Intervention de Vincent Capo-Canellas

Réunion du 27 avril 2016 à 14h30
Projet de programme de stabilité

Photo de Vincent Capo-CanellasVincent Capo-Canellas :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons aborder la question de la trajectoire de nos finances publiques et du programme de stabilité en distinguant ce qui peut relever de l’affrontement et ce qui peut au contraire être partagé.

Il va de soi que le débat entre assainissement des finances publiques et soutien à la croissance est légitime ; les deux mesures doivent aller de pair et, si possible, se conjuguer. S’ensuit le débat sur le rythme des réductions budgétaires et sur celui de la réduction des déficits en conséquence. Tout cela dépend, on le sait, de l’appréciation de la situation économique du moment et des scénarios choisis en termes de croissance et d’inflation.

Il faut toujours choisir entre un scénario optimiste, un scénario plus pessimiste et un scénario moyen. Tous les gouvernements s’y essayent, toutes les majorités sont confrontées à cela. Le rapporteur général de la commission des finances a excellemment montré en commission l’extrême sensibilité de ces scénarios à des évolutions de la croissance, à la hausse ou à la baisse, ainsi qu’à l’évolution de la dépense publique, qui est sans doute l’une des principales questions qu’il nous appartient de traiter.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous mesurons la difficulté de la tâche, mais, ce constat une fois posé, nous mesurons aussi le chemin qui reste à parcourir au regard de notre situation.

Nous avons ainsi plusieurs points de différence majeurs avec le Gouvernement. Ainsi, nous pensons que les conditions économiques actuelles sont le produit de mauvaises décisions opérées ces dernières années, dont certaines ont été corrigées, mais seulement à la marge et un peu tard. Je regrette en particulier que la confusion sur la ligne économique et financière nous ait conduits là où nous sommes.

Fabienne Keller l’a rappelé : nous avons décroché par rapport au reste de l’Union européenne et de la zone euro. Nous sommes parmi les pays incapables de satisfaire à la règle des 3 %, et parmi les quelques rares grands pays dans ce cas. Nous avons décroché aussi du point de vue de la croissance comme de celui de la réduction des déficits. C’est une réalité, non un sujet de polémique : cette difficulté, notre pays doit la surmonter aujourd'hui et devra quoi qu’il arrive le faire demain.

Je ne nie pas les efforts réels et parfois substantiels qui ont été faits. Je pense au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et à diverses tentatives de réformes, malheureusement souvent inabouties. Cependant, le constat est là : il nous faut redoubler d’efforts. De ce point de vue, je n’ai pas le sentiment que ce qui nous est proposé dans ce projet de programme de stabilité soit à la hauteur de l’effort qu’il nous reste à accomplir. C’est là tout l’objet du débat.

Il ne s’agit pas de nier que le Gouvernement a pris conscience des difficultés ; il s’agit bien plutôt de savoir si les solutions qui sont proposées sont à la hauteur des enjeux. Je ne le crois pas.

Nous sommes à la traîne. L’Allemagne a vu son produit intérieur brut augmenter de 1, 7 % en 2015, le Royaume-Uni de 2, 2 %, l’Espagne de 3, 2 % et le Portugal de 1, 6 %. Seule l’Italie fait moins bien que la France.

Cette situation a un impact sur notre trajectoire des finances publiques. En effet, quand la croissance est moindre, on a moins de moyens que les autres. Nous ne sommes donc pas près de sortir de nos difficultés. L’économie française est moins dynamique que celle de l’ensemble des pays de la zone euro, dont le produit intérieur brut a augmenté en 2015 de 1, 5 %.

S’agissant du déficit public, la France fait l’objet d’une procédure de déficit excessif depuis 2009. À l’époque, quatorze États étaient dans ce cas ; en 2014, il en reste sept. Comme le soulignait la Commission européenne lors de la publication du déficit pour 2015, « depuis le début de la crise, la France a été plus lente dans la réduction de son déficit que le reste de la zone euro, d’où le contraste observé en matière d’évolution de la dette ». Tout est donc bien lié.

