Séance en hémicycle du 12 juillet 2011 à 14h30

Résumé de la séance

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Sommaire

La séance

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La séance, suspendue à midi, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Bernard Frimat.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

L’ordre du jour appelle la discussion :

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement d’Anguilla relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 516, texte de la commission n° 629, rapport n° 628) ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas, au titre des Antilles néerlandaises, relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 359, texte de la commission n° 630, rapport n° 628) ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Belize relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 514, texte de la commission n° 631, rapport n° 628) ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Sa Majesté le Sultan et Yang Di-Pertuan de Brunei Darussalam relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 513, texte de la commission n° 632, rapport n° 628) ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 511, texte de la commission n° 634, rapport n° 628) ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Commonwealth de la Dominique relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 515, texte de la commission n° 635, rapport n° 628) ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des îles Cook relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 360, texte de la commission n° 633, rapport n° 628) ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales (projet n° 450, texte de la commission n° 627, rapport n° 626) ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Libéria relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (projet n° 512, texte de la commission n° 636, rapport n° 628) ;

– du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Île de Man en vue d’éviter la double imposition des entreprises exploitant, en trafic international, des navires ou des aéronefs (projet n° 375 [2009-2010], texte de la commission n° 625, rapport n° 624).

Il a été décidé que ces projets de loi feraient l’objet d’une discussion commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, la lutte contre les pratiques fiscales dommageables est l’une des priorités du Gouvernement.

Depuis 2008, la France se place à l’avant-garde de la lutte menée par la communauté internationale contre les États et territoires non coopératifs en matière fiscale. C’est, en effet, à la demande du G20, sur une initiative conjointe de l’Allemagne et de notre pays, que le secrétariat général de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, a établi et fait publier, lors du sommet de Londres, le 2 avril 2009, les fameuses listes grise et noire de paradis fiscaux.

Pour sortir de ces listes, chaque État ou territoire concerné devait conclure douze accords portant sur l’échange de renseignements fiscaux. Cette méthode s’est avérée des plus efficaces : de la quarantaine de pays qui ont été, en quelque sorte, stigmatisés en avril 2009, moins d’une dizaine seulement – huit exactement au 1er juin 2011 – restent aujourd’hui concernés et plus de cinq cents accords bilatéraux de ce type ont été signés à ce jour dans le monde.

À la suite du G20 de Londres, la France a engagé des négociations d’accords fiscaux avec la plupart des États et territoires figurant sur les listes grise et noire de l’OCDE. Dans la situation où il existait déjà une convention fiscale entre la France et l’État concerné, nous avons conclu des avenants. Dans les autres cas, nous avons proposé de ne conclure qu’un simple accord d’échange de renseignements fiscaux, sans la moindre contrepartie. Au total, depuis le mois de mars 2009, la France a signé deux conventions fiscales, dix avenants et vingt-sept accords d’échange de renseignements fiscaux.

Ces résultats font de notre pays l’un des plus actifs dans le combat international en faveur de la transparence fiscale. Les négociations continuent par ailleurs, et d’autres accords sont appelés à être signés très prochainement.

En outre, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s’est attaché à traduire ses engagements internationaux par des mesures concrètes, adoptées, comme vous le savez, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009. La France s’est ainsi dotée d’une liste noire nationale d’États et territoires non coopératifs, lesquels sont soumis à des sanctions fiscales lourdes visant à décourager l’investissement sur place.

C’est dans ce contexte que s’inscrivent les huit accords d’échange de renseignements en matière fiscale entre la France et, respectivement, les Antilles néerlandaises, Anguilla, les îles Cook, le Sultanat de Brunei, la Dominique, le Libéria, le Costa Rica et le Belize, ainsi que la convention fiscale franco-hongkongaise, signée le 21 octobre 2010, qui font l’objet des projets de loi aujourd’hui soumis à votre approbation. Je note, au passage, que sept des huit accords d’échange d’informations concernent des États figurant actuellement sur la liste française des États et territoires non coopératifs.

Ces accords visent à mettre en place un cadre juridique général, de façon à permettre un échange de renseignements effectif et sans restriction, en favorisant notamment la levée d’un éventuel secret bancaire. Ils sont conformes aux standards internationaux en la matière, en l’occurrence aux modèles élaborés par l’OCDE en 2002, s’agissant des accords d’échange de renseignements, et en 2008, s’agissant de la convention fiscale entre la France et Hong Kong.

J’ajoute que la signature et l’approbation de ces accords constituent non pas une fin en soi, mais une étape nécessaire à la mise en place d’un véritable dispositif de lutte contre les pratiques fiscales dommageables.

L’approbation et l’entrée en vigueur de ces accords permettront au Gouvernement et aux instances multilatérales chargées de ces questions, que ce soit l’OCDE ou le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, d’évaluer concrètement les progrès accomplis par ces territoires.

À cet effet, le Forum mondial a mis en place un mécanisme d’évaluation, présidé par M. François d’Aubert, délégué général à la lutte contre les paradis fiscaux.

Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, une telle évaluation se déroule en deux phases : la première porte sur le cadre légal de la coopération administrative, la seconde, sur l’efficacité et l’effectivité de l’échange de renseignements. Tous les États dont il est aujourd’hui question seront soumis à cette seconde phase d’évaluation entre 2012 et le début de l’année 2014. Il est donc impératif, pour pouvoir procéder à cette évaluation, que les accords d’échange de renseignements soient entrés en vigueur avant la fin de la présente année.

Je tiens à souligner que, sur le plan national, le mécanisme de sanctions adopté en loi de finances rectificative pour 2009 prévoit également un suivi de ces juridictions. En effet, la liste nationale des États et territoires non coopératifs est mise à jour au 1er janvier de chaque année. Le Gouvernement a donc la possibilité d’y ajouter tout territoire avec lequel il jugerait la coopération fiscale insuffisante.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appellent les accords qui font l’objet des projets de loi aujourd’hui soumis à votre approbation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons, cet après-midi, le privilège de débattre sur plusieurs conventions fiscales internationales. Alors même que nous aurions pu voter ces projets de loi dans le cadre d’une procédure implicite, nos collègues du groupe CRC-SPG, qui n’avaient pu participer aux travaux de la commission des finances en la matière, ont souhaité l'organisation d’un débat public.

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

C’est réussi, aucun d’entre eux n’est là !

Debut de section - Permalien
Henri de Raincourt, ministre

Ils vont sûrement arriver !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Visiblement, en effet, nos collègues sont soumis à de fortes contraintes de disponibilité…

Monsieur le ministre, mes chers collègues, si la volonté politique donne naissance au droit, c’est son contrôle qui le nourrit et le fait vivre. Tel est l’enjeu de notre débat, demandé donc par le groupe CRC-SPG, sur l’adoption de huit projets de loi visant à ratifier les accords d’échange de renseignements signés avec Anguilla, les Antilles néerlandaises, le Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook et le Libéria, ainsi que sur deux projets de loi tendant à approuver deux conventions fiscales de suppression des doubles impositions, signées respectivement avec l’Île de Man et Hong Kong.

Si l’on excepte la convention de suppression de double imposition en matière de navigation aérienne et maritime signée avec l’Île de Man, la démarche du Gouvernement est de mettre fin au dumping fiscal, ainsi qu’aux pratiques dommageables des territoires qui cultivent le secret bancaire comme un avantage financier compétitif. Notre tâche est donc de nous assurer de la pleine effectivité de ces accords.

Le débat d’aujourd’hui nous permet, à titre liminaire, de faire le point sur l’état d’avancement de la mise en place du réseau conventionnel français dans le cadre de la politique de lutte contre les paradis fiscaux sur le plan tant multilatéral que bilatéral.

Notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur sur ces textes, étant dans l’impossibilité de se trouver aujourd’hui parmi nous, c’est à moi qu’il revient de présenter les conclusions de ses différents rapports. Il a mené ces dernières années, à ma demande, appuyée par l’opposition en la personne de Nicole Bricq, un travail d’approfondissement des conventions fiscales, dont le nombre a considérablement augmenté.

La commission des finances a, en effet, examiné, au cours des deux dernières années, trente-cinq projets de loi visant à ratifier soit des conventions relatives à la suppression des doubles impositions, soit des accords d’échange de renseignements en matière fiscale.

Ces derniers illustrent la volonté politique française, clairement exprimée, de mettre fin à l’opacité fiscale qui s’est fait jour dès octobre 2008, lors de la réunion organisée, à Paris, sur la transparence fiscale, puis dans le cadre du G20 réuni à Washington le 15 novembre 2008.

La démarche française a reçu un écho favorable au sein de l’OCDE puisque, en 2009, le sommet de Londres a donné un nouvel essor au cadre normatif mis en place par l’Organisation dès 2000 avec, d’une part, la création du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales et, d’autre part, l’élaboration de l’accord-cadre d’échange de renseignements en 2002.

Quant à l’établissement des trois listes noire, grise et blanche de l’OCDE, le 2 avril 2009, cela peut, j’en conviens, apparaître formel, puisque, pour en être radié, l’État non coopératif doit conclure au moins douze accords, signe de son engagement officiel de suivre les standards internationaux de transparence fiscale. On a vu, ici et là, des accords signés entre deux espaces non coopératifs.

C’est pourquoi il convenait d’instaurer un mécanisme de contrôle de la « sincérité » et de l’effectivité de ces engagements formels. Dans le cadre du Forum mondial, ce rôle a échu au groupe des Pairs, que la France préside en la personne de François d’Aubert.

Où en sommes-nous ?

Près de 650 accords ont été signés dans le monde, et 34 pays ont déjà fait l’objet d’un examen par le Forum mondial. Des recommandations ont été émises pour certains d’entre eux. La prochaine revue des Pairs se tiendra le 18 juillet prochain. À cette occasion, 14 pays supplémentaires seront contrôlés sur la qualité de leur réseau conventionnel, ainsi que sur la réalité de l’échange de renseignements. Quant au Forum mondial, il se réunira à la mi-octobre à Paris.

Les États qui nous intéressent aujourd’hui figuraient sur la liste grise le 2 avril 2009, à l’exception de l’Île de Man, du Costa Rica et de Hong Kong. Ils sont, depuis, inscrits sur la liste blanche dans la mesure où ils ont conclu au moins douze accords.

L’Île de Man figurait dès l’origine sur la liste blanche. En revanche, Hong Kong ne figurait sur aucune liste en tant que région administrative.

Le Costa Rica, quant à lui, était inscrit le 2 avril 2009 sur la liste noire, puisqu’il n’avait pas exprimé sa volonté de coopérer fiscalement. S’il a formalisé cette volonté à partir du 7 avril 2009 afin d’intégrer la liste grise, il y est demeuré jusqu’en juin dernier, n’ayant conclu alors que cinq accords. Il a finalement rejoint la liste blanche au début du mois de juillet, après avoir intégré le réseau conventionnel nordique, ajoutant ainsi opportunément les sept accords manquants.

Ce constat nous alerte sur le risque d’inertie de certains pays à vouloir coopérer fiscalement. Alors que le cadre multilatéral est en place et que le réseau conventionnel français se tisse, nous entrons désormais dans l’ère de l’épreuve des faits, c’est-à-dire de la mise en œuvre de ces accords.

Il nous faudra donc demeurer extrêmement attentifs et particulièrement vigilants. Nous avons présumé la bonne foi des parties signataires ; nous allons maintenant vérifier la sincérité de leur engagement dans le cadre des demandes de renseignements, car nous en avons les moyens.

La rédaction des stipulations conventionnelles constitue la première garantie d’efficacité de cette politique nouvelle.

Pourront être sollicités tous renseignements vraisemblablement pertinents pour l’établissement et la perception des impôts visés dans l’accord, pour le recouvrement des créances fiscales ou encore pour les enquêtes en matière fiscale pénale. Les demandes pourront concerner toute personne ou entité, y compris les trusts et les fondations.

Non seulement l’ensemble de ces clauses sont conformes au modèle de l’OCDE, mais elles répondent aux exigences de la pratique conventionnelle française, beaucoup plus rigoureuse en la matière que l’OCDE.

En effet, ces accords contiennent des clauses anti-abus, une définition des impôts visés plus large, des clauses de suppression des doubles exonérations, ainsi qu’une obligation beaucoup plus stricte de mise en œuvre de la législation nécessaire à l’échange.

En outre, la France a souhaité se doter de sa propre liste d’États non coopératifs dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009. La première édition date du 12 février 2010. Elle comptait 18 pays, dont Anguilla, le Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook et le Libéria. Cette liste a été mise à jour le 14 avril 2011. Ainsi, Saint-Christophe-et-Niévès et Sainte-Lucie en ont été retirés, alors que les îles Turques et Caïques ainsi qu’Oman y ont été ajoutés.

Cette actualisation est le fruit de la propre évaluation de la France quant à l’effectivité des échanges. L’enjeu est d’importance, car l’inscription sur la liste entraîne, au bout d’un an, l’application automatique des sanctions fiscales prévues par la loi de finances rectificative pour 2009.

Je rappelle, pour mémoire, que ces mesures visent, en premier lieu, les résidents de France qui réalisent des transactions avec de tels pays. Elles se traduisent, notamment, par un durcissement du régime d’imposition des plus-values mobilières et immobilières, ou encore par le refus du bénéfice du régime mère-fille aux sociétés françaises.

Ces dispositions frappent, en second lieu, les résidents de ces paradis qui bénéficient de flux provenant de France. Elles entraînent l’application de taux majorés de retenue à la source sur les revenus immobiliers et les plus-values, ainsi que sur les intérêts, dividendes, redevances.

Craignant toutefois un éventuel effet négatif de la liste sur le commerce extérieur français, notre collègue Adrien Gouteyron a préconisé que la publication de celle-ci soit accompagnée de précisions données par l’administration sur l’état d’avancement des mesures prises par l’État concerné, c’est-à-dire la signature ou la ratification d’un accord, le changement de sa législation, ou encore d’autres dispositions allant dans la même direction.

Monsieur le ministre, pensez-vous pouvoir demander aux services de votre ministère d’élaborer une telle instruction fiscale ? Cela répondrait totalement au vœu d’Adrien Gouteyron, auquel je souscris absolument.

L’année 2012 constituera une année « test », une étape supplémentaire dans la suppression des systèmes fiscaux opaques, à condition que ces paradis adoptent le cadre normatif nécessaire à la coopération et que leur interprétation des accords, notamment la « pertinence » des renseignements, soit conforme à l’esprit des accords ; j’insiste sur tous ces points. Veillons à ce que tous ces engagements ne forment pas un simple écran de fumée.

Le chemin à parcourir est encore long. Certains territoires sont dépourvus d’administration fiscale et de droit des sociétés permettant, en particulier, d’identifier des propriétaires de parts, les bénéficiaires de trusts...

Le Premier ministre de Jersey, Terry Le Sueur, a, pour sa part, déclaré devant notre commission disposer d’une réglementation des trusts de nature à répondre à toute demande. Nous verrons ce qu’il en est.

C’est pourquoi j’exhorte des pays tels que la Suisse ou le Luxembourg à donner l’exemple. Ces partenaires économiques privilégiés de la France, soucieux de l’avenir financier européen, doivent participer pleinement à ce nouvel élan de la coopération administrative fiscale. Le Premier ministre du Luxembourg ne nous rappelle-t-il pas, sans cesse, nos obligations en matière d’équilibre budgétaire ?

J’ai eu l’opportunité de rencontrer le ministre luxembourgeois des finances, Luc Frieden, et de m’entretenir avec lui à propos des différents enjeux financiers européens. La transparence fiscale constitue l’un des axes prioritaires de l’action politique visant à lutter contre les effets systémiques et spéculatifs qui gangrènent nos économies, en l’absence d’une gouvernance européenne.

Je n’oublie pas non plus que le Premier ministre du Grand-Duché de Luxembourg est le président de l’Eurogroupe. Il est bon, certes, qu’il nous rappelle nos obligations, mais il doit aussi veiller à ce que les facilités accordées par son pays en matière fiscale ne contribuent pas à vider nos poches.

Enfin, un rapport sera remis au Parlement à l’automne prochain, afin de contrôler l’efficacité du dispositif conventionnel français de lutte contre les paradis fiscaux. De surcroît, la commission des finances poursuivra la tâche de son rapporteur, Adrien Gouteyron, tout spécialement à l’issue de la prochaine réunion du Forum mondial.

En conclusion, je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter, sans réserve, les présents projets de loi visant à approuver les accords d’échange de renseignements conclus avec Anguilla, les Antilles néerlandaises, le Belize, Brunei, le Costa Rica, la Dominique, les îles Cook, et le Libéria, ainsi que les deux conventions de suppression des doubles impositions signées respectivement avec l’Île de Man et Hong Kong. Et permettez-moi de saluer l’arrivée de nos collègues du groupe CRC-SPG. §

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, c’est en effet à la demande du groupe CRC-SPG que nous débattons en séance des projets de loi autorisant l’approbation d’accords relatifs à l’échange de renseignements fiscaux entre la France et dix États ou territoires, sur le modèle des conventions fiscales de l’OCDE.

Cette procédure démocratique permet de mettre en lumière le travail engagé, après le G20 de Londres, par la commission des finances, que je remercie de s’être intéressée de près à ces questions.

Nous sommes en effet les seuls parlementaires à pouvoir débattre de ces textes, car nos collègues de l’Assemblée nationale confient ce travail à leur commission des affaires étrangères. Je remercie donc les membres du groupe CRC-SPG d’avoir demandé l’organisation d’une discussion commune sur ces projets de loi, même si cela nous donne du travail supplémentaire. Mais, après tout, nous sommes là pour cela...

De plus, cela nous permet, en tant que parlementaires, de donner mandat à l’exécutif, alors que la France assume la présidence du G20 dans un contexte européen troublé, pour ne pas dire plus, et ce à moins de quatre mois du sommet de Cannes, qui se tiendra au début du mois de novembre.

Le Forum mondial, qui représente aujourd’hui 101 pays sous la houlette de l’OCDE, a tenu sa troisième réunion les 31 mai et 1er juin derniers, et a rendu publiques ses dernières évaluations concernant 35 États, parmi lesquels figurent la France et les États-Unis. D’ici à la réunion du G20 de Cannes, 25 autres rapports sont attendus. C’est un fait qui a son importance, car le Président de la République souhaite convaincre ses partenaires du G20 de publier une nouvelle liste noire de paradis fiscaux et territoires non coopératifs, rassemblant les pays dernièrement notés à la lumière des évaluations du Forum mondial.

J’indique que nous soutenons le Président de la République dans cet effort, et permettez-moi de me focaliser quelques instants sur la situation des pays européens.

Nous serons d’autant plus fondés à demander des efforts aux autres États du monde que nous serons capables, au sein de l’Union européenne, de faire preuve de la même vigilance à l’encontre de nos partenaires.

À cet égard, j’aimerais évoquer nos voisins suisses. N’ayez crainte, monsieur le ministre, j’emploierai un langage diplomatique, car je sais que les négociations en la matière ne sont jamais faciles, et qu’il ne suffit pas d’aborder la partie financière et fiscale des problèmes.

Ce pays, qui figurait dans les premières listes de paradis fiscaux publiées au printemps 2009, a tout entrepris, en toute logique, pour en sortir le plus rapidement possible. Pour autant, les accords d’échange d’informations fiscales récemment négociés par la Suisse ne sont pas, selon le groupe des Pairs présidé par François d’Aubert, totalement conformes aux normes de l’OCDE.

Nous suivrons avec intérêt les négociations entreprises par la Suisse, car une subtilité de sa législation fiscale permet actuellement d’opérer une distinction entre fraude et évasion.

Ainsi, lorsqu’un évadé fiscal oublie de déclarer de l’argent dans un établissement, cela est considéré comme une simple évasion, et les autorités suisses refusent alors de prendre contact avec les services fiscaux du pays d’origine de la personne. En droit français, on appelle ce type de pratique la « fraude passive ». Or celle-ci représente l’immense majorité des cas de ce que nous appelons simplement, nous, socialistes, la fraude.

La Suisse avait promis, en mars 2009, de supprimer cette subtilité juridique de sa législation, mais elle ne l’a toujours pas fait. Il faudra donc suivre avec intérêt l’actualité suisse dans les semaines à venir. Je sais que notre collègue Adrien Gouteyron y est aussi attentif que moi, car cela aura évidemment des répercussions dans toute l’Europe.

En effet, l’échange d’informations fiscales reste problématique au sein même de l’Europe, voire, parfois, au sein même de la zone euro. Des accords bilatéraux à des taux trop bas, qui vont à l’encontre des principes du Forum mondial et des orientations de la Commission européenne, sont actuellement en cours de négociation entre l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suisse.

Il paraît que l’Allemagne et la Suisse sont vraiment sur le point de signer un accord qui autorisera la Suisse à prélever un impôt à la source sur les revenus des actifs allemands dissimulés dans le pays, mais sans révéler l’identité des clients, ce qui est en contradiction complète avec la politique du Forum mondial et les efforts engagés aux niveaux international et européen.

Selon les informations fournies par la presse, un taux de 20 % environ de retenue à la source s’appliquerait aux avoirs dissimulés depuis dix ans et un taux de 26 % pèserait sur les revenus des nouveaux placements réalisés par des Allemands en Suisse. En contrepartie, l’Allemagne ne chercherait pas à obtenir d’informations sur ses ressortissants fraudeurs. Le pays espère récolter ainsi plusieurs dizaines de milliards d’euros – quelque 30 milliards d’euros, selon des estimations, ce qui n’est pas rien !

Ce genre d’accord met en œuvre une taxation régressive du capital, avec un taux qui ne varie pas en fonction des montants dissimulés et placés. Il faudra regarder précisément ce qu’il en est, car cela aura des répercussions importantes sur les négociations qui pourront avoir lieu au sein de l’Union européenne. Je pense d’ailleurs que si, d’ici au mois de novembre prochain, les choses n’ont pas avancé ou si elles ne suivent pas les préceptes du Forum mondial, le Président de la République en tirera les conséquences lors du sommet de Cannes.

Je rappelle, en effet, que, dans le cadre de la directive européenne Épargne de 2003, les revenus d’intérêt de l’épargne des non-résidents placée au sein de l’Union européenne sont censés être soit déclarés au pays d’origine, soit faire l’objet d’une retenue à la source de 35 %, au lieu des 20 % et des 26 % annoncés.

Le problème, c’est que l’application de cette directive ne concerne pas que les pays de l’Union européenne. Pour lutter contre la fuite des capitaux, le champ d’application de la directive a été élargi à plusieurs pays connus dans ce contexte, à savoir la Suisse, Monaco, le Liechtenstein, Saint-Marin, Andorre, les Antilles néerlandaises, Guernesey, Jersey, l’Île de Man, les Îles Caïmans et les Îles Vierges britanniques. La plupart de ces territoires ont décidé d’appliquer le système de retenue à la source. Seule une minorité collabore à l’échange d’informations, pourtant exigé par la communauté internationale.

Plus grave, trois pays au sein même de la zone euro – le Luxembourg, l’Autriche et la Belgique – ont obtenu, en 2003, un sursis par rapport à l’obligation d’informations, en s’acquittant d’une « perception pour l’État de résidence ». À l’origine, ce sursis ne devait être qu’une mesure transitoire. Huit ans après l’adoption de la directive, cette mesure est toujours d’actualité, alors qu’une crise financière historique affecte l’Union européenne !

La Belgique a consenti un petit effort en transmettant, à la mi-juin, dans le cadre de la directive Épargne, l’identité de plus de 250 000 contribuables à leur pays d’origine. Vingt-six pays ont reçu des données, et la France, avec 100 000 ressortissants sur les 250 000 détenteurs de comptes, n’est pas la dernière à être concernée ! J’y reviendrai ultérieurement, monsieur le ministre, mais je vous indique d’ores et déjà que le Parlement souhaite connaître, en toute transparence, l’action qui sera intentée envers ces ressortissants.

À cet égard, je veux signaler que des Français ont rendu compte à la cellule de régularisation mise en place à la fin de 2009. Je rappelle que le groupe socialiste avait apporté tout son soutien à l’amendement défendu par M. Woerth, alors ministre du budget, dans le cadre de la lutte contre la fraude ou l’évasion fiscale.

Le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, a estimé que cette cellule avait pu régulariser 7, 7 milliards d’actifs. La rentrée fiscale effective n’est pas négligeable dans la mesure où elle dépasserait 1 milliard d'euros. En ces temps de disette budgétaire, ce n’est pas neutre !

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Toutefois, la cellule a traité 2 400 dossiers, dont seulement 68 d’entre eux proviennent de la liste HSBC d’évadés fiscaux, qui en comprend 3 000. Le traitement spécifique de cette liste a, par ailleurs, été confié à la direction nationale d’enquêtes fiscales. Le 17 mai, le directeur général des finances publiques, M. Philippe Parini, a indiqué à la commission des finances de l’Assemblée nationale que 700 dossiers étaient en cours de traitement, et il a fait savoir que 350 millions d’euros d’actifs ont été régularisés et que 71 millions d'euros ont été recouvrés au titre des impôts et pénalités.

Enfin, selon le rapporteur général de l’Assemblée nationale, la fraude dite « active » ne concernerait que 15 % des fraudeurs qui constituent des avoirs à l’étranger à partir de biens ou d’activités françaises dissimulés. Panama et le Liechtenstein y apparaissent, pour l’essentiel, pour les trusts. Jusqu’à présent, nous n’avons parlé que des particuliers, mais les trusts et les multinationales sont un sujet extrêmement épineux !

Concernant les conventions dont nous débattons aujourd'hui, il faut noter que quatre territoires, que je ne citerai pas, car cela a déjà été fait, figuraient déjà sur la liste des États et territoires non coopératifs établie par la France en 2010.

Cependant, afin de bien mesurer les effets de ce que nous avons voté, nous aimerions avoir connaissance des sommes récupérées, car les sanctions applicables aux fameuses multinationales et aux trusts, en vertu de la loi de finances rectificative pour 2009, ont dû, à notre avis, être lourdes : avec un taux de retenue à la source sur les revenus passifs relevé à 50 % et la fin de l’exonération à 95 % de l’impôt sur les sociétés des dividendes versés par une filiale à sa société mère. Je le répète, la part des fraudeurs passifs est très importante !

On sait que la lutte contre la fraude fiscale est payante : de 29 612 foyers fiscaux à déclarer un compte à l’étranger en 2008, on est passé à 51 961 en 2009 et à 75 468 en 2010, soit une hausse de 75 % en trois ans seulement ! Il faut continuer sur cette voie ! Nous avons besoin de cet argent, et il n’est pas normal de pouvoir se soustraire à l’effort national !

Mais j’en reviens aux pays concernés, qui sont, pour l’essentiel, le Luxembourg et la Suisse. C’est la raison pour laquelle, nous vous avons adressé, monsieur le ministre, depuis sa transposition en droit français, un message, afin d’éviter que la révision de la directive Épargne ne demeure encalminée. En effet, régulariser les actifs des foyers fiscaux est une chose, exiger la transparence des multinationales, notamment sur les prix de transfert, comme nous l’avons proposé à plusieurs reprises – et je sais, monsieur le président de la commission des finances, que vous y êtes également attaché –, en est une autre, particulièrement en termes de montants recouvrés, qui sont certainement sans commune mesure avec ceux que nous récupérons auprès des particuliers.

À force de vider sa liste, la France va devoir redoubler de vigilance sur les accords que nous approuvons ici, au Sénat. Et il faut que l’on puisse, grâce à l’article 136 de la loi de finances pour 2011, voté sur l’initiative de la commission des finances, avoir la traçabilité de cette action, notamment par rapport aux multinationales. Le Gouvernement ne doit pas oublier de publier, en annexe de la prochaine loi de finances initiale, le nombre de demandes de coopérations effectuées et le nombre de coopérations qui ont abouti. Il est trop facile de se contenter de signer des conventions en période de crise budgétaire ! Encore faut-il les appliquer et permettre au Parlement d’en mesurer les effets !

Nous comptons sur le Gouvernement, quel qu’il soit et quel qu’il sera ! Nous serons aussi vigilants après mai 2012, monsieur le ministre !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Pasquet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on pourrait croire que l’organisation de nos travaux est ainsi conçue que nous soyons amenés à achever chaque session extraordinaire de juillet par l’examen d’une batterie de conventions fiscales internationales, comme s’il fallait, chaque année, battre un nouveau record dans le nombre des textes adoptés par les deux assemblées avant la fin de leurs travaux !

