. Beaucoup de praticiens nous en ont parlé, les évaluations chiffrées sont impossibles, mais le nombre d'actes concernés ne semble pas du tout marginal.

Autre effet potentiel, le séquençage des séjours. Lorsqu'un patient nécessite un nombre d'actes plus élevé que celui sur lequel est fondé le coût moyen de son séjour ou lorsqu'il est souhaitable de pratiquer un examen ou un acte qui ne relève pas de sa pathologie principale et qui n'est donc pas intégré au GHS, l'établissement a intérêt à le laisser sortir pour le réadmettre afin de percevoir deux GHS. Les garde-fous créés dans le modèle sont apparemment impuissants face au phénomène de séquençage.

Si le risque de sélection des malades et de réorientation des activités vers les plus rentables concerne davantage le secteur privé, plus libre de se réorganiser, il est relativement théorique : de telles stratégies sont difficilement envisageables pour les grands établissements ou pour ceux qui assurent des missions de service public. En outre, il revient à l'ARS de définir les activités et de les organiser au niveau d'un territoire.

Une récente étude de la FHF révèle un nombre élevé d'actes inutiles, évalué par les médecins à 28 % des actes. Les actes inutiles n'ont pas nécessairement une motivation financière, liée à la T2A, ils ont toujours un impact financier. C'est pourquoi nous proposons de développer de manière plus volontariste les référentiels et autres guides de bonnes pratiques de la HAS et des sociétés savantes, et de créer, au sein des ARS, un observatoire de la qualité et de la pertinence des soins.

Pour se prémunir contre une mauvaise application du principe de précaution, il faut reconsidérer la couverture assurantielle des praticiens et des établissements et améliorer les expertises judiciaires en les rapprochant de l'exercice médical tel que les praticiens le vivent aujourd'hui.

Enfin, les études de santé, initiales et continues, doivent intégrer une dimension médico-économique comprenant une sensibilisation à la pertinence des actes.

Régulièrement, nous avons été invités à intégrer la qualité dans le système de financement par des incitations. Cette proposition nous laisse perplexes, car nous doutons tant de sa faisabilité que de sa légitimité. Protéiforme, la démarche de qualité nécessite de multiples indicateurs : sécurité des patients, gestion des risques, taux de mortalité, durée du séjour, réadmissions, réinterventions, complications post-opératoires, infections nosocomiales ou autres événements indésirables. En outre, les résultats d'une intervention ou d'un traitement sont influencés à des degrés divers par les caractéristiques des patients : âge, sexe, gravité, comorbidités associées, statut socio-économique, capacité à suivre les prescriptions...

Comment alors modéliser la qualité pour qu'elle intègre un système de financement, surtout quand il est lié à l'activité ? Qui plus est, la France est très en retard dans la prise en compte de la qualité et il ne faudrait pas reproduire le défaut qui caractérise la T2A, c'est-à-dire faire porter à l'outil plus qu'il ne le peut, pour faire l'économie d'autres types de décisions.

Le monde médical et administratif a toujours été très réticent à la mise en place d'indicateurs de qualité, comme le taux de mortalité. D'autres pays ont pourtant avancé sur cette question, et il est temps d'engager une démarche concertée et scientifiquement fondée, ne serait-ce que pour éviter les palmarès souvent réducteurs qui fleurissent chaque année dans les magazines.

Pour déployer une véritable stratégie de la qualité, nous proposons de confier une mission explicite de supervision à une institution indépendante dotée de l'autorité suffisante. Il convient également d'améliorer les indicateurs existants, de les compléter par des enquêtes de satisfaction et des sondages auprès des patients et des personnes soignantes. En outre, la publicité d'indicateurs pertinents et scientifiquement fondés doit être organisée car la réputation d'un établissement est tout aussi importante que d'éventuelles incitations tarifaires.

Allant plus loin, nous proposons de sanctionner les établissements lorsqu'y surviennent des événements indésirables - tels que les réadmissions -, par exemple en ne remboursant pas certains séjours. Enfin, les dotations non tarifaires devraient inclure une enveloppe dédiée à la qualité attribuée sur appels à projets.

La T2A ne tend pas naturellement à favoriser l'innovation car elle promeut plutôt une forme de process industriel. En outre, la France est nettement en retard dans le développement de la télémédecine pourtant très prometteuse pour répondre aux enjeux présents du système de santé : isolement de certains patients, démographie médicale...

Nous proposons d'intégrer explicitement dans la grille tarifaire les actes de télémédecine pour en assurer la visibilité et la pérennité. Globalement, la T2A doit être conçue pour ne pas nuire au développement de pratiques innovantes.

