Il faut tout d'abord rappeler qu'un signe de qualité ne peut pas être une alternative viable à des conditions favorables au développement d'une production agricole ; celles-ci doivent exister préalablement. Il ne peut pas non plus pallier les contraintes structurelles qui pèseraient sur une activité agroalimentaire. Autrement dit, le signe de qualité n'est pas une solution miracle mais plutôt un atout qui permet de consolider l'image d'une production. Pour reprendre l'exemple du vin, il est indispensable de disposer au préalable de structures de vinification performantes, de stratégies marketing et de réseaux de commercialisation adaptés. L'AOC vient par surcroît. C'est ce que nous rappelons constamment aux porteurs de projet : « ne vous faites pas d'illusion, on ne règle pas des problèmes de structuration des filières, de formation des producteurs, de rentabilité économique grâce à un signe de qualité ». Néanmoins, il ne faut pas non plus sous-estimer le potentiel de résilience que peut conférer l'octroi d'une appellation. Si nous considérons la crise actuelle de la filière laitière, un producteur de lait apportant sa production à une coopérative fabriquant du comté AOC est payé cinq fois plus cher qu'un autre producteur fournissant une usine de fabrication d'emmental industriel. Autre exemple : un éleveur de volailles label rouge bénéficiant de l'indication géographique « Loué » vend deux fois plus cher qu'un producteur de poulets surgelés exportés vers le Moyen-Orient. Grâce à une meilleure identification de leurs produits, les agriculteurs et les éleveurs protégés par une appellation sont relativement moins touchés en cas de crise. Il faut donc au préalable que les producteurs disposent du savoir-faire, de la formation et de l'organisation économique. L'AO ou l'IP apporteront ensuite l'image permettant de catalyser le développement de l'activité.
Une fois ce principe de base rappelé, il faut convenir qu'il n'est ni plus difficile, ni plus facile de construire une AO ou une IP dans un territoire ultramarin que dans l'Hexagone. C'est une démarche qui peut être intéressante à mener outre-mer, en particulier, pour des productions « exportées » vers le marché européen. Lorsqu'il s'agit de productions destinées au marché local, en distinguant sans doute entre la cible des habitants et la cible des touristes, il faut plutôt procéder au cas par cas, car la dénomination géographique locale n'apportera pas forcément d'avantages suffisants sur le marché local pour compenser la charge et le coût que représentent l'enregistrement initial et le fonctionnement d'un signe de qualité.
Aucune différence de procédure n'est à relever entre l'outre-mer et l'Hexagone. Dans tous les cas, nous créons des commissions d'enquête avec des professionnels déjà engagés dans un signe de qualité proche de celui qui est en projet mais qui viennent d'une autre région. Les services techniques et juridiques de l'INAO apportent leur soutien à la commission qui produit un rapport porté à la connaissance du ministre de l'agriculture. C'est à ce dernier que revient de prendre la décision finale de reconnaissance officielle. Les procédures administratives sont-elles trop longues ? Éternelle question. Sans doute sont-elles toujours trop longues pour les producteurs. Je tiens à dire cependant que les délais ne varient pas entre l'outre-mer et l'Hexagone. En outre, dans l'appréciation du délai, nous ne pouvons pas le faire courir à partir du moment très incertain où germe une idée dans l'esprit d'un agriculteur ou d'un éleveur. Notre travail d'instruction ne peut commencer que lorsqu'un certain nombre de préalables sont remplis. Il faut pouvoir nous apporter la preuve qu'il existe bien un projet collectif porté par les professionnels locaux. Il ne servirait à rien de plaquer une AO ou une IP sur un milieu agricole qui ne la fait pas vivre. C'est d'ailleurs pourquoi le ministre de l'agriculture n'a pas la faculté de proposer une nouvelle appellation. La loi ne donne le pouvoir d'initiative qu'aux seuls professionnels.
Notre philosophie est de ne pas identifier un produit seulement du niveau chimique et organoleptique mais de relier les qualités du produit à un terroir géographique et un savoir-faire particulier. C'est ce triptyque qui nous distingue très nettement des conceptions anglo-saxonnes qui tendent davantage à ne se référer qu'à des analyses chimiques considérées seules comme objectives.
La démarche de reconnaissance de l'origine et de la qualité d'un produit ne vient pas d'une décision administrative, elle est simplement soutenue par l'administration. Le coût d'une telle politique est très faible à la fois par rapport à ses avantages pour les filières et en comparaison des fonds investis dans la politique agricole commune. Aujourd'hui, une exploitation sur cinq est concernée en tout ou partie par un signe officiel. Pour développer davantage cette politique outre-mer, nous devons gérer le problème de la distance. C'est ce qui nous a amenés à choisir une autre organisation déconcentrée.