Pour autant, nous avons pris pour habitude de faire en sorte que cet examen ne passe pas comme une lettre à la poste et qu’il soit l’objet d’une discussion pour le moins contradictoire, qui soit tout, sauf superficielle.

Rappelons les données du problème.

Depuis 2008, la surchauffe des marchés financiers ayant conduit au blocage du système bancaire mondial, le Gouvernement, prenant la suite de l’OCDE et des recommandations du FMI, le Fonds monétaire international, s’est lancé dans une vaste entreprise de négociation de conventions fiscales internationales. Elle visait ce qu’on appelait jusqu’alors les paradis fiscaux « notoires », c’est-à-dire les endroits de la planète où une législation fiscale « version allégée » ou l’absence de législation fiscale et d’administration destinée à la mettre en œuvre étaient autant d’atouts pour les groupes et les hommes d’affaires peu scrupuleux. Peu scrupuleux étaient-ils ou soucieux de « protéger » une partie de leurs actifs ou de dissimuler quelques montages financiers et juridiques souvent considérés comme stratégiques.

Pour bien faire les choses, l’OCDE avait d’ailleurs dressé une liste noire, comportant un certain nombre de territoires dits peu coopératifs, assortie d’une liste grise de territoires et pays semi-coopératifs et d’une longue liste blanche de pays à fiscalité fiable.

Le but de ces recommandations était connu : amener les pays « blacklistés » à engager toute démarche pour sortir de cette situation et les faire rentrer dans le rang.

L’effort n’était pas bien important puisqu’il suffit, pour rejoindre la liste blanche, de passer un certain nombre de conventions fiscales, y compris entre États et territoires non coopératifs.

Nous sommes d’ailleurs saisis aujourd’hui de cet exercice de reconnaissance, au moins pour ce qui concerne Anguilla, le Costa Rica ou encore la Dominique. Car, dans cette affaire, nous sommes tout de même en présence d’un assez étrange échantillon de cas !

En effet, Anguilla est un micro-État, qui compte à peine 15 000 habitants et a pour chef d’État l’honorable Élisabeth II d’Angleterre. Mais 6 500 entreprises y sont immatriculées, qui pratiquent des activités de service constituant les deux tiers du PIB local.

La Dominique est une petite République de 75 000 habitants, située entre la Guadeloupe et la Martinique, et dont l’activité économique apparaît aujourd’hui dépendante du développement d’activités bancaires et financières off shore destinées à ceux de nos établissements de crédit qui veulent bien en user.

Les îles Cook sont un micro-État associé à la Nouvelle-Zélande, dont les ressortissants jouissent de la double nationalité – ce sont souvent des Maoris – et qui, faute de ressources naturelles, se sont lancés dans la prestation de services financiers.

Quant au Belize, l’ex-Honduras britannique, c’est un accident de l’histoire en pleine Amérique centrale, puisqu’il est le seul pays non hispanophone de la région ! Il compte un peu plus de 300 000 habitants. Que dire de cet État qui aurait dû disparaître, avalé par le Guatemala ?

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Pasquet

En 1990, Belize a voté une loi, the International Business Companies Act, d’après le modèle des Îles Vierges britanniques, un État avec lequel la France avait passé un accord de même nature que ceux qui nous sont soumis aujourd’hui et que nous avions, pour notre part, rejeté.

En moins de dix ans, Belize a enregistré plus de 15 000 sociétés IBC. La situation est présentée en ces termes par le gouvernement local :

« La législation bélizéenne pour ces compagnies est considérée, d’un point de vue international, comme la plus moderne et la plus pratique.

« Une IBC bélizéenne est une entité idéale pour les transactions financières internationales et permet à l’investisseur de s’engager dans un vaste champ d’activités depuis la protection du capital jusqu’aux comptes bancaires, le courtage, la possession de bateaux, le commissionnement et autres transactions commerciales.

« Les autres avantages sont un enregistrement et une déclaration facilités : dans des circonstances normales, une IBC peut être créée en deux jours ouvrés ; une flexibilité de la structure de la compagnie : pas d’obligation pour un secrétariat ou autre résident ; un seul gérant ou actionnaire requis pour la création ; l’actionnaire et le gérant peuvent être une seule et même personne ; l’actionnaire ou le gérant peuvent être une personne physique ou morale ; pas d’obligation à employer un actionnaire ou un directeur local.

« Confidentialité des créateurs : le registre d’inscription des entreprises ne comporte aucun nom ou identité d’aucun actionnaire ou gérant.

« Ces noms ou identités n’apparaissent dans aucun document public.

« Taxation : d’après la loi IBC Act de 1990, les compagnies offshore sont exemptées de toutes taxes sur les profits. »

On peut d’ailleurs se demander quels renseignements pourront être échangés avec une administration fiscale qui semble bien s’imposer un minimum de règles...

Pour faire bonne mesure, Belmopan est le port d’attache de 180 navires battant pavillon de complaisance, fourni par les autorités britanno-honduriennes.

J’en viens aux Antilles néerlandaises.

Nous avons vu ce qu’il pouvait en être lorsque nous avons eu l’occasion de parler de Saint-Martin, dont la partie hollandaise constitue l’un des éléments. Toujours est-il que l’économie de cette confédération est liée à la fois aux activités touristiques offertes sur l’ensemble des îles, depuis Curaçao à Saint-Martin, au raffinage pétrolier sur Aruba jusqu’aux activités bancaires pour compte de tiers pratiquées du côté de Philipsburg. Soulignons que, au vu du contexte particulier de ces zones géographiques, on n’a jamais été trop regardant sur les conditions générales d’exercice de ces activités. Mais reconnaissons, dans le même temps, que notre pays serait bien en peine de donner des leçons, puisqu’il a érigé la partie française de Saint-Martin en paradis fiscal, en tout cas pour les hommes d’affaires !

Nous pourrions aussi évoquer le Sultanat du Brunei, petit État pétrolier situé sur l’île de Bornéo, qu’il partage avec la province du Kalimantan, en Indonésie, et les États de Sabah et Sarawak, éléments de la Fédération de Malaisie.

Le sultan de Brunei est l’un des hommes les plus riches du monde ; la production pétrolière du Sultanat constitue une forme de rente et justifie une quasi-absence de fiscalité, les revenus tirés de l’exploitation des hydrocarbures suffisant à couvrir les besoins du pays. Cependant, malgré cette richesse, une part croissante de la population locale est confrontée à une certaine forme de pauvreté.

Nous allons aussi passer un accord avec le Libéria, un cas sans nul doute intéressant.

Le projet de James Monroe a permis à quelques esclaves affranchis de retourner sur la terre de leurs ancêtres. Néanmoins, ce pays est devenu l’un des plus pauvres du monde. Ses infrastructures ont été détruites par des années de guerre civile, qui vit les bandes armées s’affronter pour le contrôle du pays, faisant main basse sur les diamants tirés de son sous-sol.

Le Libéria offre surtout l’un des pavillons de complaisance les plus utilisés sur toutes les mers du monde, flottant souvent sur des bateaux épaves, dont quelques-uns ont, dans le passé, alimenté la rubrique « marée noire ».

C’est donc avec un pays en pleine reconstruction, où la notion même d’État souverain est assez incertaine, que nous allons passer un accord. On peut craindre, de fait, que, au-delà des bonnes intentions affichées, la convention ne trouve guère à s’appliquer, faute d’une administration fiscale locale suffisamment outillée pour pouvoir mener les investigations requises. Encore faut-il que la volonté de mettre en œuvre cet accord soit exprimée !

En effet, en 2010, sans doute pour tenter de sortir de la désastreuse situation économique, conséquence des ravages de la guerre civile, qui a fait du pays l’un des plus pauvres du continent africain, le Gouvernement a fait voter une loi nationale sur les investissements, qui obéit à quelques principes simples, à savoir la libre entreprise, avec une régulation par le marché lui-même et une intervention minimale de l’État dans les affaires économiques. Avouez que tout cela a un air de déjà-vu ! On sent bien la patte du Fonds monétaire international derrière ce type de conseils !

L’agence chargée du suivi des investissements directs étrangers fait d’ailleurs du « bon accueil » réservé à ces investissements le seul moyen d’exprimer le potentiel de croissance de l’économie locale !

La coopération fiscale avec le Libéria sera donc sans doute assez formelle et peu fructueuse, la priorité du gouvernement local étant, avant tout, de sortir son économie de l’état de délabrement dans lequel elle se trouve.

Mais que l’on ne s’y trompe pas ! Une fois encore, ce ne sont pas les pays concernés qui s’avèrent les principaux bénéficiaires du blanchiment de la liste noire des territoires non coopératifs.

Au Costa Rica, les banques pourront peut-être continuer à pratiquer des taux de change différents pour une même monnaie – le dollar américain –, mais, en vérité, le fait de « sortir » tel ou tel pays de la liste noire permet, d’abord et avant tout, de donner un vernis de légalité aux opérations menées par nos entreprises, nos hommes d’affaires, nos banques, nos compagnies d’assurances, notamment, dans ces différents pays.

Si nous validons la convention avec Anguilla, une compagnie d’assurances œuvrant sur le territoire de la collectivité de Saint-Martin, bien que ne répondant pas aux critères d’agrément fixés par les autorités de contrôle prudentiel du secteur, pourra gagner le droit de prolonger et de développer ses activités !

Et s’il fallait trouver quelques exemples des situations visées par ces conventions, nul doute que l’expérience du trust des Wildenstein perdu dans un archipel caribéen pour y « loger » des tableaux de maître suffirait à prouver toute l’hypocrisie de la démarche du Gouvernement.

Un autre exemple nous est fourni par Areva.

Ainsi, Areva Resources Southern Africa, la holding regroupant les activités minières du géant nucléaire français en Afrique – à l’exception du Niger et du Gabon – affiche, si je puis dire, une géographie à vous faire perdre le nord ! Cette entité possède les gisements d’uranium autrefois détenus par la société canadienne UraMin, cotée à Londres et Toronto, rachetée par Areva au mois de juin 2007 pour un montant de 2, 5 milliards de dollars, soit 1, 8 milliard d’euros. Cette structure dispose aujourd’hui de filiales en Namibie, en République centrafricaine, au Sénégal et en Afrique du Sud. Devenue propriété du groupe nucléaire français, cette holding est pourtant toujours immatriculée aux Îles Vierges britanniques, paradis fiscal notoire.

Telle n’est cependant pas l’appréciation de l’OCDE, qui a retiré l’archipel de sa liste grise après qu’il eut signé, en 2009, des conventions portant sur l’échange de renseignements en matière fiscale avec douze pays, parmi lesquels... d’autres paradis fiscaux.

Comme les Îles Caïmans ou les îles de Jersey et de Guernesey, les Îles Vierges britanniques figurent désormais sur la liste blanche des « juridictions qui ont substantiellement mis en place la norme fiscale internationale ».

Je crois savoir qu’il était question, voilà peu, de procéder à la cession au privé de quelques-uns des droits d’exploitation des gisements exploités par Areva. S’agit-il de ceux que possède cette holding ?

En tout état de cause, la démonstration est ainsi faite qu’il est fort probable que ce sont, d’abord et avant tout, les acteurs des marchés financiers, les spéculateurs, les groupes parties prenantes de la mondialisation qui vont tirer parti de l’adoption des dispositions dont nous débattons aujourd’hui.

Une convention fiscale, amendée par le Gouvernement au cours de cette législature, n’est qu’une remise en forme de ce qui existe et qui est appelé à durer, sous une apparente transparence.

Il est temps de nous hâter de changer la logique comme les propriétaires de nos banques et de nos établissements financiers !

Les membres du groupe CRC-SPG ne voteront évidemment aucune des conventions qui nous sont soumises dans le cadre de cette discussion commune, eu égard au véritable détournement de sens dont elles sont l’objet.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…

La discussion générale commune est close.

La parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Henri de Raincourt, ministre

Je souhaite, en cet instant, apporter quelques éléments de réponse précis aux questions posées tant par le président Arthuis que par Mme Bricq et essayer, autant que faire se peut, de rassurer les membres du groupe CRC-SPG sur les motivations du Gouvernement, qui ne cachent aucune méchanceté, de quelque nature que ce soit, à l’égard du Parlement.

Pour ce qui concerne l’organisation des travaux parlementaires, faisons preuve de sens pratique ! Il est important que les conventions que nous examinons aujourd'hui puissent être adoptées dès maintenant par le Parlement, de façon qu’elles puissent être mises en œuvre le plus rapidement possible, comme vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs.

Toutefois, je le reconnais, une organisation différente serait peut-être possible, et les textes de cette nature pourraient être inscrits à l’ordre du jour des travaux du Sénat à un moment autre que la fin d’une session extraordinaire, mais cela est du ressort de la conférence des présidents.

Au demeurant, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, vous savez très bien utiliser tous les ressorts du règlement pour organiser des débats lorsque vous le jugez nécessaire.

Debut de section - Permalien
Henri de Raincourt, ministre

Ainsi va le Parlement, et c’est fort bien !

Je souhaite, tout d’abord, rendre hommage au travail très minutieux accompli par Adrien Gouteyron. Le Parlement tout entier s’honore de s’impliquer sur les thèmes fiscaux, ô combien importants !

Je tiens à remercier les orateurs qui se sont exprimés et qui ont admis – c’est un fait ! – une réalité : c’est bien, il faut le dire, sur une initiative française, plus particulièrement du Président de la République, lors du G20 à Londres, que commence à se mettre en place une vraie politique de lutte contre les paradis fiscaux.

Certes, d’aucuns peuvent estimer trop timoré et trop lent le mouvement lancé, mais l’essentiel était de le déclencher. Aujourd’hui, reconnaissons-le, bien que cette politique soit mise en œuvre depuis peu de temps, un certain nombre de résultats ont malgré tout été obtenus.

Monsieur Arthuis, l’administration fiscale publiera prochainement une instruction fournissant la version consolidée de la liste des juridictions non coopératives et favorisant celles d’entre elles qui ont d’ores et déjà signé un accord avec la France.

Madame Bricq, pour ce qui concerne la Belgique, tout d’abord, l’administration fiscale française engagera tous les contrôles nécessaires à l’encontre des contribuables qui auraient omis, pour quelque raison que ce soit, de déclarer leurs revenus, conformément à la directive Épargne.

Par ailleurs, la déclaration des comptes bancaires à l’étranger a augmenté de 75 % entre 2009 et 2010. Bien évidemment, le Gouvernement est déterminé à poursuivre cet effort.

Enfin, il est un peu tôt pour dresser un bilan exhaustif des États non coopératifs, mais le Gouvernement, vous le savez, présentera au Parlement un rapport au mois de septembre prochain. Ce document comportera l’ensemble des nouveaux traités signés par la France, ainsi que tous les éléments relatifs aux demandes d’échanges et de renseignements formulées par la France à ses différents partenaires.

Ainsi, je le crois, le Gouvernement répond aux sollicitations du Parlement, ce qui est bien légitime. §

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échanges de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement d’Anguilla relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement d'Anguilla relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe) signées à Paris le 27 décembre 2010 et à La Vallée le 30 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas, au titre des Antilles néerlandaises, relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas, au titre des Antilles néerlandaises relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale, signé à La Haye, le 10 septembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Belize relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Belize relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe), signées à Paris, le 9 novembre 2010 et à Belmopan, le 22 novembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Sa Majesté le Sultan et Yang Di-Pertuan de Brunei Darussalam relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Sa Majesté le Sultan et Yang Di-Pertuan de Brunei Darussalam relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale, signé à Bandar Seri Begawan, le 30 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Costa Rica relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe), signées à Paris, le 10 novembre 2010 et à San José, le 16 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Commonwealth de la Dominique relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Commonwealth de la Dominique relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe), signées à Paris le 7 octobre 2010 et à Roseau le 24 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des îles Cook relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des îles Cook relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe), signées à Paris, le 3 septembre 2010 et à Rarotonga, le 15 septembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales.

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales (ensemble un protocole), signé à Paris le 21 octobre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Libéria relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale.

Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Libéria relatif à l'échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe), signées à Paris le 10 novembre 2010, et à Monrovia le 6 janvier 2011, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Nous passons à la discussion de l’article unique du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’Île de Man en vue d’éviter la double imposition des entreprises exploitant, en trafic international, des navires ou des aéronefs.

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Ile de Man en vue d'éviter la double imposition des entreprises exploitant, en trafic international, des navires ou des aéronefs, signé à Douglas le 26 mars 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre l'exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d'intérêt patrimonial, signé à Rio de Janeiro le 23 décembre 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil dans le domaine de la lutte contre l’exploitation aurifère illégale dans les zones protégées ou d’intérêt patrimonial (projet° 414, texte de la commission, n° 727, rapport n° 726).

Le projet de loi est définitivement adopté.

Est autorisée la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Serbie, d'autre part (ensemble sept annexes et sept protocoles), signé à Luxembourg, le 29 avril 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de stabilisation et d’association entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Serbie, d’autre part (projet n° 396, texte de la commission, n° 609, rapport n° 608).

Le projet de loi est adopté.

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République slovaque relatif à la coopération en matière administrative, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République slovaque relatif à la coopération en matière administrative (projet n° 137, texte de la commission, n° 723, rapport n° 722).

Le projet de loi est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense ainsi qu’un échange de lettres (projet n° 613, texte de la commission n° 725, rapport n° 724).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération

Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié en 2008, situe les Émirats arabes unis au cœur de l’« arc de crise » s’étendant de l’Atlantique à l’océan Indien. Nos relations avec les Émirats et notre présence dans cette région du monde revêtent ainsi un intérêt tout à fait stratégique pour notre pays.

Nous avons su nouer un partenariat étroit avec les États du Golfe, notamment les Émirats arabes unis, avec lesquels nous entretenons une coopération politique, économique et culturelle de premier plan. Nos efforts conjoints, dans le cadre des opérations militaires actuellement menées en Libye pour protéger le peuple libyen, en témoignent.

La relation de défense franco-émirienne s’est considérablement déployée, par le biais tant de la coopération opérationnelle, d’armement et de renseignement que de la coopération structurelle de sécurité et de défense, qui est l’une des plus développées dans le Golfe. Je pense notamment à la montée en puissance de la base militaire française d’Abou Dabi, la seule de nos bases à l’étranger située en dehors du continent africain, qui, comme vous le savez, devrait à terme accueillir plus de 600 militaires. La création de cette implantation militaire, qui a marqué un tournant important dans la relation franco-émirienne, traduit notre engagement en faveur de la stabilité et de la sécurité dans cette région.

C’est pour inscrire dans un cadre juridique durable le renforcement de nos relations bilatérales en matière de défense et de sécurité que l’accord de coopération que je vous présente aujourd’hui a été signé le 26 mai 2009.

Cet accord vise en particulier à formaliser les domaines de coopération bilatérale, qui revêtent une grande importance, qu’il s’agisse de la formation au combat de nos propres forces, des perspectives de débouchés pour nos industries de défense, du soutien à nos opérations extérieures sur le théâtre afghan ou de la stabilité nécessaire de l’ensemble de la région. Sur ce dernier point, l’accord comporte notamment, en ses articles 3 et 4, une clause de sécurité, qui prévoit une consultation mutuelle en cas de menace grave pour la sécurité, la souveraineté ou l’intégrité territoriale des Émirats arabes unis.

Il tend également à formaliser le statut des forces appelées à mettre en œuvre les différentes formes de notre coopération sur les territoires français et émirien. À cet égard, l’échange de lettres interprétatif signé à Paris le 15 décembre 2010 permet, en précisant les modalités d’application de l’article 11 de l’accord, d’apporter des garanties supplémentaires aux personnels français en mission aux Émirats arabes unis et aux personnes à leur charge, en particulier s'agissant de la priorité de juridiction et des peines de substitution lorsque les peines encourues sont inapplicables dans l’un des deux États parties.

Ces précisions avaient été demandées par le Conseil d’État à l’occasion du premier avis, négatif, qu’il avait rendu sur l’accord le 18 mars 2010. Elles l’ont conduit à rendre, en assemblée générale, un avis favorable sur les deux textes le 24 février 2011.

Cet accord, qui consolide l’engagement de la France, témoigne de sa volonté renouvelée d’assumer, aux côtés des Émirats arabes unis, ses responsabilités de puissance globale dans une région du monde considérée, chacun le sait, comme névralgique, grâce à l’instrument privilégié que constituera, au terme de sa montée en puissance, l’implantation militaire française aux Émirats.

Il est l’une des expressions du véritable partenariat stratégique que nous avons mis en place avec les Émirats. Il nous permettra de renforcer encore notre influence dans ce pays, qui représente, depuis plusieurs années, un débouché majeur pour nos exportations au Moyen-Orient, et l’un de nos tout premiers excédents commerciaux dans le monde ; nous en avons bien besoin.

Telles sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle cet accord, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui soumis à votre approbation.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer le président du groupe d’amitié France-Émirats arabes unis, notre collègue Joël Bourdin.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Nous sommes saisis d’un nouvel accord de défense entre la France et les Émirats arabes unis, qui a été signé à Abou Dabi en mai 2009.

À cet égard, je veux saluer la volonté du Président de la République, Nicolas Sarkozy.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mais oui, une fois n’est pas coutume !

En effet, les négociations avaient commencé longtemps auparavant, mais n’avaient pas été suivies par le président Jacques Chirac. C’est important, c’est l’impulsion donnée par Nicolas Sarkozy qui a permis la signature de cet accord.

Cet accord vient se substituer à l’accord de défense signé en 1995 avec les Émirats arabes unis, devenu inadapté en raison de l’intensification du partenariat franco-émirien. Ce texte intervient dans le cadre général de la relance de nos relations avec la plupart des pays du Moyen-Orient, comme en témoignent les accords que nous avons autorisés avec l’Arabie saoudite, en 2010, et avec l’Irak, en 2011. Il se distingue néanmoins de ces derniers par la force de l’engagement de la France auprès des Émirats arabes unis.

Cet accord de défense s’inscrit dans un partenariat diplomatique et stratégique ancien, avec une fédération qui revêt un intérêt stratégique indéniable. Vous le savez comme moi, ce pays joue un rôle central dans une zone géographique vitale pour la sécurité de l’Occident, ainsi que, évidemment, pour celle de nos approvisionnements énergétiques. Au travers de cet accord, la France partage le constat dressé depuis longtemps par ses alliés britanniques et américains, qui considèrent le Golfe persique comme une zone vitale pour leurs intérêts.

Cette zone stratégique est également une zone instable, marquée par la guerre entre l’Iran et l’Irak et les deux guerres du Golfe. C’est aujourd’hui une zone de tensions avec, d’un côté, la situation particulière de l’Irak, de l’autre, l’inconnue iranienne, et, plus loin – mais pas si loin ! –, les opérations de l’OTAN en Afghanistan.

Les Émirats arabes unis sont, enfin, un partenaire incontournable pour l’économie française. Ils ont une économie dynamique, de plus en plus indépendante du pétrole, qui constitue un débouché important pour les intérêts français. De fait, notre part de marché a triplé entre 1998 et 2009, pour atteindre plus de 3 milliards d’euros d’exportations. L’aéronautique, avec EADS, est évidemment le premier secteur concerné, mais il n’est pas le seul : GDF-Suez, Veolia, Alsthom ou encore Thales sont également très présents. Ces entreprises doivent toutefois faire face à la concurrence des Européens et, plus récemment, de l’Inde, de la Turquie et de la Corée du Sud.

Cet accord marque, certes, un nouveau départ, mais il s’inscrit dans le cadre d’un partenariat militaire et politique ancien.

Le premier accord de défense remonte à 1977 ; il y a plus de vingt ans, nos relations avec les Émirats arabes unis étaient si étroites que la France est demeurée le principal fournisseur d’armement de ce pays jusque dans les années quatre-vingt-dix. Cette coopération a abouti, vous le savez, à l’installation d’une base militaire française à Abou Dabi en 2009.

Nos relations dépassent d’ailleurs le strict domaine militaire, comme l’illustrent l’ouverture prochaine du « Louvre Abou Dabi » ou l’implantation, il y a trois ans, d’une antenne de la Sorbonne.

Ainsi, La France et les Émirats arabes unis sont liés par de nombreux accords dans des domaines qui vont du développement et de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire aux échanges scolaires en matière de mathématiques et de sciences physiques, en passant par les transports.

L’objet essentiel de l’accord de défense qui nous est soumis, mes chers collègues, est de donner un cadre juridique durable à l’implantation française aux Émirats arabes unis.

La base militaire d’Abou Dabi est une implantation de premier ordre. Elle constitue la première création d’une implantation militaire durable à l’étranger depuis plus de cinquante ans. Elle illustre ainsi la volonté de la France de s’implanter de façon pérenne aux côtés des Émirats arabes unis.

Cette base militaire comprend trois composantes. La première, qui est aussi la plus importante, est la composante navale, qui permet d’assurer un soutien aux navires de la marine nationale en mission dans les eaux du Golfe et de l’océan Indien. La deuxième est la composante terrestre : un centre d’entraînement au combat en zone urbaine et en milieu désertique a été créé dans l’enceinte de la base. La troisième est la composante aérienne. Au total, ce sont aujourd’hui 620 militaires qui sont installés dans cette implantation, qui accueillera l’ensemble des moyens militaires que la France déploie régulièrement dans le cadre d’exercices interarmées avec les pays du Golfe.

Cette implantation stratégique dans une zone sensible a d’abord une fonction dissuasive à l’égard d’un éventuel agresseur et des Émirats arabes unis. Elle sert également de point d’appui aux forces françaises déployées sur le théâtre nord de l’océan Indien. L’implantation française permet, enfin, des activités d’entraînement et d’aguerrissement des forces françaises, en lien avec nos partenaires locaux.

Les actions de coopération avec les forces armées émiriennes ont aujourd’hui une réelle valeur ajoutée, du fait de la communauté d’armement – chars Leclerc, les Mirage, etc. – et du très haut niveau technologique des équipements émiriens.

L’excellent niveau de qualification des militaires émiriens, notamment ceux de l’Air Force et des forces spéciales, est un autre facteur de satisfaction favorisant la bonne qualité des échanges entre nos deux pays.

Outre ses fonctions opérationnelles, la base offre également une vitrine de choix pour le matériel d’armement.

J’en viens aux dispositions précises de l’accord.

Comportant un certain nombre de dispositions assez classiques dans les accords de défense, il rappelle les objectifs de ce partenariat, les domaines de la coopération bilatérale, l’établissement d’une planification conjointe, ainsi que la définition d’un cadre juridique d’exercice commun.

Au-delà de ces dispositions, deux points présentent un intérêt particulier.

Le premier point est l’existence d’une clause de sécurité au terme de laquelle la France participe à la défense de l’intégrité territoriale des États des Émirats arabes unis.

L’article 4 de l’accord prévoit une réponse graduée à tout type de menaces pouvant aller jusqu’à l’engagement de nos forces dans le cas où les Émirats arabes unis seraient soumis à une menace portant sur leurs intérêts vitaux et mettant en cause leur souveraineté nationale.

Je me dois de souligner le caractère assez exceptionnel de ce dispositif au moment où la France a supprimé des clauses similaires dans ses accords d’avec ses partenaires africains.

Je dois également souligner que l’engagement des soldats français n’est explicitement prévu que pour « dissuader ou repousser toute agression qui serait menée par un ou plusieurs États ». Je cite là très précisément les termes de l’accord, qui exclut notre engagement dans un éventuel conflit interne.

L’accord serait ainsi inapplicable en cas d’attaque terroriste sur le territoire des Émirats arabes unis.

Cet accord engage, par ailleurs, un État, et non un régime. Le régime en place jouit d’une grande stabilité, mais, en tout état de cause, nos relations avec les Émirats et le contexte stratégique qui ont conduit à la signature de cet accord sont disjoints de la nature du régime politique émirien et des évolutions qu’il pourrait connaître.

Jusqu’à présent, seuls les États-Unis et le Royaume-Uni ont établi avec les Émirats un accord de défense. Ces accords ne sont pas publics, mais nous avons des raisons de penser qu’ils contiennent également des clauses d’engagement.

Si l’on ne peut comparer la présence militaire de nos différents pays en termes d’effectifs et de moyens, on peut souligner la perception très positive qu’ont les autorités émiriennes de la présence militaire française : pour elles, il s’agit d’un engagement durable – les personnels sont en effet, pour un grand nombre d’entre eux, affectés sur place avec leurs familles – et d’une présence qui est réellement au service des deux pays, ce qui passe par l’intensification du travail en commun au quotidien et par l’intérêt réciproque de chaque partie.

