Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 27 avril 2016 à 14h30
République numérique — Article 9 ter, amendement 106

Axelle Lemaire, secrétaire d'État :

Le Gouvernement souhaite le retrait des amendements n° 106 rectifié ter, 449, 183, 393 rectifié et 184, au profit de l’amendement n° 223 rectifié présenté par M. Sueur.

Je regrette que l’article 9 ter, tel qu’il avait été adopté à l’Assemblée nationale, ait été supprimé par la commission des lois du Sénat. Il me semble pourtant qu’un équilibre avait été trouvé, après des débats passionnants.

Cet article avait le mérite d’élever au rang de la loi une formulation figurant dans une circulaire et d’étendre cette disposition aux collectivités locales, ce qui permettait d’élargir son champ d’application.

La démarche défendue par Mme Morin-Desailly m’apparaît intéressante, parce qu’elle cherche à dépasser le débat, parfois un peu stérile, en tout cas très frontal, entre les promoteurs du logiciel libre, d’un côté, et les défenseurs du logiciel propriétaire, de l’autre. Les premiers se font beaucoup entendre publiquement, en particulier sur les réseaux sociaux ; les seconds sont potentiellement très puissants, en tant que force de lobbying. Il y a les pour et les contre, le rôle du législateur étant de décider et de trancher.

Finalement, le débat devrait peut-être s’éloigner un peu de l’idéologie pour revenir à la pratique des choix qui sont nécessaires en matière d’achats informatiques destinés à équiper les systèmes d’information des administrations.

C’est ce que vous suggérez, madame Morin-Desailly : établir des critères plutôt que trancher entre logiciels libres et propriétaires.

Cette démarche a le mérite d’obliger les administrations à se poser la question des objectifs qu’elles poursuivent au moment de s’équiper. Cette question a peut-être été insuffisamment posée ces dernières années par certaines d’entre elles, qui ont eu tendance à sous-traiter leurs systèmes d’information. Je précise cependant que ce n’est pas le cas de toutes. Certaines sont connues et réputées pour avoir recours aux logiciels libres : c’est notamment le cas de la gendarmerie nationale, qui a équipé quasiment tout son parc informatique en logiciels libres et open source ; il me semble que cela représente plus de 60 000 ordinateurs.

Mais, finalement, pourquoi ne pas accepter ces amendements ?

Madame Garriaud-Maylam, vous dites vouloir rétablir la possibilité de recourir à une incitation. Le Gouvernement aussi. Cela tombe bien ! En revanche, les chiffres que vous citez, et qui émanent d’une étude du Syntec Numérique et du Conseil national du logiciel libre, ne montrent pas que le secteur du logiciel libre se porte mal en France. Au contraire, ce secteur, qui représente 50 000 emplois dans notre pays, est amené à croître et devrait connaître entre 3 000 et 4 000 embauches par an. Aujourd’hui, il représente 13 % du marché informatique.

L’amendement n° 223 rectifié de M. Sueur s’inscrit dans le même esprit que celui de Mme Morin-Desailly tout en retenant des critères juridiquement plus précis, notamment parce qu’il ne recourt pas à des formulations négatives – comme « ne menaçant pas la souveraineté numérique nationale » –, mais se fonde sur les notions de maîtrise, de pérennité et d’indépendance. Il me semble que cette formulation permet de dépasser l’opposition entre logiciel libre et logiciel propriétaire.

En effet, « maîtrise » signifie que l’informaticien de la collectivité publique décide de ce que doit faire le système d’information qu’il est amené à gérer. Par exemple, vous avez peut-être entendu parler des routeurs Juniper Networks, dont nous avons appris récemment qu’ils présentaient une back door, c’est-à-dire qu’ils étaient potentiellement accessibles par les services de renseignement américains. Or cette entreprise est le deuxième fournisseur de routeurs d’accès en France. Une interrogation sur la maîtrise des systèmes d’information aurait peut-être permis d’éviter de recourir à cette solution.

« Pérennité » signifie que les systèmes ne sont pas obsolètes trop rapidement et qu’il faut s’interroger sur la capacité de maintenance à plus long terme. Cette exigence est liée à l’exigence de continuité du service public qui s’impose aux administrations.

Enfin, l’« indépendance » exige que le logiciel choisi ne rende pas l’utilisateur dépendant de ses fonctionnalités. En quelque sorte, l’indépendance est fille de la maîtrise. Cela dit, tous les logiciels libres ne garantissent pas l’indépendance ni la maîtrise, car celles-ci supposent l’existence d’une collectivité de développeurs qui soit active. Il arrive que certains logiciels ne soient pas maintenus par une telle collectivité, ce qui les rend rapidement obsolètes.

À l’inverse, certains logiciels propriétaires permettent de répondre très spécifiquement à des besoins de gestion auxquels ne répondent pas les logiciels libres. Il importe donc de laisser le choix souverain à l’administration.

Telle est la solution proposée par Jean-Pierre Sueur : donner la possibilité à l’administration de garder la main sur l’ensemble des outils qui ont été développés et qui le seront à l’avenir. Elle permet en outre aux services prescripteurs de monter en compétence, de devenir concepteurs et créateurs plutôt que de rester des acheteurs passifs. Afin de respecter ce juste équilibre, le Gouvernement vous propose donc d’adopter l’amendement n° 223 rectifié.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion