Intervention de Didier Boulaud

Réunion du 12 juillet 2011 à 14h30
Accord avec les émirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense — Discussion et adoption définitive d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Didier BoulaudDidier Boulaud :

L’accord débattu aujourd’hui au Parlement constitue-t-il la prolongation stratégique et commerciale des accords précédents ? Si au moins la même réussite commerciale était au rendez-vous...

Souvent, les Émirats accompagnent la politique extérieure française, et ils le font d’autant plus aisément que Paris est de plus en plus engagé dans le sillage des vues stratégiques américaines.

Le rapprochement avec l’OTAN est salué à Abou Dabi et à l’Élysée, et nos pays partagent une même approche timorée et prudente face aux bouleversements politiques et populaires en Méditerranée.

Nous devons aussi signaler que les Émirats ont été le deuxième pays arabe, après le Qatar, à participer aux opérations militaires pour faire respecter la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, laquelle a ouvert la voie aux frappes en Libye.

Certes, il faut reconnaître aussi que les pays arabes ne se bousculent pas au portillon pour venir en aide aux rebelles libyens...

Je n’insisterai pas sur les aspects déjà soulignés par le rapporteur, Mme Goulet : accords existants avec l’Arabie saoudite, en 2010, ou avec l’Irak, en 2011 ; importance géopolitique des Émirats, zone de tensions, « avec, d’un côté, la situation particulière de l’Irak, de l’autre, l’inconnue iranienne, et, plus loin – mais pas si loin ! –, les opérations de l’OTAN en Afghanistan. »

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : si les Émirats arabes unis intéressent autant de monde, c’est parce que transite, par le détroit d’Ormuz, l’essentiel des approvisionnements en énergie de nos économies.

Ce sont là autant de motifs pour ne pas s’engager à la légère.

Nous pensons que les représentations géopolitiques contenues dans le Livre blanc du président Sarkozy doivent être révisées, revisitées, corrigées à l’aune des intérêts français et européens, d’une façon plus autonome et mieux adaptée à nos exigences et à nos contraintes politiques et financières.

Ainsi, au moment où l’Asie se réveille et où la Chine s’affirme comme une puissance planétaire, au moment où des pays émergents développent des stratégies propres, originales et parfois assez erratiques, devrions-nous en rester au « grand jeu » du XIXe siècle, prisonniers du conflit d’influence entre Anglo-Saxons et Français ? Je crains que ce ne soit là une vision passéiste, et sans avenir.

En 2012, nous aurons à revoir en profondeur nos choix politiques de défense et de sécurité, y compris dans la région concernée par cet accord.

Je dois aussi vous parler, mes chers collègues, mais brièvement tant elle est connue, de la situation des droits de l’homme dans les Émirats arabes unis, pays qui compte 6, 4 millions d’habitants, dont 81 % d’étrangers, « leurs » étrangers, pour qui la santé, l’éducation et les services sociaux sont difficilement accessibles. Il n’y a ni syndicats ni partis politiques. Les conditions de travail sont très dures et la justice est très laxiste en ce qui concerne les violences domestiques. Toutefois, la police fait parfois la chasse aux couples non mariés... Bref, les Émirats, si prompts à se ranger derrière le drapeau occidental, ne s’empressent pas d’épouser toujours ses valeurs.

Nous aimerions connaître l’avis du ministre sur ce point et savoir s’il a été question de ces sujets lors des derniers entretiens avec les dirigeants émiratis. Quand un accord de défense est signé, il est difficilement dissociable de la situation intérieure dans le pays : démocratie, dictature, progrès en matière de justice et d’égalité sont des dossiers importants !

Faut-il, au moment de la signature d’un accord de coopération de défense avec les Émirats, se taire sur tous ces dossiers ?

Certains justifient la base militaire française par la nécessité de défendre les Émirats face à l’agressivité iranienne, présumée ou réelle…

Mais, quel est l’état réel des relations entre l’Iran et les Émirats ? Il semblerait que les Émirats appliquent de façon plus que souple l’embargo envers l’Iran, y compris pour la fourniture de matériels extrêmement sensibles.

