J'étais jusqu'à une date récente cardiologue dans un centre hospitalier alsacien, je suis président de la conférence des présidents de CME depuis 2003, mon mandat expire la semaine prochaine.
Globalement, la T2A est un progrès par rapport au système précédent, qui était aveugle. C'est une modalité de partage de l'Ondam hospitalier ; dans l'idéal, elle devrait conférer à ce partage davantage d'objectivité, de transparence et d'équité. Mais tout n'est pas aussi rose qu'on a pu le rêver. La transparence notamment n'est pas au rendez-vous. La construction tarifaire est obscure, même au regard du référentiel des coûts. Nul ne maîtrise totalement le système, tant il est complexe. Songez donc : il y a 2 300 tarifs ! Dès que l'on modifie un tarif, il est difficile d'en mesurer l'impact sur les ressources des établissements. En pratique, le pilotage est extrêmement difficile, tant pour les autorités de tutelle que pour les gestionnaires hospitaliers et les médecins.
Notre point d'indice synthétique activité (ISA) est de 20 % inférieur à la moyenne, si bien qu'on nous a enlevé au départ 15 % du tarif T2A, mais nous arrivons aujourd'hui à 100 %. Nous sommes même légèrement excédentaires, sans savoir pourquoi. Il est donc difficile d'effectuer une planification pluriannuelle à deux ou trois ans.
La T2A présente l'avantage d'obliger les établissements à examiner leurs coûts de production. Les responsables médicaux, à la différence sans doute des médecins de base, ont appris très vite, trop vite même, puisqu'ils ont parfois adopté des conduites d'opportunité et d'optimisation. Dans les centres hospitaliers, on raisonne désormais en termes médico-économiques, ce qui n'était pas du tout le cas il y a dix ans et rarement il y a cinq ans. Il n'y pas eu d'étude précise sur le sujet, mais une concurrence s'est établie entre pôles. J'observe au demeurant que, selon la prise en compte ou non de coûts de structure, le pôle cardio-vasculaire où je travaille est déficitaire ou excédentaire... C'est difficile à accepter pour un scientifique.
La T2A constitue plutôt un progrès, mais il est difficile d'obtenir un véritable référentiel des coûts dans le secteur public ; c'est totalement impossible dans le privé. Qu'est-ce qu'un coût de référence ? Qu'est-ce qu'un coût de prise en charge cohérente ? La moyenne constatée dans un échantillon non représentatif ou le prix d'une prise en charge conforme aux derniers acquis de la science ?
J'en viens aux limites de la T2A. D'abord, elle décourage la coopération au profit de comportements individualistes, tant de la part des équipes médicales que des établissements. Ainsi, les directeurs sont évalués sur le résultat de leur établissement, non sur celui de l'ensemble du système. Incitant à capter le maximum de patients, la T2A est un obstacle à l'organisation pertinente d'un parcours de soins. Au demeurant, le fonctionnement même de structure n'incite pas à la coopération interhospitalière. A titre d'exemple, un médecin qui assure des consultations dans un autre établissement perçoit une prime spécifique, qui disparaîtra si les deux hôpitaux sont regroupés. On pourrait multiplier les exemples.
Autre limite, la mauvaise prise en compte de l'urgence, dont le codage est particulièrement ardu et difficilement contrôlable. D'où l'utilisation d'une tarification au coût moyen avec une part pour l'urgence, qui n'est pas sans conséquence selon que l'établissement fait beaucoup de « programmé » ou beaucoup d'urgence.
Enfin, les tarifs sont la variable d'ajustement du système, susceptibles de mouvements aux motifs obscurs, avec des effets indirects, comme lorsque l'augmentation d'un tarif de chirurgie est répercutée sur d'autres GHS pour rester dans l'enveloppe fermée.
De par son asymétrie, la convergence intersectorielle est inéquitable aux yeux des hospitaliers publics, puisqu'elle consiste exclusivement à réduire les tarifs pratiqués dans le secteur public lorsqu'ils sont supérieurs à ceux du privé. Dans ma discipline, la cardiologie interventionnelle est bien moins chère à l'hôpital public. Trois GHS - la coronarographie simple, l'angioplastie avec infarctus et l'angioplastie sans infarctus - présentent des différentiels tarifaires avoisinants 50 %. Vu le fort volume d'actes réalisés par nos confrères privés, l'incidence budgétaire globale avoisine 100 millions d'euros. Comment comprendre pareils arbitrages ?
J'en viens au codage des actes. Cette opération compliquée occupe, dans mon service, l'équivalent de six semaines de travail d'un médecin par an, en comptant 10 à 15 minutes par dossier. Il nous faut davantage de techniciens d'information médicale.
Les contrôles effectués par l'assurance maladie sont certes indispensables, mais le fait qu'ils soient systématiquement effectués à charge est très mal vécu. En l'absence de référentiel universel, le médecin contrôleur - rarement un spécialiste - dispose d'un très grand pouvoir d'appréciation, mais pas nécessairement d'arguments scientifiques. La mise en accusation systématique est donc ressentie comme délétère, au point que l'assurance maladie est vue comme un « ennemi de classe » par les hospitaliers, alors que c'est elle qui garantit la pérennité du système. Bien qu'ils ne soient pas médecins, les délégués de l'assurance maladie prétendent nous dire comment il faut faire, eux dont la formation est particulièrement brève...
Quant aux modalités de prise en charge, je ne pense pas qu'elles aient fondamentalement changé, car la déontologie médicale demeure. Aucune étude n'a été réalisée, mais certaines équipes sous pression ont pu se réorienter vers des filières plus rémunératrices. Globalement, je ne pense pas qu'il y ait là un problème majeur dans l'immédiat. A terme, c'est une autre affaire.
Les indicateurs de qualité font l'objet d'un débat de fond. Je suis partisan d'un contrôle de la pertinence des actes plutôt que de leur volume, mais le premier problème auquel se heurtent les indicateurs concerne le recueil de l'information. Il y a tant d'indicateurs que c'en devient ubuesque. La Haute Autorité de santé (HAS) vient d'en ajouter une centaine par dossier... Nous ne pouvons plus suivre ! Les indicateurs automatiques sont inadéquats, un système déclaratif ne garantit pas la sincérité. Comment l'agence régionale de santé (ARS) peut-elle d'ailleurs exploiter des centaines d'indicateurs ? Nous pourrions raconter n'importe quoi ! Le codage représente du temps médical perdu pour le soin. Face aux excès actuels, je m'attends un effet de balancier pour l'avenir.
Les Migac incluent les Merri, pratiquement réservées aux CHU, alors que les centres hospitaliers assument une mission d'enseignement à titre bénévole. Nos files actives ne sont pas exploitées. C'est dommage. Il faut inciter les centres hospitaliers non universitaires à s'investir dans la recherche clinique.
La permanence des soins fait l'objet d'une très forte différence de rémunération entre les secteurs publics et privés. Un cardiologue interventionnel qui prend en charge un infarctus du myocarde à l'hôpital public vers deux heures du matin est rémunéré 160 euros, alors qu'un praticien libéral perçoit environ 1 300 euros, il est vrai avec les charges - environ 700 sans elles. Le sentiment d'injustice est très fort. J'ajoute que deux mouvements se conjuguent, la démographie médicale qui incite à regrouper les urgences et les plateaux techniques, et la sur-spécialisation. Il faut donc disposer d'équipes mutualisées pluri-professionnelles, tout en conservant une offre de proximité.