Les Américains sont davantage positionnés dans le cadre de leur participation à des opérations régionales dont les durées peuvent laisser penser qu’ils sont installés pour le long terme, mais leur présence est, en réalité, dépendante de facteurs extérieurs aux Émirats arabes unis, où ils disposent de facilités pour leur transit, mais pas réellement d’une base militaire, comme c’est le cas au Bahreïn ou au Qatar.

Il faut aussi noter que les Émirats sont engagés dans des relations modestes, mais existantes, avec l’OTAN dans le cadre de l’initiative de coopération d’Istanbul.

Le second point, qui a fait l’objet de négociations approfondies et d’une lettre interprétative accompagnant l’accord de défense, concerne le statut du personnel en place.

En résumé, l’accord prévoit que, en cas d’infraction commise sur le territoire émirien, les militaires français relèvent du droit français lorsque l’infraction résulte d’un acte ou d’une négligence accompli dans le cadre de leur service ou lorsque l’infraction porte uniquement atteinte à la sécurité du personnel français ou des biens de l’État français.

Une procédure est prévue dans la lettre interprétative pour trancher en cas de désaccord sur la nature de l’infraction si cette dernière a été commise ou non dans le cadre du service.

Dans tous les autres cas, les autorités émiriennes exerceront par priorité leur droit de juridiction. Il est, toutefois, prévu qu’elles peuvent renoncer à ce droit et, par ailleurs, qu’aucune sanction qui serait contraire à l’ordre public français ou qui constituerait des traitements inhumains ou dégradants interdits par des conventions internationales auxquelles la France est partie ne pourrait être exécutée à l’encontre d’un militaire français ou d’une personne à sa charge. Une peine de substitution devrait alors être prononcée dans un délai raisonnable. Cette procédure offre ainsi des garanties pour que ne soient pas infligées à nos ressortissants des sanctions qui nous paraîtraient intolérables.

Tel est le contenu de cet accord, qui présente, à mes yeux, un intérêt stratégique majeur : il formalise un partenariat de défense et d’armement essentiel à la place de notre pays dans cette zone stratégique, pour ses intérêts comme pour ceux de l’ensemble de la communauté internationale. La commission des affaires étrangères l’a adopté, et je vous invite, mes chers collègues, à faire de même.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d’un nouvel accord de défense entre la France et les Émirats arabes unis, signé à Abou Dabi en mai 2009, qui vient se substituer à l’accord de défense signé en 1995 avec les Émirats arabes unis, devenu inadapté en raison de caractéristiques nouvelles prises par le partenariat franco-émirien.

Cet accord de coopération entre la France et les Émirats arabes unis en matière de défense ne peut pas être pris à la légère. Il contient des dispositions importantes, sérieuses et risquées. Il engage la parole de la France. II peut même engager nos forces armées dans des conflits futurs.

Nous savons tous que les Émirats arabes unis sont un pays ami et un pays avec lequel nous faisons des affaires.

Puisqu’il est placé dans une zone stratégiquement et économiquement cruciale, nous devons regarder de près les conditions de la sécurité des voies de circulation et de transport. Est-il pourtant de notre devoir de veiller à la sécurité des Émirats arabes unis ?

Certes, notre politique extérieure et de défense doit prendre en compte les aspects essentiels de notre commerce extérieur, mais ce ne sont pas les impératifs du commerce extérieur qui doivent guider notre politique à l’étranger, en particulier quand il s’agit de l’engagement de nos forces armées.

Bien évidemment, nous ne pouvons pas méconnaître que, sur le plan économique, nous avons d’importants intérêts communs : ce pays est un grand fournisseur de pétrole et de gaz naturel pour la France, notre dix-huitième partenaire en matière économique et le premier au Moyen-Orient.

Les Émirats arabes unis achètent, nous dit-on, 5 % des Airbus européens. Mais, à l’heure actuelle, aucun Rafale n’a été vendu à Abou Dabi...

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

On peut ainsi lire dans la presse spécialisée le commentaire suivant : « Après avoir mené des négociations exclusives avec Dassault Aviation pour l’achat de chasseurs multirôles Rafale, l’armée de l’air émiratie aurait commencé à étudier d’autres options pour son futur avion de combat.

« Initiées il y a quatre ans, les négociations avec le groupe français n’ont toujours pas abouti, ouvrant la porte de la compétition à l’américain Lockheed Martin, indique une source d’Abou Dabi. La source émiratie souligne qu’Abou Dabi s’est plaint à plusieurs reprises du manque de souplesse de l’industriel français dans les négociations sur le Rafale, alors que les multiples interventions du président Sarkozy n’ont pas réussi à aplanir les difficultés. »

Ainsi, malgré les efforts des uns et des autres, cette affaire n’avance pas, et le Rafale reste un produit d’importation franco-français.

Si cet accord se veut une garantie pro-Rafale, il ne suffit pas, dirait-on, pour emporter la décision… Ou alors les Émirats se demandent pourquoi ils devraient s’engager plus loin et acheter des avions français puisque la base militaire française est déjà installée.

Sur le plan stratégique, les Émirats ont été un partenaire important dans le cadre d’une alliance née au moment de la guerre du Golfe, en 1991, il y a donc vingt ans.

À l’époque, des accords d’État à État ont été signés, puis reconduits en 1995. Il était alors question, après la défaite de Saddam Hussein, de promouvoir dans le Golfe un ordre de paix, de sécurité et de justice. On ne peut pas dire que ce fut une réussite ! Ni les Émirats, ni le Bahreïn, ni l’Arabie saoudite – j’arrête là l’énumération ! – ne sont, vingt ans plus tard, des modèles de démocratie.

Dans les années quatre-vingt-dix, les Émirats avaient acheté à la France plus de 430 chars Leclerc et des avions Mirage.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

L’accord débattu aujourd’hui au Parlement constitue-t-il la prolongation stratégique et commerciale des accords précédents ? Si au moins la même réussite commerciale était au rendez-vous...

Souvent, les Émirats accompagnent la politique extérieure française, et ils le font d’autant plus aisément que Paris est de plus en plus engagé dans le sillage des vues stratégiques américaines.

Le rapprochement avec l’OTAN est salué à Abou Dabi et à l’Élysée, et nos pays partagent une même approche timorée et prudente face aux bouleversements politiques et populaires en Méditerranée.

Nous devons aussi signaler que les Émirats ont été le deuxième pays arabe, après le Qatar, à participer aux opérations militaires pour faire respecter la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU, laquelle a ouvert la voie aux frappes en Libye.

Certes, il faut reconnaître aussi que les pays arabes ne se bousculent pas au portillon pour venir en aide aux rebelles libyens...

Je n’insisterai pas sur les aspects déjà soulignés par le rapporteur, Mme Goulet : accords existants avec l’Arabie saoudite, en 2010, ou avec l’Irak, en 2011 ; importance géopolitique des Émirats, zone de tensions, « avec, d’un côté, la situation particulière de l’Irak, de l’autre, l’inconnue iranienne, et, plus loin – mais pas si loin ! –, les opérations de l’OTAN en Afghanistan. »

Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : si les Émirats arabes unis intéressent autant de monde, c’est parce que transite, par le détroit d’Ormuz, l’essentiel des approvisionnements en énergie de nos économies.

Ce sont là autant de motifs pour ne pas s’engager à la légère.

Nous pensons que les représentations géopolitiques contenues dans le Livre blanc du président Sarkozy doivent être révisées, revisitées, corrigées à l’aune des intérêts français et européens, d’une façon plus autonome et mieux adaptée à nos exigences et à nos contraintes politiques et financières.

Ainsi, au moment où l’Asie se réveille et où la Chine s’affirme comme une puissance planétaire, au moment où des pays émergents développent des stratégies propres, originales et parfois assez erratiques, devrions-nous en rester au « grand jeu » du XIXe siècle, prisonniers du conflit d’influence entre Anglo-Saxons et Français ? Je crains que ce ne soit là une vision passéiste, et sans avenir.

En 2012, nous aurons à revoir en profondeur nos choix politiques de défense et de sécurité, y compris dans la région concernée par cet accord.

Je dois aussi vous parler, mes chers collègues, mais brièvement tant elle est connue, de la situation des droits de l’homme dans les Émirats arabes unis, pays qui compte 6, 4 millions d’habitants, dont 81 % d’étrangers, « leurs » étrangers, pour qui la santé, l’éducation et les services sociaux sont difficilement accessibles. Il n’y a ni syndicats ni partis politiques. Les conditions de travail sont très dures et la justice est très laxiste en ce qui concerne les violences domestiques. Toutefois, la police fait parfois la chasse aux couples non mariés... Bref, les Émirats, si prompts à se ranger derrière le drapeau occidental, ne s’empressent pas d’épouser toujours ses valeurs.

Nous aimerions connaître l’avis du ministre sur ce point et savoir s’il a été question de ces sujets lors des derniers entretiens avec les dirigeants émiratis. Quand un accord de défense est signé, il est difficilement dissociable de la situation intérieure dans le pays : démocratie, dictature, progrès en matière de justice et d’égalité sont des dossiers importants !

Faut-il, au moment de la signature d’un accord de coopération de défense avec les Émirats, se taire sur tous ces dossiers ?

Certains justifient la base militaire française par la nécessité de défendre les Émirats face à l’agressivité iranienne, présumée ou réelle…

Mais, quel est l’état réel des relations entre l’Iran et les Émirats ? Il semblerait que les Émirats appliquent de façon plus que souple l’embargo envers l’Iran, y compris pour la fourniture de matériels extrêmement sensibles.

Que représente concrètement la menace iranienne, monsieur le ministre ? Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Quant à l’article 4, auquel Mme le rapporteur a fait référence, est-il inquiétant ou superfétatoire ? Il est inquiétant s’il crée une obligation plus contraignante et automatique ; il est superfétatoire s’il vient s’ajouter aux dispositions existantes dans le cadre de l’ONU. Là encore, une explication du Gouvernement est nécessaire.

Quel est le sens de cet article ? Nous conduit-il d’ores et déjà à prendre parti alors que le contexte d’un éventuel futur affrontement n’est pas même encore connu ?

Est-il raisonnable de nous engager plus loin en participant, en application de cet article 4, à la défense de l’intégrité territoriale des États des Émirats arabes unis ? Cela mérite quelques explications de la part du Gouvernement.

De toute façon, si un conflit intervenait, nous serions liés par d’autres engagements, comme nous l’avons été au moment de la guerre du Koweït. Dès lors, l’article 4 de ce nouvel accord est-il vraiment nécessaire ? Ne serait-il pas redondant par rapport à tous les engagements que nous avons pleinement souscrits à l’ONU ?

Je m’interroge aussi sur notre capacité à honorer tous nos engagements.

Cette nouvelle base implique une dispersion supplémentaire des capacités de la France dans le monde. En avons-nous les moyens ? La lecture de la « une » de ce jour d’un grand quotidien du soir suffit à apporter quelques réponses…

Ne devrions-nous pas plutôt concentrer nos forces, limitées, sur les aires géopolitiques les plus nécessaires à notre défense ? En Afrique, en Méditerranée, nous levons l’ancre, nous fermons des bases, nous réduisons notre présence. Soit ! Mais pourquoi alors aller créer une base supplémentaire ?

Quel est l’avenir de notre grande base à Djibouti, où nous avons, avec les Américains et les Japonais, un centre de coordination pour la lutte contre la piraterie – région aussi, monsieur le ministre, où la présence chinoise commence à se manifester et à susciter des interrogations de la part des observateurs.

Le président Josselin de Rohan ne me contredira sans doute pas : on ne peut pas aborder les questions que soulève cet accord sans évoquer également la question des moyens accordés à notre défense.

Notre implantation aux Émirats arabes unis risque de nous conduire demain à nous désengager encore plus du continent africain et des territoires d’outre-mer. Est-ce souhaitable ?

Si l’on poursuit la politique actuelle, je crains que le désengagement ne soit inévitable à court terme. C’est, hélas ! le prix à payer à la suite des choix réalisés en matière stratégique depuis 2007 : entre Livre blanc, programmation militaire bancale et RGPP drastique, les moyens de la défense s’amenuisent. L’inquiétude des militaires devient prégnante et, désormais, audible.

Le Livre blanc, nous l’avions déjà signalé, est caduc. Les objectifs capacitaires ne seront pas atteints faute de recettes suffisantes et ses présupposés idéologiques – notamment « arc de crise », sécurité nationale, défiance face à la défense européenne – sont à revoir. En particulier, nous devons reconsidérer les aires géographiques de nos déploiements à l’étranger, en les adaptant aux moyens réels de notre défense et de nos finances, c'est-à-dire sans tirer de traites sur l’avenir.

Tels sont les points et les interrogations qui nous empêchent de voter favorablement votre texte, monsieur le ministre.

Toutefois, nous sommes conscients que, comme on dit familièrement, « le coup est parti » ! Les engagements pris par le Président Sarkozy connaissent déjà, une fois n’est pas coutume, un début de réalisation, et l’accord de coopération a abouti, nous le savons, à l’installation de la base militaire française à Abou Dabi en 2009. Le Parlement arrive donc après la bataille...

Nous nous abstiendrons donc sur ce texte, parce que nous considérons que les enjeux économiques, industriels, énergétiques, stratégiques, politiques qui justifient l’implantation de cette base et cet accord de défense méritent d’être pris en considération et, surtout, parce que la parole de la France a été engagée, et ce au plus haut niveau. Il s’agit donc de prendre aussi cette situation nouvelle en compte.

Notre abstention vise, nous le disons clairement, à ne pas hypothéquer l’avenir, dans lequel nous mettons nos espoirs...

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

La parole de la France, son engagement international, le contrat avec ses soldats, ne peuvent pas varier du jour au lendemain. Il sera temps de revenir en 2012 sur des choix erronés et les promesses inconsidérées du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et de la loi de programmation militaire – devrais-je dire plutôt de la loi de déprogrammation militaire ? – qui en a découlé.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays et les Émirats arabes unis ont signé à Abou Dabi, le 26 mai 2009, lors de la visite officielle du Président de la République pour inaugurer une nouvelle base militaire interarmées, un accord de coopération en matière de défense.

Vous nous avez précisé, monsieur le ministre, que celui-ci se substituait à un accord secret de 1995 devenu obsolète du point de vue tant du champ de la coopération couvert que de la protection offerte à nos personnels sur place. Par la suite, un échange de lettres dit « interprétatif », portant sur le dispositif juridique régissant nos forces, a eu lieu entre les deux parties au mois de décembre dernier.

L’étendue des coopérations contenues dans cet accord en prouve assez l’importance.

À peine deux mois après la réintégration complète de la France dans le commandement militaire de l’OTAN, le Président de la République procédait à une nouvelle réorientation stratégique majeure. L’inauguration d’une base militaire permanente en dehors de l’ancien « pré carré » africain était déjà en soi une première depuis cinquante ans. La signature de l’accord, dans la foulée, concrétisait la volonté d’installer durablement notre pays au centre d’un « arc de crise » défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Celui-ci, allant du Proche-Orient au Pakistan, en passant par l’Irak, l’Iran et l’Afghanistan, concentre les risques de conflits les plus lourds de la planète.

Cet accord révélait aussi une dispersion de nos capacités et un redéploiement de certaines d’entre elles pour nous aligner, une nouvelle fois, sur la politique des États-Unis, en nous insérant dans leur dispositif dans cette région.

Certes, ces décisions du Président de la République découlaient de certaines analyses contenues dans le Livre blanc, qui avaient été présentées devant le Parlement et que le groupe CRC-SPG n’avait d’ailleurs pas approuvées. Je déplore, toutefois, que de telles décisions, aussi lourdes de conséquences, n’aient fait l’objet d’aucun débat stratégique, ni d’aucune concertation parlementaire préalable.

Trois points particuliers me semblent soulever des questions fondamentales : la clause de sécurité, les articles relatifs au statut de nos forces et, d’une façon plus générale, notre politique de défense dans la région.

L’une des singularités de cet accord de défense se trouve notamment dans les articles 3 et 4 du texte signé. Ceux-ci comportent une clause dite « de sécurité » prévoyant une riposte militaire graduée à tout type de menace contre l’un de nos pays, pouvant aller jusqu’à l’engagement de nos forces. L’adoption de ce texte signifierait très concrètement que, dans l’hypothèse où les Émirats arabes unis seraient soumis à une attaque contre ce qu’ils estimeraient être leurs intérêts vitaux ou qui mettrait en cause leur souveraineté nationale, nous pourrions être presque mécaniquement amenés à un engagement militaire.

Cette clause est paradoxale et contradictoire avec les politiques de coopération et de défense que le Gouvernement mène avec les pays d’Afrique. En effet, lors d’une discussion parlementaire sur de nouveaux accords signés avec des États africains, vous aviez fortement insisté, monsieur le ministre, sur le refus de telles clauses d’assistance mutuelle.

Quand on connaît la situation sensible de cette zone, avec la rivalité entre les monarchies pétrolières soutenues par les États-Unis et l’Iran qui veut s’imposer comme puissance régionale...

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

... en utilisant le chantage nucléaire, on mesure le risque d’engrenage dans lequel la France pourrait être entraînée. L’Iran a, en effet, clairement prévenu que, s’il était lui-même agressé, l’une de ses ripostes pourrait viser les Émirats du Golfe. Et ce n’est pas une hypothèse d’école : récemment encore, le général Ali Jafari, commandant suprême du Corps des gardiens de la révolution, déclarait à une agence de presse que, s’il était menacé, l’Iran était prêt à fermer le détroit d’Ormuz par lequel transitent, je le rappelle, 40 % du trafic maritime mondial.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

En outre, le texte de l’accord, en envisageant que la France peut utiliser « tous les moyens militaires à sa disposition » pour défendre les Émirats arabes unis s’ils venaient à être agressés, introduit une certaine ambiguïté en ce qui concerne nos armes nucléaires.

Je sais que la convention prévoit une concertation entre les parties sur la nature tant de la menace subie que de la réponse à apporter. Il n’en reste pas moins que l’engagement de l’arme nucléaire serait du seul ressort du Président de la République si les intérêts vitaux de la France étaient menacés. La doctrine de la dissuasion nucléaire ne définissant pas exactement ces intérêts vitaux, pourriez-vous, monsieur le ministre, me préciser si l’accord signé offre ou non notre parapluie nucléaire aux Émirats arabes unis voisins de l’Iran ?

J’en viens au statut de nos personnels sur place.

La lettre interprétative porte sur les garanties dont nos personnels pourraient bénéficier en cas de désaccord sur la nature de l’infraction commise. Ce pays étant régi par les lois islamiques de la charia, je crains quelques difficultés d’application en cas de litige grave.

Enfin, il n’est pas possible d’évoquer un tel accord sans considérer l’attitude très négative des Émirats arabes unis dans le domaine des droits de l’homme, je pense en particulier à leur façon de traiter les ressortissants étrangers. Nous ne pouvons pas non plus oublier l’intervention et les exactions commises à Bahreïn.

Approuver cet accord de défense revient à soutenir militairement une dictature pétrolière qui opprime ses populations et réprime alentour.

Récemment, les parlementaires allemands se sont vivement affrontés à propos d’un projet de livraison de chars à l’Arabie saoudite. La polémique portait sur le non-respect des principes déontologiques fédéraux en matière d’exportation d’armement, notamment en direction de pays fortement soupçonnés d’opprimer la population ou de violer les droits de l’homme.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

C’est pour nous un exemple à méditer.

Au total, il y a véritablement dans votre politique étrangère, monsieur le ministre, quelque contradiction à prétendre soutenir le « printemps arabe » pour la démocratie et le développement, tout en continuant d’entretenir des relations très étroites avec ce type de régime.

Pour cet ensemble de raisons, le groupe CRC-SPG votera contre cet accord de défense avec les Émirats arabes unis.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. le président. La parole est à M. André Trillard.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que, une fois de plus, le Parlement ait à se prononcer sur la ratification d’un accord de défense. C’est un exemple supplémentaire de l’association de la représentation nationale à la politique étrangère et de défense du Gouvernement, et ce conformément aux engagements du Président de la République et à la loi de programmation militaire 2009-2014.

Aussi, je me félicite de la présence de M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération, car cet accord de défense avec les Émirats arabes unis va bien au-delà du seul partenariat militaire et de l’installation d’une base militaire dans la région, mais j’y reviendrai ultérieurement.

J’ai écouté attentivement mes collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. À cet égard, le travail et le rapport de Mme Goulet témoignent de son excellente connaissance de la région et des enjeux pour notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

Pour autant, je tiens à rappeler que ces accords de défense, signés le 26 mai 2009 à Abou Dabi, s’inscrivent également dans une logique plus large de renouvellement de partenariats de défense entre la France, le Moyen-Orient et l’Afrique. Pour preuve, le 1er mars dernier, nous avons voté des partenariats de défense avec quatre pays africains. Aussi, ces accords se substituent aux accords de coopération de 1995 signés avec la Fédération des Émirats arabes unis.

Depuis cette date, la France n’a cessé de renforcer des liens avec les Émirats arabes unis, et ce à plusieurs niveaux. Ces accords répondent donc à une longue et ancienne coopération, à la fois culturelle, économique et militaire.

Il s’agit, surtout, pour notre pays d’être présent dans une zone véritablement stratégique, tant pour la sécurité de l’Europe que pour la stabilité de tout le Moyen-Orient. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 a clairement identifié cette zone parmi les plus « critiques ». D’ailleurs, les Britanniques et les Américains l’ont compris et ont passé des accords de défense avec ces pays.

Alors, pour un pays membre du Conseil de sécurité de l’ONU, il n’est plus concevable de se satisfaire d’accords datant de plus de quinze ans et de se contenter d’une présence presque en dilettante dans l’une des zones les plus stratégiques de la planète, qui a connu de nombreux bouleversements.

Faut-il rappeler que le Golfe persique est en proie à de multiples et constantes instabilités ? Entre 1980 et aujourd’hui, la guerre Iran-Irak, le conflit au Koweït, en Irak, puis la nucléarisation de la région du fait de la course iranienne à l’atome militaire n’ont cessé de nous démontrer que la paix mondiale dépendait de cette zone.

À l’heure où la France est l’un des premiers contributeurs financiers et humains au sein des opérations de maintien de la paix, il n’est pas logique que seuls les Américains disposent d’une véritable base militaire dans la région.

Beaucoup d’entre nous s’émeuvent ici que notre pays n’ait pas les moyens géographiques de sa projection opérationnelle. Ces accords et l’implantation militaire française aux Émirats arabes unis représentent une formidable opportunité. Il s’agit d’être cohérent avec notre politique d’intervention à l’extérieur de nos frontières et, surtout, d’en améliorer les conditions.

Par ailleurs, à l’heure où la France est l’un des premiers acteurs de la lutte contre la piraterie internationale, notre présence aux abords du détroit d’Ormuz, où transite l’essentiel des approvisionnements en hydrocarbures, est plus que cohérente.

Le 22 décembre dernier, nous avons voté le projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer, afin de sécuriser les espaces maritimes où s’effectuent 90 % du transport mondial de marchandises. Si ce texte instaure un cadre juridique pour nos interventions contre les pirates, il demeure nécessaire de pouvoir bénéficier d’un point d’ancrage au sens propre du terme, en particulier à un moment où la protection des approvisionnements énergétiques participe à la préservation de nos intérêts vitaux. Je vous renvoie à l’excellent rapport de MM. Dulait et Boutant, qui ont pu constater que la base IMFEAU, l’implantation militaire française aux Émirats arabes unis, jouait un rôle essentiel dans l’opération Atalante.

Certains s’inquiètent de la spécificité de ces accords. Il est vrai que ceux-ci se distinguent par la force de l’engagement de la France en cas de menace ou d’agression contre l’un des Émirats arabes unis par un pays tiers. Ils sont pourtant à la mesure de nos relations avec ces États. De plus, je tiens à rappeler que ces pays participent à des opérations avec l’OTAN – je pense au Qatar en Libye – et que, à un moment où les cartes sont redistribuées dans tout le Moyen-Orient, ces partenariats bilatéraux ont une importance primordiale.

En outre, l’implantation d’une base militaire participe à notre dissuasion. Nous nous devons d’aider ces pays qui n’ont pas les moyens humains de leur défense face à une puissance militaire telle que l’Iran, forte de 70 millions d’habitants, à un moment où son soutien au Hamas et au Hezbollah inquiète la communauté internationale.

Enfin, mes chers collègues, que voulons-nous ? Nous avons développé une véritable politique économique et de coopération technique et culturelle avec ces pays. Non seulement nos champions industriels s’y sont implantés, mais notre présence participe également au rayonnement culturel et scientifique de la France.

Pour être intervenu à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, je sais combien la concurrence est rude pour la France, face aux États-Unis et à la Chine, si elle veut maintenir sa présence et son influence dans le monde.

Aux Émirats arabes unis, ce sont à proprement parler de véritables labels « France » que nous sommes parvenus à exporter. L’implantation de l’université Paris-Sorbonne à Abou Dabi et la prochaine ouverture du « Louvre Abou Dabi », sont des occasions uniques pour notre pays de mettre en place une véritable politique de smart power.

Debut de section - PermalienPhoto de André Trillard

Ces accords de défense répondent à une politique d’influence globale de la France dans une région traditionnellement sous influence anglo-saxonne. Ils sont peut-être contraignants, mais ils sont totalement cohérents : ils participent à la stabilisation d’une zone stratégique.

Aussi, pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera-t-il ces accords.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord qu’il nous est demandé d’autoriser aujourd’hui aurait presque pu passer inaperçu ! La session extraordinaire s’achève demain, et nous examinons cet après-midi un nombre de textes tout à fait important, notamment des accords fiscaux entre la France et ses partenaires. Il serait pourtant gravissime de négliger le présent texte.

L’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense ainsi qu’un échange de lettres énonce, en effet, des dispositions cruciales.

En son article 4, il est ainsi précisé, explicitement, que la France s’engage à « participer à la défense de la sécurité, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de l’État des Émirats arabes unis ». Quand on connaît la situation dans la région du détroit d’Ormuz, cela n’est pas rien !

« Mesure la profondeur de l’eau avant de t’y plonger », dit un proverbe arabe. C’est bien là mon inquiétude aujourd’hui, et celle de beaucoup de mes collègues. A-t-on bien conscience de la profondeur de l’eau ? L’histoire récente, pour ne rappeler que celle-ci, ne nous a-t-elle pas montré, en 1991, jusqu’où le jeu des alliances pouvait nous conduire ? L’accord qui sera voté ici paraîtra anecdotique aux yeux de la plupart de nos concitoyens, lesquels d’ailleurs, soyons lucides, n’en entendront même pas parler ! Souhaitons seulement que nous n’ayons pas à le regretter dans quelques années.

Plusieurs orateurs, à l’Assemblée nationale, l’ont noté : les risques de conflit avec l’Iran, s’ils ne doivent pas être exagérés, sont néanmoins réels. Je m’appuierai sur deux arguments.

Rappelons, tout d’abord, que l’Iran et les Émirats arabes unis ont un contentieux sérieux depuis le 30 novembre 1971, date à laquelle le Shah décida d’envahir les trois îles émiraties de Grande Tomb, Petite Tomb et Abou Moussa, situées en plein détroit d’Ormuz. L’invasion se fit, à l’époque, sans effusion de sang, mais la tension demeure jusqu’à ce jour. L’Iran occupe aujourd’hui encore militairement les trois îles qui, dois-je le préciser, sont d’une importance stratégique et économique capitale.

Au-delà des questions, légitimes, de souveraineté, il faut souligner que les zones économiques exclusives rattachées à ces territoires sont très convoitées, tant elles sont riches en hydrocarbures. Les Émirats arabes unis souhaitent d’ailleurs que ce point soit, enfin, réglé par la Cour internationale de justice.

Halte au pessimisme et au catastrophisme, allez-vous me rétorquer ! Un conflit qui partirait des îles du détroit d’Ormuz paraît improbable. L’invasion du Koweït par l’Irak apparaissait également tout à fait improbable ; Axel Poniatowski l’a rappelé à l’Assemblée nationale : elle s’est pourtant produite et a entraîné la France dans un conflit armé majeur.