Que représente concrètement la menace iranienne, monsieur le ministre ? Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Quant à l’article 4, auquel Mme le rapporteur a fait référence, est-il inquiétant ou superfétatoire ? Il est inquiétant s’il crée une obligation plus contraignante et automatique ; il est superfétatoire s’il vient s’ajouter aux dispositions existantes dans le cadre de l’ONU. Là encore, une explication du Gouvernement est nécessaire.

Quel est le sens de cet article ? Nous conduit-il d’ores et déjà à prendre parti alors que le contexte d’un éventuel futur affrontement n’est pas même encore connu ?

Est-il raisonnable de nous engager plus loin en participant, en application de cet article 4, à la défense de l’intégrité territoriale des États des Émirats arabes unis ? Cela mérite quelques explications de la part du Gouvernement.

De toute façon, si un conflit intervenait, nous serions liés par d’autres engagements, comme nous l’avons été au moment de la guerre du Koweït. Dès lors, l’article 4 de ce nouvel accord est-il vraiment nécessaire ? Ne serait-il pas redondant par rapport à tous les engagements que nous avons pleinement souscrits à l’ONU ?

Je m’interroge aussi sur notre capacité à honorer tous nos engagements.

Cette nouvelle base implique une dispersion supplémentaire des capacités de la France dans le monde. En avons-nous les moyens ? La lecture de la « une » de ce jour d’un grand quotidien du soir suffit à apporter quelques réponses…

Ne devrions-nous pas plutôt concentrer nos forces, limitées, sur les aires géopolitiques les plus nécessaires à notre défense ? En Afrique, en Méditerranée, nous levons l’ancre, nous fermons des bases, nous réduisons notre présence. Soit ! Mais pourquoi alors aller créer une base supplémentaire ?

Quel est l’avenir de notre grande base à Djibouti, où nous avons, avec les Américains et les Japonais, un centre de coordination pour la lutte contre la piraterie – région aussi, monsieur le ministre, où la présence chinoise commence à se manifester et à susciter des interrogations de la part des observateurs.

Le président Josselin de Rohan ne me contredira sans doute pas : on ne peut pas aborder les questions que soulève cet accord sans évoquer également la question des moyens accordés à notre défense.

Notre implantation aux Émirats arabes unis risque de nous conduire demain à nous désengager encore plus du continent africain et des territoires d’outre-mer. Est-ce souhaitable ?

Si l’on poursuit la politique actuelle, je crains que le désengagement ne soit inévitable à court terme. C’est, hélas ! le prix à payer à la suite des choix réalisés en matière stratégique depuis 2007 : entre Livre blanc, programmation militaire bancale et RGPP drastique, les moyens de la défense s’amenuisent. L’inquiétude des militaires devient prégnante et, désormais, audible.

Le Livre blanc, nous l’avions déjà signalé, est caduc. Les objectifs capacitaires ne seront pas atteints faute de recettes suffisantes et ses présupposés idéologiques – notamment « arc de crise », sécurité nationale, défiance face à la défense européenne – sont à revoir. En particulier, nous devons reconsidérer les aires géographiques de nos déploiements à l’étranger, en les adaptant aux moyens réels de notre défense et de nos finances, c'est-à-dire sans tirer de traites sur l’avenir.

Tels sont les points et les interrogations qui nous empêchent de voter favorablement votre texte, monsieur le ministre.

Toutefois, nous sommes conscients que, comme on dit familièrement, « le coup est parti » ! Les engagements pris par le Président Sarkozy connaissent déjà, une fois n’est pas coutume, un début de réalisation, et l’accord de coopération a abouti, nous le savons, à l’installation de la base militaire française à Abou Dabi en 2009. Le Parlement arrive donc après la bataille...

Nous nous abstiendrons donc sur ce texte, parce que nous considérons que les enjeux économiques, industriels, énergétiques, stratégiques, politiques qui justifient l’implantation de cette base et cet accord de défense méritent d’être pris en considération et, surtout, parce que la parole de la France a été engagée, et ce au plus haut niveau. Il s’agit donc de prendre aussi cette situation nouvelle en compte.

Notre abstention vise, nous le disons clairement, à ne pas hypothéquer l’avenir, dans lequel nous mettons nos espoirs...

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