Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord qu’il nous est demandé d’autoriser aujourd’hui aurait presque pu passer inaperçu ! La session extraordinaire s’achève demain, et nous examinons cet après-midi un nombre de textes tout à fait important, notamment des accords fiscaux entre la France et ses partenaires. Il serait pourtant gravissime de négliger le présent texte.
L’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Émirats arabes unis relatif à la coopération en matière de défense ainsi qu’un échange de lettres énonce, en effet, des dispositions cruciales.
En son article 4, il est ainsi précisé, explicitement, que la France s’engage à « participer à la défense de la sécurité, de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de l’État des Émirats arabes unis ». Quand on connaît la situation dans la région du détroit d’Ormuz, cela n’est pas rien !
« Mesure la profondeur de l’eau avant de t’y plonger », dit un proverbe arabe. C’est bien là mon inquiétude aujourd’hui, et celle de beaucoup de mes collègues. A-t-on bien conscience de la profondeur de l’eau ? L’histoire récente, pour ne rappeler que celle-ci, ne nous a-t-elle pas montré, en 1991, jusqu’où le jeu des alliances pouvait nous conduire ? L’accord qui sera voté ici paraîtra anecdotique aux yeux de la plupart de nos concitoyens, lesquels d’ailleurs, soyons lucides, n’en entendront même pas parler ! Souhaitons seulement que nous n’ayons pas à le regretter dans quelques années.
Plusieurs orateurs, à l’Assemblée nationale, l’ont noté : les risques de conflit avec l’Iran, s’ils ne doivent pas être exagérés, sont néanmoins réels. Je m’appuierai sur deux arguments.
Rappelons, tout d’abord, que l’Iran et les Émirats arabes unis ont un contentieux sérieux depuis le 30 novembre 1971, date à laquelle le Shah décida d’envahir les trois îles émiraties de Grande Tomb, Petite Tomb et Abou Moussa, situées en plein détroit d’Ormuz. L’invasion se fit, à l’époque, sans effusion de sang, mais la tension demeure jusqu’à ce jour. L’Iran occupe aujourd’hui encore militairement les trois îles qui, dois-je le préciser, sont d’une importance stratégique et économique capitale.
Au-delà des questions, légitimes, de souveraineté, il faut souligner que les zones économiques exclusives rattachées à ces territoires sont très convoitées, tant elles sont riches en hydrocarbures. Les Émirats arabes unis souhaitent d’ailleurs que ce point soit, enfin, réglé par la Cour internationale de justice.
Halte au pessimisme et au catastrophisme, allez-vous me rétorquer ! Un conflit qui partirait des îles du détroit d’Ormuz paraît improbable. L’invasion du Koweït par l’Irak apparaissait également tout à fait improbable ; Axel Poniatowski l’a rappelé à l’Assemblée nationale : elle s’est pourtant produite et a entraîné la France dans un conflit armé majeur.
Un autre point me semble d’importance. Lors de l’examen du projet de loi en commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, le 8 juin dernier, le député Daniel Boisserie a souligné que, au mois de mai 2011, avait été créée par le fondateur de Blackwater une société militaire privée destinée à servir les Émirats arabes unis. Il s’agirait d’un bataillon de 800 hommes chargés notamment de protéger les oléoducs et les gratte-ciel. Pour le président Guy Tessier, cette question n’a « rien à voir avec notre engagement ». Il a ainsi expliqué en commission qu’il imaginait mal les Émirats arabes unis déclarer la guerre à l’Iran, et à plus forte raison avec des mercenaires !
Avec tout le respect que je lui dois, je crois pourtant que Guy Tessier a fait là une mauvaise analyse de la situation. On peut en effet imaginer un accrochage, pour une raison ou une autre, entre mercenaires émiratis et soldats iraniens. Supposons que l’Iran attaque alors les Émirats : nous sommes tenus d’intervenir. On me répondra peut-être que je fais trop de suppositions. Soit ! Mais je préfère me poser ces questions maintenant, et vous les poser également. Nous parlons ici de la possibilité d’un conflit armé, sachons donc envisager tous les scénarios.
Monsieur le ministre, je souhaite aborder une autre de mes inquiétudes, qui n’a pas été entièrement levée à l’issue de l’examen de ce texte en commission. Ne peut-on pas légitimement craindre une dispersion des forces françaises, qui nuirait in fine à leur efficacité ? Je pense notamment aux troupes françaises stationnées à Djibouti.
Qu’en est-il des moyens qui resteront alloués à cette base ? Je ne saurais que trop insister sur le caractère essentiel de notre stationnement à Djibouti. La lutte contre la piraterie maritime, enjeu auquel, vous le savez, j’accorde beaucoup d’importance, est en effet coordonnée sur place avec le soutien des Américains et des Japonais.
En l’occurrence, il ne faudrait pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. Le député Yves Vandewalle s’est lui-même inquiété de l’équilibre entre les deux pôles d’Abu Dabi et de Djibouti. La France ne doit pas sacrifier ses intérêts en Afrique pour remplir un peu plus sa « vitrine » émiratie, comme elle nous est souvent présentée. Notre implantation en Côte d’Ivoire a récemment démontré, s’il en était besoin, son utilité. Des vies, françaises et ivoiriennes, ont ainsi été sauvées. Notre présence en Afrique centrale est également capitale compte tenu des risques liés à Al-Qaïda.
Si j’insiste sur ce point, mes chers collègues, c’est parce que je sais, tout comme vous, que la France ne peut se permettre financièrement, et je le regrette, d’être présente partout. Je sais donc aussi que les moyens alloués à Abou Dabi seront autant de ressources en moins pour nos autres bases.
J’aurais d’ailleurs souhaité, monsieur le ministre, avoir davantage de précisions sur le financement de la base d’Abou Dabi. Il nous a été expliqué en commission que les Émiratis allaient prendre en charge la construction des infrastructures, …