Un autre point me semble d’importance. Lors de l’examen du projet de loi en commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, le 8 juin dernier, le député Daniel Boisserie a souligné que, au mois de mai 2011, avait été créée par le fondateur de Blackwater une société militaire privée destinée à servir les Émirats arabes unis. Il s’agirait d’un bataillon de 800 hommes chargés notamment de protéger les oléoducs et les gratte-ciel. Pour le président Guy Tessier, cette question n’a « rien à voir avec notre engagement ». Il a ainsi expliqué en commission qu’il imaginait mal les Émirats arabes unis déclarer la guerre à l’Iran, et à plus forte raison avec des mercenaires !

Avec tout le respect que je lui dois, je crois pourtant que Guy Tessier a fait là une mauvaise analyse de la situation. On peut en effet imaginer un accrochage, pour une raison ou une autre, entre mercenaires émiratis et soldats iraniens. Supposons que l’Iran attaque alors les Émirats : nous sommes tenus d’intervenir. On me répondra peut-être que je fais trop de suppositions. Soit ! Mais je préfère me poser ces questions maintenant, et vous les poser également. Nous parlons ici de la possibilité d’un conflit armé, sachons donc envisager tous les scénarios.

Monsieur le ministre, je souhaite aborder une autre de mes inquiétudes, qui n’a pas été entièrement levée à l’issue de l’examen de ce texte en commission. Ne peut-on pas légitimement craindre une dispersion des forces françaises, qui nuirait in fine à leur efficacité ? Je pense notamment aux troupes françaises stationnées à Djibouti.

Qu’en est-il des moyens qui resteront alloués à cette base ? Je ne saurais que trop insister sur le caractère essentiel de notre stationnement à Djibouti. La lutte contre la piraterie maritime, enjeu auquel, vous le savez, j’accorde beaucoup d’importance, est en effet coordonnée sur place avec le soutien des Américains et des Japonais.

En l’occurrence, il ne faudrait pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le député Yves Vandewalle s’est lui-même inquiété de l’équilibre entre les deux pôles d’Abu Dabi et de Djibouti. La France ne doit pas sacrifier ses intérêts en Afrique pour remplir un peu plus sa « vitrine » émiratie, comme elle nous est souvent présentée. Notre implantation en Côte d’Ivoire a récemment démontré, s’il en était besoin, son utilité. Des vies, françaises et ivoiriennes, ont ainsi été sauvées. Notre présence en Afrique centrale est également capitale compte tenu des risques liés à Al-Qaïda.

Si j’insiste sur ce point, mes chers collègues, c’est parce que je sais, tout comme vous, que la France ne peut se permettre financièrement, et je le regrette, d’être présente partout. Je sais donc aussi que les moyens alloués à Abou Dabi seront autant de ressources en moins pour nos autres bases.

J’aurais d’ailleurs souhaité, monsieur le ministre, avoir davantage de précisions sur le financement de la base d’Abou Dabi. Il nous a été expliqué en commission que les Émiratis allaient prendre en charge la construction des infrastructures, …

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

… mais je doute que le coût soit nul pour la France.

Avant de conclure, je voudrais rappeler que, bien sûr, les Émirats arabes unis sont un pays ami – et un ami doit être protégé ! –, en même temps qu’un partenaire privilégié dans une zone décisive pour l’approvisionnement énergétique de la France. Une présence militaire dans la région donne un poids indiscutable à notre armée et à nos positions.

Je souhaiterais néanmoins que le Gouvernement français soit plus vigilant sur la façon dont les droits de l’homme sont considérés aux Émirats arabes unis. Entre amis, il est important de ne pas se mentir. Et nous serions hypocrites si nous n’évoquions pas avec notre partenaire les questions des violences faites aux femmes, des conditions de travail des immigrés, de la peine de mort ou de la charia.

J’espère avoir démontré, s’il en était besoin, que ce texte n’est en rien anodin. À vous, monsieur le ministre, de me prouver qu’aucune de nos craintes n’est fondée.

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Henri de Raincourt, ministre

Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai écouté avec beaucoup d’attention vos interventions. Même si je ne suis sans doute pas en mesure de répondre à toutes les nombreuses questions qui m’ont été posées, j’essaierai d’apporter des précisions sur un certain nombre de points, qui, je l’espère, seront de nature à rassurer les différents intervenants.

Tout d’abord, concernant l’implantation des bases proprement dites, il ne s’agit pas de se disperser, de se fixer, au gré des modes, en quelque sorte, à tel ou tel endroit ; il s’agit de reconfigurer tout notre dispositif de défense, y compris au niveau de son implantation géographique.

La France mène actuellement des discussions avec un certain nombre d’États, notamment africains, en vue d’élaborer – et, je l’espère, de conclure –, des accords reposant sur de nouveaux modes de collaboration en matière de défense.

L’implantation d’une base dans les Émirats arabes unis n’est nullement contradictoire ou en opposition avec l’intérêt que la France porte traditionnellement et continue de porter à l’Afrique.

Il faut également considérer que les situations peuvent évoluer d’un pays à l’autre. Quand un certain nombre de nos soldats sont envoyés en Côte d’Ivoire dans le cadre de la force Licorne, par exemple, ils n’ont pas vocation à y rester à perpétuité. Il s’agit alors de prendre en compte une situation donnée, à un moment donné et, fort heureusement, réjouissons-nous-en, la démocratie a gagné en Côte d’Ivoire. Nous pouvons, par conséquent, adapter notre présence militaire en termes d’effectifs à cette nouvelle situation.

Ce qui importe – et ce n’est pas aux spécialistes rassemblés dans cette enceinte que je l’apprendrai ! –, c’est la mobilité. Il vaut mieux disposer d’un nombre limité de bases, qui soient les plus performantes, les mieux formées et les mieux équipées possible. Leur répartition doit leur permettre, en tant que de besoin, de se mouvoir rapidement et efficacement sur le terrain, de l’Atlantique à l’océan Indien.

Il n’y a pas de dispersion française en la matière, bien au contraire. La France compte aujourd'hui trois bases à l’étranger : au Gabon, à Djibouti et dans les Émirats arabes unis. Les bases de Djibouti et d’Abou Dabi sont complémentaires, en raison d’enjeux à la fois bilatéraux et multilatéraux. Vous avez évoqué, monsieur Boutant, la situation dans ce secteur, notamment la lutte contre la piraterie, et vous avez mille fois raison.

Je précise que les Émirats arabes unis ont assumé la plus grande part des investissements. La France y a contribué à hauteur de 25 millions d’euros – je parle de mémoire – et le coût de fonctionnement est estimé à 75 millions d’euros par an. Ces dépenses sont financées par des redéploiements de crédits, ce qui ne pose aucune difficulté.

S'agissant des droits de l’homme, nous pourrions débattre de cette question indéfiniment. Je veux simplement rappeler, personne n’en doute ici, que la France, toujours et partout, défend la liberté et les droits de l’homme ; il n’y a aucune ambiguïté en la matière.

Pour autant, compte tenu des grands enjeux internationaux, la France, dans le cadre d’une politique d’influence à la fois globalisée et harmonisée, doit pouvoir s’implanter là où elle le juge nécessaire, en raison de la situation géographique de tel ou tel secteur.

Nous n’allons pas critiquer les Émirats arabes unis sur un point sans dire, par exemple, que ceux-ci défendent en ce moment même avec nous le peuple libyen contre les exactions de M. Kadhafi. Il faut, en toute chose, préserver les équilibres nécessaires, me semble-t-il, et se garder de toujours juger ce qui se passe chez les autres. Pour autant, il faut rester ferme sur les principes, c’est-à-dire défendre la liberté des peuples et les droits de l’homme.

En ce qui concerne le Bahreïn, la France a fortement condamné la répression violente contre les manifestations – d’ailleurs pacifiques – qui s’y sont déroulées. La France a alors condamné, comme en Syrie, l’usage disproportionné de la force et a appelé, avec de nombreux pays, au dialogue entre les différentes parties. Je constate d’ailleurs que ce dialogue est amorcé depuis le début du mois de juillet.

Je veux, en outre, rappeler que notre accord de défense ne porte que sur des menaces extérieures ; il ne porte, en aucune manière, sur d’éventuels conflits internes. La France ne peut être amenée à intervenir dans le cadre de cet accord que si une menace extérieure faisait peser un danger sur les Émirats arabes unis.

Madame Demessine, en matière de « parapluie nucléaire », la doctrine de la France est claire et connue de tous, et ce depuis toujours. La France est entièrement souveraine dans son engagement nucléaire et n’est liée, à ce titre, par aucun traité.

Certains d’entre vous ont évoqué l’OTAN. À cet égard, je rappelle que la force nucléaire française n’a nullement été mise à la disposition de l’OTAN, de quelque manière que ce soit. Dans ce domaine, la décision relève exclusivement de la France et du Président de la République. Toutefois, cette question n’a rien à voir avec l’accord qui est aujourd'hui soumis à l’appréciation du Sénat.

Enfin, j’évoquerai l’Iran. Nous parlons bien sûr de la situation dans ce pays et des difficultés que nous rencontrons pour y faire respecter les résolutions votées par les Nations unies. Cependant, là encore, ce sujet est éloigné de l’accord faisant l’objet de la discussion du Sénat cet après-midi.

Cet accord a vocation à être dissuasif en cas de menace extérieure, mais non à être appliqué, d’une manière ou d’une autre, lorsqu’il s’agit de la politique nucléaire menée par l’Iran en matière civile. Ce sont deux questions totalement différentes. Naturellement, la France continuera d’être très active pour faire pression sur l’Iran afin que ce pays respecte les décisions votées à l’ONU par la communauté internationale et qu’il contribue ainsi à accroître la paix, la sécurité et la stabilité dans le monde. Voilà ce que nous demandons à ce pays, rien de plus.

Tels sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques remarques dont je tenais à vous faire part.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article unique.

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense ainsi qu'un échange de lettres.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est définitivement adopté.

Debut de section - Permalien
Henri de Raincourt, ministre

M. Henri de Raincourt, ministre. Monsieur le président, c’est aujourd'hui la dernière fois que j’ai l’insigne honneur, au nom du Gouvernement, de défendre devant le Sénat un texte examiné par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en présence du président de Rohan. Permettez-moi donc en cet instant – je sais que vous ferez preuve de compréhension et de courtoisie et que vous ne manquerez pas d’accéder à ma demande exceptionnelle, monsieur le président – de saluer très chaleureusement la présidence éclairée, intelligente et rayonnante de M. Josselin de Rohan.

Bravo ! et applaudissementssur les travées de l’UMP. – M. Didier Boulaud applaudit également.

Debut de section - Permalien
Henri de Raincourt, ministre

Au cours des années durant lesquelles il a présidé cette commission, tous les sénateurs, quel que soit le groupe politique auquel ils appartiennent, n’ont eu qu’à se féliciter d’avoir un président de son envergure et de sa qualité. Sa présidence aura été un formidable moment pour le Sénat et, au-delà, pour la France tout entière.

Je veux, du fond du cœur, lui exprimer ma très vive reconnaissance et mon attachement personnel.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP ainsi que sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. le président. En tant que vice-président et au nom du président du Sénat, je m’associe à l’hommage que vous venez de rendre à M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Chacun sait, au-delà des divergences politiques, le travail que M. de Rohan a accompli au sein de notre assemblée.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009–879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-huit heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jack Ralite, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jack Ralite

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon rappel au règlement porte sur l’actuel statut d’un homme. J’ai eu quelque appréhension à l’aborder au moment où va s’ouvrir un débat concernant des millions d’hommes et de femmes. Mais cet homme-là pose un problème qui intéresse tous et chacun : la liberté.

Son nom : le général Jovan Divjak, arrêté en Autriche il y a quatre mois sur une demande d’extradition de la République de Serbie, reprenant une initiative de Milosevic. Celui-ci osait considérer le général Divjak comme criminel de guerre pour sa présence à Sarajevo au moment du départ négocié d’un régiment de l’armée fédérale le 3 mai 1992, lors de l’agression de la capitale bosnienne par la Serbie. Les documents disponibles, dont un reportage audiovisuel de la BBC, infirment totalement cette forfaiture assimilant Jovan Divjak, soldat de la paix, au boucher Mladic, assassin de 8 000 hommes à Srebrenica, horrible tragédie commémorée hier.

Qui connaît Jovan Divjak sait que sa vie est à l’horloge exacte de la conscience. Ses pensées, ses actes ont toujours été des souffleurs de liberté, de pluralité et de paix.

La France l’a reconnu en le décorant de la Légion d’honneur en 2001 « pour son idéal d’un pays uni, qui cherche à se bâtir sur la richesse de ses différentes cultures », disait Bernard Bajolet, ambassadeur de France en Bosnie-Herzégovine à l’époque.

Le 4 juillet dernier, soixante-deux signatures adressées aux parlementaires européens témoignent pareillement : des artistes, écrivains, universitaires, diplomates, juristes, ainsi que des députés européens et anciens ministres de différents pays, deux anciens présidents du Parlement de Bruxelles, Nicole Fontaine et José-Maria Gil-Roblès, des sénateurs de diverses sensibilités de notre assemblée et trois généraux, Jean Cot et Bertrand de La Presle, anciens commandants en chef de la FORPRONU, et Hugues de Courtivron, expert au Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées, qui ont adressé à Jovan Divjak leur estime et leur soutien.

Son assignation au territoire autrichien devient insupportable.

D’ailleurs la cause a déjà été entendue. En juillet 2010, la justice anglaise rejetait la demande d’extradition d’Ejup Ganic, accusé comme le général Divjak. Fin 2010, les autorités allemandes relâchaient immédiatement Jovan Divjak retenu à l’aéroport de Francfort. En mars 2011, à la suite de l’arrestation du général, le ministre autrichien des affaires étrangères affirmait : « D’après nos experts en droit international, une extradition de Jovan Divjak vers la Serbie est impensable ». Depuis juillet 2003, le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a invalidé la demande d’extradition de la Serbie. Depuis 2005, les autorités judiciaires de la République de Serbie ne sont plus autorisées à délivrer de tels mandats d’arrêt. Depuis juin 2009, Interpol a suivi le tribunal.

Pourtant, depuis le 3 mars, rien. Tout se passe sur le dos de cette grande figure, véritable aubaine humaine. C’est comme si on lui avait passé des menottes au cœur : ôtons-les ! Ne restons pas des passants, ne perdons pas notre fidélité. Exigeons sa libération immédiate.

Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, a répondu le 12 avril à un courrier de quinze sénateurs membres du groupe interparlementaire France-Balkans occidentaux : « Je connais les choix courageux qu’a faits le général Divjak, ancien officier serbe de l’armée de l’ex-Yougoslavie qui, en pleine guerre de Bosnie, est resté à Sarajevo pour défendre la ville [...] attaquée par les forces serbes, et qui s’est consacré par la suite à venir en aide aux jeunes orphelins. Ces choix lui ont valu d’être une personnalité éminemment respectée à Sarajevo, symbole d’une Bosnie-Herzégovine multiethnique. [...] La France continuera d’insister auprès des autorités autrichiennes pour que M. Divjak puisse recouvrer dès que possible une liberté totale. »

L’arrestation de Jovan Divjak est un retard d’avenir pour la Bosnie-Herzégovine, sa libération bourdonne d’essentiel. Intervenons avec énergie auprès du Parlement européen et de la République de Serbie pour que les 5 000 manifestants sortis dans les rues de Sarajevo sitôt après son arrestation et la population serbe retrouvent Jovan Divjak.

Monsieur le ministre d’État, ministre des affaires étrangères, vous avez écrit avec l’un de nos signataires, Michel Rocard, un livre intitulé La politique telle qu’elle meurt de ne pas être. Nous ne voulons pas que ce titre caractérise la situation du général Divjak

C’est pourquoi, vendredi 8 juillet, nous avons tenu à Vienne une conférence de presse fort suivie en présence des ambassades de France et de Bosnie-Herzégovine, du ministère autrichien des affaires étrangères et du cabinet de l’avocat du général. Nous voulons que la politique de liberté pour Jovan Divjak « vive d’être » ! Et nous voulons compter sur vous.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Acte vous est donné de votre déclaration, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, un débat et un vote sur la demande du Gouvernement tendant à autoriser la prolongation de l’intervention des forces armées en Libye.

La parole est à M. le Premier ministre.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – MM. François Zocchetto et Aymeri de Montesquiou applaudissent également.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en vertu de notre Constitution, vous avez aujourd'hui la responsabilité de décider de la poursuite – ou non – de nos opérations en Libye.

Pour ce faire, il faut d’abord revenir aux origines de cette intervention.

Quelle était la situation au début du mois de mars ?

Chacun l’a en mémoire. Des manifestations sauvagement réprimées à Tripoli, des bombardements à l’arme lourde sur des civils désarmés, des déplacements massifs de population et des bilans faisant état, selon la commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, de plus d’un millier de morts en quelques semaines seulement.

C’est dans ces circonstances dramatiques que la communauté internationale a franchi un pas décisif, à la suite de l’intervention talentueuse et efficace du ministre d’État, ministre des affaires étrangères

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

De fait, le Conseil de sécurité s’est appuyé sur l’échec des autorités libyennes à remplir leur responsabilité de protéger leur population pour assurer lui-même une telle protection, en prenant des mesures dans le cadre de la Charte des Nations unies, qui autorise le recours à la force.

Certains ont prétendu que notre intervention avait été décidée pour contrebalancer notre surprise face aux révoltes tunisienne et égyptienne.

C’est faire injure au Gouvernement.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

La France n’engage pas ses forces armées à la légère.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Lorsque le Président de la République a envoyé nos premiers aviateurs au-dessus de Benghazi, les chars de Kadhafi entraient dans les faubourgs de la ville.

La France ne prend pas davantage ses décisions seules.

Plus d’une vingtaine de pays occidentaux et arabes et d’organisations internationales ont participé au sommet de Paris le 19 mars, qui a rassemblé ainsi dans l’urgence tous ceux qui étaient désireux de tout mettre en œuvre pour sauver la Libye libre et appliquer les résolutions du Conseil de sécurité. Parmi eux, les États-Unis mais aussi le Royaume-Uni, sous l’impulsion déterminée de David Cameron.

Notre décision a été mûrie, pesée et elle ne fut prise qu’à l’issue de plusieurs semaines d’avertissements diplomatiques, délibérément ignorés par Kadhafi.

La résolution 1973 du 17 mars autorisant le recours à la force avait été précédée de la résolution 1970 du 26 février dans laquelle le Conseil de sécurité exigeait la fin des violences, saisissait le procureur de la Cour pénale internationale et adoptait un premier régime de sanctions.

Le colonel Kadhafi a ignoré tous ces messages, comme il a ignoré, tout au long des mois de février et mars, les multiples appels du Conseil européen, du G8, de l’Union africaine, de la Ligue des États arabes et de la conférence des États islamiques.

C’est ce jusqu’au-boutisme qui a contraint la communauté internationale à intervenir militairement, en dernier recours.

Il est tout à fait vrai que le vent de liberté qui soufflait sur le monde arabe en ce printemps 2011 a imprégné notre décision.

S’il n’y avait pas eu ce souffle de liberté, il est possible que la France et la communauté internationale aient limité leur action à la seule dénonciation de la répression.

Il est possible que le réalisme le plus froid et l’attachement prudent à la stabilité auraient eu raison de notre audace.

Oui, le contexte régional a pesé sur nos choix.

Il a pesé en ce sens qu’à nos yeux la victoire de la répression aurait signifié que la démocratie dans le monde arabe n’était qu’un feu de paille, étouffé par le premier dictateur décidé.

Il a pesé en ce sens qu’après la Tunisie et l’Égypte les chances de voir le monde arabe traversé par des changements démocratiques nous sont apparues crédibles et porteuses d’avenir pour tout le bassin méditerranéen.

Il a pesé en ce sens que la France croit que la cause de la liberté et des droits de l’homme est en mesure de progresser dans le monde, comme l’atteste l’évolution en Côte d’Ivoire, et comme le confirme l’arrestation de Ratko Mladic.

Les dictateurs, les tyrans, les bourreaux, sont peu à peu mis en demeure de rendre des comptes à la communauté internationale, et ce progrès de la justice, si fragile, ne devait pas se briser à Benghazi.

4 400 hommes et femmes sont engagés, à un titre ou à un autre, dans l’opération Harmattan – je veux parler des forces françaises uniquement –, dont 800 en métropole sur certaines bases aériennes.

Avec 40 avions de combat et 6 avions de soutien, 8 navires et 18 hélicoptères d’attaque engagés, la France est le premier pays contributeur, aux côtés de ses partenaires de l’OTAN et du monde arabe.

Je veux profiter de l’occasion qui m’est donnée pour, avec vous tous, rendre hommage au professionnalisme et au courage de nos soldats qui se battent en Libye pour une cause juste.

Applaudissements sur l’ensemble des travées.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Depuis le 19 mars, la situation militaire évolue favorablement.

Le tout premier objectif que nous nous étions fixé, qui était d’éviter un bain de sang à Benghazi, a été atteint.

Le deuxième objectif consistait à protéger la région orientale du pays. Elle est aujourd’hui presque entièrement à l’abri des assauts de Kadhafi.

Nous savons aussi que ce dernier n’en est pas moins décidé à continuer sa guerre contre le peuple libyen dans l’ouest du pays. Mais, là aussi, sa stratégie est en train d’échouer.

Partout, les Libyens libres gagnent du terrain. C’est désormais sur Kadhafi, dont l’aviation et la marine ont été presque entièrement détruites, que l’étau se resserre.

Les capacités militaires du régime ont été très sérieusement dégradées. 2 500 objectifs ont été touchés, parmi lesquels 850 sites logistiques, 160 centres de commandement, 450 chars, 220 véhicules et 140 pièces d’artillerie.

Les soutiens du régime ne cessent de s’effriter. Les défections se multiplient.

Kadhafi est acculé. Il se dit lui-même « dos au mur ». Mais le point de rupture n’a pas encore été atteint. C’est maintenant que la communauté internationale doit se montrer inflexible.

Que les choses soient claires : nous n’avons jamais dit ou pensé que l’intervention en Libye allait se conclure en quelques jours. Mais le terme d’« enlisement » est sans objet pour qui regarde une simple carte de la Libye libre, qui ne cesse de s’étendre depuis la fin du mois de mars.

À partir de Benghazi, les forces du Conseil national de transition, le CNT, ont pu reconquérir l’ensemble de la Cyrénaïque jusqu’à Brega. L’étau sur Misratah a été desserré et les rebelles ont progressé de plusieurs kilomètres à l’ouest de la ville. Dans le Djebel Nefoussa, les unités de Kadhafi perdent chaque jour un peu plus de terrain sur l’axe stratégique qui mène à Tripoli. Dans le sud du pays, plusieurs villes sont aux mains des forces du CNT depuis la fin du mois de juin.

Devant vous, je ne veux occulter ou esquiver aucun des débats.

Je voudrais d’abord évoquer les deux erreurs que l’OTAN a reconnues et qui sont survenues les 18 et 19 juin. Rien ne peut justifier la mort de civils innocents. Mais le drame qui a eu lieu à Tripoli doit être envisagé au regard des milliers de sorties aériennes effectuées par l’OTAN depuis le début de son engagement en Libye. Dois-je en outre rappeler que nous sommes confrontés à un régime qui n’hésite pas à opérer depuis des zones habitées jusque dans les écoles, les hôpitaux et les mosquées ?

Depuis le début de l’intervention, la France s’en tient au mandat qui a été défini par le Conseil de sécurité des Nations unies. Celui-ci ne nous donne pas le droit d’éliminer le colonel Kadhafi.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

L’action de l’OTAN vise des cibles d’intérêt militaire, et en aucun cas des individus.

Au début du mois de juin, nous avons livré des armes légères dans le Djebel Nefoussa. Je sais que ces livraisons ont suscité des interrogations. Nous y avons répondu. Les livraisons respectent la résolution 1973 du Conseil de sécurité, qui autorise les États membres des Nations unies à prendre toutes les mesures nécessaires, malgré l’embargo sur les armes, pour protéger les populations civiles menacées. Cette décision a été prise de manière ponctuelle, et dans un contexte très particulier, en raison des menaces graves et imminentes que courait alors la population du Djebel Nefoussa.

Dès lors que toute intervention au sol est exclue pour aider la résistance, qu’aurait-il fallu faire lorsque ces populations civiles ont été bombardées à leur tour à l’arme lourde ? Fallait-il laisser les massacres se poursuivre ? Telle n’était pas notre conception.

Le respect du droit international est l’un des fondements de notre intervention, et il doit le rester. Mais nous avons en face de nous un homme qui est accusé par le procureur de la Cour pénale internationale de crimes contre l’humanité.

L’usage de la force n’est pas une fin en soi. Nous en conviendrons tous, une solution politique en Libye est plus que jamais indispensable. Elle commence à prendre forme.

Les conditions de la suspension des opérations militaires sont connues : un cessez-le-feu authentique et vérifiable, ce qui suppose notamment un retour des forces de Kadhafi dans leurs casernes, la fin des exactions contre les populations civiles, le libre accès de l’aide humanitaire et, enfin, le retrait du colonel Kadhafi du pouvoir.

Sur l’initiative du Président de la République, La France a été le premier pays à reconnaître le Conseil national de transition. Certains ont cru bon de critiquer cette initiative française alors que, en réalité, elle a ouvert la voie. Trois mois plus tard, plus d’une trentaine de pays, sur tous les continents, considèrent le CNT comme leur interlocuteur politique privilégié, sinon unique, en Libye.

Pourquoi ? Parce que le CNT est la seule autorité légitime sur place, qui regroupe des représentants de l’ensemble du pays. Et parce que le CNT manifeste une réelle volonté de mettre en place un État de droit, dans le respect de l’unité de la Lybie et de l’intégrité de son territoire, avec Tripoli comme capitale.

Naturellement, l’avenir de la Libye sera difficile. Mais faut-il pour autant ne voir que les risques et jamais les chances offertes par le changement ? Car, enfin, de quoi parle-t-on ? De quarante-deux ans de dictature en Libye ! De quarante-deux ans d’une société entièrement verrouillée !

Il appartient aux Libyens d’écrire leur histoire, car il s’agit de leur révolution, pas de la nôtre ! Mais la France est prête à y apporter sa contribution avec ses partenaires.

C’est l’enjeu du groupe de contact, qui est chargé du pilotage politique et de la coordination de l’action internationale en faveur de la Libye et qui ne cesse de s’élargir depuis sa création, en particulier à des États africains ou arabes.

Dans ce contexte, les efforts de médiation se multiplient pour trouver une issue politique à la crise. Je veux évoquer ceux qui sont menés par la Russie ou par l’Union africaine, dont la France appuie l’engagement croissant.

M. le ministre d’État était, voilà quelques heures encore, avec les dirigeants de l’Union africaine. Nous voyons que les positions respectives des différents acteurs sur la modalité de la transition se rapprochent de plus en plus. Il aura l’occasion de vous le préciser tout à l’heure, en répondant à vos questions.

L’envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies doit jouer dans ces circonstances un rôle central pour coordonner les différentes initiatives de médiation.

Indépendamment des opérations militaires, la communauté internationale a décidé de mettre en place un mécanisme financier pour assurer les dépenses d’urgence humanitaire de la Libye libre. L’Italie, le Koweït, le Qatar, l’Espagne, la Turquie et les États-Unis ont annoncé qu’ils y contribueraient. La France, quant à elle, a d’ores et déjà annoncé le dégel de 290 millions de dollars d’avoirs libyens qui étaient jusqu’à présent sous sanction.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pourquoi agir en Libye et pas dans d’autres États où sévissent meurtres et massacres d’innocents ? C’est une interrogation aussi ancienne que les relations internationales, et je ne la balaye pas d’un revers de main.

Nous ne voulons pas de « deux poids, deux mesures », car nous soutenons toutes les aspirations des peuples à la liberté et à la dignité.

Mais c’est ainsi : il y a des lieux, il y a des moments, il y a des circonstances qui font que ce qu’il est possible de faire pour un peuple, il n’est malheureusement pas possible de le faire ailleurs parce qu’il n’y a pas de consensus international.

Ceux qui nous disent : « Pourquoi la Libye et pourquoi pas partout ailleurs ? » ne sont pas seulement candides ; ils sont en vérité pour l’inaction. Ce n’est pas parce que l’on ne peut ou que l’on ne veut intervenir partout que l’on ne doit intervenir nulle part !

