Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 12 juillet 2011 à 14h30
Demande d'autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en libye — Débat sur une déclaration du gouvernement suivi d'un vote

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant même de débattre de la situation en Libye, je voudrais rendre hommage aux membres de nos forces armées qui sont actuellement en opérations extérieures.

Récemment en Afghanistan, j’ai de nouveau eu l’occasion de mesurer leur courage et leur professionnalisme, mais aussi de déplorer la mort de deux jeunes soldats d’un régiment parachutiste qui ont encore payé de leur vie leur engagement sur ce théâtre des opérations extérieures de la France. Et le triste bilan s’est encore alourdi hier.

La marine nationale et notre aviation étant engagées en Libye depuis bientôt quatre mois, le Gouvernement nous demande, ainsi que la Constitution lui en fait obligation, l’autorisation de prolonger cette intervention. J’en déduis qu’il est contraint de nous faire cette demande, car les objectifs fixés à l’intervention n’ont pas encore été atteints et que le Gouvernement a besoin d’un délai supplémentaire.

Je récuse ce droit d’ingérence légitimé par l’ONU en 2005, qui prétend déterminer le cadre de notre intervention en Libye. Ne le mettons pas sur le même plan que le droit à l’autodétermination des peuples, ne le confondons pas non plus avec l’aide à apporter aux luttes pour la démocratie et le développement.

Ce nouveau droit international d’ingérence n’est ni plus ni moins que le droit que s’octroient les puissances militaires développées de bombarder des populations dans leur pays, selon des critères le plus souvent dictés par l’OTAN. J’observe, d’ailleurs, qu’il ne s’applique qu’aux adversaires de l’OTAN et jamais à ses amis.

La question que nous devons donc nous poser avant d’autoriser ou non la prolongation de cette opération est de savoir si les objectifs n’ont pas été atteints ou s’ils ont changé entre-temps.

Il est en effet aujourd’hui évident que le relatif consensus de la communauté internationale autour de la résolution 1973, obtenu grâce à l’abstention de la Russie et de la Chine, se fissure. Les Allemands sont hostiles à la poursuite de l’intervention, comme l’est aussi le Congrès, aux États-Unis, qui a refusé au président Obama de voter le texte qui autorisait la campagne en Libye.

La Ligue arabe et l’Union africaine sont maintenant réticentes, les peuples européens sont divisés et les opinions publiques des pays engagés, je pense notamment à la France, semblent être de plus en plus hostiles à la forme que prend cette intervention.

Alors qu’il n’était pas envisagé que cette opération excède quelques semaines, la situation actuelle doit nous inciter à nous interroger sur les raisons de sa durée et sur la justification du prolongement qui nous est demandé.

Un récent sondage de l’IFOP nous apprend, par exemple, que désormais une courte majorité de Français, 51 % d’entre eux, la désapprouvent. Peut-être est-ce là le signe que nos concitoyens commencent à percevoir qu’il s’agit non pas d’une opération purement humanitaire, mais bien d’une guerre pour défendre des intérêts économiques et stratégiques.

La présence très importante de grands groupes français sur le territoire libyen et les intérêts financiers en jeu éclairent aussi les objectifs visés.

Ce rejet s’explique également, sans doute, par une durée d’intervention plus longue que celle qui avait été initialement annoncée par le Gouvernement, par plusieurs centaines de morts, par environ 700 0000 réfugiés en Tunisie et en Égypte, et par un coût élevé dont les dépassements ont été estimés par le ministre de la défense à quelque 160 millions d’euros sur trois mois.

Lors du débat tenu dans cet hémicycle quelques jours après le début des frappes aériennes, le groupe CRC-SPG s’était clairement opposé à cette opération, car il considérait que l’argument de la protection des populations civiles qui fonde la résolution du Conseil de sécurité n’était qu’un prétexte masquant d’autres intentions.

Même si la situation sur le terrain a légèrement évolué ces jours-ci, puisque les opposants se sont rapprochés de Tripoli, je persiste à croire que nous sommes confrontés à un blocage militaire et politique.

Officiellement, l’opération militaire ne visait qu’à instaurer une zone d’exclusion aérienne pour protéger la population civile du massacre qu’avait annoncé le colonel Kadhafi pour Benghazi.

Toutefois, bien qu’elle ne fixe ni calendrier ni objectif précis, la résolution ne visait nullement le renversement du régime libyen.

Or, au fil du temps, cet objectif est de plus en plus clairement apparu dans les motivations de notre pays ainsi que dans celles des dirigeants britanniques.

À cet égard, les déclarations, dimanche soir, du ministre de la défense paraissent traduire une légère inflexion du Gouvernement, puisqu’il n’a plus lié directement l’arrêt des bombardements au départ de Kadhafi de Libye.

Il n’en reste pas moins que, sous l’angle de la stricte légalité internationale, les opérations visant la personne même du colonel Kadhafi pour faire tomber le pouvoir en place à Tripoli n’étaient pas couvertes par le mandat de l’ONU.

Il faut se rendre à l’évidence : plutôt que des civils pacifiques et sans armes, nos forces ont peu à peu été amenées à soutenir et à protéger des opposants armés qui marchent sur Tripoli pour renverser le régime.

C’est pourquoi, en subordonnant implicitement la réussite de l’opération à l’élimination du régime libyen et à la mise à l’écart de son dirigeant, la coalition à laquelle nous participons s’est elle-même mise en difficulté en étant tenue à une victoire militaire rapide.

En jouant sur l’interprétation du mandat confié par l’ONU, vous avez également pris le risque d’entamer la légitimité de la résolution 1973. Votre interprétation a contribué à briser le fragile consensus qui avait entouré l’adoption de celle-ci.

La Russie s’engouffre maintenant dans cette brèche pour considérer, à juste titre, que la résolution a été détournée de son sens afin de cautionner une entreprise de renversement d’un régime par la force, en appuyant un camp contre l’autre dans une guerre civile entre Libyens.

L’intensification des bombardements et l’utilisation d’hélicoptères de combat pour affiner les frappes ont démontré que l’objectif de chasser Kadhafi du pouvoir était quasi impossible à atteindre par des moyens militaires. C’est en outre un signe de faiblesse politique, car si vous pensiez que Kadhafi était prêt à partir, vous ne seriez pas obligés de demander cette prolongation.

En plus de l’appui aérien de l’OTAN, notre pays a aussi pris l’initiative de parachuter des armes légères aux rebelles. Ces largages, que nous avons rapidement interrompus après que les Britanniques eurent formulé leurs réticences en la matière, n’ont fait qu’accentuer les divergences au sein de la coalition et renforcer les critiques des adversaires de l’intervention militaire.

L’opération dont vous avez pris la tête avec la Grande-Bretagne, officiellement décidée dans un but humanitaire, tente par ailleurs de faire oublier votre retard à réagir aux printemps de Tunisie et d’Égypte.

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