Le système de santé français s'est construit sur la prise en charge aiguë d'une pathologie, dans un temps où l'espérance et les modes de vie limitaient le développement des maladies dégénératives ou chroniques. On compte désormais neuf millions de personnes en affection de longue durée, soit 15,5 % de la population, et cela représente quasiment les deux tiers des dépenses de l'assurance maladie. Le seul diabète, première ALD en effectifs, pèse 10 milliards d'euros pour l'assurance maladie, soit 7,5 % de l'Ondam. On estime plus largement à quinze millions le nombre de personnes atteintes d'une maladie chronique.

Il importe d'adapter le système de santé et la prise en charge sanitaire à ces nouvelles données. On sait par exemple qu'un certain pourcentage des hospitalisations est évitable, notamment pour les personnes âgées, et diverses études montrent qu'elles se retrouvent souvent dans un état de santé général dégradé au sortir de l'hôpital, car elles ne relevaient pas nécessairement d'une prise en charge sanitaire lourde. Tous les établissements connaissent le phénomène d'arrivée importante de patients âgés le vendredi à l'hôpital, notamment aux urgences.

La coordination entre l'ensemble des acteurs est primordiale, tant en termes d'échange d'information que de pratiques professionnelles ; cette concertation dans la prise en charge doit concerner à la fois les praticiens en ville et tous les établissements. Or, la T2A peut constituer un handicap dans la mesure où elle n'est pas organisée autour du malade mais de sa maladie. Sa logique peut être antinomique de celle d'un parcours de soins ou de santé au sens large.

Les Etats-Unis ont lancé des programmes pour mettre en place un paiement global, du début à la fin d'une prise en charge, par exemple pour les pontages coronariens, la chirurgie bariatrique ou les angioplasties.

Nous souhaitons que s'engage rapidement une réflexion sur une tarification au parcours qui identifie les pathologies pouvant faire l'objet d'une expérimentation. Cela suppose de casser les cloisonnements actuels, ne serait-ce qu'entre les sous-objectifs de l'Ondam, pour dégager une enveloppe de financement globale pour la prise en charge du patient du diagnostic au traitement et aux soins postérieurs à l'hospitalisation.

Enfin, trois secteurs ne sont pas couverts actuellement par la T2A. Les anciens hôpitaux ruraux doivent théoriquement passer à la T2A le 1er mars 2013. Or, ils seront touchés de plein fouet par ses effets pervers actuels : ils développent surtout une activité médicale, notamment gériatrique, très peu chirurgicale ou obstétrique ; les bassins de population dans lesquels ils exercent sont souvent vieillissants.

Pourtant, les hôpitaux locaux rendent un véritable service public de proximité et stabilisent les médecins et les autres personnels soignants libéraux en leur ouvrant la possibilité de remplir des vacations et en assurant un point de référence sur le territoire. Naturellement, ces hôpitaux locaux ne sauraient devenir des hôpitaux généraux, disposant de tout le plateau technique ; ils doivent remplir des missions spécifiques. C'est pourquoi nous proposons de suspendre le passage à la T2A des hôpitaux locaux dans l'attente d'une réflexion stratégique sur leur place dans le système de santé.

De leur côté, les établissements de soins de suite et de réadaptation doivent en théorie passer à la T2A le 1er janvier prochain. La préparation et l'élaboration du modèle sont avancées, mais, à quelques mois de l'échéance, des travaux complémentaires importants sont, de l'avis unanime, encore nécessaires. Surtout, il nous semble opportun d'intégrer l'évolution du mode de financement des SSR dans l'idée du parcours de santé. Autant profiter de l'occasion de réfléchir concrètement à cette question, d'autant que les SSR s'y prêtent parfaitement. C'est pourquoi nous proposons de confier à l'Igas une mission sur le passage à la T2A des activités de SSR dans le cadre d'une évolution vers le financement d'un parcours de soins.

Enfin, l'objectif, lointain, de faire passer le financement des soins psychiatriques dans une tarification à l'activité est régulièrement affiché. La commission m'a confié une mission sur l'état de la psychiatrie et il me semble prématuré d'avancer dans cette voie car le secteur ne connaît pas de pratiques, de référentiels ou de cadres thérapeutiques comparables. Le processus de rapprochement et d'évaluation des pratiques professionnelles ne peut qu'être un préalable à la réforme du financement, même si celle-ci est indispensable.

Nos principales propositions visent à faire évoluer un mode de financement dont beaucoup de nos interlocuteurs soulignent qu'il ne peut rester figé.

Après les prix de journée, après la dotation globale, la T2A marque un nouveau cycle dans la recherche d'une meilleure allocation des ressources, en les dirigeant là où se situent les besoins de santé et où l'on peut le mieux y répondre. Bien des améliorations peuvent être apportées, à la fois pour prendre en compte des activités ou des situations qui se prêtent mal au financement par tarif, et pour veiller à ce que la pertinence et la qualité des prises en charge demeurent le fondement du fonctionnement de nos établissements.

Je ne saurais conclure sans dire le plaisir que j'ai eu à mener ce travail avec le président et mon corapporteur.

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