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

J’ai entendu les critiques de ceux qui dénoncent les prétendues visées impérialistes des pays conduisant la coalition en Libye. C’est une vieille rengaine qui n’a pas de sens et qui, surtout, néglige l’essentiel.

Face au bombardement de populations civiles désarmées, il y a ceux qui veulent faire quelque chose et il y a ceux qui assistent aux massacres sans réagir.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

La France se range dans la première catégorie, et c’est à son honneur. (Applaudissementssur les travées de lUMP et de lUnion centriste. – MM. Gilbert Barbier et Aymeri de Montesquiou applaudissent également.)

Aujourd’hui, les villes de Benghazi, Misratah, Zentan ou Brega sont connues dans le monde entier. C’est dans ces villes que se joue une partie de l’avenir des valeurs universelles qui sont les nôtres depuis longtemps. C’est dans ces villes que sera battu en brèche le prétendu choix binaire des pays arabes entre régimes autoritaires et régimes islamistes. Et c’est la responsabilité des chefs d’État de la région de se montrer courageux et visionnaires pour répondre aux aspirations de leur peuple.

À cet égard, quel contraste entre le Maroc et la Syrie ! Au Maroc, des réformes pacifiques sont en train de se faire jour sous l’impulsion du roi Mohamed VI. En Syrie, les massacres continuent.

Je veux dire que la France ne déviera pas de sa route et qu’elle continuera de condamner sans faiblesse la répression. La France appelle à la mise en œuvre de profondes réformes politiques à Damas. La France milite pour le renforcement des sanctions. La France tente inlassablement de mobiliser le Conseil de sécurité.

Nous ne relâcherons pas nos efforts, car il est intolérable que le Conseil de sécurité reste muet sur la tragédie syrienne.

Nous ne céderons pas non plus aux intimidations. Ce qui s’est produit à Damas autour des ambassades de France et des États-Unis contrevient à toutes les règles diplomatiques. Je veux dire à nouveau que nous tenons les autorités syriennes pour responsables de la sécurité de nos représentations et de leurs agents en Syrie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tous les peuples de la région peuvent être assurés de notre soutien dans leurs efforts d’affranchissement et de progrès.

Par le « partenariat de Deauville », adopté à l’occasion du G8, par la mobilisation de 40 milliards de dollars sur trois ans, la communauté internationale a tracé le cap de son action pour appuyer le développement démocratique et économique de la région.

C’est dans le même esprit d’exigence que la France multiplie les initiatives pour tenter de sortir de l’impasse le processus de paix au Proche-Orient.

Le statu quo n’est pas une option. L’heure doit être aux négociations, afin que Palestiniens et Israéliens puissent enfin vivre côte à côte dans deux États souverains, aux frontières internationalement reconnues et en pleine sécurité. C’est le message que M. le ministre d’État est allé porter dans la région voilà quelques jours, et c’est sur ce message que la France engage tous ses efforts avec ses alliés européens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’usage de la force armée est toujours lourd de conséquences.

Mais que vaudraient aujourd’hui nos hésitations, nos interrogations et toutes les critiques si Benghazi était tombé et si des milliers de civils supplémentaires avaient été massacrés sous nos yeux impuissants ?

Ceux qui nous reprochent aujourd'hui notre activisme auraient sans doute été les premiers à nous reprocher notre passivité.

Marques d’approbation sur plusieurs travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
François Fillon, Premier ministre

Je me tourne vers la majorité et vers l’opposition avec la conviction qu’il existe sur toutes les travées la même volonté de faire plier le régime libyen et d’ouvrir la voie à l’instauration d’une Libye libre et démocratique.

Comme le veut notre Constitution, en application du troisième alinéa de son article 35, j’ai l’honneur de vous demander l’autorisation de prolonger l’intervention des forces armées françaises en Libye.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. – MM. Gilbert Barbier et Aymeri de Montesquiou applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’exposé remarquable et très complet de M. le Premier ministre ne peut que m’inciter à la concision, car je ne voudrais pas répéter la même chose avec moins de talent.

Si nous devions chercher une justification à notre intervention en Libye, nous pourrions la trouver dans le spectacle que nous donne la Syrie. Bachar el-Assad se livre sur son propre peuple aux exactions que nous avons prévenues à Benghazi.

Le devoir de protéger, fondement de la résolution de l’ONU qui ouvrait la voie à notre action, s’est pleinement exercé.

Je voudrais à mon tour saluer le travail remarquable des diplomaties française et britannique, qui a permis d’obtenir un vote au Conseil de sécurité nous habilitant à agir, et qui nous est par ailleurs refusé pour la Syrie. Ce résultat vous doit beaucoup, monsieur le ministre d’État ; nous devons vous en féliciter.

Vous me permettrez de m’étonner des propos que j’ai entendus ce matin dans la bouche de Mme Aubry.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Elle reprochait au Gouvernement de ne pas avoir agi plus vite qu’il ne l’a fait pour la Libye. Je voudrais simplement rappeler à Mme Aubry, sans intention polémique

Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Quel bilan pouvons-nous dresser de notre intervention après plus de cent jours ?

Tout d’abord, et vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, l’efficacité de nos frappes a permis d’atteindre tous les objectifs qui avaient été visés et de détruire des centres de commandement et des véhicules et de neutraliser l’artillerie de Kadhafi.

La campagne aérienne a permis d’interdire toute initiative tactique d’envergure aux forces de Kadhafi. Elles ont évité le massacre de Benghazi, stoppé l’offensive vers Misratah, levé la pression sur le Djebel Nefoussa et porté des coups importants dans la région de Brega.

Nous constatons que notre pays réalise en moyenne 20 % des missions aériennes et 30 % des frappes au sol. Je voudrais aussi rendre hommage au courage, au professionnalisme et à la grande efficacité dont font preuve nos pilotes d’avions de combat et d’hélicoptères – ils sont très sollicités –, qui, après 4 000 sorties, continuent de prendre des risques importants pour éviter des dommages collatéraux.

Nous pouvons nous réjouir de notre excellente collaboration avec les forces armées britanniques, qui témoigne de l’utilité et de la pertinence du rapprochement initié par le traité franco-britannique de Londres.

Le chef d’état-major de l’armée britannique a tenu la semaine dernière à nous exprimer sa satisfaction devant le très bon fonctionnement de la coopération de nos armées en Libye.

Sur le plan politique, la France, qui avait été la première à reconnaître le Conseil national de transition, a été rejointe par un grand nombre de pays, qui considèrent que le CNT est un interlocuteur représentatif.

Des pays comme la Turquie ou la Chine, qui s’étaient montrés jusqu’alors réservés ou prudents, ont noué des contacts avec le CNT, renforçant par là même sa crédibilité. C’est avec cette instance que la communauté internationale peut esquisser le futur de la Libye.

Pour autant, nous ne pouvons pas ne pas relever un certain nombre de zones d’ombre.

Même si les forces insurgées, mieux armées et mieux encadrées, deviennent plus capables, elles ne sont pas encore en mesure d’emporter la décision sur le terrain. Les frappes aériennes ont, certes, neutralisé les forces de Kadhafi, mais elles n’ont pas définitivement mis fin à sa résistance. En se retranchant au milieu de la population et en lançant des raids contre les villes insurgées, Kadhafi conserve encore une très grande capacité de nuisance, les insurgés ayant du mal à exploiter l’échec de ses contre-offensives.

Nous devons également relever que la Ligue arabe et l’Union africaine sont divisées et qu’elles n’apportent pas un soutien sans ambiguïté au mouvement démocratique qui anime les printemps arabes.

Nous ne pouvons que nous féliciter de la participation, au demeurant efficace, d’un certain nombre de pays arabes à la coalition, mais aussi constater la réserve de beaucoup d’autres, qui sont pourtant directement concernés par la résolution de la crise. Au sein de l’Union africaine, dont il faut rappeler que Kadhafi fut le président, un certain nombre de pays incitent à la négociation avec cette dictature sanguinaire et plaident pour son maintien au pouvoir.

Il nous faut également regretter le rôle très limité de l’Union européenne. L’absence de l’Allemagne, comme les réticences plus ou moins marquées d’un certain nombre de pays européens, reflète la division des États membres. Ni sur le plan politique ni sur le plan militaire l’Europe n’est apparue unie. Elle ne sera présente que dans le cadre d’une opération de soutien à l’action humanitaire et, ultérieurement, dans le cadre de la reconstruction. C’est indispensable, mais aujourd’hui, en Libye comme sur d’autres théâtres, force est de constater que l’Europe est absente.

Faute de quartier général européen permanent, nous avons été obligés de recourir à l’OTAN et à ses capacités de planification. Cette inexistence de l’Europe militaire est d’autant plus préjudiciable que les États-Unis se sont retirés très vite de l’intervention proprement dite, même s’ils continuent de l’appuyer de façon efficace.

Quelle issue pouvons-nous entrevoir pour la Libye ?

Même si la résolution des Nations unies ne faisait pas du départ de Kadhafi la condition préalable d’un cessez-le-feu – même si, donc, nous n’avons pas reçu pour mandat d’éliminer Kadhafi –, il semble impossible qu’il puisse continuer à gouverner son peuple. Nous ne saurions relâcher notre effort militaire tant qu’il cherchera à reconquérir le terrain perdu ou à mener des actions de répression à l’encontre de la population.

Dans le même temps, notre objectif doit être de rechercher activement une solution politique. Les Nations unies, la Ligue arabe et l’Union africaine doivent être sollicitées et doivent conjuguer leurs efforts pour aboutir à un cessez-le-feu, et préserver l’unité de la Libye. Les Africains ne peuvent rester les spectateurs de leur propre histoire : ils doivent en être les acteurs. Sans leur implication déterminée dans la recherche de la paix et la reconstruction de la Libye, ce pays pourrait être la proie du terrorisme et de l’extrémisme et, du même coup, déstabiliser ses voisins.

Soyons sans illusion. Des situations aussi complexes que celle à laquelle nous faisons face ne peuvent se résoudre en quelques semaines. Le pouvoir de Kadhafi se désagrège peu à peu, son isolement s’accroît, ses ressources en armes et en munitions devraient diminuer.

L’action de notre pays est irréprochable. Elle doit être menée jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’au moment où un cessez-le-feu ouvrant des perspectives sérieuses de dialogue entre les Libyens et d’apaisement apparaîtra clairement.

C’est la raison pour laquelle nous voterons pour la prolongation de l’intervention de nos forces armées en Libye.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’indique au Sénat que la conférence des présidents a décidé d’attribuer un temps de parole de vingt-cinq minutes aux porte-parole du groupe UMP et du groupe socialiste, de quinze minutes aux porte-parole des autres groupes et de cinq minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe

Dans la suite du débat, la parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant même de débattre de la situation en Libye, je voudrais rendre hommage aux membres de nos forces armées qui sont actuellement en opérations extérieures.

Récemment en Afghanistan, j’ai de nouveau eu l’occasion de mesurer leur courage et leur professionnalisme, mais aussi de déplorer la mort de deux jeunes soldats d’un régiment parachutiste qui ont encore payé de leur vie leur engagement sur ce théâtre des opérations extérieures de la France. Et le triste bilan s’est encore alourdi hier.

La marine nationale et notre aviation étant engagées en Libye depuis bientôt quatre mois, le Gouvernement nous demande, ainsi que la Constitution lui en fait obligation, l’autorisation de prolonger cette intervention. J’en déduis qu’il est contraint de nous faire cette demande, car les objectifs fixés à l’intervention n’ont pas encore été atteints et que le Gouvernement a besoin d’un délai supplémentaire.

Je récuse ce droit d’ingérence légitimé par l’ONU en 2005, qui prétend déterminer le cadre de notre intervention en Libye. Ne le mettons pas sur le même plan que le droit à l’autodétermination des peuples, ne le confondons pas non plus avec l’aide à apporter aux luttes pour la démocratie et le développement.

Ce nouveau droit international d’ingérence n’est ni plus ni moins que le droit que s’octroient les puissances militaires développées de bombarder des populations dans leur pays, selon des critères le plus souvent dictés par l’OTAN. J’observe, d’ailleurs, qu’il ne s’applique qu’aux adversaires de l’OTAN et jamais à ses amis.

La question que nous devons donc nous poser avant d’autoriser ou non la prolongation de cette opération est de savoir si les objectifs n’ont pas été atteints ou s’ils ont changé entre-temps.

Il est en effet aujourd’hui évident que le relatif consensus de la communauté internationale autour de la résolution 1973, obtenu grâce à l’abstention de la Russie et de la Chine, se fissure. Les Allemands sont hostiles à la poursuite de l’intervention, comme l’est aussi le Congrès, aux États-Unis, qui a refusé au président Obama de voter le texte qui autorisait la campagne en Libye.

La Ligue arabe et l’Union africaine sont maintenant réticentes, les peuples européens sont divisés et les opinions publiques des pays engagés, je pense notamment à la France, semblent être de plus en plus hostiles à la forme que prend cette intervention.

Alors qu’il n’était pas envisagé que cette opération excède quelques semaines, la situation actuelle doit nous inciter à nous interroger sur les raisons de sa durée et sur la justification du prolongement qui nous est demandé.

Un récent sondage de l’IFOP nous apprend, par exemple, que désormais une courte majorité de Français, 51 % d’entre eux, la désapprouvent. Peut-être est-ce là le signe que nos concitoyens commencent à percevoir qu’il s’agit non pas d’une opération purement humanitaire, mais bien d’une guerre pour défendre des intérêts économiques et stratégiques.

La présence très importante de grands groupes français sur le territoire libyen et les intérêts financiers en jeu éclairent aussi les objectifs visés.

Ce rejet s’explique également, sans doute, par une durée d’intervention plus longue que celle qui avait été initialement annoncée par le Gouvernement, par plusieurs centaines de morts, par environ 700 0000 réfugiés en Tunisie et en Égypte, et par un coût élevé dont les dépassements ont été estimés par le ministre de la défense à quelque 160 millions d’euros sur trois mois.

Lors du débat tenu dans cet hémicycle quelques jours après le début des frappes aériennes, le groupe CRC-SPG s’était clairement opposé à cette opération, car il considérait que l’argument de la protection des populations civiles qui fonde la résolution du Conseil de sécurité n’était qu’un prétexte masquant d’autres intentions.

Même si la situation sur le terrain a légèrement évolué ces jours-ci, puisque les opposants se sont rapprochés de Tripoli, je persiste à croire que nous sommes confrontés à un blocage militaire et politique.

Officiellement, l’opération militaire ne visait qu’à instaurer une zone d’exclusion aérienne pour protéger la population civile du massacre qu’avait annoncé le colonel Kadhafi pour Benghazi.

Toutefois, bien qu’elle ne fixe ni calendrier ni objectif précis, la résolution ne visait nullement le renversement du régime libyen.

Or, au fil du temps, cet objectif est de plus en plus clairement apparu dans les motivations de notre pays ainsi que dans celles des dirigeants britanniques.

À cet égard, les déclarations, dimanche soir, du ministre de la défense paraissent traduire une légère inflexion du Gouvernement, puisqu’il n’a plus lié directement l’arrêt des bombardements au départ de Kadhafi de Libye.

Il n’en reste pas moins que, sous l’angle de la stricte légalité internationale, les opérations visant la personne même du colonel Kadhafi pour faire tomber le pouvoir en place à Tripoli n’étaient pas couvertes par le mandat de l’ONU.

Il faut se rendre à l’évidence : plutôt que des civils pacifiques et sans armes, nos forces ont peu à peu été amenées à soutenir et à protéger des opposants armés qui marchent sur Tripoli pour renverser le régime.

C’est pourquoi, en subordonnant implicitement la réussite de l’opération à l’élimination du régime libyen et à la mise à l’écart de son dirigeant, la coalition à laquelle nous participons s’est elle-même mise en difficulté en étant tenue à une victoire militaire rapide.

En jouant sur l’interprétation du mandat confié par l’ONU, vous avez également pris le risque d’entamer la légitimité de la résolution 1973. Votre interprétation a contribué à briser le fragile consensus qui avait entouré l’adoption de celle-ci.

La Russie s’engouffre maintenant dans cette brèche pour considérer, à juste titre, que la résolution a été détournée de son sens afin de cautionner une entreprise de renversement d’un régime par la force, en appuyant un camp contre l’autre dans une guerre civile entre Libyens.

L’intensification des bombardements et l’utilisation d’hélicoptères de combat pour affiner les frappes ont démontré que l’objectif de chasser Kadhafi du pouvoir était quasi impossible à atteindre par des moyens militaires. C’est en outre un signe de faiblesse politique, car si vous pensiez que Kadhafi était prêt à partir, vous ne seriez pas obligés de demander cette prolongation.

En plus de l’appui aérien de l’OTAN, notre pays a aussi pris l’initiative de parachuter des armes légères aux rebelles. Ces largages, que nous avons rapidement interrompus après que les Britanniques eurent formulé leurs réticences en la matière, n’ont fait qu’accentuer les divergences au sein de la coalition et renforcer les critiques des adversaires de l’intervention militaire.

L’opération dont vous avez pris la tête avec la Grande-Bretagne, officiellement décidée dans un but humanitaire, tente par ailleurs de faire oublier votre retard à réagir aux printemps de Tunisie et d’Égypte.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

C’est vrai, même si cela ne vous fait pas plaisir !

Cette opération vous sert, en réalité, à justifier la politique de puissance de la France sur la scène internationale et vous donne accessoirement l’occasion de vous débarrasser d’un ancien allié incontrôlable, devenu bien encombrant.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Mme Michelle Demessine. Souvenez-vous que vous avez reçu, avec tous les honneurs, ce dictateur, qui était l’un des principaux instigateurs du terrorisme international !

Exclamations indignées sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Tout à fait ! On ne va pas remonter jusqu’à Pépin le Bref, quand même !

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Mais, puisque le Président de la République a pris la décision d’intervenir dans cette guerre civile, il est nécessaire de s’interroger sur les conséquences du soutien apporté à ces opposants regroupés au sein de la nébuleuse qu’est le Conseil national de transition.

Malgré les informations et les mises en garde préalables de nos services de renseignements et de certains de nos diplomates, le Président de la République, sur les conseils d’un philosophe éclairé, s’est précipité pour offrir une reconnaissance internationale à un mouvement dont on ne savait ni ce qu’il représentait ni précisément ce qu’il voulait.

Dans cette décision quelque peu aventuriste, on a surestimé les capacités politiques et militaires de la rébellion libyenne et sous-estimé la capacité de résilience des forces fidèles au régime.

La posture du Président de la République s’est ainsi rapidement heurtée à la réalité et à la complexité des situations sur le terrain. Avez-vous suffisamment mesuré les conséquences négatives que risque d’entraîner ce soutien mal contrôlé au Conseil national de transition ?

Pratiquement dès le début des opérations militaires, des spécialistes des relations internationales et des questions de sécurité et de défense, ainsi que des journalistes, ont été nombreux à analyser ce conflit. Tous en ont relevé la dimension provinciale et le caractère de dissidence revancharde. Ils soulignaient également que ce soulèvement armé tentait de profiter du contexte de sympathie qu’avait suscité « le printemps arabe » dans certains pays d’Europe.

Dans un récent rapport rédigé par deux instituts spécialisés dans les relations internationales et le renseignement, rapport qui a été adressé à un grand nombre de nos collègues, la composition et les objectifs du CNT sont ainsi décrits : « Le CNT se révèle n’être qu’une coalition d’éléments disparates aux intérêts divergents, dont l’unique point commun est leur opposition déterminée au régime. Les véritables démocrates n’y sont qu’une minorité et doivent cohabiter avec d’anciens proches du colonel Kadhafi, des partisans d’un retour de la monarchie et des tenants de l’instauration d’un islam radical. »

Ce dangereux cocktail de forces et de personnalités attachées à la défense d’intérêts très divers promet, vous en conviendrez, un avenir très incertain.

Votre intervention, qui, aux yeux du monde arabo-musulman, est entachée d’un label « occidental » va, en définitive, créer plus de problèmes qu’elle n’en résoudra.

Il existe une forte probabilité de déstabilisation du Maghreb, et de la région sahélienne. En outre, à l’heure où réapparaissent au grand jour en Tunisie et en Égypte des mouvements islamistes fondamentalistes, vous prenez le risque de remettre le pouvoir à des éléments de la société libyenne proches de l’islam radical, tout aussi peu démocrates que le régime actuel, et de provoquer une partition du pays. Le remède risque ainsi d’être pire que le mal que vous prétendez éliminer.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

C’est la raison pour laquelle, forte des mises en garde des spécialistes et assurée du bon sens de l’opinion publique, je ne me sens aucunement isolée en prenant, avec mon groupe, une position qui va à l’encontre du consensus ambiant.

Le Gouvernement, en prenant, avec la Grande-Bretagne, l’initiative d’une intervention décidée sans concertation avec nos voisins et amis allemands, s’est lancé dans cette aventure en sous-estimant gravement les répercussions négatives qu’elle pourrait entraîner dans le monde arabe.

Certes, les gouvernants de ces pays ne se sont pas opposés à l’intervention, mais l’on perçoit bien que la rue, les opinions publiques la réprouvent, et lui sont même parfois franchement hostiles. C’est aussi sans doute ce qui peut expliquer les revirements et les tergiversations du secrétaire général de la Ligue arabe.

Prolonger les frappes aériennes ne peut donc être la solution pour sortir de l’impasse militaire et politique à laquelle sont confrontés notre pays et la coalition à laquelle il participe. Il faut maintenant changer radicalement de méthode, ne pas jouer sur les deux tableaux et passer à une phase décisive qui privilégie la recherche de toutes les pistes de négociations par rapport à l’intervention militaire.

En tout état de cause, une sortie de crise passe d’abord par un véritable cessez-le-feu, sous contrôle international et concomitant d’un arrêt des bombardements. De ce point de vue, la dernière réunion du groupe de contact à Abou Dhabi, avec la « feuille de route » qui a été adoptée, n’est que partiellement satisfaisante. Pour être efficace, il faudrait obtenir, par une action diplomatique déterminée, que cette feuille de route soit maintenant acceptée et soutenue par la Ligue arabe, l’Union africaine, mais aussi par la Russie et par la Chine.

Je souhaite que la présentation qui en sera faite demain devant le Conseil de l’OTAN soit l’occasion d’obtenir des éclaircissements sur les modalités de suivi d’un cessez-le-feu ainsi que sur la place et le rôle du CNT dans le processus politique de transition.

Enfin, il faut dès maintenant préparer activement cette période de transition politique en donnant un rôle prépondérant aux représentants de l’ONU – en associant la Ligue arabe et l’Union africaine – chargés d’engager un dialogue national impliquant toutes les composantes de la société libyenne, dialogue qui devrait déboucher sur une assemblée constituante permettant la tenue d’élections démocratiques.

Je sais, et je l’apprécie, que les nombreuses initiatives diplomatiques du ministre des affaires étrangères vont dans ce sens. Je suis donc, pour cette raison précise, convaincue que la poursuite indéterminée des frappes aériennes qui nous est demandée serait contre-productive et ne peut être la bonne façon de sortir de cette crise libyenne.

Vous comprendrez donc, dans ces conditions, que le groupe CRC-SPG vote contre l’autorisation de cette prolongation.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. Protestations sur certaines travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de l’engagement de nos troupes en Libye est l’occasion de dresser un premier bilan de notre intervention avant d’évoquer quelques perspectives quant à la présence des forces européennes en Méditerranée.

Avant toute chose, les sénateurs centristes saluent, comme l’ont fait M. le Premier ministre et M. le président de la commission des affaires étrangères, l’engagement courageux de nos soldats sur le théâtre d’opérations libyen. Les forces françaises ont jusqu’à présent rempli avec honneur et efficacité les missions qui leur ont été confiées.

L’intervention aérienne a été particulièrement efficace dans le cadre de ce que prévoyait le mandat de volontariat opérationnel des Nations unies. Benghazi n’a pas été reprise par les forces loyales au colonel Kadhafi. Le Conseil national de transition a été très largement reconnu comme l’autorité politique légitime en terre libyenne. La grande rivière artificielle qui alimente en eau la côte et l’arrière-pays a été opportunément épargnée.

L’ouest du pays et l’essentiel de la côte tripolitaine restent encore sous le contrôle du pouvoir en place. Il faut tristement reconnaître que l’intervention aérienne et la mobilisation des opinions publiques libyenne et internationale n’ont pas été suffisantes pour que Kadhafi quitte rapidement le pouvoir.

Le bilan, dès lors, est simple à établir.

Depuis quatre mois, la situation semble bloquée. Les dépêches font la chronique des villes prises et reprises d’un camp par l’autre. Si la présence aérienne de la coalition empêche toute victoire des forces de Kadhafi, les rebelles ne sont toujours pas parvenus à remporter une victoire décisive sur Tripoli.

Pour l’heure, la seule solution que la France a pu apporter à ces paradoxes tactiques et stratégiques est d’armer les rebelles libyens.

S’il faut saluer leur courage, nous ne pouvons que regretter leur manque de préparation et d’organisation. Tout manque dans une révolution, et l’enthousiasme s’amenuise à mesure que la situation s’enlise.

La fin du conflit reste incertaine. Kadhafi n’a plus les moyens de reprendre la main sur l’ensemble du territoire libyen. Cela n’est pas synonyme d’un départ ou d’une victoire annoncée. En l’état actuel, personne ne peut prévoir à quel moment les forces loyales seront épuisées au point de ne plus pouvoir continuer la lutte. De la même manière, nous ne connaissons que trop mal l’état des forces du Conseil national de transition.

La progression est plus lente, plus difficile et plus incertaine que nous ne l’envisagions tous il y a quelques mois, mais ce n’est pas une raison suffisante pour arrêter là nos efforts.

À un tel niveau d’engagement, le scepticisme serait un péché mortel. Le groupe de l’Union centriste accordera donc sa confiance au Gouvernement pour maintenir nos troupes sur les côtes et dans le ciel de Libye.

Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Notre soutien appelle cependant quelques observations quant au bilan que nous venons d’établir. Ce bilan est le produit de la conjonction de trois paradoxes majeurs.

La résolution 1973 du Conseil de sécurité a mis en avant une notion nouvelle dans le paysage du droit international public : l’intervention pour la protection des populations civiles, plus légitime et opérationnelle que le « droit d’ingérence », madame Demessine.

Le mandat confié au volontariat opérationnel de la coalition s’inscrit en porte-à-faux avec les objectifs politiques de plusieurs des États engagés, à savoir la destitution d’un dictateur et, avec lui, d’un système politique d’oppression. Ce mandat ne nous permet pas d’intervenir au sol pour appuyer les insurgés libyens.

Or une intervention aérienne, à elle seule, n’a jamais été suffisante pour déloger un dirigeant de sa place forte. Les États-Unis en avaient déjà fait l’expérience en 1998, lors d’une série de frappes ciblées sur Bagdad. Il aura fallu une intervention terrestre en 2003 pour chasser Saddam Hussein du pouvoir.

Une issue diplomatique est donc toujours d’actualité. Si plusieurs processus sont actuellement en cours, la voie d’une partition a été définitivement écartée, et depuis longtemps. La question en suspens est donc de savoir comment inciter le colonel Kadhafi à quitter le pouvoir au plus vite afin de ne pas laisser une Libye exsangue et contaminée par le germe de la guerre civile.

S’il faut nous féliciter de la décision de la Cour pénale internationale de délivrer à l’encontre du dictateur un mandat d’arrêt international, nous devons également noter que cette décision ne fait que l’inciter encore davantage à s’accrocher au pouvoir. À long terme, le choix lui est laissé entre l’exil dans un pays non signataire du traité instaurant la CPI, la reddition à la justice internationale ou la capitulation.

Le bilan de l’opération de protection aérienne des populations est lui aussi paradoxal. Les frappes aériennes acculent une population déjà opprimée et manquant de tout ce qui est nécessaire à la fuite. Le désert tunisien est le principal refuge des réfugiés libyens. Le camp qatari de Tataouine compterait déjà plus de cinq cents familles libyennes. Le ministère de la défense tunisien estime que près de 70 000 Libyens sont actuellement réfugiés sur son sol, et ce chiffre est bien faible au regard des 430 000 réfugiés qui n’ont fait que transiter en Tunisie.

Le troisième paradoxe n’est pas d’ordre tactique ou humanitaire, il est stratégique. Le conflit libyen témoigne d’un véritable basculement de la présence des puissances militaires globales dans la Méditerranée.

