Quel bilan pouvons-nous dresser de notre intervention après plus de cent jours ?
Tout d’abord, et vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, l’efficacité de nos frappes a permis d’atteindre tous les objectifs qui avaient été visés et de détruire des centres de commandement et des véhicules et de neutraliser l’artillerie de Kadhafi.
La campagne aérienne a permis d’interdire toute initiative tactique d’envergure aux forces de Kadhafi. Elles ont évité le massacre de Benghazi, stoppé l’offensive vers Misratah, levé la pression sur le Djebel Nefoussa et porté des coups importants dans la région de Brega.
Nous constatons que notre pays réalise en moyenne 20 % des missions aériennes et 30 % des frappes au sol. Je voudrais aussi rendre hommage au courage, au professionnalisme et à la grande efficacité dont font preuve nos pilotes d’avions de combat et d’hélicoptères – ils sont très sollicités –, qui, après 4 000 sorties, continuent de prendre des risques importants pour éviter des dommages collatéraux.
Nous pouvons nous réjouir de notre excellente collaboration avec les forces armées britanniques, qui témoigne de l’utilité et de la pertinence du rapprochement initié par le traité franco-britannique de Londres.
Le chef d’état-major de l’armée britannique a tenu la semaine dernière à nous exprimer sa satisfaction devant le très bon fonctionnement de la coopération de nos armées en Libye.
Sur le plan politique, la France, qui avait été la première à reconnaître le Conseil national de transition, a été rejointe par un grand nombre de pays, qui considèrent que le CNT est un interlocuteur représentatif.
Des pays comme la Turquie ou la Chine, qui s’étaient montrés jusqu’alors réservés ou prudents, ont noué des contacts avec le CNT, renforçant par là même sa crédibilité. C’est avec cette instance que la communauté internationale peut esquisser le futur de la Libye.
Pour autant, nous ne pouvons pas ne pas relever un certain nombre de zones d’ombre.
Même si les forces insurgées, mieux armées et mieux encadrées, deviennent plus capables, elles ne sont pas encore en mesure d’emporter la décision sur le terrain. Les frappes aériennes ont, certes, neutralisé les forces de Kadhafi, mais elles n’ont pas définitivement mis fin à sa résistance. En se retranchant au milieu de la population et en lançant des raids contre les villes insurgées, Kadhafi conserve encore une très grande capacité de nuisance, les insurgés ayant du mal à exploiter l’échec de ses contre-offensives.
Nous devons également relever que la Ligue arabe et l’Union africaine sont divisées et qu’elles n’apportent pas un soutien sans ambiguïté au mouvement démocratique qui anime les printemps arabes.
Nous ne pouvons que nous féliciter de la participation, au demeurant efficace, d’un certain nombre de pays arabes à la coalition, mais aussi constater la réserve de beaucoup d’autres, qui sont pourtant directement concernés par la résolution de la crise. Au sein de l’Union africaine, dont il faut rappeler que Kadhafi fut le président, un certain nombre de pays incitent à la négociation avec cette dictature sanguinaire et plaident pour son maintien au pouvoir.
Il nous faut également regretter le rôle très limité de l’Union européenne. L’absence de l’Allemagne, comme les réticences plus ou moins marquées d’un certain nombre de pays européens, reflète la division des États membres. Ni sur le plan politique ni sur le plan militaire l’Europe n’est apparue unie. Elle ne sera présente que dans le cadre d’une opération de soutien à l’action humanitaire et, ultérieurement, dans le cadre de la reconstruction. C’est indispensable, mais aujourd’hui, en Libye comme sur d’autres théâtres, force est de constater que l’Europe est absente.
Faute de quartier général européen permanent, nous avons été obligés de recourir à l’OTAN et à ses capacités de planification. Cette inexistence de l’Europe militaire est d’autant plus préjudiciable que les États-Unis se sont retirés très vite de l’intervention proprement dite, même s’ils continuent de l’appuyer de façon efficace.
Quelle issue pouvons-nous entrevoir pour la Libye ?
Même si la résolution des Nations unies ne faisait pas du départ de Kadhafi la condition préalable d’un cessez-le-feu – même si, donc, nous n’avons pas reçu pour mandat d’éliminer Kadhafi –, il semble impossible qu’il puisse continuer à gouverner son peuple. Nous ne saurions relâcher notre effort militaire tant qu’il cherchera à reconquérir le terrain perdu ou à mener des actions de répression à l’encontre de la population.
Dans le même temps, notre objectif doit être de rechercher activement une solution politique. Les Nations unies, la Ligue arabe et l’Union africaine doivent être sollicitées et doivent conjuguer leurs efforts pour aboutir à un cessez-le-feu, et préserver l’unité de la Libye. Les Africains ne peuvent rester les spectateurs de leur propre histoire : ils doivent en être les acteurs. Sans leur implication déterminée dans la recherche de la paix et la reconstruction de la Libye, ce pays pourrait être la proie du terrorisme et de l’extrémisme et, du même coup, déstabiliser ses voisins.
Soyons sans illusion. Des situations aussi complexes que celle à laquelle nous faisons face ne peuvent se résoudre en quelques semaines. Le pouvoir de Kadhafi se désagrège peu à peu, son isolement s’accroît, ses ressources en armes et en munitions devraient diminuer.
L’action de notre pays est irréprochable. Elle doit être menée jusqu’à son terme, c’est-à-dire jusqu’au moment où un cessez-le-feu ouvrant des perspectives sérieuses de dialogue entre les Libyens et d’apaisement apparaîtra clairement.
C’est la raison pour laquelle nous voterons pour la prolongation de l’intervention de nos forces armées en Libye.