Dans la zone euro, seuls trois pays – la Grèce, l’Espagne et le Portugal – ont un niveau de déficit supérieur à la France. En moyenne, dans la zone euro, le déficit public se situe à 2, 2 %. Nous en sommes loin !

Quant à la dette publique, elle continue d’augmenter, alors qu’elle recule dans la zone euro. Avec 95, 7 % d’endettement public en 2015, la France est très au-dessus de la moyenne européenne, qui s’établit à 86, 6 % du produit intérieur brut dans l’Union européenne, contre 92, 1 % dans la zone euro.

Ces réalités sont connues et appelleraient une mobilisation plus forte. Est-ce le cas ? Je ne le crois pas. Certes, pour la première fois depuis longtemps, la France pourrait voir le taux de ses dépenses publiques légèrement baisser en 2016. Reste que celui-ci atteint un record avec 57 % de la richesse nationale en 2014. La France est ainsi le deuxième pays de l’OCDE en termes de dépenses publiques, avec un écart de 14 points de produit intérieur brut par rapport à la moyenne de ces pays et de 12 points par rapport à l’Allemagne. C’est là une difficulté sérieuse qu’il faudra traiter demain.

Ce niveau de la dépense publique pénalise la croissance et la compétitivité du pays. Le Gouvernement peine à prendre en compte cette réalité, même si je mesure à quel point les solutions sont complexes.

La conséquence est qu’en matière de prélèvements obligatoires, avec 45 % du produit intérieur brut, la France se situe au deuxième rang le plus élevé des pays de l’OCDE ; seul le Danemark fait mieux – ou pire, selon les opinions ! Le taux de prélèvements obligatoires de la France est de 7 points supérieur à celui de l’Allemagne et de 11 points supérieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. On mesure là aussi l’importance du travail qu’il nous faudra accomplir demain. De ce point de vue encore, le projet ne me paraît pas à la hauteur.

Certes, me direz-vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, il y a des « mieux », et vous citez à juste titre le résultat de 2015. On pourra toujours objecter que, quand on se donne un objectif qui nous paraissait, à nous, majorité sénatoriale, assez peu ambitieux, la moindre des choses, c’est de l’atteindre.

Vous avez fait mieux. Dont acte ! §Il serait d’ailleurs paradoxal que le fait que vous ayez corrigé certaines des erreurs commises depuis le début de ce quinquennat et soyez revenus sur un certain nombre de vos décisions ne produise aucun effet. Là aussi, dont acte. Quel qu’ait été le prix de ces revirements, il faut s’en féliciter !

En matière de réduction des déficits publics, nous avons plusieurs fois reporté le moment où l’objectif des 3 % serait atteint. Vous l’aviez annoncé pour 2013, ce sera en 2017. Restons vigilants pour être cette fois à l’heure !

Il faut prendre en compte un autre élément pour relativiser l’optimisme dont le Gouvernement – on le comprend ! – fait preuve à la veille de l’élection présidentielle : la Commission européenne, en raisonnant en termes de déficit structurel, établit une prévision de croissance inférieure de 0, 3 point. Il nous faudrait alors trouver 26 milliards d’euros d’économies…

Beaucoup ont souligné les facteurs exogènes qui ont permis des améliorations que le Gouvernement ne manquera pas de citer – c’est la règle du jeu. Reste que les taux d’intérêt et le prix du pétrole sont pour beaucoup dans un certain nombre de ces améliorations. Tant mieux, mais cela nous paraît insuffisant.

Il faudra désormais travailler sur les facteurs endogènes : la compétitivité de la dépense publique, une vraie réforme du marché du travail, la taxation du travail. De ce point de vue, les mesures dans le domaine de la fiscalité nous laissent sur notre faim, tant dans le programme de stabilité que dans le programme de réforme.

Des risques pèsent sur la conjoncture internationale et sur la croissance elle-même, raison pour laquelle il faut se garder de tout excès d’optimisme. Nous avons noté qu’un certain nombre de dépenses étaient annoncées, dont le montant s’établit entre 4 milliards d’euros et 5 milliards d’euros. On verra bien lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative comment seront financées toutes ces dépenses, mais un certain nombre de signaux et de clignotants sont allumés !

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