Les États-Unis sont actuellement les seuls à disposer des moyens suffisants pour mener et coordonner une campagne aérienne. Les forces européennes ne semblent pas encore à même de maîtriser avec une efficacité comparable la suppression des défenses antiaériennes, mais également la transmission de données par bande passante ou le ravitaillement en vol.

Or la récente doctrine américaine du « leadership depuis l’arrière » témoigne de la lassitude du peuple américain devant la perspective d’engager de plus en plus de troupes dans des théâtres d’opérations de plus en plus nombreux. La campagne de Libye marquera peut-être un tournant historique qui verra une présence plus diffuse des États-Unis dans la région, soit la clôture d’un cycle amorcé voilà un demi-siècle avec la crise du canal de Suez en 1956.

Les enjeux politiques, démographiques, migratoires et écologiques autour de la Méditerranée sont bien trop importants pour que nous nous laissions gagner par le découragement.

Comme vous l’avez très justement déclaré dans un entretien au Figaro, monsieur le ministre de la défense, la Libye est une épreuve de vérité pour les forces et la diplomatie française. J’irai plus loin, comme vous l’avez d'ailleurs fait vous-même : c’est avant tout un défi pour l’Europe. La crise libyenne atteste un manque croissant d’Europe dans le monde. La consolidation de l’édifice européen et la sécurité pour tous les peuples de la Méditerranée passera nécessairement par l’Europe de la défense.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Elle a du plomb dans l’aile ! Les promesses sont loin !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

La diplomatie française s’est illustrée aux Nations unies en parvenant à obtenir le vote de la résolution 1973. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, c’est à la France de prendre l’initiative en Europe.

Nous, sénateurs centristes, restons profondément attachés à l’idée européenne. Le conflit libyen a mis une fois de plus en exergue l’incapacité des pays membres à adopter une position interventionniste commune. L’Allemagne, notamment, en s’abstenant de voter au Conseil de sécurité la résolution 1973, a refusé de s’engager dans le conflit.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la défense de l’Europe et la garantie de la paix dans la Méditerranée doivent devenir les premières de nos priorités stratégiques. L’Europe souffre de son manque d’unité et de solidarité. C’est avant tout une question de crédibilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Cette carence s’illustre aussi bien dans la crise des dettes souveraines des États membres de la zone euro que dans le champ des relations internationales. L’absence de l’Union dans la coalition est un aiguillon qui doit nous inciter à progresser davantage dans deux voies : un approfondissement majeur de l’intégration européenne ; une coopération encore plus renforcée en matière de politique étrangère et de défense.

Comme nous le savons tous ici, nos marges de manœuvre budgétaires sont particulièrement contraintes. Le Livre blanc sur la défense de 2008 prévoit en effet de consacrer plus de 300 milliards d’euros aux dépenses militaires à l’horizon de 2020. La crise de nos finances publiques retardera certainement l’achèvement de cet objectif.

À une échelle plus réduite, l’opération en Libye nous aurait déjà coûté près de 160 millions d’euros. Ce n’est pas cher payé pour asseoir la démocratie hors de nos frontières ; cela doit nous servir de signal fort pour nous engager dans la voie d’une mutualisation de nos moyens d’actions à l’échelle européenne.

Ces considérations budgétaires couplées aux paradoxes stratégiques d’une présence moins marquée des Américains dans la région doivent nous pousser plus avant dans la construction d’un ministère européen de la défense et dans le renforcement de l’appareil diplomatique de l’Union.

L’occasion nous est donnée d’approfondir la réflexion vers un partenariat stratégique encore plus étroit avec nos alliés anglais dès lors qu’il s’agit de projection d’envergure de nos forces à grande distance. Mais il faudrait aussi que nos partenaires anglais acceptent l’idée d’une défense européenne, ce qui est loin d’être le cas actuellement.

Au-delà d’un simple problème de logistique, c’est la gouvernance de l’intégration européenne qui doit être reconsidérée. Tant que l’Europe ne parviendra pas à parler d’une seule voix sur la question méditerranéenne, l’Union ne pourra pas s’imposer au monde comme une puissance majeure.

Personne ne sait encore quelle sera l’issue du conflit libyen. Ce que nous savons d’ores et déjà, c’est qu’en tant qu’Européens nous sommes à la croisée des chemins entre, d’un côté, la faiblesse et l’impuissance et, de l’autre, la sûreté et la démocratie. Pour reprendre encore les propos de M. le ministre de la défense, la Libye « c’est une épreuve de vérité pour la détermination des Européens à construire un espace de paix dans leur environnement immédiat ».

Le printemps arabe et la campagne de Libye attestent l’intérêt que la France et les autres pays riverains auraient à relancer le processus de construction d’une Union pour la Méditerranée, comme l’a souhaité le Président de la République. La chute de nombreux régimes autoritaires de la rive sud est un facteur historique, une opportunité unique pour la France et l’Europe de nouer plus avant des liens avec le monde arabe et de favoriser l’entente avec des démocraties naissantes.

La question syrienne est exemplaire à cet égard. Le même schéma est à l’œuvre, à savoir celui d’un pays méditerranéen, d’un peuple arabe en lutte contre un régime dictatorial qui n’hésite pas plus que le pouvoir libyen à faire tirer sur sa propre population.

L’engagement pour protection des populations pourrait très bien s’appliquer à cette situation. Le défaut d’engagement des États-Unis, le manque de moyen des pays européens, la faiblesse intrinsèque de l’Europe de la diplomatie et de la défense actuelle empêchent de rejouer aux Nations unies la partition de février dernier et d’arracher une nouvelle résolution.

La faiblesse diplomatique et stratégique due au manque d’unité de l’Europe ne nous permettra pas, s’il le fallait, de soutenir la population syrienne ni le reste des pays riverains de la Méditerranée. Pour l’heure, nos moyens ne nous autorisent qu’à soutenir les insurgés libyens, et c’est ce que nous nous attacherons à faire en prorogeant notre engagement militaire là-bas.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour le groupe socialiste.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une question qui préoccupe grand nombre de nos compatriotes. En effet, il nous revient, aux termes mêmes de notre Constitution, d’autoriser, ou non, la prolongation de l’intervention de nos forces armées en Libye. Nous sommes ainsi au cœur de nos prérogatives parlementaires.

Nous avons conscience de débattre d’un sujet qui touche nos concitoyens au plus profond d’eux-mêmes, un sujet qui engage notre diplomatie et notre défense, et dont dépend, en partie, la stabilité à court et moyen terme de toute une partie du monde.

À l’heure de ce débat, vous me permettrez d’abord de penser à nos soldats engagés en Libye, mais aussi ailleurs dans le monde, sur les théâtres d’opération où la France est présente. Mes pensées vont à eux, qui se battent ; elles vont à leurs familles et à leurs proches, qui craignent pour leur vie et attendent leur retour, une fois la mission accomplie.

Vous me permettrez aussi d’adresser un message de solidarité à nos diplomates et à nos personnels de l’ambassade de France en Syrie. Les actes graves et injustifiables qui, à travers eux, visent aujourd’hui la France doivent conduire à un changement de cap de la communauté internationale à l’égard de la Syrie.

Très bien ! sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Le régime syrien ne doit pas pouvoir agir impunément contre son propre peuple. Nous savons que la France a déposé auprès du Conseil de sécurité des Nations unies, avec d’autres pays européens, une proposition de résolution : il appartient désormais au Conseil d’agir.

Lors de notre premier débat sur la Libye, le 22 mars dernier, Jean-Louis Carrère avait, au nom du groupe socialiste, indiqué avec force notre position. Il avait rappelé notre soutien à la résolution 1973, tant dans son inspiration que dans les actions sur lesquelles elle a débouché concrètement. Notre collègue avait demandé que les objectifs stratégiques poursuivis soient portés à la connaissance du Parlement et que celui-ci soit informé et associé en temps réel à l’ensemble des décisions qui engagent notre pays.

Depuis cette date, notre position de principe n’a pas changé, sur le fond. Dans le même temps, nous considérons que de nombreuses questions restent ouvertes, malgré le travail approfondi accompli par les commissions parlementaires compétentes, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. En conséquence, il appartient au Gouvernement de répondre de manière claire, nette et précise à l’ensemble des interrogations du Parlement. J’espère que le présent débat sera à cet égard l’occasion de réelles avancées.

Monsieur le Premier ministre, nous le savons tous : lorsqu’est en cause la place de la France dans le monde, lorsque de notre action dépend la vie de nos soldats, une seule considération doit, plus encore qu’en tout autre domaine, guider nos votes et inspirer nos décisions : c’est l’intérêt général, l’intérêt de notre pays. C’est en tout cas dans ce sens que nous nous exprimons depuis le début.

Aussi me permettrez-vous de développer ici notre position de fond, afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté sur ce sujet.

Aux origines de l’engagement de nos forces, il y eut les massacres terrifiants perpétrés par le colonel Kadhafi à l’encontre des opposants et, plus généralement, des populations civiles. Puis, alors que le régime était sur le point de prendre Benghazi, la deuxième ville du pays, et assiégeait Misratah, la troisième, dont les populations en révolte contre la dictature n’étaient pas en mesure de se protéger elles-mêmes, d’emblée, nous avons demandé que l’on puisse protéger les populations innocentes livrées sans défense à la répression brutale qui s’abattait sur elles.

Beaucoup ont considéré, y compris parmi les Libyens eux-mêmes, que notre pays et la communauté internationale tout entière tardaient à agir, confirmant malheureusement ce que nous considérions comme des erreurs d’analyses commises par notre diplomatie depuis plusieurs années.

Lorsqu’est venue l’heure de l’action, nous n’avons pas changé d’avis : nous étions favorables à la résolution 1973 du Conseil de sécurité, ouvrant la possibilité d’utiliser tous les moyens, y compris militaires, pour protéger les populations civiles de Libye, tout en excluant une intervention au sol.

Notre pays, membre du Conseil de sécurité, voix influente et écoutée dans le concert des nations, doit assumer son rôle et ses responsabilités à l’égard d’une population en danger en prenant toute sa part à la résolution du drame libyen.

Ainsi, mes chers collègues, avons-nous fait le choix d’être une opposition responsable, sachant être à la hauteur des exigences de la situation.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Nous n’en avons pas pour autant donné de blanc-seing au Gouvernement pour son action, vous n’attendiez d’ailleurs pas cela de nous.

En effet, de nombreuses questions restent posées. Certaines ont été soulevées lors de notre dernier débat ; d’autres l’ont été à l’occasion de nos réunions de commissions ; mais la plupart attendent encore des réponses satisfaisantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La première série de questions concerne le diagnostic précis sur l’état des opérations militaires, un point que vous avez évoqué tout à l’heure, monsieur le Premier ministre. Force est de constater que nous ne disposons à ce sujet que d’éléments parcellaires. Nous souhaiterions être tenus davantage informés. Pouvez-vous nous en dire plus, en insistant notamment sur ce qui se passe au sol en Libye ?

Par ailleurs, cette opération a démontré, s’il en était besoin, les limites actuelles de l’équipement de nos forces, notamment pour ce qui est des ravitailleurs, des drones, voire de certaines munitions. Elle prouve aussi notre difficulté à nous projeter simultanément sur plusieurs théâtres d’opérations. Que pensez-vous de l’état de l’outil militaire et de sa capacité à honorer les importantes missions qui lui incombent en matière de défense nationale ?

La deuxième série de questions concerne le pilotage politique de l’opération.

En premier lieu, comment analyser le positionnement de la Ligue arabe ? Son implication est essentielle pour l’issue du dossier. Elle conditionne en particulier, vous le savez bien, la manière dont seront ressenties par les populations, sur le terrain, les opérations en cours. Que la Ligue arabe adhère à l’opération et joue pleinement le jeu, et il sera très difficile d’accuser la communauté internationale d’un quelconque interventionnisme. Que, au contraire, il y ait du flottement, et la volonté louable de porter assistance à un peuple en danger pourrait être dénoncée comme une méconnaissance déguisée de la souveraineté de la Libye, voire comme une ingérence indue dans les affaires de l’Orient.

La Ligue arabe avait elle-même demandé, le 12 mars dernier, une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye, ainsi que le rappelle d’ailleurs expressément la résolution 1973. Quelle est sa stratégie aujourd’hui ?

La même question, avec des implications similaires, doit naturellement être posée, comme vous l’avez fait, monsieur le Premier ministre, concernant l’Union africaine, qui semble chaque jour plus critique à l’égard des opérations en cours.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Concernant toujours le pilotage politique des opérations, se pose naturellement la question de la cohérence européenne et de la pertinence de notre positionnement dans l’OTAN.

L’Europe, nous le voyons chaque jour depuis le début des opérations, n’a pas réussi à parler d’une seule voix. Dès le vote de la résolution au Conseil de sécurité, nos amis allemands ont décidé de s’abstenir. Et, d’une manière générale, l’absence d’Europe diplomatique et d’Europe de la défense est apparue cruellement au cours des derniers mois.

Surtout, l’affaire libyenne démontre, si besoin en était, les limites de la réintégration au sein du commandement militaire intégré de l’OTAN décidée par le Président de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

En effet, pouvez-vous nous garantir, au vu des mois écoulés et de la situation présente, que notre pays est souverain dans ses choix militaires en Libye ? Sommes-nous assurés de prendre pleinement part, à chaque instant, aux décisions qui concernent l’engagement de nos moyens militaires et humains en Libye ?

En un mot comme en mille, disposons-nous d’une réelle marge de manœuvre stratégique dans le cadre du commandement actuel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Une troisième série de questions se rapporte aux objectifs stratégiques de notre action.

Ici encore, la question est posée depuis le début : voulons nous renverser le pouvoir en place avec, pour objectif, un changement de régime ? L’objectif est-il d’installer un gouvernement issu, d’une manière ou d’une autre, du Conseil national de transition de Benghazi ? Ou bien une mise sous tutelle internationale de la Libye est-elle envisagée ?

Le mandat des troupes doit être affiché de manière claire, sans équivoque, et il doit être porté à la connaissance du Parlement à l’occasion du vote d’aujourd’hui pour nous permettre de nous exprimer de manière éclairée en disposant de l’ensemble des éléments.

Enfin, bien sûr, se pose la question des perspectives pour la Libye dans le contexte d’un monde arabe en profonde mutation. Notre conviction à cet égard est simple : l’action militaire est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante à elle seule pour apporter la paix et engager la Libye sur la voie des droits de l’homme et de la démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

L’objectif de la communauté internationale doit être, certes, la fin de la dictature, mais pour permettre aux Libyens eux-mêmes de construire la solution politique dont le pays et le peuple ont besoin.

La France doit rappeler les conditions indispensables au processus de transition démocratique : le départ de M. Kadhafi et la fin de son régime, l’arrêt de toute répression politique, le respect des droits de l’homme et des libertés, le respect de l’intégrité et de la souveraineté de la Libye ainsi que des droits des différentes composantes de la société libyenne.

Les pays de la région, la Ligue arabe et l’Union africaine ont joué un rôle déterminant dans le secours à la population libyenne, notamment en accueillant les réfugiés. Il est nécessaire qu’ils puissent continuer à jouer un rôle dans la phase de transition politique. La Tunisie et l’Égypte doivent être fortement aidées par la communauté internationale, sur le plan politique comme sur le plan humanitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Enfin, l’Union européenne doit apporter des réponses concrètes et rapides à cette crise ouverte sur la rive sud de la Méditerranée, dans le cadre d’une politique de voisinage ambitieuse. Les destins des peuples vivant sur les deux rives de la Méditerranée sont liés, et il nous appartient de concrétiser ce lien par des mesures adéquates et des politiques adaptées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Mes chers collègues, notre position est sans ambiguïté, et j’espère l’avoir exprimée ainsi. Nous ne signons pas de chèque en blanc au Gouvernement sur la question libyenne. Au contraire, nous sommes déterminés à rester fidèles à la triple exigence qui a toujours été la nôtre dans ce dossier : l’exigence de responsabilité, l’exigence du contrôle démocratique sur les opérations en cours, l’exigence d’une vigilance active et critique sur l’ensemble des questions qui se posent.

Nous jugeons la poursuite de l’engagement en Libye nécessaire à ce stade, dans le cadre du mandat des Nations unies, tout en rappelant que, au-delà de l’intervention militaire, une feuille de route politique est indispensable pour l’avenir de ce pays et sa transition démocratique.

Je veux donc vous indiquer que notre groupe votera en faveur de la poursuite de l’intervention en Libye, tout en demandant avec force que des réponses claires soient apportées sans délai à l’ensemble des questions et interrogations que nous aurons soulevées au cours de ce débat.

Permettez-moi cependant de préciser avec autant de force que, si notre vote est aujourd'hui favorable, il ne fige pas pour autant notre position pour l’avenir. En effet, et c’est bien ce que l’on attend d’une opposition responsable, nous nous déterminerons lucidement, au regard de l’évolution de la situation sur le terrain dans les semaines et les mois qui viennent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

M. Jean-Pierre Bel. Quoi qu’il en soit, je vous demande, monsieur le Premier ministre, de vous engager aujourd’hui à revenir devant nous, à la rentrée, pour présenter un nouveau point de situation suivi d’un débat. Ce débat, nous le devons à la représentation nationale, parce que nous le devons aux Français.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Michel Baylet, pour le groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 22 mars dernier, nous avons débattu ici même de l’engagement des forces françaises en Libye aux côtés de quinze autres pays mobilisés pour l’application de la résolution 1973 votée par le Conseil de sécurité des Nations unies quelques jours auparavant.

C’est sur le fondement du principe de la « responsabilité de protéger » que les pays coalisés se sont fixé pour objectif de garantir la sécurité du peuple libyen.

Comment ne pas souscrire à ce principe de protection des populations civiles ?

Attentifs aux aspirations démocratiques des Libyens et inquiets de la répression féroce exercée par le Guide contre son peuple, les radicaux de gauche se sont montrés favorables à l’engagement de militaires français dans cette région, sous réserve bien entendu que nos forces se cantonnent dans la stricte application de la résolution 1973.

Aujourd’hui, nous devons nous prononcer, conformément à la révision constitutionnelle, sur la prolongation de cette intervention, qui excédera bientôt quatre mois.

Tout naturellement, nous pensons en premier lieu, dans ce débat, à nos soldats engagés en Libye, comme à ceux qui sont engagés sur l’ensemble des territoires opérationnels.

Mes chers collègues, en visant les défenses antiaériennes et les centres de commandement de Kadhafi, les premières frappes aériennes ont permis de stopper les forces loyales arrivées aux portes de Benghazi – il était temps ! – pour en découdre avec les rebelles.

Les premières opérations, menées principalement par les Américains, les Français et les Britanniques, ont permis de protéger la population de la ville côtière du bain de sang annoncé, proclamé par le fils du Guide lui-même. Si l’on a pu à un moment redouter un enlisement, l’avancée significative des insurgés sur la route de Tripoli a, ces derniers jours, redonné espoir.

Nous devons donc, mes chers collègues, accompagner cette progression. Mais nous devons aussi, bien entendu, rester dans le cadre du mandat qui nous a été confié par les Nations unies. Rappelons-le après d’autres, il nous revient non pas de renverser directement le régime de Kadhafi, mais seulement d’aider le peuple libyen à devenir maître de son destin.

Quelle sera l’attitude des pays coalisés en cas de résistance à Tripoli, ce qui n’est pas à exclure, compte tenu de la fidélité historique de la capitale libyenne au Guide ? Outre notre obligation de retenue sur le plan opérationnel, qui nous interdit tout envoi de troupes au sol, nous devons aussi ménager certains acteurs qui, dans la région, s’impatientent. Je pense en particulier à la Ligue arabe et à l’Union africaine, qui doivent faire supporter à l’opinion publique des pays qu’ils représentent le spectacle d’avions occidentaux bombardant un pays arabe.

Ajoutons à tout cela que les dommages collatéraux ne pourraient que s’amplifier si le conflit devait encore durer longtemps.

Je pense surtout au drame humanitaire qui se joue à la frontière tuniso-libyenne.

Par ailleurs, la France s’était très tôt engagée auprès du Conseil national de transition à larguer des armes légères et des munitions dans les montagnes du Djebel Nefoussa. Cette initiative s’inscrit, nous le savons, hors du cadre de l’OTAN. C’est un point sur lequel vous devez, monsieur le ministre, vous expliquer. Est-il raisonnable de procéder à des largages d’armes qui pourraient alimenter un trafic au bénéfice des organisations terroristes, très présentes dans cette zone ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Baylet

Enfin, la prolongation de l’intervention des forces françaises en Libye pose la question de la durée. Avons-nous les moyens d’intervenir très longtemps ? À en croire le chef d’état-major de la marine française, la réponse est négative, d’autant plus que le budget des opérations extérieures, s’il a été réévalué dans le cadre de la loi de finances pour 2011, n’est pas extensible à l’infini.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré ces quelques réserves, et compte tenu du caractère humanitaire de cette intervention, mais aussi parce que nous considérons qu’il est indispensable de soutenir nos troupes engagées dans des opérations extérieures, les radicaux de gauche voteront la prolongation demandée.

Applaudissements sur la plupart des travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

M. Bernard Frimat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Gaudin, pour le groupe UMP.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat de ce jour consacre le rôle du Parlement et renforce notre démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

En cette avant-veille de fête nationale, ce débat et le vote qui le suivra sont empreints de solennité. La gravité du sujet nous invite à une telle attitude : il s’agit d’autoriser la prolongation de l’intervention de nos forces armées en Libye.

Avant de poursuivre mon propos, c’est avec émotion, mais également avec conviction que je veux, en tant que président du groupe UMP et au nom de mes collègues, réaffirmer, comme l’ont fait tous les éminents orateurs qui m’ont précédé, l’indéfectible soutien de la représentation nationale à nos soldats.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Que ceux-ci soient sur le territoire national ou sur des théâtres d’opération à des milliers de kilomètres, leur courage, leur bravoure et leur professionnalisme honorent la France. Mes pensées vont également à leur famille et à leurs proches, qui vivent parfois des moments très difficiles.

Ce soir, la Haute Assemblée est amenée, une fois de plus, à assumer pleinement son rôle en se prononçant sur la politique étrangère du Gouvernement. Aussi permettez-moi, mes chers collègues, de me féliciter de l’organisation de ce débat, qui consacre le plein exercice de la démocratie. À l’heure où les Libyens, avec l’aide de la coalition, luttent contre un tyran qui méprise les droits de l’homme, mesurons la chance que nous avons de vivre dans une République démocratique, au sein de laquelle les élus du peuple peuvent s’exprimer sans le payer de leur vie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

En notre qualité de parlementaires, nous devons nous prononcer sur l’autorisation de prolonger l’envoi de troupes à l’étranger, en vertu de la nouvelle rédaction de l’article 35 de la Constitution. C’est bien la preuve qu’un régime démocratique, tout bicentenaire qu’il soit, peut encore progresser.

Voter en faveur de l’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Libye est nécessaire pour la France, et pour son rôle sur la scène internationale.

Mes chers collègues, je sais la passion et l’attachement profond de notre Haute Assemblée aux débats, en particulier à ceux qui portent sur les questions internationales. Ces débats sont dignes de notre institution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

M. Jean-Claude Gaudin. À cet égard, je tiens à rendre hommage au remarquable travail accompli par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et tout spécialement par son président, Josselin de Rohan

Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

(Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.) Rappelons-nous, d'ailleurs, que cela n’aurait pas été possible sans la réintégration de notre pays au sein du commandement intégré de l’OTAN, une réintégration voulue par le Président de la République et votée par notre majorité le 17 mars 2009.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Toutefois, mes chers collègues, il importe que, cet après-midi, nous ne nous trompions pas de débat. Il ne s’agit pas de nous substituer aux chefs d’état-major. Nous faisons confiance à notre ministre de la défense, Gérard Longuet, pour faire les meilleurs choix, sous l’autorité de M. le Premier ministre, afin que la France puisse assumer pleinement dans la coalition son rôle au sein de l’OTAN. M. Longuet a su, notamment au conseil des ministres européen de la défense, défendre la voix de la France. §

L’heure n’est ni aux polémiques, ni aux discussions stratégiques. Il s’agit de donner « constitutionnellement » à notre diplomatie les moyens de poursuivre et d’honorer les engagements pris à New York le 17 mars dernier, lors du vote de la résolution 1973.

M. Robert del Picchia applaudit. – M. Didier Boulaud s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Mes chers collègues, en autorisant l’envoi de nos troupes en Libye, nous ne ferons ni plus ni moins que crédibiliser la diplomatie française, dont l’action et les initiatives sur ce dossier ont été saluées par la communauté internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Mes chers collègues, j’en profite pour témoigner, en votre nom, notre reconnaissance à Alain Juppé, ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, qui a œuvré quotidiennement pour que la France demeure un leader au sein de la coalition.

Convaincre nos alliés et les emmener sur le chemin de la guerre n’est pas une tâche aisée. Mais, face au jusqu’au-boutisme de Kadhafi et à son mépris des négociations diplomatiques, il s’agissait de la dernière solution pour amener le peuple libyen sur la voie de la liberté et de la démocratie et pour qu’il ne soit plus victime d’un « guide » autoproclamé dont la déraison n’a d’égal que la férocité.

Autoriser la prolongation de nos frappes aériennes, c’est faire preuve de cohérence par rapport à la politique engagée avec succès par le Président de la République et le Gouvernement auprès de nos alliés. Mes chers collègues, quelle image notre pays renverrait-il en effet dans les enceintes de l’ONU, s’il décidait, au bout de quatre mois d’initiatives aériennes, de faire volte-face ?

Il y va de la crédibilité de la France sur la scène internationale et du respect de la parole donnée, face à tout un continent en transition.

Souvenons-nous du Sommet de soutien au peuple libyen, tenu à Paris le 19 mars dernier, et de la cohésion qui s’y est fait jour entre États européens et États membres de la Ligue arabe : ce fut un moment fort et un tournant important dans l’histoire de nos nations.

Par un vote favorable, il s’agit pour la France de réaffirmer le bien-fondé de la résolution 1973, qui permet la sécurisation de l’espace aérien libyen.

En outre, les opérations aériennes engagées par les Français et les Britanniques sont un succès. Le général canadien Charles Bouchard, à la tête de l’opération « Protecteur unifié » menée par l’OTAN, a ainsi reconnu que les Français faisaient « un travail superbe ». Arrêter tout cela au bout de cent jours serait un aveu d’échec. Certes, nous vivons aujourd'hui dans un monde où règne l’impatience, mais que sont cent jours quand il s’agit de protéger un peuple et de l’accompagner sur la voie de la démocratie ?

Un vote favorable du Sénat sera un symbole d’espoir pour le peuple libyen. Lors du vote de la résolution 1973, la France n’a pas pris une simple position d’affichage ou donné une leçon de moralité sur la scène internationale. C’était la promesse faite chaque jour à tout un peuple que la communauté internationale ne le laisserait pas tomber dans les affres d’une répression sanguinaire.

Stopper notre intervention reviendrait à abandonner la Libye : ce serait tourner le dos au Conseil national de transition, à l’heure où il est reconnu par nos alliés.

Sans véritable cessez-le-feu, la fin de nos frappes aériennes mettrait un coup d’arrêt à l’émergence des structures nécessaires à la mise en place d’une pratique démocratique. En effet, le CNT est en passe de se doter d’un gouvernement et d’un organe législatif dissocié, prémices de l’exercice de la démocratie.

À l’heure où le groupe de contact prévoit, dans sa feuille de route, l’adoption d’une constitution, nous devons continuer d’aider les Libyens. Les responsables des soixante et une tribus ont su parler d’une seule et même voix et sont prêts à faire face à un destin national. Ne les décevons pas, et assumons !

C’est pour toutes ces raisons que le groupe UMP votera, monsieur le Premier ministre, l’autorisation de prolongation d’intervention de nos forces armées en Libye.

Mes chers collègues, il est clair que ces événements nous ont fait entrer dans une ère diplomatique nouvelle : les sénateurs du groupe UMP du Sénat l’ont bien compris et partagent ce sentiment.

Désormais, la France ne peut plus accepter la stabilité illusoire de régimes autoritaires ou dictatoriaux, mais elle doit favoriser l’implantation de la démocratie

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste. – Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

Le Président de la République l’a solennellement affirmé : la France soutient l’espoir démocratique du printemps des peuples arabes autant qu’elle lutte contre le terrorisme et le fanatisme.

