Plus sérieusement, au vu de l’importance des enjeux du numérique – sécurité et défense nationale, compétitivité économique, protection des données personnelles, enjeux sociaux, éducatifs et, pourquoi pas, de souveraineté agricole –, faut-il continuer à organiser l’État de manière interministérielle pour traiter de ce sujet ou faut-il au contraire mettre en place une structure unique plus centralisée chargée de coordonner l’action numérique ?
Je m’interroge quotidiennement à ce sujet dans l’exercice de mes fonctions, mais je n’ai pas la réponse idéale. Compte tenu de la tradition administrative française, il me semble toutefois qu’il faudrait tendre à la mise en place d’un secteur numérique puissant au sein de chaque ministère, couplé à une bonne articulation interministérielle, plutôt qu’à la création, finalement un peu artificielle, d’un organisme dont la mission serait de coordonner difficilement des ministères qui se considèrent tous – vous le savez bien – comme souverains.
Il est fondamental de s’interroger sur les enjeux de la souveraineté numérique, et je constate avec satisfaction que la question du système d’exploitation souverain n’est plus abordée ici. Cela ne me semblait ni opportun ni conforme à la réalité mondiale, très interconnectée et de plus en plus décentralisée, du numérique.
Parler de souveraineté numérique, c’est parler de technologie, de cybersécurité, de protection des systèmes d’information de l’État – nous l’avons fait à l’occasion des débats sur le logiciel libre – ou encore des opérateurs d’importance vitale. Ces sujets relèvent des compétences de l’ANSSI, l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information, ou, lorsqu’il s’agit du strict domaine régalien, du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
Il me semble important de maintenir une certaine tension au sein de l’appareil de l’État, car tout n’est pas noir ou blanc. Afin de garantir les arbitrages les plus éclairés, il est sans doute nécessaire de conserver des visions parfois divergentes.
La souveraineté numérique peut recouvrir également des enjeux de fiscalité et d’application de la loi. Madame Morin-Desailly, votre rapport a beaucoup éclairé les travaux du Gouvernement à ce sujet. Vous y faites preuve d’une conception large des enjeux de souveraineté, que le Gouvernement partage. J’ai donné l’exemple de l’agriculture. La capacité des agriculteurs de France, non seulement à collecter les données qui proviennent de leur terre, mais aussi à les exploiter et à les partager, plutôt que de les laisser exploiter par des tractoristes issus de grandes entreprises étrangères, peut être également considérée comme un enjeu de souveraineté.
Concernant la question des protocoles de chiffrement, les récents événements tragiques ont bien montré toute l’acuité du sujet en matière de souveraineté. Il faut toutefois faire preuve de nuance. Le Gouvernement a eu l’occasion de rappeler son attachement aux technologies de chiffrement, lesquelles assurent aujourd’hui encore la plus grande sécurité des organisations de l’État, des administrations générales, des entreprises et de nos concitoyens. Les attaques terroristes à Paris, par exemple, ont été synchronisées par des échanges de SMS en clair. C’est la raison pour laquelle j’ai récemment lancé un appel à projets pour promouvoir des technologies émergentes de protection des données personnelles, notamment par le chiffrement.
Ce texte de loi confère en outre une nouvelle mission à la CNIL, qui consiste à promouvoir les technologies de protection de la vie privée, parmi lesquelles celles qui relèvent du chiffrement.
Vous l’aurez compris, nous avons intérêt à prolonger la réflexion que vous aviez amorcée, madame Morin-Desailly, en publiant un rapport ambitieux sur le sujet. Toutefois, il faut rester prudent quant aux suites institutionnelles et organisationnelles qui pourraient être données à la publication d’un tel rapport. Voilà pourquoi je m’en remets à la sagesse du Sénat sur l’ensemble de ces amendements.