Mes chers collègues, nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à assumer aussi un mandat local. Je voudrais donc attirer votre attention, monsieur le Premier ministre, sur un dernier point. Dans nos villes et dans nos villages, nous avons accueilli, et ces jours-ci encore, les cercueils de jeunes soldats français tombés, en Afghanistan et ailleurs. Dans les yeux des familles, nous avons pu lire souvent l’incompréhension et, parfois, la réprobation.

Notre pays a lourdement payé sa présence au sol, en Afghanistan, dans la lutte contre le terrorisme. Alors, au moment où nous allons procéder au retrait progressif de nos soldats présents en Afghanistan, à la suite de la décision du Président de la République, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Gaudin

… que nous approuvons, il me semble qu’il serait inutile d’envoyer des troupes au sol en Libye.

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons impérativement, tous ensemble, mieux expliquer à nos concitoyens les enjeux de notre présence dans ces régions, à Benghazi et à Tripoli, qui sont des portes de l’Afrique sur l’Europe. Les événements qui s’y déroulent ont des répercussions chez nous. La Méditerranée est aujourd’hui au cœur de l’Europe, il importe que nous en soyons bien conscients.

Monsieur le Premier ministre, nous vous faisons confiance, car nous savons les efforts que vous déployez. Partout où, dans le monde, se trouvent nos armées, partout où flotte le drapeau tricolore, c’est pour apporter la concorde, la fraternité, la générosité et la paix. C’est votre mission, c’est celle de la France, voilà pourquoi les sénateurs du groupe UMP vous apportent leur soutien !

Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga, pour le groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au début du mois de mars, alors que les chars de Kadhafi avançaient inexorablement vers Benghazi, insurgée depuis le 15 février, nous avons été nombreux à attendre avec impatience la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU et la première mise en œuvre du « devoir de protéger les civils », reconnu depuis 2005.

En effet, et je m’exprime ici en tant que voisine de la Libye, nous savons que, depuis quarante ans, Kadhafi ne recule devant aucun moyen pour terroriser toute opposition interne et déstabiliser les pays proches, Niger, Mali et Tunisie, à laquelle il promettait, à la fin du mois de janvier, de ramener Ben Ali dans ses fourgons !

L’émotion, nous l’avons ressentie, et nombreux sont ceux qui se sont réjouis du succès des premières frappes qui ont libéré Benghazi. Mais l’émotion, légitime et humaine, est parfois mauvaise conseillère en matière de politique, de diplomatie et d’art militaire. Quatre mois plus tard, nous devons reconnaître que la France s’est leurrée, et même aveuglée, sur certains points cruciaux : je veux parler du soutien international, de la réalité de l’insurrection, des capacités militaires des insurgés et de la puissance militaire de Kadhafi.

En ce qui concerne le soutien international, oui, la Ligue arabe et l’Union africaine ont donné leur accord à la mise en œuvre du mandat de l’ONU. Mais il me paraît très grave que, dès le 19 mars, premier jour des frappes aériennes, le chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, ait assuré que l’Union européenne resterait neutre ! Dans ces conditions, la coalition s’est trouvée quasi réduite à la France et à la Grande-Bretagne, les autres membres de l’OTAN refusant de s’engager ou faisant semblant. Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN n’a pas renforcé le pilier européen de défense, c’est le moins que l’on puisse dire en analysant ces événements.

Debut de section - Permalien
Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

Très faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

En ce qui concerne la réalité de l’insurrection, la Libye, dont je me rappelle qu’elle a longtemps été désignée, en Tunisie, comme « la Tripolitaine et la Cyrénaïque », n’est unifiée que par la main de fer de Kadhafi. Aujourd’hui, reconnaissons-le, 35 % seulement de la population est réellement insurgée : les habitants de la Cyrénaïque, les tribus berbères du djebel Nefoussa et la ville de Misratah, outre quelques autres petites localités. Ailleurs, au Fezzan, la population n’a pas bougé ; en Tripolitaine, les grandes tribus n’ont pas fait défection. La majorité reste dans l’expectative : est-ce par peur ou par soutien ? Nul ne le sait.

Le troisième point sur lequel nous avons commis une erreur d’appréciation – je dis « nous », parce que nous avons fait route ensemble, jusqu’à un certain point – concerne les capacités militaires des insurgés. Le choix de ne protéger la population que par le moyen de frappes aériennes relevait d’une sage prudence, dictée par les expériences afghanes et irakiennes, mais elle participait aussi d’une illusion, fondée sur l’idée que les insurgés de Benghazi apprendraient vite à combattre pour mettre à profit, sur le terrain, la couverture aérienne que nous leur fournissions. Les insurgés ont fait des progrès, mais il faut reconnaître que les seules forces terrestres libyennes vraiment aguerries sont celles des djihadistes de Cyrénaïque, formés par les talibans en Irak et en Afghanistan…

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes

D’où tenez-vous cette information ?

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

… et les montagnards du djebel Nefoussa. Il faudra tenir compte des idéologues de Darnah, adeptes de la charia, lors des négociations à venir : la situation sera à haut risque pour nous !

Le dernier point délicat a trait à la puissance militaire de Kadhafi. Tous les fabricants d’armes de la planète, à commencer par ceux de notre pays, ont rempli les arsenaux que nos frappes aériennes s’efforcent maintenant d’anéantir, mais Kadhafi a des réserves d’armes et des troupes aguerries pour les utiliser.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Nous avons réellement sous-estimé ses forces politiques et militaires, et la guerre éclair s’est transformée en guerre d’usure.

Que faire, maintenant ? Sur ce point, j’affirmerai mon désaccord avec mes collègues et amis du groupe CRC-SPG. Déserter et laisser les insurgés seuls face à la garde prétorienne, face aux mercenaires et aux tribus fidèles à Kadhafi serait condamner à une répression violente, dont nous avons préservé Benghazi au mois de mars, une population plus nombreuse encore ; ce serait relancer une vague d’exode vers l’Égypte et la Tunisie ; ce serait tuer tout espoir de réussite pour les révolutions tunisienne et égyptienne en cours ; ce serait placer, à terme, tout le Sahel sous la coupe de Kadhafi.

« La géographie, cela sert d’abord à faire la guerre », disait Yves Lacoste. Sur ce théâtre géopolitique, la carte est très lisible.

Regardons vers l’ouest et vers l’est : la Libye, située entre la Tunisie et l’Égypte, ne doit pas retrouver sa capacité de déstabiliser ses deux voisins, ce qu’elle a souvent fait dans le passé. Dans ces deux pays, le processus de reconstruction institutionnel, social et économique sera long, difficile, il devra affronter de graves menaces intérieures. Que ne s’y ajoutent pas la menace extérieure ni des réfugiés par centaines de milliers !

Regardons vers le sud : depuis quarante ans, Kadhafi mène des politiques de déstabilisation, tantôt au Tchad, tantôt au Niger ; le Mali est atteint, le Burkina Faso aussi. Cette déstabilisation est politique et culturelle : elle tend à délégitimer l’islam africain au profit d’un catéchisme islamiste fort éloigné de la sunna ; elle met en péril des gouvernements, tels que ceux du Mali ou du Niger, qui s’orientent vers l’État de droit.

Enfin, regardons de notre côté, vers le nord, car ces pays du sud de la Méditerranée sont nos proches voisins : nous sommes liés par l’histoire, même quand elle a été conflictuelle ; nous sommes liés par la curiosité réciproque, les échanges humains, en dépit du mur derrière lequel l’Union européenne se barricade ; nous sommes liés par la langue et la culture. La jeunesse du sud de la Méditerranée constitue la réserve démographique d’une Europe vieillissante. Ces migrants illégaux que le Gouvernement traite aujourd’hui comme des délinquants seront notre avenir dans vingt ans, et encore plus celui de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, en pleine débâcle démographique.

Murmures désapprobateurs sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

Alors, quelle sortie de crise ? L’objectif de la guerre, protéger les populations civiles, ne peut être atteint si Kadhafi reste au pouvoir, il n’y a pas d’illusions à se faire. Nous voudrions que, sur ce point, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, la France parle d’une seule voix. Cet objectif peut-il être atteint ? Beaucoup ne dépend pas de nous, beaucoup dépend des défections dans le camp de Kadhafi, beaucoup dépend du renforcement militaire de l’insurrection et de la poursuite de frappes efficaces, sans atteintes à la population civile.

La participation de la France, qui réalise, à elle seule, le tiers des frappes au sol, doit donc, de notre point de vue, se poursuivre, car cesser cet appui à l’insurrection serait offrir à Kadhafi et à ses fils encore quarante ans de dictature. Cette intervention demande un effort énorme à nos soldats, engagés sur le théâtre d’opérations sans périodes suffisantes de repos. Toutefois, elle n’a de sens que si des négociations, directes et indirectes, offrent à toutes les parties en présence la capacité de se parler : il n’y a pas que le CNT, d’un côté, et Kadhafi, de l’autre, la situation est bien plus complexe et plus difficile.

Nous sommes intervenus dans une guerre civile entre Libyens, en faveur de la partie que le Gouvernement a estimé être le partenaire politique et économique le plus fiable, mais ayons conscience que la poursuite de la participation de la France recèle le danger d’« attiser » la guerre civile en confortant finalement le CNT dans une attitude jusqu’au-boutiste. Or il faut à tout prix s’attacher à garantir aux Libyens la continuité de leur vie nationale : la France doit peser pour que la Cyrénaïque ne fasse pas sécession et l’après-Kadhafi supposera un fort appui aux différentes composantes du peuple libyen, pour garantir la sécurité publique et trouver de nouvelles structures étatiques propices à la réconciliation nationale.

Le temps presse, la prolongation de l’intervention armée n’a de sens et de chance de succès que dans la mesure où, sous cette pression, les démarches diplomatiques en cours aboutissent. C’est pourquoi un débat d’évaluation s’impose, à nos yeux, et dans un délai restreint.

Monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je le répéterai après le président de notre groupe, notre vote favorable à la prolongation de l’intervention des forces françaises s’inscrit dans la ligne de notre soutien initial à la résolution 1973, mais il n’est pas un blanc-seing donné à votre politique à venir !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour le groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Monsieur le ministre d’État, vous avez déclaré au Sénat, le 22 mars dernier : « Nous ne voulons pas nous engager dans une action de longue durée. L’opération aérienne sera limitée dans le temps. »

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

Je persiste !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

L’opinion publique a d’abord approuvé cette action destinée à protéger des populations agressées par les armes de leurs propres dirigeants.

Il ne s’agissait pas d’ingérence humanitaire. Non ! L’ingérence, c’est-à-dire l’action unilatérale déclenchée par un groupe de pays, à leur discrétion, en fonction de valeurs qu’ils affichent, qui leur sont propres, prétendument universelles, a en effet été bannie, rejetée expressément par les Nations unies dans une succession de textes que la France a régulièrement votés.

Je précise que le talentueux ministre français qui s’est, en son temps, proclamé le champion de ce qu’il appelait le « droit » ou le « devoir d’ingérence » a, par deux fois, dans un bref communiqué commun signé avec la Chine, au printemps 2009, réaffirmé le respect par notre pays du principe de « non-ingérence »…

Sourires

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

M. Alain Juppé, ministre d'État. Mais de qui s’agit-il ?

Nouveaux sourires

Debut de section - Permalien
Gérard Longuet, ministre

Oui, de qui ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Vous avez, je crois, fort bien compris de qui je parlais !

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, ce qui s’est passé en mars 2011 – je le fais observer au passage à Mme Michelle Demessine c’est la mise en œuvre d’un principe consacré par les Nations unies, par le droit international, celui de la « responsabilité de protéger ». Ce principe, tel qu’il a été consacré par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2005, lors de son sommet du soixante-cinquième anniversaire, est plus précis et codifié.

Lorsqu’il existe, venant d’un gouvernement, des menaces particulièrement graves de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, d’épurations ethniques ou de génocides, tout doit être fait, par des moyens pacifiques, pour convaincre les autorités coupables de renoncer, mais, en cas d’échec, le recours à la force est permis, à la suite non pas d’un choix unilatéral d’un pays quelconque, mais d’une décision collective unanime ou prise à la majorité du Conseil de sécurité. Il faut donc l’accord de ce dernier, contrairement à ce qui s’est passé lors de l’action de l’OTAN contre le Kosovo, en 1999.

C’est cette voie difficile du recours au Conseil de sécurité qui a été choisie au printemps. Il y a eu alors cinq abstentions.

Le but de l’opération est la protection de la population ; ce n’est pas le changement de régime ! Je le fais observer à tous nos collègues qui s’apprêtent à voter pour l’autorisation de la poursuite des opérations. L’expérience a prouvé qu’il était possible de faire reculer des gouvernements – rappelons-nous de Milosevic en 1999, et même en 1995 – sans provoquer leur élimination dans l’immédiat.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

Une grande réussite !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Mais vous avez changé les buts de guerre !

Quatre mois se sont écoulés depuis l’engagement des opérations et s’est vérifié l’adage, que je vous avais cité le 22 mars dernier : « On sait comment on commence une guerre. On sait rarement comment on la termine. »

Le courage et le professionnalisme de nos soldats méritent pleinement d’être salués, et plusieurs orateurs l’ont fait avant moi. Mais être solidaire de nos soldats n’implique pas la solidarité du Parlement avec le Gouvernement, auquel les militaires obéissent par nécessité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Les parlementaires, pour ce qui les concerne, n’ont de comptes à rendre qu’au peuple français.

Or, je le répète, vous avez fait évoluer les buts de guerre.

M. le Premier ministre avait déclaré, le 22 mars, dans notre enceinte : « Nous appliquons toute la résolution 1973 et rien que la résolution 1973 ! »

En fait, nous sommes passés de cette déclaration à une autre, datant du 15 avril, de M. le Président de la République, cette fois, selon laquelle l’objectif serait l’élimination du colonel Kadhafi. Il est vrai que cette déclaration a été faite conjointement avec MM. Obama et Cameron.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Mais ce n’est pas ce que vous aviez déclaré au début, monsieur le ministre d’État !

Le 22 mars, vous vous exprimiez ainsi : « Il est possible à tout moment au régime de Kadhafi d’arrêter l’intervention militaire organisée sous mandat des Nations unies : il lui suffit d’accepter la résolution 1973, c’est-à-dire de respecter un cessez-le-feu, de retirer ses troupes des positions qu’elles occupent, de laisser les Libyens s’exprimer librement. Dans la minute où le régime de Kadhafi respectera les obligations résultant de la résolution 1973, les opérations militaires cesseront. »

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

Cette minute n’est pas venue : CQFD !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Quelle est aujourd’hui la situation ?

Des populations ont effectivement été protégées. Chacun s’en réjouit. Mais les combats se poursuivent !

Malgré toutes les précautions prises, les opérations de bombardement menées par l’OTAN, en dépit de nos réserves initiales, entraînent inéluctablement des pertes civiles. Ce résultat est évidemment contraire au principe rappelé dans son préambule par la résolution 1973, selon lequel « il incombe au premier chef aux parties à tout conflit armé de prendre toutes les mesures nécessaires voulues pour assurer la protection des civils. »

Je me permets d’insister sur l’expression « aux parties à tout conflit armé », car elle désigne donc tous les intervenants, qu’ils soient Libyens ou faisant partie des forces de l’OTAN.

En exigeant le départ de Kadhafi, en le faisant inculper par la Cour pénale internationale, en parachutant des armes aux rebelles, vous avez bien changé la nature de l’intervention. Nous sommes passés de la « responsabilité de protéger » les civils à l’ingérence, si tant est que les mots aient un sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

Je suis déçu. J’attendais mieux de vous, monsieur Chevènement !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

L’objectif d’un changement de régime n’est pas dans la résolution 1973, mais il s’inscrit, depuis le début du printemps arabe, dans l’air du temps, tel que le comprennent beaucoup de dirigeants occidentaux.

Force est, cependant, de rappeler que l’évolution vers la démocratie ne peut se faire de la même manière dans tous les pays. Ce qui est concevable pour de vieilles nations, comme la Tunisie et l’Égypte, ne l’est pas partout.

La révolution démocratique s’opère beaucoup plus difficilement, malheureusement, là où les divisions d’opinion se superposent à des fractures tribales ou confessionnelles, comme au Yémen, à Bahreïn, en Syrie, au Liban ou en Libye.

En chacun de ces pays, la guerre civile menace et l’intervention militaire extérieure ne peut qu’exacerber certaines tensions ou aller, en raison du nombre de victimes qu’elle peut occasionner, à l’encontre du but recherché, qui est de protéger tous les civils, sans exception.

La France, je le rappelle, est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle dispose, à ce titre, d’une influence importante.

On peut bien sût interpréter à loisir la résolution 1973, dont les termes sont sans doute trop généraux. Mais est-ce l’intérêt de la France ? La souveraineté nationale a été une conquête de la Révolution de 1789. Elle reste la base de l’ordre international. Ce n’est pas pour rien que l’on parle d’« Organisation » des Nations unies !

La Libye est un État fragile, aux prégnances tribales encore fortes – je ne m’étendrai pas sur ce point. Toute guerre est déstabilisatrice, à plus forte raison si elle se prolonge. La dissémination des armes, notamment dans le Sahel, ne peut que favoriser les activités terroristes. On a ainsi découvert des missiles SAM-7 au Niger…

Par ailleurs, l’afflux des réfugiés, le retour des migrants installés en Libye, fragilisent les États voisins. On évalue à 470 000 le nombre de réfugiés qui s’entassent à la frontière tuniso-libyenne. À proportion des populations, c’est comme si la France devait accueillir 3 millions de réfugiés sur son sol !

Qu’a fait la France, face à ce drame humain ? Elle a proposé de revoir les accords de Schengen… Plus de 1 000 réfugiés au moins ont péri noyés au large de l’île de Lampedusa, dans l’indifférence générale.

On attend de la France une attitude moins myope, dirais-je, et en tout cas plus généreuse. Partout, le désordre et l’anomie menacent. Ils ne sont dans l’intérêt de personne, et surtout pas du nôtre.

Nous devons donc faire respecter, partout, la souveraineté des nations, sous réserve de cette notion de « responsabilité de protéger » qu’une interprétation extensive de la résolution 1973 ne pourrait qu’affaiblir.

Quand donc le Conseil de sécurité acceptera-t-il d’y recourir sans que l’un de ses membres permanents y fasse obstacle par l’usage de son droit de veto ?

La France doit rester le soldat du droit !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Il était nécessaire de donner un coup d’arrêt à Benghazi et devant Misratah, mais ne faudrait-il pas maintenant favoriser les négociations entre les deux parties, plutôt que de nourrir une guerre civile par des parachutages d’armes ?

En réalité, vous vous êtes donné un objectif dont la résolution 1973, qui proscrit l’utilisation des forces au sol, ne vous donnait pas les moyens militaires, car l’arme aérienne ne peut pas tout.

On peut le regretter, mais tout montre que vous avez surestimé la capacité d’influence du Conseil national de transition et sous-estimé la capacité de résistance du régime du colonel Kadhafi. Celui-ci n’est certainement pas sympathique, mais le régime syrien l’est-il davantage ?

D’ores et déjà, et contrairement à ce qu’a indiqué M. le Premier ministre, vous vous engagez dans la voie d’un droit international à plusieurs vitesses.

Je sais très bien que vous n’interviendrez pas en Syrie, pour plusieurs raisons que M. le ministre de la défense a rappelées. « Nous sommes au taquet de nos engagements », a-t-il ainsi déclaré. Les États-Unis n’ont nulle envie d’ouvrir de nouveaux fronts. Le président Obama n’a jamais envisagé qu’un soutien limité et la Chambre des représentants, où les Républicains sont majoritaires, vient de demander la fin de tout engagement américain en Libye même.

J’avais relevé, le 22 mars dernier, un « léger parfum d’aventurisme » dans votre politique, après l’intervention d’un pseudo-philosophe, théoricien de longue date du droit d’ingérence, qui a, semble-t-il, pesé dans les choix du Président de la République.

Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Mais peut-être la décision d’intervenir en Libye servait-elle aussi de rattrapage pour faire oublier un certain « retard à l’allumage » en Tunisie !

Il est maintenant temps de trouver une solution politique, fédérale par exemple, sous réserve que soient préservées l’intégrité et l’unité du pays. C’est aux Libyens d’en décider. Chaque peuple doit trouver son propre chemin vers la démocratie. Il faudrait convaincre les responsables du Conseil national de transition, qui seront reçus demain par le Conseil de l’OTAN, que cette organisation ne peut se substituer au peuple libyen.

Bien évidemment, le départ du colonel Kadhafi serait bienvenu, pourvu, bien sûr, que ne lui succède pas aussitôt un régime de vengeance, d’exactions ou d’instabilité, comme la situation au Kosovo n’est pas loin d’en offrir le triste exemple. Le « groupe de contact » devrait œuvrer en faveur d’un redoublement des efforts diplomatiques, afin de trouver une voie négociée.

L’affaire du Kosovo s’est conclue – je le rappelle – non par la victoire écrasante des forces de l’OTAN, mais par un accord, favorisé par l’entremise de la Russie.

Dans le cas de la Libye, plusieurs médiations sont en cours, notamment du côté de la Ligue arabe, mais également du premier ministre tunisien ou de l’Union africaine, qui a désigné un envoyé spécial pour apporter une solution durable et pacifique à la crise. Il semble même que des contacts directs aient été pris entre le Conseil national de transition et le régime de Tripoli : il ne faudrait pas que l’Union européenne et le gouvernement français les dissuadent.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, quels sont les développements et les possibles conclusions des contacts qui ont été pris ?

Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Pouvons-nous, en tout cas, ignorer les efforts faits et nous en tenir à la seule option militaire ? Devons-nous, au contraire, les encourager ?

Soyons logiques avec nous-mêmes ! Nous parlons beaucoup des cinq pays candidats à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies. Or ce sont justement eux qui se sont abstenus !

Écoutons-les ! Demandons-leur ce qu’ils proposent, s’ils font quelque chose pour convaincre le gouvernement libyen de changer, de s’effacer pacifiquement. Nous verrons alors si nous devons tirer la conclusion qu’ils ne se soucient pas vraiment de ce principe, pourtant universellement réclamé, de la « responsabilité de protéger ».

Il est temps d’arriver à la conclusion de cette opération.

Exclamations ironiques sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Pour ce qui me concerne, je ne peux l’approuver, car nous avons franchi les bornes de la « responsabilité de protéger ». Nous sommes dans l’ingérence, même si l’on peut ratiociner à l’infini sur l’interprétation de la résolution 1973.

Néanmoins, je ne veux pas émettre un vote qui pourrait être interprété comme un désaveu de ceux qui luttent pour la démocratie dans le monde arabe et pour la liberté de leur peuple. J’exprimerai donc mes très fortes réserves par une abstention, qui se veut aussi un appel au Gouvernement pour qu’il trouve rapidement à ce conflit une solution politique conforme à l’intérêt de la France.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce que l’enthousiasme de la population pour la révolution, si intense fût-il, n’a pas suffi à triompher de la supériorité militaire et du jusqu’au-boutisme de Kadhafi, il était urgent que la communauté internationale se mobilise. Elle l’a fait au titre du principe de la « responsabilité de protéger ».

À cet égard, je voudrais d’abord saluer non seulement la détermination du gouvernement français, mais aussi le volontarisme du premier ministre britannique : ces deux attitudes ont permis de dépasser les tergiversations des uns et des autres, et ce ne fut pas facile.

Le débat d’aujourd'hui en est l’illustration, la décision à prendre est forcément complexe, il faut peser le pour et le contre. Même si tout se passe bien, on sait à quel point la suite des événements sera difficile.

Je veux à cet égard souligner combien j’ai trouvé à la fois passionnante et pertinente l’analyse qu’a faite, tout à l’heure, notre collègue Monique Cerisier-ben Guiga : parce qu’elle connaît bien la situation, elle a su en montrer toute la complexité et faire comprendre toute la difficulté qu’il y a, à un moment donné, à décider ; cela ne l’a pas empêchée de s’engager dans une démarche de soutien.

Je salue cette capacité à assumer ses responsabilités dont fait montre la France, car c’est grâce à une telle attitude que l’on parvient, par la suite, à entraîner dans son sillage les pays qui, nous l’avons constaté, peuvent hésiter.

Nous avons, bien sûr, été confrontés à la position fragile de la Ligue arabe, aux réserves exprimées par les Allemands, les Russes, les Chinois. Les discussions ont été nombreuses. Des orateurs de diverses sensibilités politiques l’ont fait remarquer, mais je veux le dire à mon tour : sans tous ces efforts diplomatiques, les forces loyalistes, stationnées à l’époque aux portes de Benghazi, auraient déclenché le « bain de sang » promis par le clan Kadhafi.

En cette fin de débat, mes chers collègues, je rappellerai très brièvement les trois éléments qui m’amènent à voter, comme beaucoup d’entre nous, la prolongation de notre intervention en Libye.

Premièrement, tant que le conflit dure, c’est que l’objectif de la résolution 1973, à savoir la protection de la population civile, n’est pas encore totalement atteint. Nous avons pris la responsabilité d’aider les Libyens à se soustraire à un régime autoritaire. Ce n’est pas pour les abandonner aujourd'hui, alors que les rebelles progressent sur le terrain.

Deuxièmement, et ce n’est pas le moindre argument pour plaider en faveur de la continuité de l’intervention des forces françaises, après des semaines d’incertitudes, qui ont laissé craindre un enlisement, nous observons de nouveau une avancée des rebelles vers Tripoli. La politique de frappes aériennes conduite par l’OTAN, conjuguée au courage des insurgés, a fini par payer en faisant sauter plusieurs verrous stratégiques. À ce stade, la sécurisation de la Cyrénaïque et l’avancée en Tripolitaine pourraient permettre, nous l’espérons tous, de fédérer l'ensemble de ceux qui, aujourd'hui, luttent sur le terrain.

Troisièmement, enfin, sur le front diplomatique, la légitimité de la rébellion libyenne n’a cessé de croître.

La Chine, qui s’était abstenue, a reconnu, le 22 juin dernier, le Conseil national de transition comme un « interlocuteur important ».

L’Allemagne, après avoir privilégié une posture que de nombreux intervenants ont rappelée, a récemment répondu favorablement à la demande de l’OTAN s’agissant de la fourniture de matériels militaires.

Mes chers collègues, l’isolement croissant de Kadhafi sur la scène internationale démontre toute la pertinence de cette opération.

Par conséquent, pour ne pas répéter ce qui a été fort bien dit par les uns et les autres, et pour que nous puissions rester attentifs jusqu’au terme de ce débat intéressant et fort utile, je conclurai en insistant sur l’importance de voter la prolongation de l’intervention des forces françaises en Libye, car notre action, combinée à celle de nos alliées, pourrait être décisive dans les prochaines semaines.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.

Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre aux différents intervenants, je me tourne d’abord vers M. Ralite pour lui assurer que nous allons de nouveau insister, comme nous le faisons depuis longtemps, il le sait bien, d’ailleurs, auprès des autorités autrichiennes et serbes pour que le général Divjak puisse recouvrer une liberté totale.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer à mon tour le courage et la compétence de nos militaires partout où ils sont engagés en opérations extérieures, notamment en Afghanistan ou en Libye.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

J’associe à cet hommage nos diplomates : Bernard Bajolet et ses collaborateurs, à Kaboul, Antoine Sivan et sa petite équipe, à Benghazi, ainsi que notre ambassadeur en Syrie, à qui j’apporte tout notre soutien.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

M. Alain Juppé, ministre d'État. Le Conseil de sécurité des Nations unies vient d’ailleurs d’adopter une déclaration de presse pour protester contre les attaques inacceptables perpétrées sur l’ambassade de France à Damas.

Applaudissementssur les travées de l’UMP ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été particulièrement attentif à l’intervention du président Josselin de Rohan, qui a parfaitement expliqué la logique de notre intervention en Libye. Je veux lui dire en cet instant combien j’ai été heureux de travailler avec lui, et combien son action à la présidence de la commission des affaires étrangères du Sénat a été positive.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. – M. Jean-Marie Bockel et Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

M. Alain Juppé, ministre d'État. Si j’ai eu l’occasion de m’expliquer déjà à plusieurs reprises sur l’affaire libyenne devant vous, c’est avant tout grâce à lui. Compte tenu des circonstances, je me permettrai même de déroger au protocole, pour te dire, cher Josselin, un grand bravo et un grand merci pour tout ce que tu as fait dans cette maison et dans l’action publique !

Applaudissementssur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

Je m’efforcerai maintenant de répondre à l'ensemble des intervenants.

Je remercie naturellement tous ceux qui apportent leur soutien au Gouvernement en se déclarant prêts à voter la reconduction de notre intervention militaire. Le message que je souhaite envoyer se résume simplement : il n’y a pas de blocage ou d’enlisement en Libye, des progrès très significatifs ont été réalisés depuis quatre mois, et la situation que nous connaissons aujourd'hui n’a rien à voir avec celle qui prévalait alors.

Cette vérité vaut, d’abord, sur le plan militaire, mais je laisse à Gérard Longuet le soin de vous apporter des réponses sur ce point. Je me contenterai de souligner que, sur notre stratégie en Libye, qui a été définie par le Président de la République, nous parlons, contrairement à ce que j’ai cru entendre tout à l’heure, d’une seule et même voix. Il n’y a aucune divergence entre le Président de la République, le Gouvernement, le ministre de la défense et moi.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

Je mets quiconque au défi de pouvoir mettre en exergue la moindre différence d’appréciation entre nous.

La situation a également progressé sur le plan politique, notamment sur deux points.

Il n’y avait pas, voilà quatre mois, de consensus autour du Conseil national de transition. Nous avons été les premiers à reconnaître sa légitimité, non pas, monsieur Chevènement – je vous rassure ! –, du fait de je ne sais quelle « inspiration philosophique », mais au terme d’une analyse politique qui nous a conduits à considérer le CNT comme un interlocuteur incontournable.

Les principaux responsables, que nous avons reçus, nous ont impressionnés non seulement par leur approche de la situation, mais aussi par leur attachement aux valeurs démocratiques que nous partageons.

L’exemple de la France a été suivi, puisque, aujourd'hui, le Conseil national de transition est reconnu par plus d’une trentaine de pays et d’organisations, et non des moindres : l'ensemble des membres du groupe de contact, d’abord, lesquels ont convié, dès le départ, le CNT à leurs travaux et l’associeront, bien sûr, à leur prochaine réunion prévue le 15 juillet prochain à Istanbul ; l’Union africaine, aussi, qui a entamé des discussions avec le CNT ; les Nations unies, sans oublier la Turquie, l’un des derniers grands pays à avoir reconnu le CNT.

Le Conseil national de transition, dont la crédibilité politique a ainsi été affirmée, s’est ensuite organisé, car il est vrai qu’il s’agissait, au début, d’un groupe de révolutionnaires sans réelles structures. Nous l’avons aidé, sur le plan civil comme sur le plan militaire.

Il s’est alors implanté sur l'ensemble du territoire libyen, et il n’est pas exact de prétendre qu’il ne représente que Benghazi. Le CNT a en effet des correspondants dans d’autres villes de Libye, mais ceux-ci sont parfois tenus à une certaine discrétion, leur identité n’étant révélée que tardivement pour des raisons que vous comprendrez facilement, en particulier à Tripoli.

Au cours des nombreux débats que nous avons eus avec eux, ces représentants ont affiché leur attachement à un certain nombre de pratiques démocratiques. Dans la « Charte pour la Libye nouvelle » qu’ils ont publiée, le modèle auquel il est fait référence est celui, non d’un d’État islamiste, mais d’un État démocratique.

Pour conforter le Conseil national de transition, il nous faut encore avancer, notamment sur la question du financement. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, les dirigeants du CNT ont besoin d’argent, et je dois dire que, de ce point de vue, nous avons mis beaucoup de temps à répondre à leurs attentes. Cet argent, c’est de l’argent libyen : il existe, il provient du gel des avoirs détenus dans les comptes d’un certain nombre de banques. Toutefois, nous nous sommes rendu compte qu’il était extrêmement difficile de « dégeler » ces fonds. J’espère pouvoir annoncer, vendredi prochain, que la France est enfin en mesure de verser 290 millions de dollars, conformément à ce que nous avions annoncé à Abou Dhabi. D’autres pays vont faire un effort similaire.

Je n’irai pas plus loin sur le Conseil national de transition. Il s’agit, je le répète, d’un partenaire incontournable, même si ce n’est pas le seul.

J’en viens au second point que j’entends développer : la situation au cours des quatre derniers mois a également beaucoup évolué en ce qui concerne l’attitude que nous devons adopter vis-à-vis de Kadhafi.

Au départ, il n’y avait pas consensus pour demander son abandon du pouvoir, et il est parfaitement exact qu’une telle requête ne figure ni dans la résolution 1970 ni dans la résolution 1973.

Cependant, un changement s’est très rapidement produit compte tenu de l’attitude du dirigeant libyen et de la répression sauvage qu’il a exercée sur sa population.

N’oublions pas, tout de même, que ce sont d’abord et avant tout les bombardements de ses troupes sur les populations civiles, en particulier à Misratah, qui ont fait le plus grand nombre de victimes en Libye. Certes, l’intervention de la coalition ne peut se faire sans occasionner des dégâts collatéraux, toujours très regrettables – tout mort est un mort de trop –, mais ceux-ci restent extrêmement limités.

Par conséquent, même si elle n’était pas inscrite formellement dans les résolutions, l’idée que Kadhafi ne pouvait pas rester au pouvoir s’est imposée extrêmement vite. Je le dis à Jean-Pierre Chevènement, l’objectif, aujourd'hui, c’est effectivement d’obtenir son départ.

Ce n’est pas seulement l’objectif de la France. Les pays du G8, y compris la Russie, ont très clairement affiché leurs intentions voilà maintenant plus d’un mois à Deauville, de même que le Conseil européen, à l’unanimité des vingt-sept États membres, lors de sa dernière réunion, à la fin du mois de juin.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

Dans ce domaine, nous ne sommes pas absolument liés par la position du Conseil de sécurité des Nations unies.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

M. Alain Juppé, ministre d'État. Rien ne nous interdit d’avoir, sur l’évolution du régime libyen, une vision qui n’est pas forcément la même.

M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

S’il nous faut un mandat légal des Nations unies pour recourir à la violence, pour mettre la force au service du droit, il n’est en aucune façon nécessaire d’obtenir une résolution du Conseil de sécurité pour exprimer notre point de vue sur ce que doit être le gouvernement de la Libye de demain.

Je rappelle que la Ligue arabe a pris exactement la même position que le G8 ou le Conseil européen, comme la Turquie récemment. Le sommet de Malabo de l’Union africaine a marqué une évolution très significative parmi ses États membres, qui, aujourd'hui, même s’ils ne le proclament pas officiellement, sont très nombreux à considérer qu’il ne peut y avoir de solution stable en Libye sans le départ de Kadhafi.

Monsieur Chevènement, il n’y a peut-être pas de résolution du Conseil de sécurité à ce sujet, mais, dès lors que l'ensemble des pays arabes et européens, des puissances du G8 et une grande partie de l’Union africaine demandent le départ de Kadhafi, cela mérite que l’on y réfléchisse. C’est en tout cas, je le répète, l’un de nos objectifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Mais la légalité internationale, c’est le Conseil de sécurité qui la définit !

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

J’ai d’ailleurs été quelque peu surpris d’entendre certains nous exhorter à nous occuper de la partie diplomatique de la question : nous ne faisons que cela !

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

M. Alain Juppé, ministre d'État. Nous n’avons pas engagé une opération militaire dans le seul but de gagner une guerre sur le terrain. Une intervention armée était absolument indispensable ; si nous ne l’avions pas décidée, il y aurait eu un bain de sang à Benghazi. Et c’est à l’honneur de la France que d’avoir évité pareil drame.

Applaudissementssur les travées de l’UMP. – MM. Yves Pozzo di Borgo, Gilbert Barbier et Jean-Marie Bockel applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'État

Cela étant, l’intervention militaire, si je puis dire, n’est qu’un moyen, et non une fin. La fin, c’est la recherche d’une solution politique, et nous y travaillons d’arrache-pied.

Là encore, je crois pouvoir dire que nous avons beaucoup progressé au cours des dernières semaines.

De nombreuses médiations sont en cours, notamment avec la Russie. J’ai rencontré, voilà quelques jours, Sergueï Lavrov à Moscou et j’ai longuement discuté avec lui. Si le début de notre entretien a été « franc », comme on dit dans le langage diplomatique, car nous sommes en désaccord sur la partie militaire de l’intervention, la poursuite du dialogue nous a permis de constater une totale convergence de vues sur la sortie politique de cette crise, à laquelle réfléchissent une multitude d’acteurs, les Russes, donc, mais aussi l’Union africaine, pour ne citer qu’elle.

En définitive, quels sont, aujourd’hui, les paramètres d’une solution politique, sur lesquels un consensus est en train de se dégager ?

Il s’agit, tout d’abord, du départ de Kadhafi et son abandon du pouvoir. Quant à savoir s’il devra quitter ou non physiquement la Libye, nous laisserons aux Libyens eux-mêmes le soin de régler la question.

Mais le principe est posé : il faut que Kadhafi annonce très clairement qu’il renonce à toute responsabilité politique et militaire. Comment certains osent-ils soutenir qu’il n’est actuellement qu’un « guide suprême » sans aucune fonction officielle ? Il suffit de voir ce qui se passe à la télévision pour comprendre qu’en réalité il reste le patron et le chef des armées !

Son départ du pouvoir est donc le premier point sur lequel il y a un consensus international fort.

Concomitamment, il faut un cessez-le-feu, mais un vrai. Se contenter de demander le gel des positions sur le terrain risquerait d’aboutir à une sorte de partition de la Libye entre l’Ouest et l’Est. Or il n’y aura pas de cessez-le-feu sans retrait des forces de Kadhafi des casernes à l’extérieur des villes agressées. Il reviendra à la communauté internationale, sous l’égide des Nations unies, de contrôler l’effectivité de ce cessez-le-feu.

Il conviendra, ensuite, de favoriser la constitution d’un gouvernement provisoire – différentes solutions sont actuellement à l’étude –, appelé à engager un dialogue national, ou plutôt, puisque le vocabulaire d’aujourd'hui s’est enrichi de nouveaux anglicismes, un dialogue « inclusif ». Peu importe, finalement, la manière dont on s’exprime, l’essentiel est que ce dialogue soit largement ouvert à plusieurs participants. Je pense au Conseil national de transition, naturellement, mais aussi aux autorités traditionnelles, car, pour beaucoup, les chefs de tribu conservent encore un poids considérable dans la société libyenne. Je n’oublie pas, bien évidemment, tous ceux qui, à Tripoli, d’abord, n’ont pas de sang sur les mains et, ensuite, ont compris que Kadhafi n’avait pas d’avenir. Il est bien évident que ces responsables doivent être associés au processus politique. Nous travaillons en permanence pour y parvenir.

J’étais à Addis-Abeba, il y a trois jours, au siège de l’Union africaine, qui a un rôle déterminant à jouer dans ce domaine. Je me suis longuement entretenu à ce sujet avec le commissaire chargé de la paix et de la sécurité au sein de l’Union africaine, M. Ramtane Lamamra, ainsi qu’avec le Premier ministre éthiopien, M. Meles Zenawi, dont l’influence en termes de médiation est très importante au sein de l’Union africaine.

Le jour suivant, à Nouakchott, j’ai rencontré le Président de la Mauritanie, M. Ould Abdel Aziz ; nous sommes tombés d’accord pour accentuer la pression de nos pays en vue de hâter ce processus.

Je le répète, la question n’est plus de savoir si Kadhafi doit partir ; il s’agit de savoir quand et comment !

Je ne pécherai pas par optimisme en vous soumettant, d’ores et déjà, un calendrier. Je pense cependant que nous pouvons parvenir à ce résultat, à condition, bien sûr, de ne pas envoyer de contre-signaux, et de ne pas déclarer que nous allons abandonner la pression militaire. Il faut agir sur les deux plans à la fois. Nous parlerons de toutes ces questions à Istanbul, lors de la réunion du groupe de contact, le 15 juillet prochain.

J’ai suggéré qu’après cette date une nouvelle réunion du groupe de contact se tienne en Afrique. Pourquoi pas à Addis-Abeba, au siège de l’Union africaine ? Ce serait l’occasion d’impliquer fortement cette organisation dans le processus.

Je souhaitais développer ces deux points, car ils permettent de répondre à plusieurs des questions que vous avez bien voulu me poser, mesdames, messieurs les sénateurs.

J’ajouterai deux éléments, avant d’aborder les réponses plus précises, ou plus ponctuelles.

Tout d’abord, l’aide humanitaire constitue bien évidemment, dans ce contexte, un enjeu important, et l’Union européenne joue un rôle capital. Ainsi, le bureau d’aide humanitaire de la Commission européenne, l’ECHO, a déjà versé 70 millions d’euros à la Libye.

L’aide bilatérale de la France, à la fois financière et médicale, est également très importante, et a contribué au traitement du problème des réfugiés à la frontière de la Tunisie et de la Libye au moment du déclenchement des événements.

L’Union européenne a aussi mis sur pied une opération militaire d’accompagnement de l’aide humanitaire, EUFOR. Il a cependant été convenu que cette aide ne serait déclenchée qu’à la demande des Nations unies, qui n’ont pas, jusqu’à présent, formulé cette demande.

J’ajoute par ailleurs, au chapitre des considérations générales, que nous travaillons également sur ce que l’on appelle, en langage diplomatique, « le jour d’après », c’est-à-dire le moment qui succédera à l’abandon du pouvoir par Kadhafi et à la mise en place du cessez-le-feu.

Des inquiétudes ont été exprimées, ici ou là, sur la capacité du Conseil national de transition ou du gouvernement provisoire à assurer la sécurité et l’ordre dans la Libye nouvelle. Nous ne partageons pas ce scepticisme.

Le CNT contrôle déjà un certain nombre de régions qui ne connaissent pas une situation d’anarchie. Par ailleurs, l’ONU et les principales puissances européennes préparent aussi l’avènement de cette future Libye.

Une force de stabilisation internationale qui, de notre point de vue, devrait être une force de l’ONU, sera très vraisemblablement dépêchée sur place. La France a déjà envoyé plusieurs missions en vue de commencer à préparer, en collaboration avec le CNT, le fonctionnement du gouvernement provisoire.

Je vais à présent répondre aux questions des différents orateurs.

Mme Demessine récuse le droit d’ingérence ? C’est son droit ! Toutefois, madame la sénatrice, à votre place, je me sentirais très seul sur la scène internationale, car ce principe a été voté à l’unanimité par les États membres de l’Organisation des Nations unies en 2005Il fait donc désormais partie du droit international.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Vous voulez parler du devoir de protection, sans doute.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d’État

En effet ! Je vous prie de bien vouloir excuser ce lapsus… Je voulais parler du devoir de protection, également appelé responsability to protect.

On peut, bien sûr, ne pas approuver ce principe ; il n’en reste pas moins, je le répète, qu’il s’impose à tous.

Je ne peux vous laisser dire, en revanche, madame la sénatrice, que nous bombardons les populations libyennes. La coalition ne bombarde pas les populations ! Les seules forces qui le font sont celles de Kadhafi.

Jamais, depuis le début des opérations, les avions français, britanniques ou de l’OTAN, n’ont bombardé les populations civiles. Il y a eu, apparemment, un dérapage, une erreur, qui a été à l’origine de la mort de neuf personnes. Une enquête est en cours. Sans vouloir établir une comptabilité macabre, ce chiffre est à mettre en relation avec les dizaines, voire les centaines de morts causées, notamment à Misratah, par les bombardements des forces de Kadhafi.

M. Pozzo di Borgo a déploré l’absence d’une Europe de la défense. C’est la raison pour laquelle Gérard Longuet et moi-même ne ménageons pas nos efforts pour convaincre la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité de l’Union européenne, Mme Ashton, de répondre à l’appel que nous lui avons lancé, dans la « lettre de Weimar, » en vue de progresser dans la construction d’une politique de sécurité et de défense commune.

On ne peut pas dire, néanmoins, que l’Europe a été inexistante ou incapable de s’unir. J’en veux pour exemple la situation syrienne, qui fait l’objet de nombreuses interrogations.

En ce qui concerne la Syrie, l’Europe a défini une position commune. Elle a même été la première, avant que le Conseil de sécurité de l’ONU ne parvienne à se mettre d’accord – ce n’est toujours pas le cas ! –, à décider des sanctions à l’encontre des principaux responsables du régime syrien.

L’Europe est donc tout à fait capable de jouer son rôle.

Je crois avoir répondu, dans mon propos liminaire, aux principales questions posées par le président Bel sur l’avancement des opérations militaires. Gérard Longuet reviendra sur ce sujet.

Quoi qu’il en soit, je crois que nos objectifs stratégiques et notre volonté de promouvoir une solution politique sont tout à fait clairs.

Vous avez souhaité que nous fassions, à la rentrée, un nouveau point sur la situation. J’en ai parlé avec le Premier ministre avant qu’il ne quitte cet hémicycle ; nous organiserons naturellement ce débat quand vous le souhaiterez au sein de la Haute Assemblée, et nous ferons de même à l’Assemblée nationale.

Je remercie M. Jean-Claude Gaudin, qui a fait une très belle démonstration de la nécessité et de la justesse de notre intervention en Libye. Je partage également son point de vue sur la situation en Afghanistan ; les récentes décisions annoncées par le Président de la République vont dans le sens qu’il souhaite.

J’ai beaucoup admiré la démonstration de Mme Cerisier-ben Guiga qui, après avoir affirmé que la France s’était profondément leurrée, nous a expliqué qu’il était absolument urgent et nécessaire qu’elle continue de faire ce qu’elle fait.

Rires sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d’État

J’en suis ravi, et je vous confirme que nous allons effectivement persévérer dans cette voie. Je me réjouis que vous nous apportiez votre soutien, madame la sénatrice.

Je sais gré à M. Chevènement, qui a rappelé le déroulement des opérations, d’avoir dit très clairement que les populations ont été protégées. Ce constat justifie à lui seul notre intervention.

Vous nous avez incités, monsieur le sénateur, à préparer le départ de Kadhafi. Vous avez même dit que ce départ serait le bienvenu. Je constate donc que nous convergeons, en dépit de vos premières hésitations.

Soyez assuré que nous mettons toute notre énergie à faire aboutir les négociations le plus rapidement possible et à créer les conditions d’un cessez-le-feu que nous souhaitons de tout cœur.

Je tiens également à remercier M. Bockel de son analyse et de son soutien.

Je crois comprendre que la majorité sénatoriale élargie, ainsi qu’une grande partie de l’opposition, apportera son soutien au Gouvernement. Au-delà de la satisfaction que nous en retirons, je considère, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il s’agit d’une bonne décision pour tous ceux qui défendent notre politique étrangère sur le terrain, et pour l’image de la France dans le monde.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mesdames, messieurs les sénateurs, mon intervention sera brève, car le ministre d’État a fort bien présenté, avec autorité et talent, cette construction permettant de rassembler des nations solidaires, en vue de régler la situation libyenne.

Si la résolution 1973 avait d’abord et avant tout pour objet de protéger des populations civiles, un accord se fait actuellement pour constater que l’unité et la paix libyennes passent par l’abandon par le colonel Kadhafi de ses responsabilités politiques.

S’agissant des questions purement militaires, vous m’avez demandé, mesdames, messieurs les sénateurs, si nous n’avions pas sous-estimé la résistance des troupes de Kadhafi et surestimé les capacités des opposants et de ceux qui, en Libye, aspirent à la liberté.

Le problème ne se pose pas en ces termes.

Il existe depuis quarante ans, en Libye, une réalité kadhafiste. L’armée du colonel Kadhafi était considérablement équipée. Nous avons totalement neutralisé son aviation, sa marine, et sans doute les deux tiers de ses forces terrestres de type traditionnel, c’est-à-dire les blindés lourds et les pièces d’artillerie lourde.

Cela étant, nous avons, en face de nous, un adversaire qui dispose de moyens matériels considérables, et qui a constitué autour de lui, en quarante ans, un réseau de solidarités très fortes reposant sur des bases très diverses : liens tribaux sans doute, politiques peut-être, financiers à coup sûr. Outre ces liens solidement établis, le pouvoir dispose d’une unité de commandement sur la base géographique qu’il contrôle, car il n’a pas dispersé ses troupes : la majeure partie des forces sont concentrées à Tripoli, ce qui permet au colonel Kadhafi de « tenir »et d’encadrer la population locale.

Le miracle libyen, c’est qu’en Cyrénaïque les populations civiles aient été capables d’organiser progressivement une véritable force, qui est en mesure aujourd’hui de tenir le front à Brega.

Le miracle, c’est qu’à Misratah ces populations aient pu desserrer l’étau qui les enserrait, notamment celui constitué par les troupes les plus professionnelles du pays, comme la 32 e brigade, dirigée par l’un des propres fils de Kadhafi.

Le miracle, enfin, c’est que des populations montagnardes de tradition berbère aient su s’organiser de façon autonome dans un espace qu’elles maîtrisent désormais totalement. Cela leur permet de contrôler l’approvisionnement de la seule raffinerie de produits pétroliers de Libye, située à l’ouest de Tripoli, ainsi que le carrefour routier reliant Sebha, dans le sud du pays, le Fezzan, c’est-à-dire le désert libyen, et le secteur de Tripoli. Sur le plan stratégique, ce n’est pas négligeable.

Comme c’est le cas sur le terrain diplomatique, la situation militaire évolue. Vous reconnaîtrez cependant que le contexte initial était très favorable à Kadhafi, qui avait construit l’État tout entier autour de son armée, si proche de lui qu’on pourrait la qualifier, selon la formule consacrée, de « garde prétorienne ».

J’en viens à la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN.

S’il est vrai que l’Union européenne est insuffisamment présente sur le plan militaire et diplomatique, en revanche, tous les États européens se retrouvent au sein de l’OTAN.

La réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, décidée par le Président de la République, porte aujourd’hui ses fruits, puisqu’elle nous permet de participer activement à la coalition, et même de former, avec le soutien la Grande-Bretagne, l’élément directeur de cette coalition.

J’indique à M. Pozzo di Borgo, avec toute la sympathie naturelle que j’ai pour lui, qu’il ne doit pas considérer que les États-Unis sont seuls à la tête de l’OTAN.

Il est intéressant de constater qu’en l’occurrence, s’agissant de la chaîne de commandement de l’OTAN, les États-Unis ont assez rapidement décidé, pour des raisons qui leur sont propres, de ne pas contribuer à l’effort de frappe, tout en apportant un soutien logistique. Pourtant, le système a tout de même continué à fonctionner, avec le soutien de la Grande-Bretagne et de la France, naturellement, mais aussi de pays plus modestes qui se sont très fortement impliqués, comme la Belgique et le Danemark. La Norvège qui, je le rappelle, ne fait pas partie de l’Union européenne, avait aussi, jusqu’à récemment, manifesté son engagement.

Je peux témoigner de la réalité de la coopération des chefs d’état-major de l’OTAN. Ces responsables militaires, qui sont de grands professionnels, savent travailler ensemble. La réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN est pour eux un formidable ballon d’oxygène, car ils ont le sentiment que les Britanniques ne sont plus seuls, à l’intérieur de l’Organisation, à vouloir prendre des responsabilités sur le terrain militaire. Désormais, ce sont les Français et les Britanniques qui donnent le ton.

Quant aux Allemands, ils sont profondément divisés. Loin de moi l’idée de faire de la politique étrangère en cet instant ; mais force est de reconnaître que la coalition au pouvoir en Allemagne passe par une entente des libéraux et de la CDU-CSU. Or les libéraux allemands sont traditionnellement profondément pacifiques, voire pacifistes.

Je ne crois pas que la position du ministre des affaires étrangères allemand, qui est un libéral, sur la situation en Libye, reflète le sentiment de la majorité de la coalition parlementaire ; celle-ci existe néanmoins.

C’est pourquoi, cher Josselin de Rohan, nous devons rendre hommage au général de Gaulle d’avoir su nous doter d’institutions qui permettent à notre pays, en matière de politique étrangère et de politique de défense, de faire preuve de solidarité. Le libéral que je suis salue cette construction !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Gérard Longuet, ministre

Jean-Pierre Bel a posé des questions parfaitement légitimes. Nous n’avons pas de troupes au sol. Les seuls Français en poste au sol assurent la sécurité de nos représentants à Benghazi, ce qui rend d’ailleurs – je n’entrerai pas dans ces détails ! – les opérations beaucoup plus complexes et difficiles.

Il est évident que nous avons besoin de nouveaux ravitailleurs – cet équipement est prévu dans la loi de programmation militaire –, ainsi que de drones de moyenne altitude et de longue endurance, les fameux drones MALE de nouvelle génération. Pour l’heure, ce manque n’est pas un inconvénient dans la mesure où, sur le terrain, nous mutualisons les moyens, mais il représenterait en effet une faiblesse si nous avions à conduire, monsieur Pozzo di Borgo, une opération sans l’appui des États-Unis. Il pourra être surmonté notamment grâce à l’accord de novembre 2010 entre la Grande-Bretagne et la France. En ce qui concerne les munitions, nous n’avions pas de stocks suffisants, de sorte qu’il faut les compléter.

Les parachutages qu’a évoqués M. Baylet ont été effectués à titre exceptionnel, à la demande du Conseil national de transition. L’objectif est d’aider le Djebel Nefoussa, qui s’était libéré par lui-même, à résister à une éventuelle contre-offensive des forces de Kadhafi.

Je remercie M. Jean-Claude Gaudin, dont le talent nous est bien connu, de son intervention. Il peut rassurer ses interlocuteurs : à aucun moment la coalition n’a envisagé d’envoyer des troupes au sol.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt Mme Cerisier-ben Guiga. J’observe que sa connaissance de la Libye la conduit à la solution que nous préconisons : le départ de Kadhafi. Certes, la situation libyenne est complexe, mais il y a un moment où il faut savoir prendre ses responsabilités ! Le Gouvernement français l’a fait en suscitant un vote des Nations unies, puis en construisant des alliances diplomatiques qui ont débouché sur un consensus, entre les pays concernés, sur la nécessité du départ du pouvoir du colonel Kadhafi.

Je remercie M. Jean-Marie Bockel de son soutien et je salue son esprit de responsabilité.

En conclusion, comme vous l’avez tous souligné, nous pouvons être fiers du professionnalisme et de l’engagement de nos soldats, ainsi que, pourquoi ne pas le dire, de la qualité du matériel que nous déployons. Nous Français avons la culture de l’autodénigrement et manifestons parfois une propension excessive à dénoncer les faiblesses de certains équipements. Or le porte-avions Charles-de-Gaulle fonctionne parfaitement. Quant à l’aéronavale, elle remplit ses missions, et lorsqu’il faudra, le cas échéant, au cours de l’automne, soulager ses équipages, soyez certains que l’armée de l’air sera en mesure de prendre la relève. Enfin, les hélicoptères assurent 90 % des frappes, ce qui permet d’éviter les dommages collatéraux. L’efficacité des moyens déployés, soutenus par le navire de commandement et de projection Mistral, démontre que les choix effectués au travers de la loi de programmation militaire sont adaptés aux théâtres sur lesquels la France intervient.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées de l ’ Union centriste et du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Je vais mettre aux voix l’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Libye.

Aucune explication de vote n’est admise.

En application de l’article 73-1 du règlement, il va être procédé à un scrutin public ordinaire, dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Voici le résultat du scrutin n° 271 :

Le Sénat a autorisé la prolongation de l’intervention des forces armées en Libye.

L’Assemblée nationale ayant elle-même émis un vote favorable, je constate, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, que le Parlement a autorisé la prolongation de l’intervention des forces armées en Libye.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 13 juillet 2011 :

À neuf heures trente :

1. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

Rapport de M. Alain Milon, rapporteur pour le Sénat (752, 2010-2011).

2. Deuxième lecture de la proposition de loi tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure (749, 2010 2011).

Rapport de M. Josselin de Rohan, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (757, 2010 2011).

Texte de la commission (n° 758, 2010-2011).

À quatorze heures trente :

3. Suite de la deuxième lecture de la proposition de loi tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure (749, 2010 2011).

4. Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011.

Rapport de M. Alain Vasselle, rapporteur pour le Sénat (741, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 742, 2010-2011).

5. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi sur le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels.

Rapport de Mme Muguette Dini, rapporteur pour le Sénat (735, 2010-2011).

Texte de la commission (n° 736, 2010-2011).

6. Navettes diverses.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée à vingt heures quarante.